Nous
voilà revenu dans le département de l’Isère. Décidément, cette région foisonne
de faits divers et variés, et meurtriers ! Afin de ne pas mécontenter les
habitants de ce département, je choisirai mon prochain sujet ailleurs. Promis.
L’affaire,
qui va suivre, s’est déroulée tout près de Grenoble et ce fut dans la cathédrale
de cette ville que l’on pourrait faire commencer cette histoire.
Ce
fut en effet en ce lieu qu’Antoine Mingrat,
tout juste ordonné prêtre, célébra sa première messe, devant une
assemblée de connaissances, et surtout de sa mère, emplie de fierté, ses
ambitions comblées.
Antoine
Mingrat, en ce même jour, d’ailleurs, n’eut aucunement une attitude humble
emprunte de piété. Son cœur débordait d’une fierté exagérée. Péché
d’orgueil !
Sa
position de « prêtre » le mettait, selon lui, au-dessus du commun des
mortels, au-dessus de la justice des hommes. Ce statut lui donnait tous
pouvoirs. Intouchable !
Il
fut envoyé dans la paroisse de Saint-Aupre pour y exercer son premier ministère.
L’abbé
Antoine Mingrat avait vingt ans.
Un
tout jeune prêtre dont j’ai retrouvé la description physique.
« Cheveux noirs et plats. Un
front très étroit. Des sourcils épais. Des yeux bruns, sombres au regard
farouche. Une grande bouche aux lèvres épaisses et dédaigneuses. Une taille
haute et massive. Il était doté d’une force incroyable. »
Ce
fut dans cette paroisse que la vie de ce prêtre, qui n’avait que pour vocation
celle de vivre comme il le souhaitait, dérapa.
Mais
avant, faisons connaissance avec lui.
Qui
était-il ?
Antoine
Mingrat naquit dans la commune de Grand-Lemps, dans le département de l’Isère,
où ses parents, Etienne Mingrat et Marie Rose Doublier s’étaient unis, le 8
juin 1790.
Acte
de mariage – juin 1790 – Grand-Lemps.
Après trois publications aux formes
ordinaires de cette paroisse sans avoir découvert aucun empechement et ensuite
de la dispense donnée en faveur de l’epoux accordée par Mgr l’archeveque de
Vienne signée Brochier........ (illisible) j’ai donné la bénédiction nuptiale
du consentement des .... (illisible) le huit juin 1790 de Etienne Mingrat
maitre charron fils legitime a feu etienne et a defunte anne bouvat demeurant à
Lemps d’une part et a demoiselle marie Rose doublier fille legitime a feu sieur
antoine et a demoiselle marguerite fournier aussi de cette paroisse présents
sieurs ... (tache) doublier, pierre mingrat, joseph rebatel et Maitre Claude
Dutruc....
Antoine
fut l’ainé des enfants. Il vit le jour, le 16 décembre 1793 (26 frimaire an II)
Acte
de naissance – décembre 1793 – Grand-Lemps.
Aujourd’hui vingt sixième frimaire
an second de la république française..... est comparu en la salle publique
Etienne Mingrat charron age de vingt neuf ans lequel assisté de pierre Clavel
procureur de cette commune de Lemps et de jean Baptiste Charvet journalier tous
les deux âgés de quarante ans lequel m’a déclaré que rose doublier son épouse
en legitime mariage age de vingt un ans
est accouchée aujourd’hui sur les neuf heures du matin d’un garçon dans son
domicile lequel il m’a présente et auquel il a donné le prenom
d’antoine..........
Une
petite fille, prénommée Rose Marie, naquit le 8 décembre 1795 (17 frimaire an
IV). Elle ne vécut que vingt et un mois. Elle fut portée en terre le 7
septembre 1797 (21 fructidor an V)
Acte
de naissance – décembre 1795 – Grand-Lemps.
Aujourd’hui dix sept frimaire l’an
quatre de la republique française avant midi par devant nous........ est
comparu en la maison commune Etienne Mingrat assiste de Barthelemi Molle et andré
feupinet tous de ce lieu qui m’a declare que rose Doublier son epouse legitime
est accouchée hier d’une fille a qui il a donné le prenom de rose marie
d’après cette declaration et la
representation qui m’a été faitte de l’enfant, j’ai redige le present
acte........
Acte
de décès – septembre 1797 – Grand-Lemps.
C’aujourd’huy vingt un fructidor an
cinq de la Republique par devant moy..... est comparu Etienne mingrat charon de
cette commune, assisté de paul meyzin, de andré giroud tous deux cultivateurs
de cette commune lequel ma déclaré que rose marie sa fille est decedé ce
jourd’huy agé de un an et neuf mois après mettre assure du décés jay redige le
present acte ayant le dit giroud signé, non le declarant, ny meyzin.......
Puis
ce fut un autre garçon qui arriva au foyer, le 25 août 1800 (7 fructidor an
VIII). Le troisième et dernier de la fratrie.
Acte
de naissance – août 1800 – Grand-Lemps.
Du huit fructidor an huit par
devant mois est comparu le citoyen Etienne Mingrat charon demeurant Lemps de la
même commune lequel m’a déclaré que Rose Doublier son épouse est accouché hier
d’un enfant male auquel il a donné le prénom de Joseph Barthelemy. D’après
cette déclaration et la representation qui m’a été faite de l’enfant, j’ai
redigé le present que j’ai signé non le déclarant ny les temoins qui ont
declaré être illiteres.....
Comme
nous venons de l’apprendre par les actes ci-dessus, Etienne Mingrat exerçait le
métier de charron. Ce n’était pas, à vrai dire, un personnage très sympathique,
loin de là.
Ivrogne,
il passait plus de temps à la taverne qu’à travailler.
Fainéant,
aussi, mais cela va de paire avec l’ivrognerie.
Mauvais
mari, il molestait son épouse.
Mauvais
père, il battait ses enfants.
Quel
portrait !
Quant
à Rose Doublier, elle était ambitieuse, intrigante et méchante. Un caractère
qui ne pouvait que lui permettre
d’arriver à ses fins, en balayant tout sur son passage, et surtout les autres.
Ce
devait être quelque chose l’ambiance familiale au foyer Mingrat-Doublier, ça
j’vous dis, braves gens !
Alors,
Antoine, indocile, avait appris à feindre et à mentir pour éviter les coups
assenés généreusement par son père, faute de câlins.
Rose
fut la première institutrice de son fils, du moins je suppose qu’elle essaya
car elle savait à peine signer. Mais, elle était dotée d’une détermination
farouche à réussir, pour elle, mais surtout pour son fils ainé.
Etait-ce
en raison de son incapacité ou en raison de l’indiscipline et la fainéantise de
son fils qu’elle cessa vite son enseignement ?
Enfin
libéré de toute contrainte, le gamin passa son temps à jouer, vagabonder et
tyranniser ses camarades.
Madame
Rose Mingrat, suite à une violente discution, pour ne pas dire une terrible
dispute avec son mari, décida de partir à Grenoble. Le but de ce séjour,
obtenir le diplôme de sage-femme, profession qui lui permettrait de gagner sa
vie.
Je
n’ai rien découvert sur le second fils du couple. Je suppose qu’il resta à
Lemps avec son père.
-=-=-=-=-=-=-=-
Arrivée
à Grenoble, elle emménagea avec Antoine chez une dame J., accoucheuse. Pendant
qu’elle prenait des cours, Antoine jouait avec les filles de cette dame J.
Et
voilà les enfants qui, sur une idée comme ça, d’Antoine décidèrent de jouer
« aux prêtres ». Antoine, bien sûr, fut l’ecclésiastique et pour
faire « un peu plus vrai », les filles s’appliquèrent à tonsurer le
jeune garçon.
Antoine
se prit au jeu et, le soir, au retour de sa mère, il lui annonça, solennel et
missel à la main, qu’il souhaitait entrer dans la prêtrise.
« En
voilà une idée ! pensa la mère. Mais pourquoi pas !...... ». Elle imagina tout de suite son fils Evêque,
Archevêque et pourquoi pas Pape ! Ambitieuse à outrance, je vous avais
prévenus.
Pour
faire entrer Antoine au séminaire, il fallait le consentement d’Etienne
Mingrat, le père.
Celui-ci
mit au courant, refusa d’un bloc tous les arguments qui lui furent exposés.
Et
pour mettre fin au débat, il plaça Antoine en apprentissage chez un peigneur de
chanvre.
Comme
nous l’avons déjà pressenti, Antoine avait hérité le côté fainéant de son père,
auquel s’ajoutait les « qualités néfastes et incontournables », ou
défauts, d’incapable et d’indomptable. Le jeune garçon fut, très rapidement,
mis à la porte.
Que
faire de ce gamin insupportable ?
Une
de ses tantes, mais je ne peux préciser si elle était du côté maternel ou paternel,
se proposa de l’éduquer. Elle l’aimait bien ce neveu. Etant très estimée, elle se confia à une de ses connaissances
Madame de V., qui très dévote, le recommanda avec beaucoup d’insistance au
chapelain de son château. Elle certifia que le jeune homme dont il était
question, était pieux, vertueux et touché par la vocation. Autant de qualités
firent qu’Antoine fut admis au séminaire.
Etienne
Mingrat fut très heureux. Il était débarrassé de ce fils qui lui pesait !
Rose
Mingrat Doublier était au comble du bonheur. Son ambition commençait à prendre
forme.
Antoine
séminariste ne se montra pas très brillant. Si il était « estimé »
par ses maîtres, c’était uniquement en raison de l’espionnage qu’il menait
envers les autres élèves. Cafteur en plus, pas joli-joli !
Et
nous voilà de nouveau sur le parvis de la cathédrale de Grenoble, après la
première messe donnée par Antoine Mingrat, prêtre, qui s’apprêtait à partir
pour sa première paroisse, Saint-Aupe.
-=-=-=-=-=-=-
Dans
cette paroisse de Saint-Aupe, je passerai sur ce qui se passa et qui était indigne d’un
prêtre.
Ce
que je peux affirmer, c’est que sa conduite fit scandale au point que les
paroissiens s’en plaignirent.
Mingrat
reçut l’ordre d’abandonner sa cure après un sérieux sermon d’un de ses
supérieurs hiérarchiques, je suppose, lui expliquant le rôle d’un prêtre après
de ses ouailles, et prêchant la charité chrétienne et l’humilité. Ce qui
n’était nullement dans les aptitudes d’Antoine Mingrat.
Dans
un courrier, M. Ph., curé de Miribel, lui avait écrit les reproches les plus
durs sur sa conduite, lui conseillant :
« Mettez
une montagne entre vous et les hommes. »
Ouah !
De fait, il aurait mieux valu !
Antoine
Mingrat fut « déplacé » dans une autre paroisse, non loin de
Saint-Aupe, celle de Saint-Quentin-sur-Isère. Il avait alors vingt-huit ans.
Mais
à Saint-Quentin, sa réputation l’avait précédé. Il décida alors de s’acheter
une conduite.
De
libertin, il devint d’une austérité maladive.
Le
nouveau curé interdit les assemblées, les bals champêtres, les fêtes. Il fit
fermer, via le maire et le sous-préfet, les cabarets le dimanche et les jours
de fêtes. Il proclama comme scandaleux que les femmes soient en manches de
chemise ou bras découverts.
Ses
sermons ne parlaient que de la colère et la justice de Dieu.
Il
ne proférait que des menaces.
Un
revirement qui n’eut pas le don de plaire aux paroissiens !
N’y
avait-il pas un juste milieu à adopter ?
Dure,
méprisant, arrogant....... C’était
évident que si Antoine était devenu prêtre, ce n’était nullement par vocation.
-=-=-=-=-=-=-
A
un quart de lieu de Saint-Quentin-sur-Isère, au hameau du Gît, vivait un couple
aisé : Etienne Charnalet et Marie Gérin.
En
1817, ce couple était venu s’installer dans la maison d’enfance d’Etienne
Charnalet.
Je
ne peux vous dire où le couple s’était marié, ni quand, n’ayant trouvé aucune
information.
Ce
que je peux vous dire, c’est que Marie, vingt-six, était d’une beauté parfaite
et très vertueuse. Elle venait de perdre sa mère, le 23 novembre 1821. Son
chagrin étant immense, elle s’était réfugiée dans la religion.
Voici
l’acte de décès de la mère de Marie Gérin.
Acte
de décès – novembre 1821 – Saint-Quentin-sur-Isère.
Aujourd’hui vendredi vingt trois
novembre mil huit cent vingt et un à deux heures de l’après midi devant
nous.... sont comparus Etienne Dory Charnalet tourneur âgé d’environ quarante
trois ans et Laurent Bourdin fils de Louis cultivateur âgé d’environ trente
huit ans tous deux domiciliés au dit St Quentin lesquels nous ont Déclaré que
françoise Cottin michez veuve de Jean Gérin agée d’environ soixante huit ans
belle mere du dit Dory Charnalet est decedee aujourd’huy à huit heures du matin
dans sa maison d’habitation Hameau du gît.....
Antoine
Mingrat tomba amoureux de la belle jeune femme. Tout le village s’en aperçut
très vite et s’en amusa énormément. Marie, quant à elle, semblait ignorer les
œillades et les sous-entendus du jeune prêtre.
Ce
jour-là, Antoine Mingrat se dirigea vers la maison de Marie. Il souhaitait lui
déclarer sa flamme. Il avait imaginé un stratagème pour approcher la jeune
femme sans attirer l’attention.
Ne
devait-elle pas aller le lendemain à Veurey, village se trouvant à deux lieues,
pour assister à la communion des filles.
Vers
16 heures, le prêtre frappa à la porte de la maison Charnalet. Marie le reçut
avec le sourire et lui proposa une collation, mais un voisin vint, puis un
autre..... Ils ne purent être seuls ne serait-ce qu’un court instant.
Quelle
déveine !
Alors,
Antoine proposa à la jeune femme de la recevoir, le soir, à l’église pour la
confesser (ne devait-elle pas communier au cours de la cérémonie du jour
suivant ?) et aussi afin de lui remettre un courrier pour le curé de
Vaurey.
La
ruse réussit. La jeune femme promit.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Merci de votre commentaire. Il sera lu avec attention.