mercredi 10 mai 2017

L'AFFAIRE LEOTADE - Deuxième partie

Deuxième partie

Janvier 1866.
La ville de Toulouse était en émoi.
Laissons au « Journal de Toulouse » le soin de nous en apprendre les raisons.


Journal de Toulouse – N° 11 – Jeudi 11 janvier 1866.

Notre ville a été dans la journée d’hier vivement impressionnée par l’annonce d’un crime abominable. Le mystère même qui entoure ce crime contribue à accroitre l’horreur qu’il inspire.
Hier matin, on a découvert, sur les bords du canal de Midi, au bas de l’écluse des Minimes, un cadavre. Ce cadavre ne paraissait être qu’une masse informe ; les articulations des jambes avaient été rompues de façon à faire replier les membres sous le tronc. Enfin la tête avait été coupée ! La section présentait une netteté qui accusait l’emploi d’un instrument très affilé et d’une main très sûre.
La justice a été immédiatement appelée, M. le Procureur impérial et M. le Juge d’instruction se sont transportés sur les lieux et ont recueilli les premières informations.
Le cadavre, retiré de l’eau et aussi horriblement mutilé, était celui d’une femme âgée d’environ trente ans. Il était enveloppé dans la chemise et le jupon de la victime.
Le corps a été transporté à la morgue où une foule très nombreuse est allée le visiter.
Malgré les recherches les plus actives, on n’avait pas retrouvé, hier au soir, la tête de la malheureuse femme dont l’identité n’a pu être constatée.
On pense que le crime a dû être commis dans la nuit de mardi à mercredi. L’obscurité de cette nuit, l’ouragan qui n’a cessé de régner, enfin l’état presque désert des bords du canal, n’ont dû que trop favoriser la perpétration de cet odieux forfait.


Journal de Toulouse – N° 12 – Vendredi 12 janvier 1866.

Le crime horrible dont nous avons entretenu hier nos lecteurs, n’a cessé de préoccuper l’attention publique. Comme on le pense bien, les conjectures les plus variés, les plus étranges, se sont produites sur les détails de ce meurtre. Une foule énorme est allée visiter le bord du canal où le cadavre a été découvert et dont l’herbe porte quelques traces de sang.
On n’a pu encore parvenir à retrouver la tête de la victime, malgré les investigations les plus actives.
On a pu reconnaitre, dans le corps celui d’une femme D..., vivant séparée de son mari et ayant subi plusieurs condamnations correctionnelles pour divers délits. Cette femme, sortie récemment de la prison du Sénéchal, aurait disparu. Mais le résultat de l’autopsie, pratiquée hier, par MM. Les docteurs Estevenet et Delaye neveu, devant MM. Le Juge d’instruction et M. le Procureur impérial, aurait fait naître des doutes sur cette identité.
On comprend, du reste, notre réserve en présence de l’épouvantable évènement qui a terminé la vie de la victime, en présence aussi de l’action de la justice qui poursuit, avec un zèle incessant, ses recherches et ses informations. Nous ne pouvons non plus rendre compte des bruits que la crédulité publique met en circulation depuis deux jours.


Journal de Toulouse – N° 13 – Samedi 13 janvier 1866.

L’information du crime mystérieux dont nous vous avons parlé hier et avant-hier .....
La femme D.... qu’on avait cru reconnaitre dans la victime, était sortie de prison samedi dernier. Depuis mardi, on avait perdu ses traces. Cette disparition fortifiait les conjectures faites sur l’identité de la personne.
Une fille, camarade de prison de la femme D...., affirmait même reconnaitre les attaches du tablier de la victime ; elle aurait donné à la femme D... ces attaches, qui présentaient des caractères particuliers.
Plusieurs personnes ont été entendues par les magistrats pour fournir des renseignements
.....
P.S. les doutes qu’avaient fait naître les résultats de l’autopsie et que nous avons mentionnés dans notre dernier article ; se sont complètement réalisés. Hier, la femme D... a été retrouvée en parfait état de santé. Cette découverte vient détruire toutes les suppositions qu’on avait pu faire et laisse la personnalité de la victime dans un  mystère qu’on avait cru éclairci.
Nous sommes priés d’annoncer qu’à partir d’aujourd’hui, midi, les vêtements et la crinoline de la victime seront exposés à la morgue.
Les personnes qui auraient des renseignements sérieux à fournir sur la disparition de quelque femme, depuis la soirée de mardi, sont priées de les donner au commissariat de police de leur quartier.


Journal de Toulouse – N° 17 – 17 janvier 1866.

L’identité de la victime de l’assassinat qui est venu consterner la population toulousaine paraissant bien constatée, nous croyons pouvoir revenir, avec plus de précisions sur ce triste évènement.
Ainsi qu’on le sait déjà, mercredi 10 janvier, un cadavre, enveloppé d’une jupe, fut trouvé sur les joncs bordant le canal du Midi, à peu de distance du pont des Minimes, presqu’en face d’un chemin venant du boulevard Lascroses. Ce cadavre, dont la tête avait été détachée et qui n’a pas encore été retrouvée, était celui d’une femme paraissant âgée d’une trentaine d’années.
..................... (reprise en résumé des articles précédents)..................
L’autorité judiciaire ayant ordonné l’exposition des vêtements, cette mesure parait avoir produit le résultat qu’on attendait. La chemise et la crinoline ont été reconnues comme ayant appartenu à la fille Marie G....., née à Revel, qui gérait la buvette lyonnaise, rue des Salenques, 2, et dont l’absence, remarquée par des voisins, coïncide avec la date du crime.
A la suite de cette constatation, X......, propriétaire de la buvette, a été mis lundi soir, en état d’arrestation. Des recherches minutieuses, dont le résultat est ignoré, ont été faites dans les dépendances de cette buvette et dans un établissement de même genre, tenu par le sieur X..., rue Dalmatie, près de l’école vétérinaire.....

Enregistrement du décès du cadavre découvert - Registres d’Etat Civil - janvier 1866 – Toulouse.
Du treizième jour du mois de janvier l’an mil huit cent soixante six à quatre heures du soir. Décès d’une femme inconnue trouvée morte le dix du courant à sept heures du matin sur le bord du canal du midi au dessous du moulin des minimes sans autres renseignements ainsi qu’il résulte du procès verbal de Mr le commissaire de police du 3e arrondissement de cette ville en date du dix courant. Temoins : domiciliés à toulouse, jean Aussel agent de police âge de trente cinq ans place de la Daurade 13 qui a signé et Bernard Baysse maçon âgé de soixante cinq ans rue du faubourg arnaud Bernard 31 qui requis de signer a dit ne savoir......

Le corps était affreusement mutilé et malgré certaines informations, la tête de la jeune femme ne fut jamais retrouvée.


Journal de Toulouse – N° 18 – 18 janvier 1866.

Nous avons dit hier que l’auteur présumé du crime du 10 janvier avait été arrêté ; c’est lundi soir que cette arrestation a été opérée. Le sieur Aspe, propriétaire de la buvette Lyonnaise, fut amené à la Permanence, au Capitole, où il passa la nuit, gardé à vue. Le lendemain, il fut conduit devant M. Le Juge d’instruction pour subir un premier interrogatoire. Cet homme, âgé d’une cinquantaine d’années, tenait dans la rue Dalmatie, près de l’école vétérinaire, une auberge ; il avait des porcs qu’il engraissait et qu’il tuait ensuite lui-même.
Aspe avait donné à Marie Guilhomet la gérance de la buvette Lyonnaise. On dit qu’il avait l’habitude de se rendre tous les soirs à cette seconde buvette pour régler avec la fille Guilhomet les comptes de la journée.
Le mercredi matin, 10 janvier, jour où le cadavre de la femme mutilée fut découvert, ce fut Aspe qui ouvrit la buvette, Marie ne fut plus aperçue dans cet établissement. Prévenant les questions qui auraient pu lui être adressées au sujet de cette absence, Aspe annonçait, même à des personnes à qui il n’avait pas l’habitude de parler, qu’il avait renvoyé Marie le matin même à six heures. Les voisins ne s’inquiétèrent pas d’avantage.
.......
L’identité de la victime bien constatée, les soupçons se portèrent sur Aspe qui fut arrêté. Il a été interrogé plusieurs fois par M. le Juge d’instruction ; il a été amené mardi et mercredi pour assister aux perquisitions faites dans la buvette Lyonnaise et dans celle de la rue de Dalmatie.
Avant-hier on a appris qu’un boucher avait prêté, le mardi 9, à neuf heures du soir, un couteau à Aspe qui lui aurait emprunté sous le prétexte de faire son salé. Ce couteau a été saisi ; on suppose que ce serait celui qui aurait servi à commettre le crime ; c’est un couperet de 30 centimètre de longueur, manche compris. Le lendemain du crime, Aspe avait engagé à un bureau correspondant au Mont-de-piété des hardes appartenant à la fille Marie. On apprenait également qu’un des jours de la semaine dernière, Aspe avait apporté à une blanchisseuse des draps de lit qui ayant reçu un premier lavage incomplet portaient encore des traces de sang.
......................

Et bien sûr, tout et son contraire circulaient au cours des conversations.
On avait vu. On avait entendu. On avait son idée.

Et ce Aspe, dont il était question, n’avait-il pas été  cuisinier dans l’établissement des frères de la Doctrine chrétienne, au moment du meurtre de cette pauvre petite Cécile Combettes ?

Et la Marie Guilhomet, ne disait-on pas qu’elle était de mœurs légères, avec une inclinaison prononcée pour la chopine ?
« Elle vendait ses charmes », disaient quelques commères.
« Elle était pourtant bien laide », affirmaient quelques autres.
« C’était assurément un de ses « clients » qui avait fait le coup ! »

Marie Guilhomet était née à Revel. Son père, charrieur de gravier, était connu sous le nom de Saint-Simonien.

Aspe était marié et père de quatre enfants. Sa femme avait été arrêtée également. On la pensait complice. C’était, bien évidemment elle, qui avait lavé sommairement les draps qui avaient ensuite été portés chez la blanchisseuse. Faute de preuves, elle avait été libérée. Par contre, suites aux perquisitions, des traces de sang avaient été découvertes sur les vêtements de son mari, ainsi que dans son logis.

Les preuves s’accumulaient et les dépositions de nombreux témoins étaient consignées.

-=-=-=-=-=-=-=-

Je vous propose, à présent, d’assister au procès de Joseph Aspe.

Le procès débuta le 16 mai 1866 et se déroula à la cour d’assises de la Haute-Garonne, sous la présidence de M. le Conseiller Villeneuve.
Ce jour-là, une foule immense commença à se grouper aux abords du palais de justice à partir de trois heures du matin, ce qui obligea les forces de l’ordre à faire évacuer la place du Palais, vers six heures, afin de faciliter l’accès aux autorités judiciaires.
L’audience débuta à dix heures précises.
Tous les regards se tournèrent vers Aspe à son entrée dans le box des accusés. Placide, le teint pâle, les cheveux grisonnants, il parait incapable d’avoir eu la force d’effectuer le crime dont on l’accusait.
Léo Dupré, occupait le siège du ministère public.
Maitre Manau était chargé de la défense de l’inculpé.

Après lecture de l’acte d’accusation, au cours de laquelle furent précisés tous les détails de l’enquête depuis la découverte du corps de la jeune femme, il fut question de la vie antérieure de l’inculpé  et de sa personnalité.
En effet, il avait été :
·      Chassé de l’institut des frères de la Doctrine chrétienne dont il avait été l’un des membres pendant dix années, en qualité de frère-cuisinier.
·      Pensionnaire, en 1848 dans un couvent de Trappistes dans lequel un de ses parents était supérieur. Il n’y était pas resté longtemps, car dès son arrivée il chercha à séduire une jeune fille de douze ans, essayant de l’attirer dans un bois, puis dans la chapelle. La jeune fille résista, alors il l’a poursuivie avec rage. Rencontrant la sœur de la pauvre jeune fille, ce fut à elle qu’il s’en prit, lui jetant une pierre à la tête. Elle fut sévèrement blessée et ne dut son salut qu’à l’arrivée de son frère. Quinze jours de prison !
·      Chassé de l’hôpital de Dôle dans lequel il avait exercé en qualité d’infirmier. (Aucune précision sur les raisons de ce renvoi).
·      Condamné deux fois pour coups, et pour vol, notamment à un de ses colocataires auquel il déroba la somme de deux cent cinquante francs.
Il était reconnu par tous comme quelqu’un de  « dangereux, irascible, vindicatif et d'une nature essentiellement perverse ».
Son épouse disait de lui :
« Quand on lui fait quelque chose, il faut qu'il se venge. »
Puis, elle avait confié à un proche, lors de l’arrestation de son époux :  
« S'il est l'auteur du crime, ses mauvaises affaires en sont la cause. »

En effet, il avait été reconnu que Joseph Aspe rencontrait, depuis décembre 1865, quelques problèmes financiers. Les créanciers se bousculaient à sa porte. Aux aboies, il essayait de trouver des fonds pour faire face au coup à coup, payant les échéances les plus proches, faisant trainer le paiement des autres. Ce fut ainsi qu’il avait été obligé d’emprunter vingt-deux francs à Marie Guilhomet à qui, également, il devait un arriéré de gages.
Son souhait était de fermer la buvette de la rue des Salenques ou, éventuellement, de la sous-louer.
Marie Guilhomet ne voulait pas partir avant que son patron ne lui ait remboursé ce qu’il lui devait.
Suite à cet exposé, il fut procédé à l’audition des témoins. Pas moins de cent quatre.

Concernant la découverte du cadavre :

M. Fayet, commissaire de police.
« Le 10 janvier, à sept heures du matin, je fus averti par un manouvrier qu'un cadavre venait d'être découvert sur les bords du canal; on a cru d’abord que la victime pouvait être  la fille Duffaut. Je fus averti qu'un certain Aspe avait été troublé lorsqu'on lui avait demandé des renseignements sur une servante qu'il avait renvoyée le 10, à huit heures du matin, parce qu'il n'en était pas content. Après on s’est livré à des perquisitions qui sont constatées dans l'acte d'accusation et qui amènent au résultat que l'on connaît. »

Pierre Gasc, travailleur de terre.
« J’ai aperçu à sept heures du matin, dans les joncs du canal, un paquet. J’ai pris le paquet pour du linge. Ayant jeté une pierre dessus, du sang en a jailli. J’ai couru prévenir les camarades. Le paquet se trouvait à un mètre du bord près des joncs. Avec une gaffe, on l’a tiré. En déchirant l’enveloppe, je vis des pieds. Dans le paquet, on a trouvé un cadavre de femme sans tête. On a prévenu la police.»

Jean Feilleu.
« J’ai aidé à transporter le cadavre à la morgue ».

Jacques Panassier, maréchal-des-logis de gendarmerie.
Il donna, lui, l’itinéraire qu’avait pris l’assassin en transportant le corps. Il avait reconstitué ce trajet, en suivant les traces de sang.

Au cours de l’enquête, il fut relevé « des traces de sang et les empruntes des roues du chariot tout au long du chemin allant de la rue des Salenques, traversant le boulevard Lascrosses, entrant dans la rue du Canon d'Arcole et parcourant la rue des Près. »

M. Estevenet, docteur médecin.
« J’ai été chargé le 12 janvier, d'étudier la section de la tête et la manière dont elle a pu être pratiquée. Je peux affirmer que la tête a été désarticulée. »

Antoine Barrau, Clairon à la 8ème section.
« Avec Marie Guilhomet, c’était comme si on était en ménage. J’étais puni militairement. Marie vint me voir le 8 janvier à onze heures du matin dans la caserne. Elle m’a apporté des oranges. Elle revint le lendemain. Le 10  janvier, je ne l’ai pas vue. Libéré dans l’après-midi, je suis allé voir Aspe qui m’a dit qu’il l’avait renvoyée. Je lui ai alors parlé du cadavre  trouvé sur les bords de la Garonne, et lui ai demandé si il était au courant. Il me répondit que non. Marie m’avait dit avoir de l’argent, mille huit cents ou deux mille francs et une chambre garnie pour se marier. Mais je n’en sais pas plus, sauf qu’elle avait prêté de l’argent à l’accusé. »

Louise Lauzin, veuve Bordes, ménagère, rue de Salengres.
« Marie Guilhomet est venue chez moi pour acheter des sarments. Elle paraissait fort en colère. Son maître avait envoyé une fille de service pour la remplacer dans la buvette. Elle m’a dit qu’elle avait prêté de l’argent à Aspe pour payer le loyer. Mais elle ne m’a pas dit le montant de la somme. »

Marie Bessière, épouse Casimir, ménagère.
« J’ai vu Marie Guillomet le jour des rois. Je lui ai dit : « Vous êtes à une misérable place : » Elle m’a répondu :  « je ne puis en sortir, Aspe me doit, dès qu’il aura payé, je m’en vais. »


Ce fut la femme Cugulière qui avait reconnu la victime à la morgue.
Elle avait reconnu les vêtements exposés et dans lesquels avait été retrouvé le corps.
Elle dit également que Marie avait une cicatrice sur la partie postérieure de la cuisse et un signe particulier sur un des seins. Elle avait également une petite tache sur le front.
Un petit signe particulier sur le front ?
Etait-ce pour cette raison que la tête de la malheureuse avait été sectionnée ?
Cette tête que jamais personne ne retrouva !


Concernant l’emploi du temps de Joseph Aspe cette nuit-là :

Sieur Morère – employé de l’octroi de la barrière de l’école vétérinaire.
« A deux heures du matin j’ai vu un homme correspondant à Aspe, vêtu d’un burnous dont le capuchon était rabattu sur la figure. Il poussait un petit chariot à bras sur lequel un chaudron. Il venait de la direction de la rue de Dalmatie. J’ai reconnu le chariot de Aspe. »

Caporal Bertrand Viguier.
« Je rentrais à la caserne des Salenques, il pouvait être  trois heures. J’ai remarqué le chariot devant la porte de la buvette. Je savais que le cabaretier faisait de la contrebande. Cela m’a point étonné, surtout que la nuit était bien noire. »


Le sieur Bigou.
« Je suis venu à la buvette à 10 heures du matin. J’ai remarqué que le sol avait été récemment lavé.  Et puis, le Joseph, il paraissait pas très bien.»

Jean Manaud.
« J’ai été étonné que Aspe me rembourse les quinze francs que je lui avais prêté. La vieille, il était aux abois et disait ne plus avoir d’argent. »
Il était bien connu de chacun que Marie Guilhomet avait quelques économies !

Thérèse Surville, domestique chez Caffort.
J’ai vu l’accusé mercredi dans la rue des Lois. Il était dix heures et demie. Je lui ai dit : « Vous portez du vin de bon matin ». Il m’a répondu qu’il avait mis la fille dehors parce qu’il l’avait vu avec un artilleur. Il ajouta « Elle m’a laissé sa malle ».
Thérèse Surville connaissait bien Joseph Aspe car elle l’avait vu chez son maître lorsqu’il voulait louer la buvette rue des Bœufs, juste avant qu’il ne loue celle de la rue des Salenques.
« Il m’a même, reprit Thérèse, dit vouloir me prendre à son service. A une heure et demie, je l’ai revu, rue du Musée. Il portait du linge sur sa petite voiture. Il allait, m’a-t-il dit, laver ce linge à la Garonne. »

Pierre Pascou, commissaire de police du Premier arrondissement.
Le 28 janvier, j’ai fait une visite au Mont-de-Piété, rue Romiguiere, pour saisir les objets déposés par l’accusé. Je les saisis. La directrice me montra dix-sept objets : mouchoirs, chemises, robes..... Ces objets avaient été engagés pour douze francs. Le même jour, l’accusé avait engagé un chaudron, des serviettes, chemises, bijoux au Prêt-Gratuit, pour une somme de soixante-quinze francs.

Mathilde Beauville, directrice du Mont-de-Piété à Toulouse.
« Le 12 janvier, de huit heures et demie à neuf heures du soir, l’accusé est venu porter divers effets sur les dépôts desquels il demanda une somme de quarante francs. Il était pressé et n’avait pas le temps d’attendre le lendemain. Je me décidai à lui remettre une somme de douze francs. Les objets présentés n’avaient aucune valeur. Le lendemain, il est revenu les chercher disant qu’il avait l’argent nécessaire. Quand je lui ai dit  que je ne les avais plus, ayant été envoyés à Bordeaux. A ma réponse, il avait été très préoccupé, anxieux même. »

Cécile Porchet, épouse Cazassus.
« Je fais depuis huit ans le ménage  Molein. J’ai voulu entrer le 10 dans la buvette, elle était fermée. Quand j’y revins, j’y trouvai la petite Aspe. Je lui demandai « Où est la fille ? ». « Je ne sais pas » qu’elle a répondu. Quand je revins une heure après, je vis Aspe assis. Il me dit qu’il l’avait renvoyée parce qu’il l’avait trouvée couchée avec un homme. Trois jours avant sa mort, Marie m’avait avoué que Aspe lui avait fait grand tapage et lui avait donné un soufflet parce qu’elle avait payé le loyer de Molein. »


Concernant la victime

Henri Sesquière, soixante trois ans, régisseur.
« Vers la fin novembre, Aspe me vendit un cochon. Plus tard, j’en achetai un autre sur la proposition de sa fille de service, Marie Guilhomet, et le mardi 9 janvier, Aspe vint me demander d’abord de lui prêter deux cents francs, puis seulement cent francs, disant qu’il avait pour garantie huit cents francs de vin dans son chai. Il me parla de sa servante qu’il flattait beaucoup, disant : « C’est un bon service ; vous pouvez lui remettre de l’argent pour moi. »
On ne congédie pas une bonne servante !

Louis Talmie, cinquante ans, limonadier.
« A la fin décembre, passant chez Aspe, pour lui réclamer le paiement de fournitures de boissons, je vis Marie Guilhomet tout en larmes. Je lui ai demandé ce qu’elle avait. Elle m’a répondu : « Mon maitre est un ingrat. Je lui ai prêté deux cents francs et il veut me renvoyer. Elle m’avait plus rien sauf une pièce de vingt francs, une de dix francs et de la menue monnaie. Environ quarante francs qu’elle me montra. »


Concernant les créanciers

Sieur Dirat, cordonnier.
« Je suis allé voir l’accusé pour lui demander le paiement de souliers. Il me devait onze francs. Il m’a fait entrer et m’a menacé d’un couteau. « Entre, qu’il a dit, je vais te faire ton compte !»

Jean Manaud, marchand de grilles à Prat (Ariège).
« Le 26 novembre, j’ai loué une chambre chez Aspe à huit francs par mois. J’ai remis  cinq francs à la femme Aspe. Quelques jours  après, Aspe m’a demandé cinquante francs ; comme je ne le connaissais pas, je refusai. Réflexion faite, je lui prêtai vingt francs, disant que j’en avais besoin pour rentrer chez moi au début de l’année. Le 10 janvier, Aspe m’a remboursé avec des petites pièces. Maintenant, je me souviens qu’il n’avait pas l’air très bien en comptant l’argent. »

Henri Trottier, agent d’affaires place du Capitole.
Le 25 Décembre, l’accusé est venu me parler d’un projet de sous-location de la buvette des Salengres et des difficultés qu’il éprouvait à ce sujet. Il me demanda de lui prêter cent cinquante francs pour payer un effet à échéance du 10 janvier. Le 9 janvier, il revint très anxieux pour l’échéance du lendemain due à un marchand de vin. Encore le lendemain, lorsqu’il vint, il n’avait besoin que de cinquante francs. Je ne pus lui prêter. Il semblait souffrant, je lui dis : « ça ne va pas ? ». Il me répondit : « J’ai pris froid hier soir. »

Esther Hamard, épouse Trottier.
« Aspe est venu plusieurs fois chez mon mari pour trouver à sous-louer sa buvette. Il demanda un prêt d’argent. Le 9 janvier, il est venu trois fois. La dernière fois à huit heures et demie du soir. Le 10 janvier à dix heures, il est encore revenu. Il avait la voix étranglée et disait avoir pris froid. »

Eugène Reymis, brasseur, trente-trois ans.
« Je fournissais de la bière à l’accusé et je lui demandai de me payer le 15 décembre. « Je vous donnerai bientôt de l’argent », me dit-il, mais le 2 ou 3 janvier, au lieu de me payer, il vint m’emprunter cinquante francs. Je lui dis : « Payez-moi d’abord les soixante-quinze francs que vous me devez ». le jour du crime, mon commis Calestroupat me dit que la fille de service avait été renvoyée par Aspe et était partie avec ses effets et ses meubles.

Marie Bonnet, épouse Berdon, bouchère.
« L’accusé me doit sept kilos de viande que je lui ai vendu le 10 septembre, époque des Orphéons et qu’il ne m’a pas encore payés. Dans le mois de décembre, il me demanda de lui prêté ou de lui faire prêter deux cents francs. »

Céleste, épouse Thau, couturière.
« Je travaille habituellement chez Aspe. Sa femme étant dans la gène, je lui prêtai vingt-quatre francs qu’elle me rendit après la vente de ses cochons, et depuis l’arrestation de l’accusé. Un soir, je consentis à ce qu’elle mit chez moi une malle contenant du linge et que j’ai su plus tard qu’on disait avoir été volé. »

Marie Wagner, veuve Vidal, charcutière.
« Le 1er janvier, j’ai vu passer l’accusé qui m’a acheté du boudin et de la saucisse pour lesquels il me reste devoir quatre-vingt-dix centimes. »

Et puis, encore et toujours...... je vous avais dit qu’il y avait eu plus de cent témoins interrogés. Un procès attirait du monde, il fallait « faire durer le plaisir », il fallait « faire frémir les spectateurs ».

Paul Anouilh, élève à l’école vétérinaire.
« Le 28 décembre sur la demande de l’accusé, j’ai donné mes soins à un cochon sur la tête duquel j’ai constaté plusieurs blessures. L’accusé me dit qu’il l’avait frappé de plusieurs coups sur la tête. »
Aspe se leva alors et nia fortement : « C’est sur le pied que je lui ai dit que je l’avais frappé. Il voulait sortir. »

Jeanne Espiau, épouse  Chambert, à Saint-Sulpice-de-la-Pointe, rendit compte d’un vol qui eut lieu chez elle lorsqu’elle était aubergiste à Toulouse, il y a six ans, et de la reconnaissance qu’elle aurait faite chez Aspe des objets volés.

Vincent Navas, tisserand.
Il justifia la reconnaissance faite par la femme Espiau de plusieurs objets trouvés chez Aspe

Félix Boulanger, menuisier.
« Aspe a voulu m’emprunter cent cinquante francs. J’ai refusé. »
Le témoin avait ajouté que l’accusé,  qu’il connaissait bien, était âpre au gain et qu’il avait souvent des discussions avec ses pensionnaires.

Armand Bon, ancien gendarme, rue Ville-Nouvelle.
« En quittant le logement qu’il occupait chez moi, Aspe a emporté les volets et une caisse. Je lui ai réclamé ce dernier objet pour lequel il m’a donné un franc. A l’occasion de cette réclamation, Aspe a exercé des violences sur mon enfant. »

Louise Lartigue, épouse Barat, changeuse de monnaie.
« Je logeais dans la même maison que Aspe, dit le frère. Il me dit que si par malheur je déclarais qu’il avait pris les volets, il se laverait les mains dans mon sang. Cela me troubla beaucoup. »

L. Piquemal, dit Marcou.
Aspe me devait soixante quinze francs. La femme m’a payé en partie, en me donnant deux chaises-longues. Elle dit : « Quand mon mari sortira, il vous soldera. »

Jean Picard, employé chez Olivié, confiseur.
Ce témoin rend compte d’un vol d’une bouteille de liqueur qui aurait été soustraite par Aspe, il y a cinq ans.
Attention, là, il y a un « conditionnel », ce qui veut dire que certains témoins avaient profité de l’occasion pour en « ajouter une louche ». Mais, ne dit-on pas qu’il n’y a pas de « fumée sans feu » !

Alexandre Série, chef de cuisine, chez Dardignac
« Aspe est resté quinze jours dans cet établissement d’où il a été renvoyé pour infidélité. »
Cela veut dire ? Pas d’autres précisions !

La femme Marguerite Delpeux, épouse Doumergue.
« Elle a été locataire d’Aspe qui lui aurait fait des propositions déshonnêtes. »
Encore un conditionnel ! Mais, il était connu que Aspe était très « porté sur les jupons » !

Le père de la victime fut entendu également, à titre de renseignements, uniquement.
Antoine Guilhomet, roulier à Revel, âgé de soixante-douze ans.
« Ma fille faisait chez moi le commerce des châtaignes. Quand elle revint à Toulouse, je lui rendis cinquante francs qu’elle m’avait prêtés. Elle me dit : « J’ai quelques sous placés à Toulouse ». Elle avait vingt francs à son départ, ce qui lui faisait soixante-dix francs. Elle avait aussi des chemises, des robes, des jupes. Elle est venue ici en novembre dernier. »


Marie Guilhomet était donc l’employée de service du sieur Aspe depuis un mois et demi lorsqu’elle fut assassinée.

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