Je restai seul,
abandonné. Je cherchai Maman du regard, mais tremblant, je n’arrivai pas à la
trouver.
« Andantino,
poursuivit l’Ancêtre, je pense que nous devrions parler ; »
Il m’entraîna,
près du mur, sous la fenêtre d’où sortait encore cette musique qui était la
cause de toutes mes péripéties. Là, il me regarda et, d’une voix adoucie,
questionna !
« Qu’avez-vous
vu dans la forêt ? »
Je me rappelai ce
que la sorcière m’avait dit, mais devais-je en parler ?
« Eh bien,
parle !
-
Nous
avons vu la sorcière, commençai-je, timidement.
-
Ah
oui ! », puis à lui-même : « Pharmacie… »
-
Pardon ?
fis-je.
-
C’est
son nom, elle s’appelle, Pharmace.
Je respirai un bon
coup, puis avec aplomb, je lançai à toute vitesse, comme on avale un mauvais
remède :
« Elle m’a dit
qu’elle ne regrettait rien et qu’elle était heureuse que vous soyez en vie. »
Puis, reprenant
souffle, je ponctuai la fin de ma phrase par :
« Cascado ! »….
Ce dernier mot,
son nom, sembla le réveiller. Il me regarda, cherchant à savoir ce que j’avais
appris.
« Que
sais-tu ? me demanda-t-il enfin.
-
Rien
de plus, ai-je poursuivi. Seulement qu’elle m’a conseillé de vous demander de
me raconter son histoire.
Il soupira
fortement, longuement.
Quel secret reliait
ces deux personnages ?
L’Ancêtre
allait-il me le révéler ?
Plusieurs fois, il
prit une profonde inspiration laissant croire que j’allais, enfin, savoir,
puis, songeur, il replongeait dans son mutisme.
Soudain son regard
accrocha le mien et :
« Vois-tu,
Petit, si je suis sévère, c’est parce que je connais les dangers, et quand je
te vois, je revois le petit escargot que
j’étais, il y a bien longtemps. »
Il marqua un temps
de pause qui me parut une éternité.
« Oui, je
connais Pharmace, et elle a raison, si je suis en vie aujourd’hui, c’est à elle
que je le dois. »
Il leva ses cornes
vers la fenêtre au-dessus de nous. Je le fis, également.
Que cette musique
m’attirait ?
« Vois-tu
cette fenêtre là-haut ? Oui, bien sûr, tu la vois, puisque, toi aussi, tu
as voulu l’atteindre. A ton âge, cette musique me fascinait, tout comme toi à
présent. Oui, bien sûr que je te comprends ! »
Il sembla absorbé
par la vision de sa propre enfance.
« Alors,
pensai-je, lui aussi, il aime la musique. Il me comprend ! » Je me
sentis alors très proche de lui.
Il continua son
récit :
« Un jour,
j’ai, comme toi, voulu l’atteindre, cette fenêtre. Ce fut difficile, très
difficile….. J’y étais presque lorsque soudain ….
-
Vous
êtes tombé, vous aussi ?
Il hocha ses
cornes, d’un air affirmatif.
« Oui, je
suis tombé. »
Il revécut sa
chute, en pensée, avant de poursuivre :
« Oui, et je
n’ai pas eu ta chance. Pas de tapis de feuilles, non ! Je suis tombé sur
un rosier, avec ses épines meurtrières. »
En écoutant son
récit, je sentis ma coquille craquer mortellement, transpercée par un dard
assassin.
« Vois-tu,
Andantino, c’est Pharmace qui m’a secouru, sans coquille, elle craignait moins
les épines. Puis, elle me veilla, me donna les remèdes dont elle tenait le
secret de sa mère. Personne ne crut, en voyant mon état, que je pourrais
survivre. Pharmace resta près de moi, attentive. Et je guéris. Ma coquille se
consolida, ma corne cicatrisa et je pus me mouvoir à nouveau, sans trop de
difficultés. Mais cette guérison fut prise pour de la magie dans la colonie.
Surtout que Pharmace était différente.
-
La
coquille ? lançai-je.
-
Oui,
la coquille. Les différences ne sont pas acceptées. Elle fut accusée de
sorcellerie.
J’imaginais
Pharmace partant, seule, vers la forêt, les cornes basses, lourdes de chagrin.
« Un autre
évènement vint corroborer cette accusation, continua l’Ancêtre. Quelque temps
après son départ, la colonie fut décimée par les mains assassines des humains
qui firent un festin de leur méfait. Je perdis ainsi tous les membres de ma
famille. Chaque rescapé pensa alors que c’était une vengeance, un sortilège
lancé par Pharmace furieuse d’avoir été évincée, rejetée. »
Tout en écoutant
attentivement le récit, je pensais au « Tous à la casserole ! »,
cette phrase lancée par Boullotte, et j’imaginai Pharmace, penchée sur un
chaudron fumant, tournant lentement à l’aide d’une énorme cuillère en bois, un
liquide brunâtre à l’odeur de soufre, sur lequel flottait une multitude de
coquilles d’escargot.
L’Ancêtre pris
dans son récit était devenu intarissable. Il n’avait, à mon avis, jamais autant
parlé depuis des années. Il finit, en répétant tristement comme une litanie, tout en hochant de droite à gauche
ses cornes : « Ce n’était pas sa faute ! Ce n’était pas sa
faute !... »
Puis, se
ressaisissant, il ajouta : « Va Petit, va et fais bien attention à
toi ! »
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