De l’ange...... au démon.
A Rennes,
l’arrestation de la cuisinière de Monsieur Bidard, professeur à la Faculté de droit
de Rennes, Hélène Jegado, en ce premier juillet 1851, n’étonna personne. N’y
avait-il pas des morts, encore et encore, dans chaque place où elle
servait ?
« Coïncidence »,
ce mot avait bon dos !
Et la justice
finit par faire valoir ses droits.
Qui éta it cette femme que l’on disait
malpropre, grossière, ivrogne et ...... empoisonneuse.
Hélène Jégado
comparut donc devant ses juges, en la cour d’assises d’Ille-et-Vilaine, sous la
présidence de M. Boucly, premier président à la cour d’appel de Rennes,
le 6 décembre 1851.
Elle devait
répondre à l’accusation de sept empoisonnements, ainsi qu’à de nombreux vols.
Voici son histoire,
celle qui fut reconstituée à partir de ses dires et de ceux des différentes
personnes venues témoigner.
L’histoire
d’Hélène Jegado, native de Bretagne, pays des crêpes au sarrasin sur lesquelles
on étale du beurre salé et que l’on déguste accompagnées de café bien fort ou
de cidre.....
-=-=-=-=-=-=-
Ville de Rennes – années
1850 et 1851
Hélène
Jegado était entrée au service de Monsieur Bidard, professeur à la faculté de
droit de Rennes, le 19 octobre 1850.
Dans
cette maison, il y avait d’autres domestiques dont Rose Tessier, qui décéda
dans d’affreuses souffrances et convulsions,
le 7 novembre suivant.
Acte
de décès – novembre 1850 – Rose Alexandrine Tessier.
Le huit novembre mil huit cent cinquante à dix heures et demies du
matin devant nous.... ont comparu M. Leopold marie Bidard Docteur en droit agé de
quarante sept ans demeurant rue d’Estrées et M. Paul alfred Michel avocat agé
de vingt deux ans demeurant même rue lesquels nous ont déclaré que Delle Rose
alexandrine Tessier agée de vingt neuf ans et demi née a Valence (Drome) fille
de feu M. Pierre Tessier et de Dame Marie Poete est decedée Quai St georges
chez M. Bidard professeur en droit, hier au soir à cinq heures......
Les
médecins appelés conclurent que le décès pouvait avoir été produit par une
« rupture du diaphragme » ou....... un empoisonnement.
Mais,
la possibilité d’un crime ne vint à l’esprit de personne.
La
pauvre Rose à peine mise en terre fut remplacée par Françoise Huriaux (on
trouve aussi Heuriaux), au mois de décembre. Il fallait bien que le travail
soit exécuté. Françoise Huriaux prit donc son service. Mais elle ne tarda pas à
ressentir quelques malaises. Des bruits lui vinrent aux oreilles..... Il
fallait se méfier d’Hélène.
Ne
voulant pas perdre la vie pour un maigre salaire, elle donna son compte. Elle
ne s’en porta que mieux !
Ouf !
Sa fuite la sauva d’un horrible péril !
Il
n’en fut pas de même pour sa remplaçante,
Rosalie Sarrazin, qui avait commencé son service en mai 1851. Prise de
vomissements et de douleurs abdominales, elle décéda le 1er juillet
Acte
de décès – juillet 1851 – Rosalie Sarrazin.
Le premier juillet mil huit cent cinquante et un a dix heures trois
quarts du matin devant nous ont comparu M. Leopold marie Bidard , avocat à
la cour d’appel agé de quarante huit ans demeurant rue d’Estrées et M. Paul
alfred Michel avocat agé de vingt deux ans demeurant même rue lesquels nous ont
déclaré que Dlle Rosalie Sarrazin agée de dix neuf ans née à Paimpont (Ille et
Vilaine) domestique fille de feu Julien Pierre Sarrazin et d’aimée mathurine
Rallon est décédée chez M. Bidard quai chateaubriand ce matin à six heures un
quart.......
Là,
les médecins furent formels. La jeune fille, âgée de dix-neuf ans, avait bien
été empoisonnée. L’autopsie le prouva et la substance dont on s’était servie
pouvait bien être de l’arsenic.
Qui
avait pu commettre ces abominables forfaits.....
Tous
les soupçons tombèrent sur Hélène, cuisinière, la seule à préparer et servir
les repas.
Et
chacun de se souvenir de tous les morts..... oui, tous les morts qu’il y avait
eu là où était passée Hélène.
Les
doutes devinrent certitudes ! La mort, c’était elle !
-=-=-=-=-=-
Plouhinec en Bretagne –
début du XIXème siècle
Cette petite
fille qui avait reçu le prénom d’Hélène, avait un visage d’ange. Tout le monde
le disait dans le petit village de Kerhordevin en Plouhinec.
Et puis, si
gentille, si serviable !
Elle parcourait
les champs et les bois avec sa mère, apprenant le nom des plantes, celles qui
guérissent, celles qui pouvaient mettre en échec l’Ankou ou du moins retarder
sa venue.
Oui,
l’Ankou ! Sa présence était partout et il n’était pas bon se promener,
seul, la nuit, sur la lande.
Aux veillées,
certains disaient l’avoir vu sur sa charrette grinçante, une énorme faux à la
main.
Tous y
croyaient, et les enfants, ayant entendu les récits des anciens, frissonnaient
de peur.
Hélène, elle,
suivant pas à pas sa mère, observant et cueillant les plantes désignées par
elle, s’était peu à peu persuadée qu’avec cette connaissance maternelle dont
elle devenait dépositaire, elle détenait le pouvoir de vie et de mort sur les
autres. Et cette certitude grandit en elle, avec les années, s’ancra dans son
esprit, au point qu’elle se sentit désignée par l’Ankou pour arracher la vie à
ceux qu’elle rencontrait.
-=-=-=-=-=-=-
Hélène était la
fille de Jean Jegado et d’Anne Lescoët (on trouvera aussi Liscoët – Lescouet –
Liscouet).
Elle était la
quatrième enfant du second mariage de Jean Jegado.
Dans quel foyer vint-elle
au monde ?
Qui étaient ses
parents ?
Jean Jegado
était né le 6 mai 1757, à Plouhinec dans le Morbihan. Il fut baptisé le même
jour.
Acte de baptême
– mai 1757 – Plouhinec.
L’an de grace mil sept cent
cinquante et sept Le sixieme jour du mois de may je soussigné prêtre ai baptisé
un fils ne ce jour du legitime mariage de Jean Jegado et Louise Bennabeuss du
village de Kervezec auquel on a donné le nom de Jean Parrein et marrene ont été
jean Le Gludic et marie Le moing qui ont declaré ne sçavoir signer.
N. Le Thoinin prêtre.
Jean Jegado faisait partie d’une
grande fratrie.
·
Yvonne, née le 24 mars 1741 à Boperec Nostang.
· Jean, né le 23 janvier 1745 à Boperec Nostang.
Marié à Jacquette Stephano, le 6 février 1764 à Plouhinec.
·
Joseph né en 1748. Marié à Marie Le Dran le 15
janvier 1770.
·
François, né le 30 mars 1851 à Plouhinec.
·
Pierre, né le 27 mars 1754.
·
Yves, né le 27 novembre 1759 et décédé le 14
janvier 1832. Plouhinec.
·
Perrine né le 27 mai 1762 à Plouhinec.
Petite
parenthèse, les recherches ont été légèrement compliquées. Ses parents lui
avaient attribué le même prénom, celui de « Jean », que l’un de ses aînés.
Quelle
idée !
Jean Jegado
avait épousé le 20 janvier 1784, Marie
Le Fay à Plouhinec.
Acte de
mariage – janvier 1784 – Plouhinec.
Le vingt janvier mil sept cent
quatre vingt quatre, la publication des bans de mariage entre jean Jegado fils
majeur des feus jean et de Louise Bonabez et marie Le Fay fille majeure des
feus ambroise et julienne rio les deux de cette paroisse avait été faite aux
prônes de nos grands messes par deux fois..... sans aucun empechement civil ni
canonique je soussigné après avoir
interrogé les parties et reçu leur mutuelle consentement les ai solennellement
marie et ensuite celebré la messe..... en presence de jean jegado son frere,
pierre Jegado frere, jan olieri et philippe le... (illisible)
Marie Le Fay (on
trouvera aussi Le Fé) avait vu le jour le 2 mai 1753 à Kerdoret Locoal
Mendon, trêve de Locoal.
Acte de baptême
– mai 1753 - Locoal Mendon.
L’an de grace 1753 le 3e
jour de may iay baptisé une fille né du iour precedent du legitime mariage
d’entre ambroise le fay et iulienne ryo du vilage de Kerdovet on luy a imposé
le nom de marie parain et mareine ont été Joseph Le prodo et marie Semlo
temoins le père et laurens stephan qui tous ont declaré ne sçavoir signer et ay
signé... Loisel vicaire de Locoal
Dix-huit mois
après leur union, était né Joseph, le 15 juin 1785.
Acte de baptême
– juin 1785 - Plouhinec.
Le quinze juin mil sept cent quatre
vingt cinq je soussigné ai baptisé sans condition joseph jegado fils de Jan et
de marie Lefé origine de Lacoual, mariés ici il y a dix huit mois, né ce jour
au..... (illisible) parrin et marene ont été Guillaume oliero, marie Noël
Lelorec sa tante......
La jeune femme
ne vit pas grandir son fils, car elle décéda le 10 janvier 1788.
Acte d’inhumation
– janvier 1788 - Plouhinec.
Le onze janvier mil sept cent
quatre vingt huit a été Inhumé dans le cimetiere de cette église le corps de
marie Le fé épouse de Jan Jegado decedé hier à Keroue à l’age de trente trois
ans munie des sacrements ont assisté au convoi son dit epoux et autre jean
jegado son beau frère qui ont déclaré ne sçavoir signer.....
Jeune veuf avec
un enfant, Jean Jegado ne tarda pas à se remarier.
Celle qui devait
partager sa vie se nommait Anne Liscouet (orthographe de l’acte de mariage)
Acte de
mariage – janvier 1790 – Plouhinec.
Le vingt six janvier mil sept cent
quatre vingt dix j’ai curé soussigné solennellement conjoint en mariage jean
jegado fils majeur de feus jean et Louise Benabeuse veuf de Marie Le fé
domicilié de cette paroisse et anne Liscouet fille de jean et de marie Le porh
domiciliée de droit et de fait de cette paroisse en presence et du consentement
du dit père de l’epouse et en presence de jean jegado frere de l’epoux de
joachim Thomas et de pierre Cado lesquels ainsi que les epoux ont déclaré ne
savoir signer....
La nouvelle
épousée avait vu le jour, le 29 janvier 1763, à Plouhinec.
Acte de baptême
– janvier 1763 - Plouhinec.
L’an de Grace mil sept cent
soixante trois le trentieme du mois de janvier je soussigné ay baptisé une
fille née le jour precedent du legitime mariage de jean Liscoët et de marie Le
portz de treiz hervé on la nommé anne, ont étés parein et mareine Joachim
Thomas et anne le portz qui ont declaré ne savoir signer....
Quatre enfants
naquirent de cette seconde union.
Joachim arriva,
le 19 décembre 1790.
Acte de
baptême – décembre 1790 – Plouhinec.
Le dix neuf decembre mil sept cent
quatre vingt dix j’ai recteur soussigné baptisé un garçon né ce jour au village
de Keryo du legitime mariage de jean jegado et d’anne Liscouët on lui a donné
le nom de joachim. Parrain a été Jean Liscoët son ayeux et maraine anne Le
Livée qui ont déclaré ne savoir signer.
Puis ce fut Marie
Jacquette, le 8 décembre 1792.
Acte de
naissance – décembre 1792 – Plouhinec.
L’an premier de la république
française le trente décembre mil sept cent quatre vingt douze a été présenté
devant nous françois Roussin officier public de la commune de plouhinec.... un
enfant femelle née au village de Kerordeven en cette paroisse le huit du mois
de décembre dernier du legitime mariage de jean jegado laboureur et originaire
de cette paroisse et d’anne Lescouet aussi de cette paroisse. Themoins ont été
jacques Kermene laboureur du village de Kerpratte même paroisse qui sait signer
et Bertrand Larboulet aussi laboureur et du village de Louée Larmor qui ne sait
signer et qui ont donné à l’enfant le
prenom de Marie Jacquette.
Anne fut la
troisième. Elle arriva le 9 juin 1799.
Acte de
naissance – juin 1799 – Plouhinec.
Ce jour, vingt deux prairial an
sept republicain sur les quatre heures du soir a été présenté devant moi.... un
enfant pour lequel il a été fait la declaration suivante - Jean Jagado
laboureur du village de Kerdevin en cette commune assisté de Joseph Kerneur age
de vingt un ans laboureur du village de Kerprat en la même commune et non
parent et d’anne Lescoët age de vingt quatre ans du village de Lennic Lormor,
tente au maternel de l’enfant, lequel declarant père a dit que le jour d’hier
sur les sept heures du soir son épouse anne Lescoët est accouchée dans sa
maison d’un enfant femelle a la quelle ils entend donné le prenom d’anne, les
dits jours et ans que devant nous notre
seings et celui de Joseph Kerneur, ainsi que le père present ont déclaré ne
savoir faire.
Et enfin Hélène,
quatre années après, le 13 juin 1803.
Acte de
naissance – juin 1803 – Plouhinec.
Du vingt huit prairial an onze
trois heures de l’après midi acte de naissance d’helene Jagado fille de Jean
Jegado et d’anne Lescoët née ce jour à trois heures du matin au village de
Kerhordevin en cette commune de Plouhinec des sus dits père et mere
cultivateurs de profession le sexe de l’enfant a été reconnu être feminin –
premier témoin françois Rio laboureur demeurant au village de (.... illisible....)
age de vingt deux ans non parent – second temoin françois Le Bihan cultivateur
demeurant au même village que le precedent agé de trente cinq ans aussi non
parent sur la requisition a nous faite par le susdit père present qui nous a
presenté l’enfant.......
Issue d’une
« petite noblesse », la famille Jegado était une famille honnête mais
sans fortune, bien considérée, laborieuse. Jean Jegado cultivait sa terre, avec
des années fructueuses et d’autres malheureuses. Ainsi allait la vie !
Anne Lescoët, pieuse,
ne laissait pas pour autant de côté les vieilles légendes de Bretagne, et il y
en avait beaucoup ! Elle n’ignorait rien des gestes rituels lors d’un
décès pour que l’âme du défunt quitte paisiblement son habitat charnel et ne
revienne jamais hanter les lieux de sa vie terrestre.
Si ces rituels
et légendes faisaient partie de la vie de chacun, ils marquèrent énormément la
petite Hélène.
La
mort, « l’Ankou », la fascinait.
Et puis, toutes
ces herbes avec lesquelles sa mère confectionnait des remèdes en marmonnant des
formules plus proches de la sorcellerie que de la médecine, n’avaient-elles pas
pouvoir de vie et de .... mort ?
Cela semblait si
facile !
Cela donnait un
certain pouvoir sur les autres !
Et puis, il y
avait ces pierres druidiques, autour desquelles, enfant, Hélène aimait à
courir. Ce lieu, empli de mystères, nourrissait l’imagination de la petite
fille. Que s’était-il passé, ici même, dans les temps anciens ? Quelles
incantations avaient été prononcées ? Le sang des sacrifices avait-il inondé
le sol qui s’en était abreuvé et qu’elle piétinait à présent ?
Sur la lande,
elle n’imaginait que korrigans et fées effectuant des danses endiablées les
nuits de pleine lune dans lesquelles étaient entrainés les humains dont la
crédulité les perdait à jamais. A la croisée des chemins, des calvaires de
pierre rappelaient la fragilité de l’homme et la puissance de Dieu et mettaient
en garde les malheureux qui s’égaraient du droit chemin, celui que l’Eglise
enseignait, bien évidemment.
Il ne fallait
pas, non plus, oublier les trépassés, ceux qui avaient péri en mer et que l’on
n’avait jamais retrouvés. Ne revenaient-ils pas au port, pauvres marins sans
embarcations, cherchant le repos et le dernier hommage de ceux qu’ils avaient
aimés ?
Flottait ainsi
sur cette Bretagne un mystère brumeux, maintenu là par la pluie, et que le
vent, même soufflant en tempêtes, ne pouvait déraciner.
Hélène vivait donc
entre réalité et imaginaire, pénétrée de ce qu’elle entendait aux veillées, et
qui se perpétuait de génération en
génération, se créant un monde à elle, un monde où elle avait toute puissance.
La petite fille
était-elle à ce point influençable ?
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