Une voix dans la nuit l’éveilla.
Devant les yeux encore embrumés
de sommeil de Xiao Ché Zhù, se dressait un dragon.
Le jeune garçon se frotta les yeux
avec ses poings fermés, bailla à s’en décrocher la mâchoire et s’assit sur sa natte.
Tout ce cérémonial du réveil ne
changea rien. Le dragon était toujours là, attendant sans doute de la part du
garçon une réaction quelconque.
Calme, étonnamment calme, Xiao Ché Zhù s’entendit demander :
« Qui es-tu ? Que
fais-tu ici ? »
Se raclant la gorge, le dragon
toussa légèrement. De ses narines et de sa bouche sortit un petit nuage de poussière, signe sans soute
que cela faisait bien longtemps qu’il hantait des lieux poussiéreux.
« Hum ! Hum ! Je
suis l’esprit du Dragon du Grand Fleuve. D’où je viens ? C’est toi-même
qui m’as réveillé en me sortant du coffre où tu m’as trouvé. Il était grand
temps d’ailleurs qu’on me sorte de là, je commençais à m’ankyloser. Que cela fait du bien de se sentir libre ! »
En disant ces derniers mots, il
étira tous ses membres avec un plaisir évident.
« Il est temps que je prenne
les choses en main », ajouta-t-il
Son regard fit le tour de la
pièce d’un air désapprobateur.
« Il faudrait faire un peu
de ménage là-dedans et puis ensuite, il serait bon de se mettre au travail. »
Que signifiait tout ceci ?
Ce dragon commençait, à peine arrivé, à prendre une attitude bien
directive.
De quoi se mêlait-il ?
Xiao Ché Zhù ne lui avait rien
demandé. Mais, devant le regard autoritaire, le pauvre garçon s’exécuta. Il
rangea et nettoya. Ces tâches l’absorbèrent tant qu’il ne vit pas le jour poindre à l’horizon. Il ne vit
pas non plus le regard empli de tendresse que lui lançait ce dragon lorsqu’il
ne le regardait pas.
« Maintenant, prends la
boite qui est sur ta couche et assoies-toi devant cette petite table. »
A genoux, assis sur les
talons, Xiao Ché Zhù, avec une
obéissance inaccoutumée, fit tout ce que le dragon lui commanda. Il sortit les
pinceaux, la pierre à encre, le bloc d’encre et un rouleau de papier de riz
vierge.
« Tu vas commencer par
tracer des traits, seulement des traits, commanda le dragon, mais uniquement
des traits horizontaux. La manière dont tu réussiras ces traits est la base de
tout. Ton trait doit posséder une ossature, une chair, une énergie
vitale. »
Ce maître apprit aussi à son
jeune élève à broyer ses bâtons d’encre sur la pierre, rituel, préparant tout
artiste à l’acte de peindre, permettant de faire le vide en soi.
Puis, il lui enseigna à charger
d’encre le pinceau et à en maîtriser le flux. Trop d’encre donne au trait un
aspect lourd, pas assez d’encre lui retire toute consistance, tout esprit.
« Pour maîtriser le trait,
il faut se tenir bien droit, conseillait le maître, rectifiant sans cesse la
posture du garçon. Ainsi, le courant d’énergie entre le ciel et la terre
passera mieux à travers toi. »
Le dragon, maître en
calligraphie, était intransigeant sur les règles à respecter.
Le pauvre élève soupirait souvent
de fatigue, mais obtenir la perfection exige
une volonté et un acharnement sans borne. Aussi, Xiao Ché Zhù
recommençait-il inlassablement son labeur.
Malgré son application, il
s’entendait souvent dire :
« Ton
trait, là, ne va pas. Il est inerte, banal, triste. Donne-lui la
vie ! »
Ou encore,
« Dessine
avec ton cœur. Donne une âme à ce que tu fais. »
Lorsque le trait horizontal fut
enfin acquis, le dragon enseigna au garçon les autres traits.
Ensuite, ce fut le long travail
de copie de documents élaborés par les maîtres anciens. L’écriture demandait
beaucoup de précisions, car chaque caractère devait s’inscrire dans un carré.
Dessiner les signes fut une chose, mais il fallut aussi en apprendre la
signification.
Les moments de détente de Xiao Ché Zhù se passaient en plein air à
contempler la nature, à l’expliquer simplement en y ajoutant des pensées
poétiques. Moments d’une complice rêverie où tous deux communiaient avec le
monde environnant.
Au retour, chaque image, chaque
impression étaient mises sur le papier en touches de couleur qui prenaient vie
sous le pinceau du jeune artiste, devant le regard très critique du professeur.
Le génie consistait à réaliser un
ensemble, alliant écriture et peinture, d’une simplicité naturelle ; la
beauté en art n’étant nullement sophistiquée.
Un chef-d’œuvre ne se crée pas,
il se travaille en corrigeant les premières ébauches, y apportant beaucoup de
soi.
Xiao Ché Zhù se sentait souvent
découragé. Avait-il les dons nécessaires ? Mais, pensant à ses parents et
à Lao Li, il rassemblait ses forces et se remettait au travail.
Xiao Ché Zhù apprit ainsi à lire, à écrire, à compter et à
penser par lui-même.
Les jours passaient faits de
travaux d’écriture, de promenades à travers la colline et la prairie, de réflexions
sur les berges du grand fleuve.
Cette tutelle
« dragonnique » apportait beaucoup au garçonnet. C’est ainsi qu’il
grandit comme dans un rêve.
Mais la vie qui se déroulait,
avait quelque chose de trop idyllique et Xiao Ché Zhù n’arrivait pas à en trouver
la cause.
Une vie comme dans un rêve …..
Car, les récoltes étaient bonnes,
le grain se vendait à merveille. Sans vivre dans l’opulence,
il ne manquait de rien. Rien à voir avec la dure existence de labeur de Lao Li.
Et puis, il apprenait tant de choses
….. Mais, il lui restait encore tant à comprendre.
Son pinceau glissait sur le
papier, les couleurs se diluaient et prenaient la forme de beaux paysages.
Des idées jaillissaient de son
esprit et devenaient poésies.
N’avait-il pas près de lui un
maître exceptionnel ?
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