mercredi 11 avril 2018

HISTOIRE DE VILLAGE - Un petit tour à Villettes


Plein comme une barrique !


« C’est point un mauvais gars ! » soupirait Marie Anne Pelletier, en soutenant sa tête des deux mains.
Saint-Vierge, qu’elle avait mal !
Ça tambourinait là-dedans comme quand le bedeau sonnait les cloches de l’église.
« Non, c’est point un mauvais gars...... sauf quand il est plein comme une barrique !

Pas un mauvais gars ? Ça, ce n’était pas tout à fait l’opinion de tous les habitants du village.
Mais, Marie Anne Pelletier ne voyait-elle pas son homme avec les yeux de l’amour ? Et ces yeux là sont souvent aveugles.

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Marie Anne Pelletier avait attendu bien longtemps avant de convoler en justes noces
Quarante-deux ans qu’elle avait !
Ce n’était pas faute d’avoir eu des occasions, mais sa mère étant décédée, elle n’avait pas souhaité laisser son père, seul.

Ce n’était pas sans une petite pointe au cœur qu’elle avait vu toute la jeunesse de Villettes passer devant le maire et le curé.
Au fil des années, la solitude lui pesait parfois, et surtout, ce qui lui manquait, c’était un petit bien à elle, qu’elle pourrait serrer dans ses bras.
Mais, n’allez pas croire que ce fut par dépit qu’elle épousa Jean Baptiste Delimegue.
Non ! Loin de là !
Elle lui trouvait belle tournure, et surtout, il savait parler, faire de belles phrases.
Bien sûr, il levait bien le coude et un peu trop même, mais que voulez-vous, il avait eu bien du malheur et il fallait bien se réconforter de temps à autre.
Le principal, pour Marie Anne Pelletier, c’était que cet homme-là, Jean Baptiste Delimegue, qu’elle s’apprêtait à épouser, fut travailleur.

Ce fut donc, en ce 26 septembre 1833, que Jean Baptiste Delimegue et Marie Anne Pelletier s’unirent en mariage, se promettant soutien et fidélité.
Le nouveau marié avait quarante-sept ans et la jeune épousée affichait quarante-deux printemps.

Quel bonheur ce fut, pour Marie Anne, que de se lever un matin nauséeuse. Jamais femme ne fut plus heureuse qu’elle lorsque, prise de vomissements, elle restait pliée en deux, le souffle coupé, l’estomac retourné, la bouche emplie d’un goût de fiel !
Elle en aurait souhaité encore plus !
Malgré cela, elle était rayonnante. Et, quand son ventre s’arrondit, c’était avait fierté qu’elle se promenait dans la rue principale de Villettes.
Même si l’accouchement ne fut pas aisé, elle accepta les contractions avec sérénité. Pas une plainte. Pas un cri. Seulement celui du nouveau-né lorsqu’il vint au monde en cejour d’été, 8 juillet 1834.
Une fille !
Une belle petite que le père, Jean Baptiste Delimegue, alla présenter à la mairie de Villettes, avant de se rendre chez le cafetier pour fêter dignement l’évènement.
Et ce jour-là, il revint au domicile conjugal « plein comme une barrique » !
Marie Anne Pelletier mit cet excès d’alcool sur le compte de la joie, mais aussi sur celui des souvenirs douloureux. En effet son mari avait perdu en l’année 1826 sa première épouse Marie Françoise Futrel et sa fille Françoise Appoline, âgée de huit ans.
Ce devait être trop pour cet homme que la vie avait brisé.

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La petite, baptisée Marie Françoise[1], poussait bien.
Le couple, lui allait cahin-caha, en fonctions des beuveries de Jean Baptiste. Mais, ce n’était pas tout .......

Jean Baptiste Delimegue avait une qualité. Il était travailleur.
Il possédait un peu de terre et quelques bêtes.
Il effectuait aussi des tâches, ici et là.
Jamais il ne manquait d’ouvrage.

Fin août, les moissons achevées, le droit de glanage fut accordé à plusieurs habitants nécessiteux de la commune, dont faisait partie Rose Vallée qui vivait seule avec sa petite.
Elle n’avait pas ménagé sa peine, la Rose, et de ce fait avait fait une bonne récolte.
Elle alla donc trouver Jean Baptiste  afin qu’il veuille bien effectuer le vannage.

« Çà m’ coût’ra combien ? demanda-t-elle.
-          Bin ! répondit Jean Baptiste en ce grattant le sommet du crâne.   J’ sais qu’ vous êtes une malheureuse, hein ! J’ va vous faire ça gratuitement ! J’ai bin pitié d’ vot’ sort, pardi ! J’ vous d’mand’rai comme rétribution qu’ la paille, pour nourrir mes bestiaux.

Rose pensa que ce n’était pas une mauvaise affaire, aussi consentit-elle, à ce marché.

Le soir de la journée de vannage, Rose vint constater le produit de son glanage qu’elle trouva fort maigre.
Pendant son inspection, Jean Baptiste, lui, rassemblait hâtivement la paille pour la mettre dans une pouque afin de l’emporter, comme lui en donnait le droit le marché conclu avec Rose Vallée.
Cette pouque semblait, toutefois, bien lourde.
Etait-ce une idée ou Rose avait-elle était leurrée ?
Il fallait qu’elle en ait le cœur net. Aussi, se hasarda-t-elle :
« I’ parait bin lourd, l’ sac, pour contenir que d’ la paille !
-          C’est-y qu’ vous traitez d’ voleux !
-          Loin d’ là, pardi ! j’ constate, c’est tout ! Mais, tout d’ même, j’ voudrais bin voir !

Le ton avait monté et des voisins, toujours à l’affût se quelque malentendu, intrigués, s’approchèrent.
Ce fut ainsi que la supercherie de Jean Baptiste Delimegue fut mise au jour. Il avait bien mêlé à la paille une quantité de grain. Un demi-boisseau[2]. Pas rien, tout de même !

Rose alla de ce pas porter plainte devant monsieur le maire qui chiffra le monta de l’amende, pour ce forfait, à vingt francs.

Marie Anne Pelletier fut meurtrie par ce délit, non seulement pour l’amende, quoique,
« Vingt francs, c’est une somme, pardi ! », mais surtout par les réflexions qu’elle entendit sur son passage :
« Un voleux, l’ Jean Baptiste ! Faut s’en méfier, moi, j’ vous dis !
-          On sait pour c’ vol, mais, si y’ en a eu un, y en a eu d’autres avant, ça c’est sûr !
-          C’est-y pas malheureux d’ voler les pauv’ gens !
-          Voilà, c’ que c’est que d’ s’ marier avec que’qu’un qu’est pas d’ chez nous !

Concernant la dernière remarque, il était exact que Jean Baptiste Delimegue venait de Brionne et que personne ne connaissait réellement ce qu’il était avant de venir à Villettes.
Méfiance ! Méfiance !

Monsieur le maire encaissa la somme de l’amende d’un montant de vingt francs, le 9 septembre 1844. Il ne la garda pas pour lui, loin de là, mais la redistribua comme suit :
A Rose Vallée, la somme de dix francs.
Au sieur Merrier, boulanger à Criquetot, en paiement du pain donné aux enfants d’Henriette Champion, trois francs.
A Marie Madeleine Grain, trois francs cinquante centimes.
A la mère Caron pour les enfants de son fils, trois francs cinquante centimes.


Bien évidemment, vous le comprendrez aisément, Jean Baptiste Delimegue, dont on se méfiait à présent de l’honnêteté, trouva de moins en moins de l’embauche et s’adonna de plus en plus à son penchant pour l’alcool.
Pourtant, Marie Anne Pelletier, l’épouse aimante, s’obstinait :
« C’est point un mauvais gars ! »

Oui, certes, mais alors pourquoi se retrouvait-elle, se tenant la tête à deux mains, en ce jour du 18 août 1845, dans la mairie de Villettes ?

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Voilà !
La veille, 17 août 1845, Jean Baptiste Delimegue était rentré vers les neuf heures du soir, ivre à ne plus tenir sur ses jambes, trainant avec lui un relent d’alcool épouvantable et persistant, et, bien que n’ayant reçut aucun reproche, il avait hurlé d’une voix pâteuse :
« Et pis, toi, hein, dis rin ! »
Il avait alors ponctué cette petite phrase hargneuse en assenant un coup de poing magistral sur le crâne de son épouse avant de bousculer la petite Marie Françoise qui chuta lourdement sur le sol de terre battue, en hurlant.
Entendant tous ces cris, l’homme furieux devint de plus en plus menaçant.

Ce remue-ménage alerta les proches voisins qui accoururent au plus vite pour porter secours.
Il y avait là, Jean Baptiste Bourdon qui essayait de calmer le forcené et Adolphe Bourder qui en profita pour emmener la mère et la fille hors du domicile conjugal, afin de les mettre hors du courroux de Delimegue.

Voilà pourquoi, le lendemain, Marie Anne Pelletier déposait plainte contre son époux pour coups et blessures ;
« Pas un mauvais bougre, sauf quand il est plein comme une barrique !! répétait-elle, peut-être tout simplement pour s’en persuader elle-même, mais cela arrivait de plus en plus fréquemment, et cette fois-ci, il s’en était pris à la petite Marie Françoise, et ça, en mère attentive, Marie Anne Pelletier ne pouvait l’accepter.

Le soir, la pauvre femme alla coucher, avec son enfant, chez le sieur Guerard, cultivateur à Villette, chez qui elle trouva asile.

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Le couple Delimegue-Pelletier résista-t-il ?
Résista-t-il, encore, après cette nouvelle plainte pour vol, déposée le 28 octobre 1855 ?

Encore une plainte pour vol ?
Je sens que vous voulez en savoir plus.
Je ne vais donc pas vous faire languir plus longtemps.


Le marquis Charles Théodore Casimir de Toustaint de Limesy, demeurant à Canappeville, possédait des terres sur le territoire de Villettes, au triage de la porte du Neubourg. Quatre-vingt treize ares. Une belle terre entretenue et surveillée par le sieur Bernay, fermier dudit marquis.
Sur ce terrain, des poiriers qui étaient propriété de ce marquis, bien évidemment.
Et savez-vous quoi ?

A l’heure où tout individu était sensé dormir profondément, à quatre heures et demie du matin, le 27 octobre 1855, deux hommes veillaient.
Le premier, Jean Baptiste Delimegue, qui ramassait des poires sous les poiriers dans le champ du marquis Charles Théodore Casimir de Toustaint de Limesy, justement.
Le second, le sieur Bernay qui vadrouillait par les chemins de Villettes, surveillant les biens qui lui avaient été confiés. Et il avait eu raison, le sieur Bernay, car sans sa petite virée nocturne, il n’aurait pas surpris Jean Baptiste Delimegue, dérobant des poires.


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En fait, rien de bien extraordinaire ! Toutes ces petits délits étaient courants.
Pas excusables pour autant. N’allez pas me faire dire ce qui ne m’effleure même pas l’esprit !
Mais, en ce XIXème siècle, ils pouvaient entrainer des peines de prisons, surtout si il y avait récidive.
Et, présentement, c’était le cas !

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Sur l’acte de décès de Marie Anne Geneviève Pelletier, en date du 13 juillet 1869, nous pouvons lire :

« .... décédée dimanche onze juillet mil huit cent soixante neuf à neuf heures du soir en son domicile situé à Criquetot hameau de Villlettes, soixante-dix-sept ans sept mois quatorze jours, née en cette commune le vingt sept novembre mil sept cent quatre vingt onze, fille de Lambert Michel Alphonse Pelletier et Marie Anne Dubos, veuve de Jean Baptiste Delimegue..... »

Jean Baptiste serait donc décédé entre le 28 octobre 1855 et le 13 juillet 1869, mais ce ne fut pas à Villettes.

Encore une petite plainte découverte
dans les registres de Villettes.
« Faits divers et fréquents »




[1] Vous remarquerez, lecteurs, que la petite avait reçu les mêmes prénoms que la première épouse de Jean Baptiste. Marie Anne en fut-elle fâchée ? En ce qui me concerne, j’aurais été furieuse !!!!
[2] Environ 14 kgs

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