Deuxième
partie
Janvier
1866.
La
ville de Toulouse était en émoi.
Laissons
au « Journal de Toulouse » le soin de nous en apprendre les raisons.
Journal
de Toulouse – N° 11 – Jeudi 11 janvier 1866.
Notre ville a été dans la journée
d’hier vivement impressionnée par l’annonce d’un crime abominable. Le mystère
même qui entoure ce crime contribue à accroitre l’horreur qu’il inspire.
Hier matin, on a découvert, sur les
bords du canal de Midi, au bas de l’écluse des Minimes, un cadavre. Ce cadavre
ne paraissait être qu’une masse informe ; les articulations des jambes
avaient été rompues de façon à faire replier les membres sous le tronc. Enfin
la tête avait été coupée ! La section présentait une netteté qui accusait
l’emploi d’un instrument très affilé et d’une main très sûre.
La justice a été immédiatement
appelée, M. le Procureur impérial et M. le Juge d’instruction se sont
transportés sur les lieux et ont recueilli les premières informations.
Le cadavre, retiré de l’eau et
aussi horriblement mutilé, était celui d’une femme âgée d’environ trente ans.
Il était enveloppé dans la chemise et le jupon de la victime.
Le corps a été transporté à la
morgue où une foule très nombreuse est allée le visiter.
Malgré les recherches les plus
actives, on n’avait pas retrouvé, hier au soir, la tête de la malheureuse femme
dont l’identité n’a pu être constatée.
On pense que le crime a dû être
commis dans la nuit de mardi à mercredi. L’obscurité de cette nuit, l’ouragan
qui n’a cessé de régner, enfin l’état presque désert des bords du canal, n’ont
dû que trop favoriser la perpétration de cet odieux forfait.
Journal
de Toulouse – N° 12 – Vendredi 12 janvier 1866.
Le crime horrible dont nous avons
entretenu hier nos lecteurs, n’a cessé de préoccuper l’attention publique.
Comme on le pense bien, les conjectures les plus variés, les plus étranges, se
sont produites sur les détails de ce meurtre. Une foule énorme est allée
visiter le bord du canal où le cadavre a été découvert et dont l’herbe porte
quelques traces de sang.
On n’a pu encore parvenir à
retrouver la tête de la victime, malgré les investigations les plus actives.
On a pu reconnaitre, dans le corps
celui d’une femme D..., vivant séparée de son mari et ayant subi plusieurs
condamnations correctionnelles pour divers délits. Cette femme, sortie
récemment de la prison du Sénéchal, aurait disparu. Mais le résultat de l’autopsie,
pratiquée hier, par MM. Les docteurs Estevenet et Delaye neveu, devant MM. Le
Juge d’instruction et M. le Procureur impérial, aurait fait naître des doutes
sur cette identité.
On comprend, du reste, notre
réserve en présence de l’épouvantable évènement qui a terminé la vie de la
victime, en présence aussi de l’action de la justice qui poursuit, avec un zèle
incessant, ses recherches et ses informations. Nous ne pouvons non plus rendre
compte des bruits que la crédulité publique met en circulation depuis deux
jours.
Journal
de Toulouse – N° 13 – Samedi 13 janvier 1866.
L’information du crime mystérieux
dont nous vous avons parlé hier et avant-hier .....
La femme D.... qu’on avait cru
reconnaitre dans la victime, était sortie de prison samedi dernier. Depuis
mardi, on avait perdu ses traces. Cette disparition fortifiait les conjectures
faites sur l’identité de la personne.
Une fille, camarade de prison de la
femme D...., affirmait même reconnaitre les attaches du tablier de la
victime ; elle aurait donné à la femme D... ces attaches, qui présentaient
des caractères particuliers.
Plusieurs personnes ont été
entendues par les magistrats pour fournir des renseignements
.....
P.S. les doutes qu’avaient fait
naître les résultats de l’autopsie et que nous avons mentionnés dans notre
dernier article ; se sont complètement réalisés. Hier, la femme D... a été
retrouvée en parfait état de santé. Cette découverte vient détruire toutes les
suppositions qu’on avait pu faire et laisse la personnalité de la victime dans
un mystère qu’on avait cru éclairci.
Nous sommes priés d’annoncer qu’à
partir d’aujourd’hui, midi, les vêtements et la crinoline de la victime seront
exposés à la morgue.
Les personnes qui auraient des
renseignements sérieux à fournir sur la disparition de quelque femme, depuis la
soirée de mardi, sont priées de les donner au commissariat de police de leur
quartier.
Journal
de Toulouse – N° 17 – 17 janvier 1866.
L’identité de la victime de
l’assassinat qui est venu consterner la population toulousaine paraissant bien
constatée, nous croyons pouvoir revenir, avec plus de précisions sur ce triste
évènement.
Ainsi qu’on le sait déjà, mercredi
10 janvier, un cadavre, enveloppé d’une jupe, fut trouvé sur les joncs bordant
le canal du Midi, à peu de distance du pont des Minimes, presqu’en face d’un
chemin venant du boulevard Lascroses. Ce cadavre, dont la tête avait été
détachée et qui n’a pas encore été retrouvée, était celui d’une femme
paraissant âgée d’une trentaine d’années.
..................... (reprise en
résumé des articles précédents)..................
L’autorité judiciaire ayant ordonné
l’exposition des vêtements, cette mesure parait avoir produit le résultat qu’on
attendait. La chemise et la crinoline ont été reconnues comme ayant appartenu à
la fille Marie G....., née à Revel, qui gérait la buvette lyonnaise, rue des
Salenques, 2, et dont l’absence, remarquée par des voisins, coïncide avec la
date du crime.
A la suite de cette constatation,
X......, propriétaire de la buvette, a été mis lundi soir, en état
d’arrestation. Des recherches minutieuses, dont le résultat est ignoré, ont été
faites dans les dépendances de cette buvette et dans un établissement de même
genre, tenu par le sieur X..., rue Dalmatie, près de l’école vétérinaire.....
Enregistrement
du décès du cadavre découvert - Registres d’Etat Civil - janvier 1866 –
Toulouse.
Du treizième jour du mois de
janvier l’an mil huit cent soixante six à quatre heures du soir. Décès d’une
femme inconnue trouvée morte le dix du courant à sept heures du matin sur le
bord du canal du midi au dessous du moulin des minimes sans autres
renseignements ainsi qu’il résulte du procès verbal de Mr le commissaire de
police du 3e arrondissement de cette ville en date du dix courant.
Temoins : domiciliés à toulouse, jean Aussel agent de police âge de trente
cinq ans place de la Daurade 13 qui a signé et Bernard Baysse maçon âgé de
soixante cinq ans rue du faubourg arnaud Bernard 31 qui requis de signer a dit
ne savoir......
Le
corps était affreusement mutilé et malgré certaines informations, la tête de la
jeune femme ne fut jamais retrouvée.
Journal
de Toulouse – N° 18 – 18 janvier 1866.
Nous avons dit hier que l’auteur
présumé du crime du 10 janvier avait été arrêté ; c’est lundi soir que
cette arrestation a été opérée. Le sieur Aspe, propriétaire de la buvette
Lyonnaise, fut amené à la Permanence, au Capitole, où il passa la nuit, gardé à
vue. Le lendemain, il fut conduit devant M. Le Juge d’instruction pour subir un
premier interrogatoire. Cet homme, âgé d’une cinquantaine d’années, tenait dans
la rue Dalmatie, près de l’école vétérinaire, une auberge ; il avait des
porcs qu’il engraissait et qu’il tuait ensuite lui-même.
Aspe avait donné à Marie Guilhomet
la gérance de la buvette Lyonnaise. On dit qu’il avait l’habitude de se rendre
tous les soirs à cette seconde buvette pour régler avec la fille Guilhomet les
comptes de la journée.
Le mercredi matin, 10 janvier, jour
où le cadavre de la femme mutilée fut découvert, ce fut Aspe qui ouvrit la
buvette, Marie ne fut plus aperçue dans cet établissement. Prévenant les
questions qui auraient pu lui être adressées au sujet de cette absence, Aspe
annonçait, même à des personnes à qui il n’avait pas l’habitude de parler,
qu’il avait renvoyé Marie le matin même à six heures. Les voisins ne
s’inquiétèrent pas d’avantage.
.......
L’identité de la victime bien
constatée, les soupçons se portèrent sur Aspe qui fut arrêté. Il a été
interrogé plusieurs fois par M. le Juge d’instruction ; il a été amené
mardi et mercredi pour assister aux perquisitions faites dans la buvette
Lyonnaise et dans celle de la rue de Dalmatie.
Avant-hier on a appris qu’un
boucher avait prêté, le mardi 9, à neuf heures du soir, un couteau à Aspe qui
lui aurait emprunté sous le prétexte de faire son salé. Ce couteau a été
saisi ; on suppose que ce serait celui qui aurait servi à commettre le
crime ; c’est un couperet de 30 centimètre de longueur, manche compris. Le
lendemain du crime, Aspe avait engagé à un bureau correspondant au Mont-de-piété
des hardes appartenant à la fille Marie. On apprenait également qu’un des jours
de la semaine dernière, Aspe avait apporté à une blanchisseuse des draps de lit
qui ayant reçu un premier lavage incomplet portaient encore des traces de sang.
......................
Et
bien sûr, tout et son contraire circulaient au cours des conversations.
On
avait vu. On avait entendu. On avait son idée.
Et
ce Aspe, dont il était question, n’avait-il pas été cuisinier dans l’établissement des frères de
la Doctrine chrétienne, au moment du meurtre de cette pauvre petite Cécile
Combettes ?
Et
la Marie Guilhomet, ne disait-on pas qu’elle était de mœurs légères, avec une
inclinaison prononcée pour la chopine ?
« Elle
vendait ses charmes », disaient quelques commères.
« Elle
était pourtant bien laide », affirmaient quelques autres.
« C’était
assurément un de ses « clients » qui avait fait le coup ! »
Marie
Guilhomet était née à Revel. Son père, charrieur de gravier, était connu sous
le nom de Saint-Simonien.
Aspe
était marié et père de quatre enfants. Sa femme avait été arrêtée également. On
la pensait complice. C’était, bien évidemment elle, qui avait lavé sommairement
les draps qui avaient ensuite été portés chez la blanchisseuse. Faute de
preuves, elle avait été libérée. Par contre, suites aux perquisitions, des
traces de sang avaient été découvertes sur les vêtements de son mari, ainsi que
dans son logis.
Les
preuves s’accumulaient et les dépositions de nombreux témoins étaient consignées.
-=-=-=-=-=-=-=-
Je
vous propose, à présent, d’assister au procès de Joseph Aspe.
Le
procès débuta le 16 mai 1866 et se déroula à la cour d’assises de la
Haute-Garonne, sous la présidence de M. le Conseiller Villeneuve.
Ce
jour-là, une foule immense commença à se grouper aux abords du palais de
justice à partir de trois heures du matin, ce qui obligea les forces de l’ordre
à faire évacuer la place du Palais, vers six heures, afin de faciliter l’accès
aux autorités judiciaires.
L’audience
débuta à dix heures précises.
Tous
les regards se tournèrent vers Aspe à son entrée dans le box des accusés.
Placide, le teint pâle, les cheveux grisonnants, il parait incapable d’avoir eu
la force d’effectuer le crime dont on l’accusait.
Léo
Dupré, occupait le siège du ministère public.
Maitre
Manau était chargé de la défense de l’inculpé.
Après
lecture de l’acte d’accusation, au cours de laquelle furent précisés tous les
détails de l’enquête depuis la découverte du corps de la jeune femme, il fut
question de la vie antérieure de l’inculpé et de sa personnalité.
En
effet, il avait été :
· Chassé
de l’institut des frères de la Doctrine chrétienne dont il avait été l’un des
membres pendant dix années, en qualité de frère-cuisinier.
· Pensionnaire,
en 1848 dans un couvent de Trappistes dans lequel un de ses parents était
supérieur. Il n’y était pas resté longtemps, car dès son arrivée il chercha à
séduire une jeune fille de douze ans, essayant de l’attirer dans un bois, puis
dans la chapelle. La jeune fille résista, alors il l’a poursuivie avec rage.
Rencontrant la sœur de la pauvre jeune fille, ce fut à elle qu’il s’en prit,
lui jetant une pierre à la tête. Elle fut sévèrement blessée et ne dut son
salut qu’à l’arrivée de son frère. Quinze jours de prison !
· Chassé
de l’hôpital de Dôle dans lequel il avait exercé en qualité d’infirmier.
(Aucune précision sur les raisons de ce renvoi).
· Condamné
deux fois pour coups, et pour vol, notamment à un de ses colocataires auquel
il déroba la somme de deux cent cinquante francs.
Il
était reconnu par tous comme quelqu’un de « dangereux,
irascible, vindicatif et d'une nature essentiellement perverse ».
Son
épouse disait de lui :
« Quand
on lui fait quelque chose, il faut qu'il se venge. »
Puis,
elle avait confié à un proche, lors de l’arrestation de son époux :
«
S'il est l'auteur du crime, ses mauvaises affaires en sont la cause. »
En
effet, il avait été reconnu que Joseph Aspe rencontrait, depuis décembre 1865,
quelques problèmes financiers. Les créanciers se bousculaient à sa porte. Aux
aboies, il essayait de trouver des fonds pour faire face au coup à coup, payant
les échéances les plus proches, faisant trainer le paiement des autres. Ce fut
ainsi qu’il avait été obligé d’emprunter vingt-deux francs à Marie Guilhomet à
qui, également, il devait un arriéré de gages.
Son
souhait était de fermer la buvette de la rue des Salenques ou, éventuellement, de
la sous-louer.
Marie
Guilhomet ne voulait pas partir avant que son patron ne lui ait remboursé ce
qu’il lui devait.
Suite
à cet exposé, il fut procédé à l’audition des témoins. Pas moins de cent
quatre.
Concernant la
découverte du cadavre :
M.
Fayet, commissaire de police.
« Le 10 janvier, à sept heures
du matin, je fus averti par un manouvrier qu'un cadavre venait d'être découvert
sur les bords du canal; on a cru d’abord que la victime pouvait être la fille Duffaut. Je fus averti qu'un certain
Aspe avait été troublé lorsqu'on lui avait demandé des renseignements sur une
servante qu'il avait renvoyée le 10, à huit heures du matin, parce qu'il n'en
était pas content. Après on s’est livré à des perquisitions qui sont constatées
dans l'acte d'accusation et qui amènent au résultat que l'on connaît. »
Pierre
Gasc, travailleur de terre.
« J’ai aperçu à sept heures du
matin, dans les joncs du canal, un paquet. J’ai pris le paquet pour du linge.
Ayant jeté une pierre dessus, du sang en a jailli. J’ai couru prévenir les
camarades. Le paquet se trouvait à un mètre du bord près des joncs. Avec une
gaffe, on l’a tiré. En déchirant l’enveloppe, je vis des pieds. Dans le paquet,
on a trouvé un cadavre de femme sans tête. On a prévenu la police.»
Jean
Feilleu.
« J’ai aidé à transporter le
cadavre à la morgue ».
Jacques
Panassier, maréchal-des-logis de gendarmerie.
Il
donna, lui, l’itinéraire qu’avait pris l’assassin en transportant le corps. Il
avait reconstitué ce trajet, en suivant les traces de sang.
Au
cours de l’enquête, il fut relevé « des
traces de sang et les empruntes des roues du chariot tout au long du chemin
allant de la rue des Salenques, traversant le boulevard Lascrosses, entrant
dans la rue du Canon d'Arcole et parcourant la rue des Près. »
M.
Estevenet, docteur médecin.
« J’ai été chargé le 12
janvier, d'étudier la section de la tête et la manière dont elle a pu être
pratiquée. Je peux affirmer que la tête a été désarticulée. »
Antoine
Barrau, Clairon à la 8ème section.
« Avec Marie Guilhomet,
c’était comme si on était en ménage. J’étais puni militairement. Marie vint me
voir le 8 janvier à onze heures du matin dans la caserne. Elle m’a apporté des
oranges. Elle revint le lendemain. Le 10
janvier, je ne l’ai pas vue. Libéré dans l’après-midi, je suis allé voir
Aspe qui m’a dit qu’il l’avait renvoyée. Je lui ai alors parlé du cadavre trouvé sur les bords de la Garonne, et lui ai
demandé si il était au courant. Il me répondit que non. Marie m’avait dit avoir
de l’argent, mille huit cents ou deux mille francs et une chambre garnie pour
se marier. Mais je n’en sais pas plus, sauf qu’elle avait prêté de l’argent à
l’accusé. »
Louise
Lauzin, veuve Bordes, ménagère, rue de Salengres.
« Marie Guilhomet est venue
chez moi pour acheter des sarments. Elle paraissait fort en colère. Son maître
avait envoyé une fille de service pour la remplacer dans la buvette. Elle m’a
dit qu’elle avait prêté de l’argent à Aspe pour payer le loyer. Mais elle ne
m’a pas dit le montant de la somme. »
Marie
Bessière, épouse Casimir, ménagère.
« J’ai vu Marie Guillomet le
jour des rois. Je lui ai dit : « Vous êtes à une misérable
place : » Elle m’a répondu : « je ne puis en sortir,
Aspe me doit, dès qu’il aura payé, je m’en vais. »
Ce
fut la femme Cugulière qui avait reconnu la victime à la morgue.
Elle
avait reconnu les vêtements exposés et dans lesquels avait été retrouvé le
corps.
Elle
dit également que Marie avait une cicatrice sur la partie postérieure de la
cuisse et un signe particulier sur un des seins. Elle avait également une
petite tache sur le front.
Un
petit signe particulier sur le front ?
Etait-ce
pour cette raison que la tête de la malheureuse avait été sectionnée ?
Cette
tête que jamais personne ne retrouva !
Concernant l’emploi du
temps de Joseph Aspe cette nuit-là :
Sieur
Morère – employé de l’octroi de la barrière de l’école vétérinaire.
« A deux heures du matin j’ai
vu un homme correspondant à Aspe, vêtu d’un burnous dont le capuchon était
rabattu sur la figure. Il poussait un petit chariot à bras sur lequel un chaudron.
Il venait de la direction de la rue de Dalmatie. J’ai reconnu le chariot de
Aspe. »
Caporal
Bertrand Viguier.
« Je rentrais à la caserne des
Salenques, il pouvait être trois heures.
J’ai remarqué le chariot devant la porte de la buvette. Je savais que le cabaretier
faisait de la contrebande. Cela m’a point étonné, surtout que la nuit était
bien noire. »
Le
sieur Bigou.
« Je suis venu à la buvette à
10 heures du matin. J’ai remarqué que le sol avait été récemment lavé. Et
puis, le Joseph, il paraissait pas très bien.»
Jean
Manaud.
« J’ai été étonné que Aspe me
rembourse les quinze francs que je lui avais prêté. La vieille, il était aux
abois et disait ne plus avoir d’argent. »
Il
était bien connu de chacun que Marie Guilhomet avait quelques économies !
Thérèse
Surville, domestique chez Caffort.
J’ai vu l’accusé mercredi dans la
rue des Lois. Il était dix heures et demie. Je lui ai
dit : « Vous portez du vin de bon matin ». Il m’a répondu
qu’il avait mis la fille dehors parce qu’il l’avait vu avec un artilleur. Il
ajouta « Elle m’a laissé sa malle ».
Thérèse
Surville connaissait bien Joseph Aspe car elle l’avait vu chez son maître
lorsqu’il voulait louer la buvette rue des Bœufs, juste avant qu’il ne loue
celle de la rue des Salenques.
« Il m’a même, reprit Thérèse,
dit vouloir me prendre à son service. A une heure et demie, je l’ai revu, rue
du Musée. Il portait du linge sur sa petite voiture. Il allait, m’a-t-il dit,
laver ce linge à la Garonne. »
Pierre
Pascou, commissaire de police du Premier arrondissement.
Le 28 janvier, j’ai fait une visite
au Mont-de-Piété, rue Romiguiere, pour saisir les objets déposés par l’accusé.
Je les saisis. La directrice me montra dix-sept objets : mouchoirs,
chemises, robes..... Ces objets avaient été engagés pour douze francs. Le même
jour, l’accusé avait engagé un chaudron, des serviettes, chemises, bijoux au
Prêt-Gratuit, pour une somme de soixante-quinze francs.
Mathilde
Beauville, directrice du Mont-de-Piété à Toulouse.
« Le 12 janvier, de huit
heures et demie à neuf heures du soir, l’accusé est venu porter divers effets
sur les dépôts desquels il demanda une somme de quarante francs. Il était
pressé et n’avait pas le temps d’attendre le lendemain. Je me décidai à lui
remettre une somme de douze francs. Les objets présentés n’avaient aucune
valeur. Le lendemain, il est revenu les chercher disant qu’il avait l’argent
nécessaire. Quand je lui ai dit que je
ne les avais plus, ayant été envoyés à Bordeaux. A ma réponse, il avait été
très préoccupé, anxieux même. »
Cécile
Porchet, épouse Cazassus.
« Je fais depuis huit ans le
ménage Molein. J’ai voulu entrer le 10
dans la buvette, elle était fermée. Quand j’y revins, j’y trouvai la petite
Aspe. Je lui demandai « Où est la fille ? ». « Je ne sais
pas » qu’elle a répondu. Quand je revins une heure après, je vis Aspe assis.
Il me dit qu’il l’avait renvoyée parce qu’il l’avait trouvée couchée avec un
homme. Trois jours avant sa mort, Marie m’avait avoué que Aspe lui avait fait
grand tapage et lui avait donné un soufflet parce qu’elle avait payé le loyer
de Molein. »
Concernant la victime
Henri
Sesquière, soixante trois ans, régisseur.
« Vers la fin novembre, Aspe
me vendit un cochon. Plus tard, j’en achetai un autre sur la proposition de sa
fille de service, Marie Guilhomet, et le mardi 9 janvier, Aspe vint me demander
d’abord de lui prêter deux cents francs, puis seulement cent francs, disant
qu’il avait pour garantie huit cents francs de vin dans son chai. Il me parla
de sa servante qu’il flattait beaucoup, disant : « C’est un bon
service ; vous pouvez lui remettre de l’argent pour moi. »
On
ne congédie pas une bonne servante !
Louis
Talmie, cinquante ans, limonadier.
« A la fin décembre, passant
chez Aspe, pour lui réclamer le paiement de fournitures de boissons, je vis
Marie Guilhomet tout en larmes. Je lui ai demandé ce qu’elle avait. Elle m’a
répondu : « Mon maitre est un ingrat. Je lui ai prêté deux cents
francs et il veut me renvoyer. Elle m’avait plus rien sauf une pièce de vingt
francs, une de dix francs et de la menue monnaie. Environ quarante francs qu’elle
me montra. »
Concernant les
créanciers
Sieur
Dirat, cordonnier.
« Je suis allé voir l’accusé
pour lui demander le paiement de souliers. Il me devait onze francs. Il m’a
fait entrer et m’a menacé d’un couteau. « Entre, qu’il a dit, je vais
te faire ton compte !»
Jean
Manaud, marchand de grilles à Prat (Ariège).
« Le 26 novembre, j’ai loué
une chambre chez Aspe à huit francs par mois. J’ai remis cinq francs à la femme Aspe. Quelques
jours après, Aspe m’a demandé cinquante
francs ; comme je ne le connaissais pas, je refusai. Réflexion faite, je
lui prêtai vingt francs, disant que j’en avais besoin pour rentrer chez moi au
début de l’année. Le 10 janvier, Aspe m’a remboursé avec des petites pièces.
Maintenant, je me souviens qu’il n’avait pas l’air très bien en comptant
l’argent. »
Henri
Trottier, agent d’affaires place du Capitole.
Le 25 Décembre, l’accusé est venu
me parler d’un projet de sous-location de la buvette des Salengres et des
difficultés qu’il éprouvait à ce sujet. Il me demanda de lui prêter cent
cinquante francs pour payer un effet à échéance du 10 janvier. Le 9 janvier, il
revint très anxieux pour l’échéance du lendemain due à un marchand de vin.
Encore le lendemain, lorsqu’il vint, il n’avait besoin que de cinquante francs.
Je ne pus lui prêter. Il semblait souffrant, je lui dis : « ça ne va
pas ? ». Il me répondit : « J’ai pris froid hier
soir. »
Esther
Hamard, épouse Trottier.
« Aspe est venu plusieurs fois
chez mon mari pour trouver à sous-louer sa buvette. Il demanda un prêt
d’argent. Le 9 janvier, il est venu trois fois. La dernière fois à huit heures
et demie du soir. Le 10 janvier à dix heures, il est encore revenu. Il avait la
voix étranglée et disait avoir pris froid. »
Eugène
Reymis, brasseur, trente-trois ans.
« Je fournissais de la bière à
l’accusé et je lui demandai de me payer le 15 décembre. « Je vous donnerai
bientôt de l’argent », me dit-il, mais le 2 ou 3 janvier, au lieu de me
payer, il vint m’emprunter cinquante francs. Je lui dis : « Payez-moi
d’abord les soixante-quinze francs que vous me devez ». le jour du crime,
mon commis Calestroupat me dit que la fille de service avait été renvoyée par
Aspe et était partie avec ses effets et ses meubles.
Marie
Bonnet, épouse Berdon, bouchère.
« L’accusé me doit sept kilos
de viande que je lui ai vendu le 10 septembre, époque des Orphéons et qu’il ne
m’a pas encore payés. Dans le mois de décembre, il me demanda de lui prêté ou
de lui faire prêter deux cents francs. »
Céleste,
épouse Thau, couturière.
« Je travaille habituellement
chez Aspe. Sa femme étant dans la gène, je lui prêtai vingt-quatre francs
qu’elle me rendit après la vente de ses cochons, et depuis l’arrestation de
l’accusé. Un soir, je consentis à ce qu’elle mit chez moi une malle contenant
du linge et que j’ai su plus tard qu’on disait avoir été volé. »
Marie
Wagner, veuve Vidal, charcutière.
« Le 1er janvier,
j’ai vu passer l’accusé qui m’a acheté du boudin et de la saucisse pour
lesquels il me reste devoir quatre-vingt-dix centimes. »
Et
puis, encore et toujours...... je vous avais dit qu’il y avait eu plus de cent
témoins interrogés. Un procès attirait du monde, il fallait « faire durer
le plaisir », il fallait « faire frémir les spectateurs ».
Paul
Anouilh, élève à l’école vétérinaire.
« Le 28 décembre sur la
demande de l’accusé, j’ai donné mes soins à un cochon sur la tête duquel j’ai constaté
plusieurs blessures. L’accusé me dit qu’il l’avait frappé de plusieurs coups
sur la tête. »
Aspe
se leva alors et nia fortement : « C’est sur le pied que je lui ai dit que je l’avais frappé. Il voulait
sortir. »
Jeanne
Espiau, épouse Chambert, à
Saint-Sulpice-de-la-Pointe, rendit compte d’un vol qui eut
lieu chez elle lorsqu’elle était aubergiste à Toulouse, il y a six ans, et de
la reconnaissance qu’elle aurait faite chez Aspe des objets volés.
Vincent
Navas, tisserand.
Il
justifia la reconnaissance faite par la femme Espiau de plusieurs objets
trouvés chez Aspe
Félix
Boulanger, menuisier.
« Aspe
a voulu m’emprunter cent cinquante francs. J’ai refusé. »
Le
témoin avait ajouté que l’accusé, qu’il connaissait bien, était âpre au
gain et qu’il avait souvent des discussions avec ses pensionnaires.
Armand
Bon, ancien gendarme, rue Ville-Nouvelle.
« En quittant le logement
qu’il occupait chez moi, Aspe a emporté les volets et une caisse. Je lui ai
réclamé ce dernier objet pour lequel il m’a donné un franc. A l’occasion de
cette réclamation, Aspe a exercé des violences sur mon enfant. »
Louise
Lartigue, épouse Barat, changeuse de monnaie.
« Je logeais dans la même
maison que Aspe, dit le frère. Il me dit que si par malheur je déclarais qu’il
avait pris les volets, il se laverait les mains dans mon sang. Cela me troubla
beaucoup. »
L.
Piquemal, dit Marcou.
Aspe me devait soixante quinze
francs. La femme m’a payé en partie, en me donnant deux chaises-longues. Elle dit :
« Quand mon mari sortira, il vous soldera. »
Jean
Picard, employé chez Olivié, confiseur.
Ce
témoin rend compte d’un vol d’une bouteille de liqueur qui aurait été
soustraite par Aspe, il y a cinq ans.
Attention,
là, il y a un « conditionnel », ce qui veut dire que certains témoins
avaient profité de l’occasion pour en « ajouter une louche ». Mais,
ne dit-on pas qu’il n’y a pas de « fumée sans feu » !
Alexandre
Série, chef de cuisine, chez Dardignac
« Aspe est resté quinze jours
dans cet établissement d’où il a été renvoyé pour infidélité. »
Cela
veut dire ? Pas d’autres précisions !
La
femme Marguerite Delpeux, épouse Doumergue.
« Elle
a été locataire d’Aspe qui lui aurait fait des propositions déshonnêtes. »
Encore
un conditionnel ! Mais, il était connu que Aspe était très « porté
sur les jupons » !
Le
père de la victime fut entendu également, à titre de renseignements,
uniquement.
Antoine
Guilhomet, roulier à Revel, âgé de soixante-douze ans.
« Ma fille faisait chez moi le
commerce des châtaignes. Quand elle revint à Toulouse, je lui rendis cinquante
francs qu’elle m’avait prêtés. Elle me dit : « J’ai quelques sous
placés à Toulouse ». Elle avait vingt francs à son départ, ce qui lui
faisait soixante-dix francs. Elle avait aussi des chemises, des robes, des
jupes. Elle est venue ici en novembre dernier. »
Marie
Guilhomet était donc l’employée de service du sieur Aspe depuis un mois et demi
lorsqu’elle fut assassinée.
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