Marie Jeanne Baron,
femme Moulié – 21 avril 1876 au matin.
J’étais
revenue à Balacet, un peu contrainte et forcée devant l’insistance de Pierre
mon époux qui m’avait demandé pardon, comme à chaque fois, qui m’avait promis
de ne plus me frapper, de ne plus m’insulter. Comme toujours, il m’avait
certifié me donner une vie heureuse.
J’avais
fait semblant d’y croire, oui semblant, par réflexe, pour ne pas attiser son
courroux car j’avais peur de lui. Mais j’étais lasse, usée même, et je
n’aspirais qu’au calme.
Comment
faire confiance à cet homme suspicieux, jaloux, violent ?
Ah,
si il n’y avait pas les trois petits !
Mais
on ne peut revenir en arrière.
Et
puis, j’avais honte, oui honte, du comportement de Pierre. N’en étais-je pas un
peu responsable ?
Alors,
depuis mon retour à contre cœur et contre l’avis de mes parents, je ne sortais
pour ainsi dire pas. Sauf pour les lessives, m’occuper du potager et de la
basse-cour. Je ne parlais à personne. Même plus à Françoise et à Jean son mari,
nos plus proches voisins. En effet Pierre pensait que Jean et moi..... enfin,
vous avez compris. Pierre l’avait, à plusieurs reprises, insulté et menacé.
Marie,
leur petite, ne venait plus jouer avec mes petits à moi. Les enfants n’osaient
rien dire, ils sentent cela les enfants, mais je voyais bien qu’ils en étaient
malheureux.
Quand
leur père rentrait, leurs rirent cessaient et leurs regards, tournés vers moi,
quémandaient comment ils devaient se comporter pour éviter les colères paternelles.
La
maison, notre foyer, était devenu triste, lugubre, sans joie, sans vie, mort.
Heureusement, quand leur père s’absentait, nous reprenions notre vie, enfin
j’essayais, car guettant sans cesse un éventuel retour à l’improviste de
Pierre, comme cela, tout simplement pour surveiller.
Alors
là, si il avait entendu nos rires, nos chants et surpris nos embrassades, il
aurait tout de suite saisi la différence avec la morosité ambiante en sa
présence. Et, de cette observation auraient découlé reproches, injures,
hurlements et coups, car bien évidemment, je montais les enfants contre lui,
leur père, celui qui se tuait au travail pour les nourrir et qui, également, me
nourrissait. On lui devait tout. Il trimait, lui, alors que je trainais à
droite et à gauche.
Depuis
que j’avais repris ma vie commune avec Pierre, dans notre maison, l’atmosphère
était lourde. J’épiais ses moindres réactions, toujours sur mes gardes.
Lui
semblait tenir parole. Pas un mot plus haut que l’autre. Pas d’injure. Pas de
coup.
Mais
cela ne me paraissait pas normal cette attitude, car en fait, il tournait en
rond dans les pièces, observant les va-et-vient extérieures par la fenêtre. Je
voyais bien qu’il manigançait quelque chose, mais quoi ?
Je
n’osais rien dire, évidemment. La frayeur de le voir s’emporter me glaçait les
sangs.
Attentive
à son attitude, j’effectuais les tâches quotidiennes en faisant le moins de
bruits possibles, chuchetant mes paroles plutôt que de les formuler clairement.
Je vous le disais bien, une maison sans vie, comme celles dans lesquelles on
veillait les morts avant de les ensevelir.
La
nuit dernière, je ne dormis pas. Dans le lit, les yeux fermés, j’écoutais,
attentive, Pierre arpenter les pièces de la maison. Qu’est-ce qui l’inquiété au
point de le tenir éveillé ? Blottie contre moi, ma dernière née
sommeillait en suçant son pouce. Dans la chambre à côté, les deux autres petits
dormaient paisiblement et j’entendais leur respiration régulière.
Levée
de bonne heure, j’avais fait réchauffer un restant de soupe que j’avais servi à
Pierre. Il y toucha à peine, ce qui n’était pas dans ses habitudes. Il avait
d’ordinaire un grand appétit. Quelque chose devait le tourmenter, c’était
certain.
Je
le vis se lever de sa chaise et prendre un fusil dans le réduit près de la
cuisine. Cela me surprit. D’où venait cette arme ? L’avait-il achetée
pendant mon absence du domicile ? Et pour quelle raison l’avait-il
achetée ? Je n’ai pas osé lui poser de questions.
J’aurais
dû le retenir, quitte à prendre des coups, car j’avais un mauvais
pressentiment. Oui, j’aurais dû........
Ça
aurait sûrement évité bien du malheur. Oui, bien du malheur........
Françoise Pudarrieu
femme Baron – 21 avril 1876 au matin.
J’avais
mal dormi cette nuit-là. Une angoisse m’étreignait l’estomac. Je m’étais collé
dans le dos de mon Jean, afin de trouver quelque réconfort. Lui ronflait comme
un sonneur. Lorsque le sommeil vint enfin, il fut peuplé de visions horribles.
A croire que tous les démons de l’enfer s’étaient emparés de mes songes. Mais,
curieusement, c’était le visage du Pierre Mouilé, le voisin, qui revenait sans
cesse. J’entendais sa voix haineuse et ses accusations envers mon Jean. Corbeau
noir et mauvais présage.
A
mon lever, le lendemain, j’avais comme un pressentiment de malheur que je mis
sur l’horrible nuit que je venais de passer. J’essayais de balayer mes idées morbides.
Foutaises
tout cela !
Mais
tout en attisant les flammes dans la cheminée, je ne pouvais m’empêcher de
repenser à ces derniers mois.
Marie
Jeanne Baron, la voisine mariée à Pierre Moulié justement, n’avait pas ma
chance. Elle avait un mari brutal et d’une jalousie maladive. Il la surveillait
sans cesse et gare à celui qui lui souriait, simplement comme ça, sans arrière
pensée.
Plus
d’une fois, on avait entendu des hurlements. « Trainée ! » qu’il
criait le Pierre. Et les coups tombaient. Pourtant, c’était un courageux et
respecté dans le pays pour son travail. Mais voilà, chez lui, c’était autre
chose.
Plusieurs
fois j’étais venue à son secours et mon Jean aussi. Alors, je ne sais pas ce
qui s’était passé dans la tête du Pierre, il s’en était pris à mon Jean,
l’accusant d’avoir des relations coupables avec son épouse.
Il
l’avait menacé à plusieurs reprises avant d’en venir aux mains et mon Jean
s’était défendu.
Marie
Jeanne, épuisée par tout cela, avait fini par se réfugier chez ses parents avec
ses trois petits. D’autant plus qu’elle avait eu le chagrin de perdre la petite
Joséphine. Un an à peine qu’elle avait la petiote.
Le
départ de son épouse avait déchainé la haine du Pierre. Il était venu à la
maison hurlant, menaçant.
Marie
Jeanne avait cédé. Il l’aimait, avait-elle dit, mais il était jaloux... Cette
fois-ci, il avait promis..... Enfin, il avait su dire les mots, avait
supplié...... Tout semblait être rentré dans l’ordre...... Sauf dans mon rêve
de la nuit dernière.
Mais
il me fallait penser au travail de la journée. Inutile de s’appesantir sur tout
cela. Mon Jean était déjà dans la cour, près du puits, à se passer de l’eau
fraîche sur le visage avant de partir aux champs. Mais je savais qu’il
reviendrait avant dans la maison pour prendre son casse-croûte et me souhaiter
une bonne journée. Il était comme ça mon Jean. Un brave homme que j’avais là.
Il avait son caractère, comme tout à chacun, mais travailleur et surtout pas
ivrogne à rouler dessous la table et à dépenser les quatre sous du ménage. On
s’aimait bien, sans se le dire toutefois, et on avait déjà fait un petit bout
de chemin ensemble. Et puis, il y avait notre petite Marie. Elle dormait encore
à c’t’ heure.
Même
si la vie était difficile, on n’était pas malheureux et puis on se contentait
de ce qu’on avait.
C’était
sans doute ça le bonheur !
Alors,
pourquoi ce mal-être tout à coup ?
Je
fus tirée de mes pensées moroses pas un bruit que j’identifiais à un coup de
feu.
« Qu’est-ce
qu’i’ s’ passe à c’t’ heure ? », que je me suis dis, tout en jetant
un regard par la fenêtre qui donnait sur la cour.
Mon
cœur ne fit qu’un bond et je poussais un hurlement, tout en me précipitant hors
de la maison.
Sur
le pas de la porte, je fus bousculée par un individu qui entrait. Mais je ne
fis pas réellement attention à cette intrusion. J’avais les yeux rivés sur le
corps de mon Jean, inerte sur le sol près du puits. Arrivée près de lui, je
l’aperçus là, les yeux étonnés, grands ouverts et la bouche béante de surprise
et d’incompréhension. Je hurlais, ne pouvant arrêter ce cri qui semblait
provenir d’ailleurs.
Tout
à coup, je me souvins de l’homme, celui qui m’avait heurtée quand j’étais
sortie de la maison. Ma tête bourdonnait. Je me sentais impuissante, désorientée.
Tournant la tête vers mon logis, je le vis, lui, le voisin, le Pierre, sortir
tranquillement une hache ensanglantée à la main.
Je
m’entendis hurlait : « Marie ! Ma petite Marie ! »,
tout en courant vers mon logis. J’ai grimpé les marches précipitamment jusqu’à
la chambre où reposait mon enfant, mon seul enfant. Notre enfant, celui à mon
Jean et à moi. Notre seule petite !
Non,
tout cela n’était que le prolongement du cauchemar de la nuit. J’allais me
réveiller. Il ne pouvait pas en être autrement.
Et
la vision de cet amas de chair sanglant dans le lit de Marie, ne pouvait pas
être ma fille.
Non, c’en
était trop !
J’entendis
des bruits, des paroles comme dans le lointain. Je sentis des bras enlacer mes
épaules. Je me sentis emmener doucement, descendre des marches, m’asseoir. Je
ne fis aucune résistance, faible, anéantie. Je sentis quelque chose de brûlant
et fort envahir mon corps laissant dans ma bouche un goût de fiel. Et puis, ma
tête se mit à vaciller et ce fut le trou noir.......
Marie Jeanne Baron,
femme Moulié – 21 avril 1876 – fin de matinée.
J’avais
appris, le drame.
Oh
Seigneur ! Pierre, celui que j’avais épousé, celui avec qui je vivais, le
père de mes petits, avait tiré à bout portant sur Jean Baron. Le pauvre avait
eu la poitrine trouée. Puis, il avait massacré la petite Marie à coups de hache
que même sa mère n’avait pu la reconnaitre.
La
pauvre Françoise était dévastée. Moi, je ne bougeais plus, stupéfaite, clouée
sur place devant cette horreur. Je n’osais aller vers elle. Que pouvais-je
faire face à sa douleur.
C’était
l’incompréhension en moi. Tous les regards s’étaient tournés vers moi. Regards
haineux comme si c’était moi qui étais responsable de cette horreur, moi qui
avait été la main meurtrière. Oui, à leurs yeux, j’étais autant coupable que
Pierre. Il était vrai que j’étais la cause indirecte de tout cela.
La
jalousie de Pierre, c’était à cause de
moi !
La
hargne de Pierre contre Jean, c’était à cause de moi !
Pourtant,
j’étais innocente de ce qu’on m’accusait, mais je sentais qu’il y avait eu une
cassure et que je n’appartiendrais jamais plus à la communauté de ce village.
Ce
fut à ce moment que je le vis, lui, Pierre soutenu par son frère et le sieur Faure
Redon. Il semblait absent, le regard vide, rivé vers le lointain.
Je
me suis précipitée vers lui. Arrivée à sa hauteur de toute la force de mes poings,
je lui ai martelé la poitrine en hurlant :
« Pourquoi ?
Mais pourquoi t’as fait ça ? Pourquoi...... »
Les
petits s’étaient rapprochés de moi, dans un réflexe protecteur, sans doute.
Pierre,
lui, ne bougeait pas, indifférent à ma colère et à mes coups. Il semblait même
ne pas me voir.
Quand
les gendarmes vinrent pour l’emmener, il avait murmuré :
« Je
ne me rappelle de rien. Je ne sais pas ce que j’ai fait. »
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