Chapitre 4
Retournons un peu en arrière, rue des Charrettes où les quatre voisins
revinrent accompagnés des deux agents de sûreté.
Sur les lieux, devant la
macabre découverte, les deux agents trouvant la situation critique (ne
l’était-elle pas d’ailleurs ?) allèrent en informer leurs supérieurs qui, réveillés en plein
sommeil, se déplacèrent au plus vite. L’affaire n’était-elle pas
d’importance ?
Ce ne fut pas n’importe-qui qui arrivèrent en renfort rue des
Charrettes, loin de là, mais :
·
Monsieur Masquin, commissaire central.
·
Monsieur Collignon, commissaire de police.
·
Monsieur Prost, chef de sûreté.
Ils établirent rapidement et efficacement leurs premiers constats.
1.
Le sieur Dubuc, limonadier, était bien décédé.
2. Il
s’agissait bien là d’un meurtre.
3. Il
y avait eu vol également. Le mobile de cette agression mortelle bien
évidemment.
4. Sur
le sol, un trousseau de clefs, celui rassemblant assurément toutes les clefs de
l’établissement dont celle, sans doute, du coffre-fort.
5.
Un tire-bouchon très court, au manche de corne,
près du cadavre, attira leur attention. Un tire-bouchon ? Quoi de plus
naturel dans un débit de boissons ! Mais celui-ci, un tantinet tordu, maculé
de sang coagulé et portant quelques cheveux, semblait être, après constatation,
l’arme du crime. Mais prudence, il fallait s’en assurer !
Après ces cinq constats, il ne restait plus qu’à préciser quelques
détails et découvrir ce qui s’était réellement passer entre 11 h 30 du soir et
0 h 30 du matin, dans cette nuit du 6 au 7 mai 1890.
Ce furent là qu’intervinrent les témoins, ceux qui les premiers
avaient entendu les appels à l’aide et découvert le défunt, et les derniers à
avoir vu le sieur limonadier vivant, la femme Molière et le garçon de café,
Victor Hiaa.
On alla d’abord quérir Victor Hiaa qui demeurait dans la même rue, au
numéro 39.
« Ça devait arriver ! s’exclama-t-il en apprenant l’horrible
nouvelle. Et je sais qui a fait le coup ! »
Cette déclaration spontanée ne pouvait qu’intéresser fortement le chef
de la sûreté.
Si ce témoin disait vrai, ce serait une affaire rondement menée, et
l’assassin serait bientôt sous les verrous.
Oui mais, parole de justice : il faut toujours se méfier des
témoignages trop hâtifs, ceux-ci se révélant souvent jalouses délations.
Prudence !
Mais, Victor Hiaa ne fut pas le seul, beaucoup d’autres avancèrent les
mêmes accusations, visant une seule et même personne : Constant Roy, cet
individu qui depuis plusieurs jours guettait, surveillait, attendait son heure,
tapi dans l’ombre d’un recoin.
-=-=-=-=-=-
Vers les trois heures du matin, Monsieur Prost, chef de sûreté, alla
toquer à la porte de la chambre du dénommé Roy, présumé coupable, rue de Petit
Salut.
Aux sommations, Constant Roy ouvrit sa porte immédiatement. Il ne
portait pas de chemise et ne semblait pas très étonné de cette visite nocturne.
Sans sourciller, il demanda :
« Qu’est-ce qu’il y a de cassé ? »
Monsieur Prost évoqua la rue Frigory[1],
à ce nom, Constant Roy pâlit, mais garda un flegme implacable. Même attitude
détachée pendant la perquisition de sa chambre, demandant simplement après un
moment :
« Puis-je bientôt disposer de ma chambre ? »
Quel aplomb tout de même, vous en conviendrez !
Que donna la perquisition[2] ?
-
Dans une
des poches de Roy, un carré de chemise, servant de mouchoir, taché de sang.
-
Un gilet
portant des traces de sang.
-
Une
chemise tachée de sang frottée aux deux poignets, aux manches et au col.
-
Cinq
morceaux de toile ensanglantée.
-
Une
serviette mouillée dans toute son étendue.
-
Dans un
seau et le pot de chambre de l’eau roussâtre.
-
Une
importante somme d’argent, cent-quarante-sept francs, étonnant pour quelqu’un
qui n’avait pas le sou la veille, dont une petite pièce grecque.
Il n’en fallait pas plus pour faire de Constant Roy un suspect idéal.
Il fallait faire rapidement une confrontation.
Sur les lieux du crime, interrogé par Monsieur Masquin, commissaire
central, Roy resta de marbre et nia être l’auteur de cet acte innommable,
trouvant réponse à tout, que ce soit au sujet du sang sur ses vêtements, du
sang sous ses ongles, des griffures sur ses avant-bras et de l’argent en sa
possession. Même le tire-bouchon laissé sur le sol n’était pas le sien quoique
lui ressemblant très fortement.
Conduit ensuite au commissariat central, Constant Roy fut auditionné
vers 7 h 30 du matin, par Monsieur Demartial, procureur de la République. Il
persista dans ses déclarations, niant toute implication dans le meurtre pour
lequel il se voyait accusé.
Pendant ce temps, dans le débit de boissons de la rue des Charrettes,
gens de justice et de médecine se succédaient, afin d’établir des constats et
faire l’autopsie du cadavre :
·
Monsieur Leguerney, substitut du procureur de la
République.
·
Un juge d’instruction et son greffier.
·
Monsieur le docteur Gerné, médecin du parquet.
Constant Roy fut alors écroué à la prison de Bonne Nouvelle, Rouen
rive gauche, dans l’attente de son
jugement.
Dans les rues Frigory et des Charrettes, voisins et amis de Jules
Adolphe Dubuc étaient consternés. Non seulement, il y avait eu un meurtre près
de chez eux, mais la victime était un brave homme, quelqu’un de serviable et d’honnête
que chacun apprécié.
Après l’autopsie, le corps du sieur Dubuc fut porté dans sa chambre.
Jules Adolphe Dubuc avait deux frères et une sœur qui habitaient Paris
et une autre sœur, la veuve Auffray, qui demeurait à Bois-Guillaume, tous
quatre avaient été prévenus.
On les attendait, à présent, pour procéder à l’inhumation.
[1]
Plusieurs orthographes, dans les journaux, désignant cette rue. La bonne
orthographe pourrait être « Frigory », petite rue n’existant plus
aujourd’hui et dont les noms successifs furent au fil du temps : Cour des
pigeons – rue Grigoire – rue Trigorie, rue du Cornet d’argent avant de prendre
celui de Frigory.
[2] Inventaire
du Journal de Rouen du 7 août 1890 relatant le procès.
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