Louis
B se sentait très embarrassé en entrant dans le bureau du maire qui avait
accepté de le recevoir, suivi par son épouse Marie Marguerite, née L.
Déranger
un homme important, pour demander aide, n’était pas dans leurs habitudes. Ils
avaient revêtu leurs habits du dimanche, ceux qu’ils mettaient dans les grandes
occasions ou pour se rendre à l’église. Il fallait faire bonne impression.
Les
visiteurs ayant pris place sur les sièges devant son bureau, l’élu prit la
parole sans attendre.
« Vous
avez souhaité me rencontrer. Que puis-je faire pour vous ?
-
C’est ma femme, M’sieur l’maire, c’est
qu’elle est très inquiète, à cause du fils, répondit l’homme ne sachant pas
comment exposer les raisons de cette entrevue.
-
Votre fils ?
-
C’est qu’il est parti à l’armée depuis
plusieurs années et qu’on a pas d’nouvelles depuis p’t-êtr ‘ ben quatre ans.
Alors on voudrait bin savoir, ajouta l’épouse en retenant ses larmes.
-
Il faudrait m’en dire un peu plus. Quand
est-il parti ? Vous connaissez son régiment ? Quatre ans sans
nouvelle, dites-vous ?
Les
pauvres parents essayaient de répondre de leur mieux. Surtout le père, car la
malheureuse mère, émue au plus haut point, retenait mal ses sanglots. Le maire
apprit toute l’histoire de cette famille. Histoire qui ne différait pas
beaucoup de celle d’un grand nombre de ses administrés.
Marie
Marguerite avait épousé Louis B, en juin 1777. Il était veuf. Elle l’était
aussi, et depuis bien plus longtemps que lui. Elle avait eu la grande douleur
de perdre son époux, Louis Antoine L, à peine quinze mois après leur union,
alors qu’elle était grosse de six mois et avait à charge une fillette de treize
mois[1]. IL
avait été attiré par sa douceur, son courage et son amour maternel. Ses petits
passaient avant tout !
Louis
B avait accueilli les deux enfants, Marie Marguerite, née en mars 1769 et Jean
Louis, arrivé en ce monde en avril 1770.
Et
l’homme d’affirmer : « Et j’ m’en suis occupé comme si c’étaient les
miens ! Ça pour sûr ! »
Le
maire comprenait le désarroi de ces deux-là, déversant devant lui inquiétudes
et espoirs, contant leur pauvre existence un peu dans le désordre comme pour
prouver leur honnêteté et le bien- fondé de leur démarche. Aussi, suite à la
visite du couple L, il adressa, sans tarder, un courrier « aux citoyens composant le
Conseil d’Administration de la 79ème ½ brigade – 11ème
division » à Saint-Jean-Pied-de-Port dans les Basses-Pyrénées, demandant à
avoir des nouvelles du soldat Jean Louis L dont les parents se trouvaient dans
une extrême inquiétude, et d’autant plus depuis le retour, dans la commune, de
certains compagnons d’armes de celui-ci. Il concluait sa missive comme
suit :
« J’ose
me flatter, citoyens, que vous voudrez bien m’adresser l’extrait mortuaire de
ce militaire afin de tranquilliser sa famille. »
Comment
l’extrait mortuaire d’un être aimé pouvait-il tranquilliser ?
Quelques
jours plus tard, la réponse arriva, annonçant ce que la famille L redoutait,
sans toutefois vouloir y croire.
Leur
fils, Jean Louis[2],
n’était plus, et cela d’ailleurs depuis plusieurs années, car après avoir été
fait prisonnier de guerre par les Russes et envoyé au Fort de Saint-Maure, le
25 brumaire an VII, il avait été livré aux mains des Turcs. Emprisonné au bagne
de Constantinople, ce fut là-bas, en terre étrangère, qu’il était décédé, trois
mois plus tard, le 27 pluviose de la même année.
Comment
ont réagi les parents à cette nouvelle ? Ont-ils été, enfin, « tranquillisés » ?
Sûrement
que non, mais ils savaient, à présent qu’ils ne reverraient jamais le jeune
homme.
Du
moins en ce qui concernait le citoyen L, car pour son épouse, ce ne fut pas
tout à fait le cas.
« C’est
point vrai tout ça ! J’sais qu’il est point mort ! hurlait-elle,
emplie de désespoir.
-
Mais puisqu’on l’ dit ! Y’a même un
papier où c‘est écrit ! répliquait le mari essayant de calmer et de
raisonner son épouse qu’il ne voulait plus voir malheureuse. Il comprenait sa
réaction, bien évidemment, mais que pouvait-on faire si ce n’était accepter. Le
chagrin, les pleurs, les cris ne ramèneraient pas le fils disparu.
-
Mais, moi, j’sais bin. J’ le sens, là,
affirmait la pauvre femme, en montrant son ventre.
-
Mais voyons … !
-
A bout d’arguments Louis
B haussa les épaules et se dirigea vers la porte, afin d’aller prendre un peu
l’air, en maugréant :
« Ah
les femmes ! C’est point possible, ça ! »
Et
puis, découragé, se retournant et
s’adressant à son épouse :
« Et
puis, pense c’ que tu veux ! »
Alors,
dans l’esprit de cette femme qui n’avait pas vu le corps du soi-disant défunt, une
petite lueur d’espoir s’installa.
Et
si il y avait eu une erreur lors de l’identification du cadavre. Un soldat ne
ressemble-t-il pas à un autre soldat ?
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