L’enfance
devrait être un moment privilégié de découvertes et d’apprentissages, entourée
d’affection et d’amour.
Si
je dis « devrait », c’est que cela n’a pas été et n’est pas toujours,
encore aujourd’hui, hélas, le cas[1]
Pendant
cette période qui est parsemée de joies, de peines et petites blessures, de
drames parfois, l’enfant, fragile et maniable absorbe tout, s’imprègne de tout
sans analyser car n’ayant encore aucun repère pour le faire. Il prend. Ilo
n’est, à ce moment, qu’émotions.
Ses
repères en ce début de vie, il se les crée dans le contexte familial, scolaire,
mais aussi au contact des « copains ». Mais il doit prendre en compte,
également, tout un environnement de plus en plus technologique lui apportant
une multitude d’informations qu’il n’est pas toujours en mesure de démêler.
Dur,
dur, l’enfance !
La
littérature foisonne de biographies et romans relatant des « souvenirs
d’enfance » heureux ou malheureux, parfois légèrement modifiés par un
contexte romancé. Parler de soi n’est pas toujours si simple !
Des
textes sur l’enfance, il y en a de très beaux, de très gaies, de très heureux,
comme ceux de Marcel Pagnol.
« La
gloire de mon père », « le château de ma mère », entre autres,
parlent du contexte familial dans lequel il a grandi, entouré de la tendresse
d’Augustine, sa mère, disparue trop tôt, en 1910.
-=-=-=-=-=-
Alphonse
Daudet, au travers du « Petit Chose » se raconte. Il commence
ainsi :
Je suis né le 13 mai 18..., dans une ville du Languedoc où l’on trouve,
comme dans toutes les villes du Midi, beaucoup de soleil, pas mal de poussière,
un couvent de Carmélites et deux ou trois monuments romains. Mon père, M.
Eyssette, qui faisait à cette époque le commerce des foulards, avait, aux
portes de la ville, une grande fabrique dans un pan de laquelle il s’était
taillé une habitation commode, tout ombragée de platanes, et séparée des
ateliers par un vaste jardin. C’est là que je suis venu au monde et que j’ai
passé les premières, les seules bonnes années de ma vie.
Aussi ma mémoire reconnaissante a-t-elle gardé du jardin, de la fabrique et des
platanes un impérissable souvenir, et lorsque à la ruine de mes parents il m’a
fallu me séparer de ces choses, je les ai positivement regrettées comme des
êtres.
Je dois dire, pour commencer, que ma naissance ne porta pas bonheur à la
maison Eyssette. La vieille Annou, notre cuisinière, m’a souvent conté depuis
comme quoi mon père, en voyage à ce moment, reçut en même temps la nouvelle de
mon apparition dans le monde et celle de la disparition d’un de ses clients de
Marseille, qui lui emportait plus de quarante mille francs ; si bien que M.
Eyssette, heureux et désolé du même coup, se demandait, comme
l’autre, s’il devait pleurer pour la disparition du client de Marseille, ou
rire pour l’heureuse arrivée du petit Daniel... Il fallait pleurer, mon bon
monsieur Eyssette, il fallait pleurer doublement.
C’est une vérité, je fus la mauvaise étoile de mes parents. Du jour de ma
naissance d’incroyables malheurs les assaillirent par vingt endroits. D’abord
nous eûmes donc le client de Marseille, puis deux fois le feu dans la même
année, puis la grève des ourdisseuses, puis notre brouille avec l’oncle
Baptiste, puis un procès très coûteux avec nos marchands de couleurs, puis,
enfin, la Révolution de 18..., qui nous donna le coup de grâce.
À partir de ce moment, la fabrique ne battit plus que d’une aile ; petit à
petit, les ateliers se vidèrent : chaque semaine un métier à bas, chaque mois
une table d’impression de moins. C’était pitié de voir la vie s’en aller de
notre maison comme d’un corps malade, lentement, tous les jours un peu. Une
fois, on n’entra plus dans les salles du second. Une autre fois, la cour du fond
fut condamnée. Cela dura ainsi pendant deux ans ; pendant deux ans, la fabrique
agonisa. Enfin, un jour, les ouvriers ne vinrent plus, la cloche des ateliers
ne sonna pas, le puits à roue cessa de grincer, l’eau des grands bassins, dans
lesquels on lavait les tissus, demeura immobile, et bientôt, dans toute la
fabrique, il ne resta plus que M. et Mme Eyssette, la vieille Annou, mon frère
Jacques et moi ; puis, là-bas, dans le fond, pour garder les ateliers, le
concierge Colombe et son fils le petit Rouget.
C’était fini, nous étions ruinés.
J’avais alors six ou sept ans. Comme j’étais très frêle et maladif, mes
parents n’avaient pas voulu m’envoyer à l’école. Ma mère m’avait seulement
appris à lire et à écrire, plus quelques mots d’espagnol et deux ou trois airs
de guitare, à l’aide desquels on m’avait fait, dans la famille, une réputation
de petit prodige. Grâce à ce système d’éducation, je ne bougeais jamais de chez
nous, et je pus assister dans tous ses détails à l’agonie de la maison
Eyssette. Ce spectacle me laissa froid, je l’avoue ; même je trouvai à notre
ruine ce côté très agréable que je pouvais gambader à ma guise par toute la
fabrique, ce qui, du temps des ouvriers, ne m’était permis que le dimanche. Je
disais gravement au petit Rouget : « Maintenant, la fabrique est à moi ;
on me l’a donnée pour jouer.» Et le petit Rouget me croyait. Il croyait tout ce
que je lui disais, cet imbécile.
À la maison, par exemple, tout le monde ne prit pas notre débâcle aussi
gaiement. Tout à coup, M. Eyssette devint terrible : c’était dans l’habitude une
nature enflammée, violente, exagérée, aimant les cris, la casse et les
tonnerres ; au fond, un très excellent homme, ayant seulement la main leste, le
verbe haut et l’impérieux besoin de donner le tremblement à tout ce qui
l’entourait. La mauvaise fortune, au lieu de l’abattre, l’exaspéra. Du soir au
matin, ce fut une colère formidable qui, ne sachant à qui s’en prendre,
s’attaquait à tout, au soleil, au mistral, à Jacques, à la vieille Annou, à la
Révolution, oh ! surtout à la Révolution
!...
-=-=-=-=-=-
Jules
Renard, nous décrit un « Poil de Carotte » recherchant, en vain,
l’amour de sa mère.
Pourquoi
ne l’aime-t-elle pas comme son frère et sa sœur ?
« Tout le monde ne peut être orphelin ! » répète-t-il, au
point qu’il finit par croire qu’orphelin, en effet, il avait été adopté !
Voilà
l’explication à n’en pas douter !
Une mère qui
ne cesse de lui infliger brimades et punitions, sans omettre les réflexions
telle :
« Qu’est-ce
que j’ai donc fait au ciel pour avoir un enfant pareil ? »
Une mère qui
n’a jamais une attention particulière :
« Croyant que sa mère lui sourit, Poil-de-carotte, flatté, sourit
aussi. Mais, Madame Lepic qui ne souriait qu’à elle-même, dans le vague, fait
subitement sa tête de bois noir aux yeux de cassis. Et Poil-de-carotte,
décontenancé, ne sait où disparaitre »
Et puis,
cette confidence paternelle à la fin du récit :
Poil de Carotte :
Papa, mon frère est heureux, ma sœur est heureuse,
et si maman n'éprouve aucun plaisir à me taquiner, comme tu dis, je donne ma
langue au chat. Enfin, pour ta part, tu domines et on te redoute, même ma mère.
Elle ne peut rien contre ton bonheur. Ce qui prouve qu'il y a des gens heureux
parmi l'espèce humaine.
Monsieur Lepic :
Petite espèce humaine à tête carrée, tu raisonnes
pantoufle. Vois-tu clair au fond des cœurs ? Comprends-tu déjà toutes les
choses ?
Poil de Carotte :
Mes choses à
moi, oui, papa ; du moins je tâche.
Monsieur Lepic :
Alors, Poil de Carotte, mon ami, renonce au bonheur.
Je te préviens, tu ne seras jamais plus heureux que maintenant, jamais, jamais.
Poil de Carotte :
Ça promet.
Monsieur Lepic :
Résigne-toi, blinde-toi, jusqu'à ce que majeur et
ton maître, tu puisses t'affranchir, nous renier et changer de famille, sinon
de caractère et d'humeur. D'ici là, essaie de prendre le dessus, étouffe ta
sensibilité et observe les autres, ceux mêmes qui vivent le plus près de
toi ; tu t'amuserais ; je te garantis des surprises consolantes.
Poil de Carotte :
Sans doute, les autres ont leurs peines. Mais je les
plaindrai demain. Je réclame aujourd'hui la justice pour mon compte. Quel sort
ne serait préférable au mien ? J'ai une mère. Cette mère ne m'aime pas et
je ne l'aime pas.
-
Et moi, crois-tu
donc que je l'aime ? dit avec brusquerie M. Lepic impatienté.
A ces mots, Poil de Carotte lève les yeux vers son
père. Il regarde longuement son visage dur, sa barbe épaisse où la bouche est
rentrée comme honteuse d'avoir trop parlé, son front plissé, ses pattes d'oie et ses paupières baissées qui
lui donnent l'air de dormir en marche. Un instant Poil de Carotte s'empêche de
parler.
Il
a peur que sa joie secrète et cette main qu'il saisit et qu'il garde presque de
force, tout ne s'envole. Puis il ferme le poing, menace le village qui
s'assoupit là-bas dans les ténèbres et il lui crie avec emphase :
- Mauvaise femme ! te voilà complète. Je te déteste.
- Tais-toi, dit M. Lepic, c'est ta mère après tout.
- Oh ! répond Poil de Carotte, redevenu simple et prudent, je ne dis pas ça parce que c'est ma mère.
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Dans
« Vipères au poing », Hervé Bazin est Brasse-Bouillon, gamin au
caractère fort, affrontant l’autorité d’une mère tyrannique qu’il surnomme
« Folcoche ».
Ce conflit,
couché sur le papier, nous a permis de lire de bien belles pages ?
-=-=-=-=-=-
Bernard
Clavel raconte l’apprentissage du petit Julien Dubois dans une boulangerie de
Dôle, juste avant la Seconde Guerre Mondiale : « La maison des
autres ».
Le jeune
apprenti ne doit pas ménager sa peine et travailler de nombreuses heures chaque
jour, sans rechigner.
A 3 heures moins le quart, le chef les réveilla. Jamais encore Julien
n’avait si peu dormi. Il s’habilla maladroitement, avec des gestes d’ivrogne.
Ses paupières étaient de nouveau enflées et il voyait tout dans une espèce de
demi-jour tremblotant. L’eau froide du robinet lui fit du bien, mais la fatigue
engourdissait encore ses membres, rendait ses muscles douloureux.
Le chef l’obligea à boire deux tasses de café.
- Faut te réveiller, mon vieux, disait-il. Sans ça on va être dans le lac.
Julien se raidissait. Par moments, il lui semblait que les plaques où il
alignait les croissants se mettaient à osciller sur le tour, comme soulevées
par la houle. Les bruits étaient assourdis. Le sommeil était partout ; il
estompait les formes, atténuait les reflets des cuivres, ralentissait les
mouvements. Sur les rayons, les boites et les bouteilles avaient toutes la même
teinte grisâtre, elles semblaient s’affaisser, s’écraser, s’accroupir dans une
espèce d’attente indifférente.
Par deux fois, Julien dut sortit pour prendre des plaques sur la pile
élevée à côté de la porte. Dehors tout était silencieux. La nuit dormait. Toute
la vie, toute la chaleur de la ville était réfugiée là, dans ce laboratoire. Et
chaque fois que Julien sortait, il avait hâte de retrouver cette lumière et
cette chaleur. Un instant, il vivait vraiment ; puis il luttait, ses
paupières se fermaient, sa tête devenait lourde, et, au moment où son poids
l’entrainait en avant, Julien sursautait.
Le chef et le second se relayaient pour lui venir en aide.
- C’est forcé qu’il soit crevé, dit Maurice, la grosse vache nous a fait
veiller jusqu’à 11 heures hier soir.
A la fin du livre, Julien a seize
ans, mais cette période d’apprentissage en a déjà fait un homme.
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Françoise
est l’héroïne du livre de Jeanne Bourin, « La garenne », roman
inspiré des souvenirs personnels de l’auteur.
Françoise
a huit ans, et l’action se passe dans les années de l’entre-deux-guerres.
Quel âge puis-je avoir au moment où
s’imprime en moi la première image située à la Garenne ? Je ne sais.
Pourtant, je la revois parfaitement dès que je me mets à courir dans les allées
du jardin. A cette époque-là, même debout, je suis plus petite que les hautes
herbes de juin, que la folle avoine, que les nonchalantes graminées dont les
têtes, alourdies par le poids de leurs graines, se balancent et ploient au
moindre souffle. Assise, ou plutôt, enfouie au cœur de la pente herbue qui
sépare l’allée du milieu de l’allée du bas, je disparais, y compris le petit
chapeau de paille que Maman exige que je porte, dans l’exubérance végétale du
grand jardin odorant, immense à mes yeux. Vaste, mystérieux, il est mon
domaine. Terre de toutes les explorations, de toutes les découvertes. Certains
coins m’en demeurent alors mal connus, ce qui ajoute à mon plaisir.
……………
A présent que je suis grande, je
connais tous les coins et recoins de la Garenne. J’ai élu certains endroits où
je me tiens plus volontiers qu’ailleurs. Il y a le potager où les roses
paysannes s’épanouissent aux angles des carrés de choux, de carottes ou de
radis, où les groseilliers à maquereaux me fournissent l’occasion de les piller
en désobéissant à ma grand-mère, où le vieux seringa touffu, couvert au
printemps d’étoiles blanches, dégage un parfum si puissant, ennivrant.
Qui
n’a pas un jardin, un espace ombragé, un coin de verdure où il a rêvé de
nombreuses heures ?
Ce
contact avec la nature, indispensable pour se construire et garder son équilibre.
-=-=-=-=-=-
Je
pourrais encore et encore vous conseiller des ouvrages fabuleux, et en mettre
quelques extraits pour attiser votre envie de lecture, comme :
-
les multiples expériences de
« Claudine » racontaient par Colette
-
« L’Enfant », sous la plume de Jules Vallès
Ainsi
que de nombreux écrits mettant en scène cet être extraordinaire pour un
enfant : la « grand-mère ».
·
« Mémé » de Philippe Torreton
·
« Ma grand-mère paysanne » de
Jehan Le Povremoyne
·
« Blanche et Lucie » de Régine
Déforges
·
…….
Vous
pouvez aussi, et j’en serais très heureuse, me faire partager certaines de vos
lectures.
Un
échange, alors, pourrait s’instaurer sur les impressions ressenties au fil des
pages, lors de telles ou telles situations.
N’y-a-t-il
pas un peu de chacun de nous, un peu de notre propre histoire, dans chaque
livre ?
Voilà
pourquoi ils nous font tant vibrer.
Je
vous rappelle que ce blog a été créé pour cela, un échange en toute simplicité
autour d’un livre ou d’un auteur.
Alors……
lancez-vous ! Je suis là pour
vous accueillir !
[1] A noter
Loi contre le travail des enfants en France –
scolarisation obligatoire
Dans certains pays les enfants ne bénéficient toujours
pas de protection juridique.
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