mercredi 7 juin 2017

SACRILEGE !



Il trônait, face à la porte principale de l’église, droit, fier, bien qu’étant encore un peu frêle......

« Liberté, Egalité, Fraternité », trois symboles  durement acquis dans cette France où nous avions, à présent, les mêmes droits, citoyens-frères, en cette nouvelle société d’après la Révolution Française.
Réalité ?
Idéalisme ?
Qu’importait, nous voulions y croire !

Il trônait donc, cet arbre qui avait été fêté au cours d’une cérémonie grandiose, rassemblant tous les citoyens et citoyennes, ainsi que leur progéniture, présidée par notre citoyen-maire, ceint de l’écharpe tricolore, autre symbole, celui du drapeau national, celui de la patrie.
Et puis, s’était élevée, d’une seule voix, la Marseillaise que nous avions entonnée la main sur le cœur, comme on prononce un serment, celui de rester toujours soudés face à l’ennemi et de protéger les plus faibles.
Un monde nouveau empli d’espoir qui avait balayé « l’Ancien Régime ».

Il trônait donc, disais-je, droit et fier, le fait à 12 pieds de haut, et c’était avec respect que nous le regardions quand nous passions près de lui.
Cette nuit-là de pluviôse, nuit glaciale, sans lune, alors que le village dormait, j’entendis frapper violemment à ma porte et appeler mon nom.
Me réveillant en sursaut, ne prenant pas le temps d’allumer une chandelle, je me dirigeai, à tâtons, vers la porte de mon logis, et encore ensommeillé, demandais avant d’ouvrir.
« Qui va là ?
-          Ouvre vite ! Il y a un malheur !
-          Un malheur ?
Que pouvait-il y avoir de si grave, alors que tous les habitants du village dormaient. Enfin, assurément pas tous !
Et puis, le seul grand fléau était le feu et dans ce cas, les cloches auraient été lancées à toutes volées, répandant leur appel sinistre. Ce qui n’était pas le cas, la nuit étant silencieuse.

« Citoyen-maire ! m’exclamai-je, moqueur en ouvrant ma porte.
-          Pas de civilité, je t’en prie !
-          Que se passe-t-il donc ?
-          C’est qu’on vient d’abattre l’Arbre de la Liberté !
-          La « Liberté abattue » ! m’exclamai-je. Nom de nom ! Qui a bien pu faire ça ?
-          Quelques royalistes, à coup sûr ! répondit le citoyen-maire soupçonnant aussitôt quelques complots.
-          Quelques coquins voulant faire une farce, répliquai-je, afin de dédramatiser l’évènement.
-          C’est qu’il est tombé sur le toit du four du citoyen Paul Derenville.
-          Y’ a pas de blessés ? m’inquiétai-je alors.
-          Non, mais ça peut venir. L’arbre barre la route et avec cette nuit noire, va y avoir des accidents !
Je m’aperçus alors que je me trouvais en chemise, tenue ne seyant nullement à la situation.

« Je mets un pantalon et je te rejoins, citoyen-maire ! répliquai-je toujours avec une pointe d’humour. »

David Cirette était un ami de longue date, nous avions couru la campagne lorsque nous étions des garnements. Depuis son entrée dans la fonction de maire, depuis l’ordre républicain rayant du vocabulaire les appellations de « monsieur » et « madame », les remplaçant par celles de « citoyen » et  « citoyenne », je m’amusais, en exagérant l’emploi de ce mot « citoyen », que je trouvai un tantinet ridicule lorsqu’il s’agissait de parler à des amis.
Une mode un peu guindée, moins fraternelle qu’un prénom.

Le citoyen-maire haussa les épaules et me répondit :
« Dépêche-toi, citoyen ! Je vais chercher quelques hommes pour nous aider à enlever promptement le tronc de la route ». Puis, se retournant, il ajoura : « Dépêche-toi Jean-Baptiste ! »

La solidarité n’était pas un vain mot dans les campagnes. Nous savions qu’elle était notre bien-être, voire notre survie.
Nous nous « prêtions la main » aisément, à « charge de revanche ».
Aussi, je ne fus pas étonné de trouver, à mon arrivée sur la place de l’église, une dizaine d’hommes, munis de scies, haches et cordes, afin de dégager, au plus vite, la route.
Quelques citoyennes avaient accompagné leur citoyen d’époux et ce fut à elles que revint la tâche d’éclairer le chantier avec des flambeaux.
Cet éclairage me permit de constater que notre « symbole » avait été, en effet, scié à trois pieds de terre.
Un blasphème à nos yeux !

Cols relevés, nous ne sentions pas, sous l’effort, le froid, si ce n’était aux mains, ce qui rendait difficiles certaines manœuvres.
Le travail achevé, le tronc abattu, débité en trois tronçons, fut déposé dans la cour du domicile du citoyen-maire qui nous offrit une bonne rasade d’eau-de-vie pour nous réchauffer.
Levant son verre, théâtral, le citoyen-maire lança d’une voix d’orateur :
« Buvons tous à la patrie et ne nous laissons pas abattre comme cet arbre. Ceux qui s’en sont pris, lâchement, à notre « liberté » ne l’ont pas fait à visage découvert, non, ils ont profité de l’obscurité de la nuit. Lâchement ! Oui, lâchement ! Non citoyens, nous ne nous laisserons pas impressionner par cet acte odieux. Nous redresserons la tête, la nôtre et celle de l’arbre que nous replanterons ! »

Quelle éloquence !
Je compris alors pourquoi, mon ami, avait été élu maire !

Ce fut, échauffés par ce discours éloquent et aussi par les nombreux verres d’alcool, que nous nous sommes séparés, à l’aube naissante.

Malgré les investigations déployées afin de retrouver les auteurs de cet acte criminel, ceux-ci ne furent jamais retrouvés.

Il fallut, aux habitants de Marbeuf, attendre le 30 ventôse an VI, pour voir, au cours de la « fête de la souveraineté du peuple », présidée brillamment par le citoyen-maire, se dresser un nouvel Arbre de la Liberté, sur les neuf heures et demie du matin.
Puis la fête battit son plein jusqu’à la nuit. On dansa beaucoup........ Mais surtout, on arrosa copieusement l’évènement.





Ce texte a été écrit à partir d’un compte-rendu de délibération municipale
de Marbeuf, en date du 25 pluviôse an IV.
Je présente toutes mes excuses au citoyen-maire, David Cirette,
 pour avoir pris quelques libertés en réalisant ce récit et en lui
inventant un ami que j’ai nomné Jean-Baptiste, afin de donner
à ce dernier, toute la responsabilité de cette narration.......



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