Dans la cour de l’école, au
moment de la récréation de dix heures, Antoine ne se venta pas de son exploit
nocturne. Il écouta les railleries de ses copains, sans répliquer.
Flora était venue le rejoindre,
tenant dans sa petite main l’armoire empruntée, la nuit précédente, au mobilier
de la maison de poupée.
« C’est quoi, ça, demanda
Clem.
- C’est
un secret ! lança la petite fille, énigmatique.
La sonnerie rappelant les élèves
vers leur classe respective, interrompit ce début de conversation, au grand
soulagement d’Antoine qui craignait les bavardages intempestifs de sa petite
sœur.
Une petite sœur à qui il
reconnaissait, à présent, un sacré sang froid. Un « vrai petit
chef », cette petite sœur. Il en était devenu très fier.
Mais, à la fin de la journée,
Antoine eut un coup au cœur. Il eut une forte envie de fuir, loin, très loin.
Devant la grille, se tenait droit et fier, Monsieur Paul. Il jeta un coup d’œil
alentour, craignant de voir surgir les gendarmes.
Ce fut, à ce moment précis, que
toutes les personnes du village, présentes devant les grilles de l’école, purent
assister à une scène très étonnante Flora se précipitant vers Monsieur Paul qui
se baissait pour recevoir cette petite
fille qui m’étouffait de gros bisous.
Après ce moment d’affection très
démonstratif, Monsieur Paul reposa la petite fille sur le sol.
Antoine, rassuré, se redressa et,
fièrement, alla embrasser le vieil homme, comme s’il s’agissait d’une personne
familière. Après quoi, il lança à ses copains un regard qui en disait long.
Pantois qu’ils étaient, les
copains !
Encadré par les deux enfants,
Monsieur Paul se dirigea vers la boulangerie où furent achetées des
viennoiseries pour un goûter royal. Après, Monsieur Paul raccompagna ses deux
nouveaux amis jusqu’à leur domicile.
Devant la maison paternelle,
Antoine eut un regard interrogateur. Monsieur Paul, alors, le rassura :
« Non, ne crains rien, je ne
dirai rien de votre petite expédition de l’autre nuit, à vos parents. Cela
restera notre secret. Mais, si nous devons nous revoir, je dois les rencontrer. »
Antoine acquiesça d’un signe de
tête.
Papa et maman reçurent donc,
quelque temps après, Monsieur Paul qui devint rapidement un ami.
Les mercredis se passaient
souvent, lorsque le temps le permettait, dans le parc de la grande maison qui
avait de nouveau ouvert, en grand, ses fenêtres.
La pièce mystérieuse, au
sous-sol, devenait un endroit magique lorsqu’il pleuvait.
Dans cette pièce, trônait
toujours la photo de …… De qui, au fait ?
Un mercredi après-midi, au moment
du goûter, pris dans la cuisine de la grande maison, Flora reposa la question
qui n’avait pas reçu de réponse :
« Dis, c’est qui
Suzy ? »
Une ombre passa sur le visage de
Monsieur Paul. La seule évocation de ce prénom le poignardait en plein cœur.
Aussitôt, Antoine réprimanda sa
sœur :
« Tu ne peux pas la fermer
un peu, toi !
- Non,
laisse, répondit Monsieur Paul, je vais vous dire qui est Suzy.
Puis, s’adressant à Flora, il
poursuivit :
« Suzy est bien la petite
fille qui est sur la photo et c’est vrai que tu lui ressembles beaucoup.
- Elle
est où ? coupa Flora.
- Elle
est décédée, il y a très longtemps.
- Ah !
fit la fillette, et comment ?
- Flora,
tais-toi un peu, interrompit Antoine.
Comme si il n’avait pas entendu
la réflexion du garçon, Monsieur Paul continua sa narration :
« Flora avait à peu près ton
âge. A cette époque, au bout de la propriété où nous vivions, il y avait un
petit cours d’eau. Un jour, en se promenant, elle a glissé et est tombée dans
l’eau. Sa maman, qui était avec elle, voulut la secourir. Toutes les deux se
sont noyées.
- Tu as dû être triste, affirma
Flora, compatissante.
- Et plus encore, confirma
Monsieur Paul d’une voix effacée, perdu dans ses souvenirs.
Après un silence, le vieil homme
poursuivit :
« Ta ressemblance avec ma
petite Suzy m’a surpris la nuit où vous vous êtes introduits dans le sous-sol.
Après, je me suis dit que c’était sans doute la destinée qui vous avait mis sur
mon chemin. J’ai donc décidé de mettre fin à ce deuil qui n’a duré que trop
longtemps. »
Flora ne comprit pas les
dernières paroles de Monsieur Paul, mais elle ressentit une irrésistible envie
de le consoler, car il devait avoir un très gros chagrin. Elle décida d’aller
se blottir contre lui.
Monsieur Paul sourit et embrassa
la petite sur le front. Puis il ajouta :
« J’aimerais savoir la date
de vos anniversaires ?
- Moi,
s’exclama Flora, c’est la semaine prochaine. Je vais avoir cinq ans !
- Alors,
conclut Monsieur Paul, il n’y a pas de temps à perdre, nous allons faire une
grande fête dans le jardin et inviter tous vos amis.
Puis, se tournant vers
Antoine :
« Tu inviteras aussi tes
copains, car j’ai cru comprendre que votre expédition nocturne était la
conséquence d’un pari. Tu seras donc le vainqueur du jour. »
Comment savait-il cela, Monsieur
Paul. Cela ne pouvait venir que de Flora qui comme toujours avait dû cafter.
Dans le village, le jour de
l’anniversaire de Flora, tous les habitants étaient étonnés.
Que s’était-il donc passé dans la
vie de Monsieur Paul, pour que celui-ci ouvrît toute grande sa demeure ?
Que s’était-il donc passé dans la
vie de Monsieur Paul, pour que celui-ci accueillît tous les enfants du
village ?
Qu’importait !
A présent, Monsieur Paul était
salué, considéré et cela le rendait très heureux.
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