Juillet 18776 - Cour
d’Assise de l’Ariège (Foix) – sous la Présidence de M. Dubédat.
Les
audiences, commencées le 25 juillet 1876, se poursuivirent jusqu’au lendemain.
Dans
le box des accusés, comparaissait Pierre Moulié dit Cousture.
C’était
un homme rustre des montagnes de l’Ariège où il cultivait ses terres.
« Il était de haute taille,
les épaules un peu voûtées. Il était vêtu de linge grossier, mais propre. Une
veste marron, un pantalon bleu, un gilet et une cravate noire. »
Il avait une tête pointue, un front
couvert, des yeux cachés sous d’épais sourcils, un nez droit, une bouche
petite, un menton accentué et une barbe taillée en collier.
Les
faits furent exposés.
A
la description des blessures infligées aux deux victimes, l’assistance fut
parcourue de cris d’horreur.
Parmi
les témoins entendus, le frère de l’accusé qui avait, le matin du drame,
rencontré son frère dans les champs.
« Il
m’avait pas paru très bien, mais depuis quelque temps, comme ça n’allait
pas bien avec la Marie Jeanne, sa femme, ça m’a pas étonné. Sauf,
toutefois, qu’il m’a dit qu’il avait tué la p’tite Marie et le Jean Palerat,
son voisin.
-
Il vous a dit pourquoi il avait tué Jean
Baron dit Palerat et sa fille ? demanda le juge.
-
Oui, il m’a dit : « c’est sa
faute, j’lui avais bien dit d’quitter la région. Il aurait dû l’faire ».
Mais, je ne l’ai pas cru sur l’ moment. C’est après que j’ai appris.....
Puis
ce fut le sieur Faure dit Redon qui vint à la barre. Il fit la même déposition
que le frère de l’accusé. Mais il avait ajouté :
« Il
avait une corde à la main. J’ai senti l’mauvais coup, alors j’ l’ai suivi. J’
suis arrivé juste à temps pour couper la corde. Cousture, enfin l’Pierre i’
s’était pendu ! »
On
apprit aussi que Pierre Moulié avait, la veille de son horrible méfait,
emprunté un fusil et un pistolet et qu’il avait confié à un ami des papiers en
lui disant :
« C’est
au cas où i’ m’arriverait malheur. On sait jamais ! »
Marie
Jeanne Baron, épouse Moulié, témoigna également. Elle pleurait.
« Pourquoi
qu’ t’as fait ça », disait-elle sans cesse, entre deux réponses au juge. en regardant son
époux. »
Elle
expliqua la jalousie excessive et maladive de Pierre, alors qu’elle n’avait
rien à se reprocher.
« J’avais
suffisamment à faire avec la maison et les p’tiots. Même si j’avais voulu,
j’aurais pas trouvé l’temps ! »
Cette
petite réflexion déclencha quelques rires dans la salle d’audiences.
Le
juge demanda le silence et Marie Jeanne poursuivit :
« Et
puis, j’en avais point envie ! »
Nouveaux
rires réprimés à nouveau par le juge qui ajouta :
« Oui,
nous avons bien compris, madame, inutile de poursuivre sur ce sujet. »
Puis
ce fut Françoise Pudarrieu, veuve Baron, le visage ravagé par la douleur.
Elle
relata entre deux sanglots, les faits de ce matin d’horreur. Elle jetait des
regards haineux à Pierre Moulié qui lui dit d’une voix neutre, presque
inaudible :
« Je
ne me souviens pas de ce que j’ai fait, je ne sais pas si j’ai tué ton mari et
ta fille, mais si je l’ai fait, je te prie de me pardonner. »
Pierre
Moulié avait-il commis ces actes odieux dans une demi-inconscience et ne se
souvenait-il pas, réellement, de ce qu’il avait fait ou était-ce une stratégie de défense ?
Hurlant,
à la limite de la crise de nerf, la pauvre femme se déchaina, jetant à la face
du meurtrier :
« Non,
non, mon mari n’a jamais eu de relations avec ta femme. Je ne te pardonnerai
jamais ! Jamais ! »
Après
une courte délibération, Pierre Moulié dit Cousture fut reconnu coupable de
l’assassinat de Jean Baron, avec préméditations.
Il
fut reconnu également coupable de l’assassinat de la petite Marie Baron, sans
préméditation.
En
raison de sa jalousie excessive qui l’avait poussé à ce double meurtre, il lui
fut accordé les circonstances atténuantes.
Grâce
à ces « circonstances atténuantes », Pierre Moulié avait sauvé sa
tête. Il fut seulement condamné à quinze ans de travaux forcés, suivis de cinq
années de surveillance.
-=-=-=-=-=-=-=-
J’ai
écrit ce texte suite à la lecture d’un article du « Petit Journal de
Paris », en date du 27 juillet 1876 et dont le titre, « Drame de la
jalousie », avait attisé ma curiosité.
Aussitôt,
j’avais élaboré le « scénario » que vous venez de lire.
Puis,
bien évidemment, vous connaissez à présent ma curiosité, j’ai souhaité
connaitre un peu plus les deux couples dont il était question, les Baron et les
Moulié.
Comme
toujours la tâche ne fut pas aisée.....
Voilà
ce que j’ai découvert.
Jean
Baron était né « courant octobre 1831 » à Bonac (Ariège) indique l’acte de mariage que vous
trouverez ci-dessous.
J’aurais
aimé vous le confirmer, mais les actes de naissance de cette ville sont absents.
Par contre, sur les listes décennales, j’ai découvert un seul et unique
« Jean Baron haurau» avec à côté la date du « 29 novembre
1830 ».
Etait-ce
bien celui dont il est question ? Sans doute, en raison de
« haurau » qui pourrait être « ruhaut » mal orthographié, mais
aucune preuve visuelle.
Il
avait rencontré Françoise Pudarrieu, qui,
elle, était née le 22 août 1824, à Bonac
(Ariège).
Pas
d’acte à vous soumettre, pour la même raison que ci-dessus expliquée. La liste
décennale confirme par contre ce qui est écrit sur l’acte de mariage :
« 22 août 1824 ».
Il
s’étaient unis le 1er mars 1863, à Bonac (Ariège).
Acte
de mariage – mars 1863 – Bonac.
L’an mil huit cent soixante trois
le premier mars à quatre heures du soir devant nous..... commune de Bonac....
sont comparus
Jean Baron dit Ruhaut âgé de trente
un ans cultivateur domicilié de la presente commune de Bonac où il est né dans
le courant du mois d’octobre mil huit cent trente un....... majeur, fils de
Pierre Baron dit Ruhaut décédé à Bonac le vingt quatre septembre mil huit cent
trente six et de jeanne marie anglade decedee au dit Bonac le dix aout mil huit
cent cinquante huit..... et françoise Pudarrieu age de trente huit ans menagere
domiciliee de la commune de Balacet..... née à Bonac le vingt deux août mil
huit cent vingt quatre.... fille majeure de Baptiste Pudarrieu dit père décedé
à Bonac le vingt huit avril mil huit cent quarante un..... et de henriette
Rives agée de soixante huit ans menagere domiciliée au dit Bonac presente et
consentante au mariage de sa fille.
.....Contrat de mariage acté par M.
Frèche notaire à Castillon en date du sept février dernier......
...En presence de jean Lacroix âgé
de trente neuf ans propriétaire, denis Prat âgé de quarante quatre ans
cultivateur, joseph Baron reflection âgé de cinquante neuf ans domestique, jean
Corjou dit Boutet âgé de quarante six ans cultivateur.......
Ce
fut là que tout se compliqua. Pas de registre d’actes de naissance et ........
Dans
les villages, il y avait souvent une vingtaine de familles, parfois plus,
parfois moins et tout « ce petit monde » se mariait entre eux !
Et comme les uns et les autres se trouvaient être les parrains et marraines des
enfants des autres couples, qui souvent portaient le même nom qu’eux, en leur
qualité de parrains et marraines, justement,
donnaient leurs prénoms aux nouveaux nés, on se retrouve avec une
quantité incroyable d’homonymes.
Alors,
en consultant les actes, on peut débroussailler un peu, mais sur une liste
décennale..... c’est la PANIQUE !
Avez-vous
compris cette petite explication que j’ai essayée de rendre le plus claire
possible ?
Tout
cela pour m’excuser de n’avoir pu retrouver la date de naissance de Marie,
fille unique de Jean Baron et de Françoise Pudarieu.
Tout
ce que je peu affirmer, c’est que sa vie fut bien brève. En effet, elle décéda
dans les circonstances horribles que je viens de vous décrire, le 21 avril 1876
à Balacet.
Acte
de décès – avril 1876 – Balacet.
L’an mil huit (cent absent du
registre) soixante seize le vingte un avril à sept heures du matin devant nous
.... commune de Balacet.... ont comparu faure joseph haurou âgé de quarante six
ans et Cau pierre silaire agé de
soixante sept ans cultivateurs domiciliés au dit Balacet voisins de la défunte
lesquels nous ont déclaré qu’aujourd’hui vingte un avril courant à sept heures
du matin est decedee ainsi que nous nous en sommes assurés Baron marie ruhaut
agée de neuf ans sans profession née et domiciliée à Balacet fille de feu Baron
Jean Ruhaut et de françoise Pudarrieu ménagere demeurant à Balacet.......
Son
père avait succombé peu de temps avant elle.
Acte
de décès – avril 1876 – Balacet.
L’an mil huit cent soixante seize
le vingte un avril a sept heures du matin devant nous..... commune de
Balacet.... département de l’Ariège....... ont comparu faure joseph haurou âgé
de quarante six ans et Cau pierre
silaire agé de soixante sept ans cultivateurs domiciliés au dit Balacet voisins
de la défunte lesquels nous ont déclaré qu’aujourd’hui vingte un avril courant
à sept heures du matin est decede ainsi que nous nous en sommes assurés Baron
Jean Ruhaut age de quarante ans cultivateur né à Bonac et domicilie au dit
Balacet epoux de françoise Pudarrieu menagere demeurant aussi à Balacet fils de
père et mere à nous inconnus et les declarant ont signe avec nous.......
Maintenant,
abordons les recherches de l’autre couple Pierre Moulié et Marie Jeanne Baron.
A
Balacet, l’autre village, non loin de Bonac, il est impossible de consulter les
actes de naissance..... Fichiers manquants !
Une
seule piste.... le couple avait trois enfants, selon l’article du « Petit
Journal de Paris ».
J’ai
donc repris les listes décennales et j’ai découvert ce qui suit :
·
Moulié Marie, 13 août 1869.
·
Moulié Pierre, 20 octobre 1870.
·
Moulié Joséphine, 4 décembre 1873.
·
Moulié Joséphine, 1er juillet
1875.
Etait-ce
bien leurs enfants. Certainement, sans certitude toutefois.
Mais
« Marie », est le premier prénom de sa mère « Marie
Jeanne ».
Puis,
« Pierre », est le prénom du père.
Nous
trouvons après deux « Joséphine ». Homonyme ? Décès de la première
petite.
Ouah !
Les actes de décès sont consultables.
En
effet, Joséphine, née le 4 décembre 1873 est bien décédée avant la naissance de
la seconde petite Joséphine, qui, de ce fait, pourrait à 99% être sa sœur.
Acte
de décès – 11 octobre 1874 – Balacet.
L’an
mil huit cent soixante quatorze le onze octobre à quatre heures du soir.....
commune de Balacet.... ont comparu Baron Jean Rehaut agé de trente huit ans et
Cau Jean Pierre bourdalis age de cinquante sept ans cultivateurs demeurant au
dit Balacet voisin de la défunte lesquels nous ont déclaré qu’aujourd’hui onze
octobre courant à huit heures du matin est decedée ainsi que nous nous en
sommes assuré, Moulie Joséphine agée de dix mois, sans profession domiciliée à
Balacet, fille de pierre Moulié dit Cousturé et de Marie Jeanne Baron
cultivateurs demeurant au dit Balacet.......
Rien
d’autres sur ce couple........ mes investigations, nombreuses et variées, sont
restées vaines.....
La
fin de l’histoire ?
Rien !
Je
suppose que Marie Jeanne Baron et Françoise Pudarieu ont quitté le village de
Balacet.
Aucun
acte de décès les concernant sur Balacet et Bonas.
J’en
suis très déçue.
Mais
......... Attendez !!
Pierre
Moulié n’effectua pas la totalité de sa peine. Toutefois, il s’en fallut de peu !
Au
détour des vues des actes de décès, toujours à l’affût d’une information
supplémentaire, j’ai appris qu’il avait été envoyé à Nouméa, en Nouvelle-Calédonie,
où il décéda. La transcription de son décès figure sur les registres en 1890.
Retranscription de l’acte de décès de Pierre Moulié.
L’an mil huit cent quatre vingt dix
le vingt huit novembre à deux heures du soir par devant nous Pierre Sauvan
maire et officier d’Etat civil de la commune de Noumea (Nouvelle Caledonie) ont
comparu Joseph auguste Pierre Marcader employé de commerce âgé de vingt cinq
ans et augustin Hugaud commerçant âgé de vingt trois ans tous deux domiciliés à
Noumea lesquels nous ont déclaré que aujourd’hui vingt huit novembre à midi
Pierre dit Cousturé Moulié demeurant à Noumea marié à Marie Jeanne Baron né le
douze juillet mil huit cent trente et un à Balacet ariege fils de Sébastien
Moulié et de Jeanne Marie Baron sans autre renseignement est decede à Nouméa
rue Marignon et après nous être assuré du décès nous avons dressé......
Décédé
le 28 Novembre 1880 et né, selon l’acte, le 12 juillet 1831. Il avait quarante
neuf ans !
Si
toutefois, je découvrais quelques informations complémentaires, vous seriez les
premiers à en avoir la primeur. Promis !
Ce petit récit a
été écrit suite
à la lecture d’un article du « Petit
Journal de Paris » - juillet 1876
et à la
consultation des archives en ligne de l’Ariège.
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