Il
trônait, face à la porte principale de l’église, droit, fier, bien qu’étant
encore un peu frêle......
« Liberté,
Egalité, Fraternité », trois symboles
durement acquis dans cette France où nous avions, à présent, les mêmes
droits, citoyens-frères, en cette nouvelle société d’après la Révolution
Française.
Réalité ?
Idéalisme ?
Qu’importait,
nous voulions y croire !
Il
trônait donc, cet arbre qui avait été fêté au cours d’une cérémonie grandiose,
rassemblant tous les citoyens et citoyennes, ainsi que leur progéniture,
présidée par notre citoyen-maire, ceint de l’écharpe tricolore, autre symbole,
celui du drapeau national, celui de la patrie.
Et
puis, s’était élevée, d’une seule voix, la Marseillaise que nous avions
entonnée la main sur le cœur, comme on prononce un serment, celui de rester
toujours soudés face à l’ennemi et de protéger les plus faibles.
Un
monde nouveau empli d’espoir qui avait balayé « l’Ancien Régime ».
Il
trônait donc, disais-je, droit et fier, le fait à 12 pieds de haut, et c’était
avec respect que nous le regardions quand nous passions près de lui.
Cette
nuit-là de pluviôse, nuit glaciale, sans lune, alors que le village dormait,
j’entendis frapper violemment à ma porte et appeler mon nom.
Me
réveillant en sursaut, ne prenant pas le temps d’allumer une chandelle, je me
dirigeai, à tâtons, vers la porte de mon logis, et encore ensommeillé,
demandais avant d’ouvrir.
« Qui
va là ?
-
Ouvre vite ! Il y a un
malheur !
-
Un malheur ?
Que
pouvait-il y avoir de si grave, alors que tous les habitants du village
dormaient. Enfin, assurément pas tous !
Et
puis, le seul grand fléau était le feu et dans ce cas, les cloches auraient été
lancées à toutes volées, répandant leur appel sinistre. Ce qui n’était pas le cas,
la nuit étant silencieuse.
« Citoyen-maire !
m’exclamai-je, moqueur en ouvrant ma porte.
-
Pas de civilité, je t’en prie !
-
Que se passe-t-il donc ?
-
C’est qu’on vient d’abattre l’Arbre de
la Liberté !
-
La « Liberté abattue » ! m’exclamai-je.
Nom de nom ! Qui a bien pu faire ça ?
-
Quelques royalistes, à coup sûr !
répondit le citoyen-maire soupçonnant aussitôt quelques complots.
-
Quelques coquins voulant faire une
farce, répliquai-je, afin de dédramatiser l’évènement.
-
C’est qu’il est tombé sur le toit du four
du citoyen Paul Derenville.
-
Y’ a pas de blessés ? m’inquiétai-je
alors.
-
Non, mais ça peut venir. L’arbre barre
la route et avec cette nuit noire, va y avoir des accidents !
Je
m’aperçus alors que je me trouvais en chemise, tenue ne seyant nullement à la situation.
« Je
mets un pantalon et je te rejoins, citoyen-maire ! répliquai-je toujours
avec une pointe d’humour. »
David
Cirette était un ami de longue date, nous avions couru la campagne lorsque nous
étions des garnements. Depuis son entrée dans la fonction de maire, depuis l’ordre
républicain rayant du vocabulaire les appellations de « monsieur » et
« madame », les remplaçant par celles de « citoyen »
et « citoyenne », je m’amusais, en exagérant l’emploi de ce mot
« citoyen », que je trouvai un tantinet ridicule lorsqu’il s’agissait
de parler à des amis.
Une
mode un peu guindée, moins fraternelle qu’un prénom.
Le
citoyen-maire haussa les épaules et me répondit :
« Dépêche-toi,
citoyen ! Je vais chercher quelques hommes pour nous aider à enlever promptement
le tronc de la route ». Puis, se retournant, il ajoura : « Dépêche-toi
Jean-Baptiste ! »
La
solidarité n’était pas un vain mot dans les campagnes. Nous savions qu’elle
était notre bien-être, voire notre survie.
Nous
nous « prêtions la main » aisément, à « charge de
revanche ».
Aussi,
je ne fus pas étonné de trouver, à mon arrivée sur la place de l’église, une
dizaine d’hommes, munis de scies, haches et cordes, afin de dégager, au plus
vite, la route.
Quelques
citoyennes avaient accompagné leur citoyen d’époux et ce fut à elles que revint
la tâche d’éclairer le chantier avec des flambeaux.
Cet
éclairage me permit de constater que notre « symbole » avait été, en
effet, scié à trois pieds de terre.
Un
blasphème à nos yeux !
Cols
relevés, nous ne sentions pas, sous l’effort, le froid, si ce n’était aux
mains, ce qui rendait difficiles certaines manœuvres.
Le
travail achevé, le tronc abattu, débité en trois tronçons, fut déposé dans la
cour du domicile du citoyen-maire qui nous offrit une bonne rasade d’eau-de-vie
pour nous réchauffer.
Levant
son verre, théâtral, le citoyen-maire lança d’une voix d’orateur :
« Buvons
tous à la patrie et ne nous laissons pas abattre comme cet arbre. Ceux qui s’en
sont pris, lâchement, à notre « liberté » ne l’ont pas fait à visage
découvert, non, ils ont profité de l’obscurité de la nuit. Lâchement !
Oui, lâchement ! Non citoyens, nous ne nous laisserons pas
impressionner par cet acte odieux. Nous redresserons la tête, la nôtre et celle
de l’arbre que nous replanterons ! »
Quelle
éloquence !
Je
compris alors pourquoi, mon ami, avait été élu maire !
Ce
fut, échauffés par ce discours éloquent et aussi par les nombreux verres
d’alcool, que nous nous sommes séparés, à l’aube naissante.
Malgré
les investigations déployées afin de retrouver les auteurs de cet acte criminel,
ceux-ci ne furent jamais retrouvés.
Il
fallut, aux habitants de Marbeuf, attendre le 30 ventôse an VI, pour voir, au
cours de la « fête de la souveraineté du peuple », présidée brillamment
par le citoyen-maire, se dresser un nouvel Arbre de la Liberté, sur les neuf
heures et demie du matin.
Puis
la fête battit son plein jusqu’à la nuit. On dansa beaucoup........ Mais
surtout, on arrosa copieusement l’évènement.
Ce texte a été écrit
à partir d’un compte-rendu de délibération municipale
de Marbeuf, en
date du 25 pluviôse an IV.
Je présente
toutes mes excuses au citoyen-maire, David Cirette,
pour avoir pris quelques libertés en réalisant
ce récit et en lui
inventant un ami
que j’ai nomné Jean-Baptiste, afin de donner
à ce dernier,
toute la responsabilité de cette narration.......
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