Le
curé d’Ecquetot
Il
y a toujours eu des mécontentements dans les paroisses.
Certains
trouvaient que leur curé était le meilleur homme qui soit au monde, d’autres
par contre, avaient perpétuellement quelque chose à redire.
Il
en était de même pour le maire, le juge de paix, le garde-champêtre.... Enfin
pour toute personne exerçant une certaine autorité, qu’elle soit spirituelle,
administrative ou judiciaire.
Mais,
de là à ce que les désaccords soient exposés à la une du journal !
Depuis
quelques jours, c’était monsieur le curé qui était la cible de tous les
mécontentements.
Et
dans la commune d’Ecquetot, ça jasait ! Et chacun y allait de sa petite
phrase. Deux clans, bien sûr !
« C’est
y pas possible de r’fuser l’église à un mort ! Tout d’ même !
-
Pour sûr ! Sauf, si c’est des
mécréants !
-
L’ bon dieu, i’ f’ra pas la différence,
va !
-
L’ bon dieu ? Faudrait qu’il
existe ! Tu l’as vu, toi ?
-
Justement non ! Alors pourquoi tout
ça ?
-
Pourtant, avec ce qu’ t’écume à longueur
de temps, tu d’vrais y croire au bon dieu. Saoul comme t’es du matin au soir,
i’ t’protège ben ! Tu dvrais êtr’ mort !
-
Pas passer par l’église, c’est direct
l’enfer, i’ parait !
-
Ça c’est l’curé qu’i’ l’ dit !
-
C’est qu’i’ voulait point s’
confesser !
-
Pourtant, il était point l’dernier à fauter,
dis donc. Quand il était jeunot, non de d’là !
-
T’es qui pour juger, toi ? T’en as
fait autant... et pis, même pire !
-
Et pis l’autre, là. Pas d’église non
plus !
-
Et pourquoi donc, c’lui-là ?
-
Il était passé d’vant l’ maire, mais pas
d’vant l’ curé !
-
Et après ! Qu’est-ce qu’ ça
change ?
-
Ça change qu’ il était point marié à
l’église.
-
Et alors ?
-
Alors ? Mais c’est qu’il vivait
dans l’péché ! et pis sa femme avec lui !
-
La belle affaire ! L’ pauvre vieux.
Il est mort à c’t’ heure. Qu’est-ce que ça fait, nom de dieu !
Monsieur
Bataille, le curé d’Ecquetot était donc critiqué pour avoir refusé les derniers
sacrements à un défunt parce que celui-ci n’avait p as voulu se confesser.
De
plus ce moribond avait même refusé sa
porte au messager de Dieu !
Il
aurait même hurlé, depuis son lit de douleur :
« Qu’il
aille au diable, celui-là ! »
Ce
qui était, vous en conviendrez, très mal venu.
Ce
fut pareil pour un autre homme qui, lui, n’était pas marié à l’église.
Cet
autre homme, un ancien militaire, aurait promis que s’il guérissait, il se
marierait à l’église.
Sauf
que...... il ne guérit jamais, puisque la maladie qui le rongeait l’avait
emporté. Alors, il n’avait pas renié sa parole.
Un
des habitants d’Ecquetot ne voulut pas en rester là. Il prévint la presse.
Le
« Journal de Rouen », en sa première page, le 18 novembre 1838, par
le biais, de ce paroissien fort mécontent, rédigea l’article qui suit :
« On nous signale
un acte d’intolérance qui aurait été
commis, récemment, par M. le Vicaire d’Ecquetot, près du Neubourg. Le prêtre
aurait refusé d’inhumer une personne qui, atteinte d’une violente maladie,
n’avait pas voulu se confesser.
Antérieurement M. le
Vicaire avait refusé la sépulture ecclésiastique à un vieux militaire qui, à la
vérité, n’était pas marié à l’église, mais qui, pendant sa maladie, avait
promis sur l’honneur qu’il ferait bénir son union aussitôt qu’il serait
rétabli.
Nous ne pouvons que
déplorer, comme nous l’avons fait tant de fois, de pareilles tendances, qui
compromettent la cause de la religion, au lieu de la servir. »
Cet
article fut lu par le sieur Bataille, curé d’Ecquetot, qui, se sentant attaqué
dans l’exercice de sa fonction, répondit au rédacteur du quotidien de Rouen,
par l’intermédiaire du journal « L’ami de la religion et du roi »,
journal ecclésiastique et politique.
Non
pour se justifier, mais pour remettre dans le contexte ce que l’on venait de
qualifier d’« actes d’intolérance » en ce qui concernait sa manière
de gérer sa paroisse et de considérer ses paroissiens.
Voilà,
la réponse du curé Bataille au rédacteur, auteur de l’article incriminé :
Premièrement. On vous
fait dire que j’aurais refusé d’inhumer une personne qui, atteinte d’une violente maladie, n’avait pas voulu se
confesser.
Faux !
Complètement faux !
J’ai enterré, tout
récemment, un individu (le même dont vous parlez dans votre journal) dont la
digne épouse m’avait interdit l’entrée de sa chambre, qu’après l’ordre qu’elle
en avait reçu.
On ne vous a pas dit
que la veuve n’ayant pas le moyen de payer les honoraires, je lui en ai fait
remise.
Deuxièmement.
Antérieurement, vous fait-on dire encore, Monsieur le Vicaire (il n’y a point
de vicaire à Ecquetot, je suis curé et vicaire tout à la fois) avait refusé la
sépulture à un vieux militaire qui, à la vérité, n’était pas marié à l’église,
mais qui pendant sa maladie, avait promis sur l’honneur qu’il ferait bénir son
union aussitôt qu’il serait rétabli.
Il est vrai que j’ai
refusé sans qu’il m’en soit resté le moindre scrupule, un vieux militaire qui
n’était pas marié à l’église ; mais il est de toute fausseté que ce vieux
militaire m’ait promis sur l’honneur de faire bénir son union aussitôt qu’il
serait rétabli.
C’est positivement là
que je voulais l’amener, mais c’est ce que je n’ai jamais pu obtenir de lui, ni
de sa femme.
Sa dernière parole a
été : « Laissez-moi tranquille, vous m’embêtez. »
Voilà les faits tels
qu’ils se sont passés, il y en a beaucoup de témoins.
Signé Bataille, Curé
d’Ecquetot.
Comme
je vous l’ai déjà dit, pour en arriver à cette explication, cela a dû faire
grand bruit dans la comme d’Ecquetot.
De
quelles inhumations s’agissait-il ?
N’ayant
aucun nom, je ne sais pas quels étaient les paroissiens en question.
Les
informations des actes de décès d’hommes âgés que j’ai consultés sur les années
1837 et 1838, indiquaient qu’ils étaient veufs. Ce qui, manifestement, n’était
pas le cas des deux défunts.
Aucune
mention « ancien soldat » sur les documents. Cela aurait été trop
facile !
Qui
était Monsieur le Curé Bataille ?
Là,
j’ai fait chou-blanc. Je suppose qu’il quitta sa paroisse d’Ecquetot après cet
article......
Nous
voyons bien que les articles montrent un certain désaccord dans les faits.
Le
rédacteur nota ce qu’il avait entendu ou lu.
Le
prêtre, les faits qu’il avait vécus.
Un
prêtre ne doit pas faire péché de mensonge, alors, sa version devrait être la
bonne.
Mais,
tout de même, Monsieur le Curé, que vous aurait coûté de bénir la dépouille de
ce vieux monsieur, ancien militaire.
Même
si vous pensiez que votre conscience vous imposait ce refus..... Le pardon est
tout de même la meilleure des actions.
Enfin,
ce qui est fait, est fait, on ne peut revenir sur le passé !
Faisant des
recherches sur la commune d’Ecquetot,
dans les
journaux anciens, j’ai découvert ce fait divers.
J’ai donc voulu
vous le faire partager.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Merci de votre commentaire. Il sera lu avec attention.