Plein
comme une barrique !
« C’est
point un mauvais gars ! » soupirait Marie Anne Pelletier, en
soutenant sa tête des deux mains.
Saint-Vierge,
qu’elle avait mal !
Ça
tambourinait là-dedans comme quand le bedeau sonnait les cloches de l’église.
« Non,
c’est point un mauvais gars...... sauf quand il est plein comme une
barrique !
Pas
un mauvais gars ? Ça, ce n’était pas tout à fait l’opinion de tous les
habitants du village.
Mais,
Marie Anne Pelletier ne voyait-elle pas son homme avec les yeux de l’amour ?
Et ces yeux là sont souvent aveugles.
-=-=-=-=-=-=-=-
Marie
Anne Pelletier avait attendu bien longtemps avant de convoler en justes noces
Quarante-deux
ans qu’elle avait !
Ce
n’était pas faute d’avoir eu des occasions, mais sa mère étant décédée, elle
n’avait pas souhaité laisser son père, seul.
Ce
n’était pas sans une petite pointe au cœur qu’elle avait vu toute la jeunesse
de Villettes passer devant le maire et le curé.
Au
fil des années, la solitude lui pesait parfois, et surtout, ce qui lui manquait,
c’était un petit bien à elle, qu’elle pourrait serrer dans ses bras.
Mais,
n’allez pas croire que ce fut par dépit qu’elle épousa Jean Baptiste Delimegue.
Non !
Loin de là !
Elle
lui trouvait belle tournure, et surtout, il savait parler, faire de belles
phrases.
Bien
sûr, il levait bien le coude et un peu trop même, mais que voulez-vous, il
avait eu bien du malheur et il fallait bien se réconforter de temps à autre.
Le
principal, pour Marie Anne Pelletier, c’était que cet homme-là, Jean Baptiste
Delimegue, qu’elle s’apprêtait à épouser, fut travailleur.
Ce
fut donc, en ce 26 septembre 1833, que Jean Baptiste Delimegue et Marie Anne
Pelletier s’unirent en mariage, se promettant soutien et fidélité.
Le
nouveau marié avait quarante-sept ans et la jeune épousée affichait
quarante-deux printemps.
Quel
bonheur ce fut, pour Marie Anne, que de se lever un matin nauséeuse. Jamais
femme ne fut plus heureuse qu’elle lorsque, prise de vomissements, elle restait
pliée en deux, le souffle coupé, l’estomac retourné, la bouche emplie d’un goût
de fiel !
Elle
en aurait souhaité encore plus !
Malgré
cela, elle était rayonnante. Et, quand son ventre s’arrondit, c’était avait
fierté qu’elle se promenait dans la rue principale de Villettes.
Même
si l’accouchement ne fut pas aisé, elle accepta les contractions avec sérénité.
Pas une plainte. Pas un cri. Seulement celui du nouveau-né lorsqu’il vint au
monde en cejour d’été, 8 juillet 1834.
Une
fille !
Une
belle petite que le père, Jean Baptiste Delimegue, alla présenter à la mairie
de Villettes, avant de se rendre chez le cafetier pour fêter dignement
l’évènement.
Et
ce jour-là, il revint au domicile conjugal « plein comme une
barrique » !
Marie
Anne Pelletier mit cet excès d’alcool sur le compte de la joie, mais aussi sur celui
des souvenirs douloureux. En effet son mari avait perdu en l’année 1826 sa
première épouse Marie Françoise Futrel et sa fille Françoise Appoline, âgée de
huit ans.
Ce
devait être trop pour cet homme que la vie avait brisé.
-=-=-=-=-=-=-=-
La
petite, baptisée Marie Françoise[1],
poussait bien.
Le
couple, lui allait cahin-caha, en fonctions des beuveries de Jean Baptiste.
Mais, ce n’était pas tout .......
Jean
Baptiste Delimegue avait une qualité. Il était travailleur.
Il
possédait un peu de terre et quelques bêtes.
Il
effectuait aussi des tâches, ici et là.
Jamais
il ne manquait d’ouvrage.
Fin
août, les moissons achevées, le droit de glanage fut accordé à plusieurs
habitants nécessiteux de la commune, dont faisait partie Rose Vallée qui vivait
seule avec sa petite.
Elle
n’avait pas ménagé sa peine, la Rose, et de ce fait avait fait une bonne
récolte.
Elle
alla donc trouver Jean Baptiste afin
qu’il veuille bien effectuer le vannage.
« Çà
m’ coût’ra combien ? demanda-t-elle.
-
Bin !
répondit Jean Baptiste en ce grattant le sommet du crâne. J’ sais qu’ vous êtes une malheureuse,
hein ! J’ va vous faire ça gratuitement ! J’ai bin pitié d’ vot’
sort, pardi ! J’ vous d’mand’rai comme rétribution qu’ la paille, pour
nourrir mes bestiaux.
Rose
pensa que ce n’était pas une mauvaise affaire, aussi consentit-elle, à ce
marché.
Le
soir de la journée de vannage, Rose vint constater le produit de son glanage
qu’elle trouva fort maigre.
Pendant
son inspection, Jean Baptiste, lui, rassemblait hâtivement la paille pour la
mettre dans une pouque afin de l’emporter, comme lui en donnait le droit le
marché conclu avec Rose Vallée.
Cette
pouque semblait, toutefois, bien lourde.
Etait-ce
une idée ou Rose avait-elle était leurrée ?
Il
fallait qu’elle en ait le cœur net. Aussi, se hasarda-t-elle :
« I’
parait bin lourd, l’ sac, pour contenir que d’ la paille !
-
C’est-y qu’ vous traitez d’
voleux !
-
Loin d’ là, pardi ! j’ constate,
c’est tout ! Mais, tout d’ même, j’ voudrais bin voir !
Le
ton avait monté et des voisins, toujours à l’affût se quelque malentendu,
intrigués, s’approchèrent.
Ce
fut ainsi que la supercherie de Jean Baptiste Delimegue fut mise au jour. Il
avait bien mêlé à la paille une quantité de grain. Un demi-boisseau[2].
Pas rien, tout de même !
Rose
alla de ce pas porter plainte devant monsieur le maire qui chiffra le monta de
l’amende, pour ce forfait, à vingt francs.
Marie
Anne Pelletier fut meurtrie par ce délit, non seulement pour l’amende, quoique,
« Vingt
francs, c’est une somme, pardi ! », mais surtout par les réflexions
qu’elle entendit sur son passage :
« Un
voleux, l’ Jean Baptiste ! Faut s’en méfier, moi, j’ vous dis !
-
On sait pour c’ vol, mais, si y’ en a eu
un, y en a eu d’autres avant, ça c’est sûr !
-
C’est-y pas malheureux d’ voler les pauv’
gens !
-
Voilà, c’ que c’est que d’ s’ marier avec
que’qu’un qu’est pas d’ chez nous !
Concernant
la dernière remarque, il était exact que Jean Baptiste Delimegue venait de
Brionne et que personne ne connaissait réellement ce qu’il était avant de venir
à Villettes.
Méfiance !
Méfiance !
Monsieur
le maire encaissa la somme de l’amende d’un montant de vingt francs, le 9
septembre 1844. Il ne la garda pas pour lui, loin de là, mais la redistribua
comme suit :
A
Rose Vallée, la somme de dix francs.
Au
sieur Merrier, boulanger à Criquetot, en paiement du pain donné aux enfants
d’Henriette Champion, trois francs.
A
Marie Madeleine Grain, trois francs cinquante centimes.
A
la mère Caron pour les enfants de son fils, trois francs cinquante centimes.
Bien
évidemment, vous le comprendrez aisément, Jean Baptiste Delimegue, dont on se
méfiait à présent de l’honnêteté, trouva de moins en moins de l’embauche et
s’adonna de plus en plus à son penchant pour l’alcool.
Pourtant,
Marie Anne Pelletier, l’épouse aimante, s’obstinait :
« C’est
point un mauvais gars ! »
Oui,
certes, mais alors pourquoi se retrouvait-elle, se tenant la tête à deux mains,
en ce jour du 18 août 1845, dans la mairie de Villettes ?
-=-=-=-=-=-=-=-
Voilà !
La
veille, 17 août 1845, Jean Baptiste Delimegue était rentré vers les neuf heures
du soir, ivre à ne plus tenir sur ses jambes, trainant avec lui un relent
d’alcool épouvantable et persistant, et, bien que n’ayant reçut aucun reproche,
il avait hurlé d’une voix pâteuse :
« Et
pis, toi, hein, dis rin ! »
Il
avait alors ponctué cette petite phrase hargneuse en assenant un coup de poing
magistral sur le crâne de son épouse avant de bousculer la petite Marie
Françoise qui chuta lourdement sur le sol de terre battue, en hurlant.
Entendant
tous ces cris, l’homme furieux devint de plus en plus menaçant.
Ce
remue-ménage alerta les proches voisins qui accoururent au plus vite pour
porter secours.
Il
y avait là, Jean Baptiste Bourdon qui essayait de calmer le forcené et Adolphe
Bourder qui en profita pour emmener la mère et la fille hors du domicile
conjugal, afin de les mettre hors du courroux de Delimegue.
Voilà
pourquoi, le lendemain, Marie Anne Pelletier déposait plainte contre son époux
pour coups et blessures ;
« Pas
un mauvais bougre, sauf quand il est plein comme une barrique !!
répétait-elle, peut-être tout simplement pour s’en persuader elle-même, mais
cela arrivait de plus en plus fréquemment, et cette fois-ci, il s’en était pris
à la petite Marie Françoise, et ça, en mère attentive, Marie Anne Pelletier ne
pouvait l’accepter.
Le
soir, la pauvre femme alla coucher, avec son enfant, chez le sieur Guerard,
cultivateur à Villette, chez qui elle trouva asile.
-=-=-=-=-=-=-=-
Le
couple Delimegue-Pelletier résista-t-il ?
Résista-t-il,
encore, après cette nouvelle plainte pour vol, déposée le 28 octobre
1855 ?
Encore
une plainte pour vol ?
Je
sens que vous voulez en savoir plus.
Je
ne vais donc pas vous faire languir plus longtemps.
Le
marquis Charles Théodore Casimir de Toustaint de Limesy, demeurant à
Canappeville, possédait des terres sur le territoire de Villettes, au triage de
la porte du Neubourg. Quatre-vingt treize ares. Une belle terre entretenue et
surveillée par le sieur Bernay, fermier dudit marquis.
Sur
ce terrain, des poiriers qui étaient propriété de ce marquis, bien évidemment.
Et
savez-vous quoi ?
A
l’heure où tout individu était sensé dormir profondément, à quatre heures et
demie du matin, le 27 octobre 1855, deux hommes veillaient.
Le
premier, Jean Baptiste Delimegue, qui ramassait des poires sous les poiriers
dans le champ du marquis Charles Théodore Casimir de Toustaint de Limesy,
justement.
Le
second, le sieur Bernay qui vadrouillait par les chemins de Villettes,
surveillant les biens qui lui avaient été confiés. Et il avait eu raison, le
sieur Bernay, car sans sa petite virée nocturne, il n’aurait pas surpris Jean
Baptiste Delimegue, dérobant des poires.
-=-=-=-=-=-=-=-
En
fait, rien de bien extraordinaire ! Toutes ces petits délits étaient
courants.
Pas
excusables pour autant. N’allez pas me faire dire ce qui ne m’effleure même pas
l’esprit !
Mais,
en ce XIXème siècle, ils pouvaient entrainer des peines de prisons,
surtout si il y avait récidive.
Et,
présentement, c’était le cas !
-=-=-=-=-=-=-=-
Sur
l’acte de décès de Marie Anne Geneviève Pelletier, en date du 13 juillet 1869,
nous pouvons lire :
« .... décédée
dimanche onze juillet mil huit cent soixante neuf à neuf heures du soir en son
domicile situé à Criquetot hameau de Villlettes, soixante-dix-sept ans sept
mois quatorze jours, née en cette commune le vingt sept novembre mil sept cent
quatre vingt onze, fille de Lambert Michel Alphonse Pelletier et Marie Anne
Dubos, veuve de Jean Baptiste Delimegue..... »
Jean
Baptiste serait donc décédé entre le 28 octobre 1855 et le 13 juillet 1869,
mais ce ne fut pas à Villettes.
Encore une petite
plainte découverte
dans les registres
de Villettes.
« Faits divers
et fréquents »
[1] Vous
remarquerez, lecteurs, que la petite avait reçu les mêmes prénoms que la
première épouse de Jean Baptiste. Marie Anne en fut-elle fâchée ? En ce
qui me concerne, j’aurais été furieuse !!!!
[2] Environ
14 kgs
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