« Tu
n’étais pas invitée, aujourd’hui ? » demanda Caroline en posant les
assiettes et couverts sur la table.
Jeanne
ne répondit pas à la question que venait de lui poser sa mère.
N’obtenant
pas de réponse, Caroline observa son ado de fille sans ajouter un mot. Quelque
chose dans son attitude avait changé. Elle était toujours renfrognée, certes,
c’était son habitude, mais elle ne bougonnait plus et ça s’était
inhabituel !
Jeanne
ne faisant plus de réflexions !
Jeanne
ne se révoltant plus !
Jeanne
emmurée dans un mutisme !
Et
surtout, et là alors, cela devenait inquiétant, Jeanne assise au bout de la
table plongée dans un livre !
Il
fallait, assurément, appeler les urgences !
Caroline
prit place à côté de sa fille, lui prit le livre des mains, en consulta le
titre et dit :
« Un
très bon livre. Lorsque j’avais ton âge, j’adorai Jules Verne. Je crois bien
que j’ai lu tous ses romans. »
Puis,
refermant le livre et le posant sur la table, elle poursuivit :
« Qu’est-ce
qui se passe, ma Jeannette ? »
En
guise de réponse, Jeanne haussa les épaules.
« Je
peux faire quelque chose pour que le sourire revienne sur le visage de ma
petite fille ?
-
Je suis plus une petite fille !
lança Jeanne.
-
Sur le visage de ma grande fille alors,
rectifia Caroline.
-
Tu te moques de moi ! D’ailleurs,
ici, tout le monde se moque de moi, se révolta Jeanne avant d’éclater en
sanglots et de s’enfuir au fond du potager.
Caroline
ne fit rien pour retenir sa fille. Il valait mieux la laisser se calmer. Elle
feuilleta machinalement le livre de Jules Verne, soupira et s’apprêtait à
rejoindre sa fille quand tante Adélaïde, revenant du poulailler où elle avait
donné du grain aux volailles, entra dans la cuisine.
« Que
se passe-t-il ? Je viens de voir Jeanne partir en courant. Je crois bien
qu’elle pleurait.
-
Oui, en effet, soupira Caroline. Je
n’arrive plus à la comprendre. Elle si douce, si calme.... Un vrai
volcan !
-
La chrysalide se transforme en papillon,
Caroline. Tu ne te souviens pas ? C’est l’âge où l’hypersensibilité est la
plus intense. Je crois que maintenant les médecins disent que ce sont les
hormones !
-
Tu as raison, tante Adélaïde, répliqua
Caroline en éclatant de rire. En attendant, je vais voir où en est la crise
hormonale de ma fille.
Caroline
trouva l’adolescente assise sur le banc du potager. Elle mangeait les fraises
qu’elle venait de cueillir.
« Bon
signe ! pensa Caroline. Le moral ne doit pas être si mauvais, car quand
l’appétit va, tout va ! Enfin presque. »
Sans
un mot, Caroline vint prendre place près de sa fille. Après un petit moment,
elle rompit le silence :
« Elles
sont bonnes ?
-
Quoi ?
-
Les fraises ?
-
Oui, ça peut aller !
-
OK, pensa Caroline. Si ça peut aller,
c’est déjà un début. » Puis elle se risqua à poursuivre. « Tu veux
faire quoi, aujourd’hui ? Il y a quelque chose qui t’intéresserait ?
-
Ah oui ! Et sans voiture, on peut
faire quoi dans ce bled ?
-
Pas faux ! répondit Caroline. Je
suis vraiment désolée de t’imposer des vacances aussi détestables. Mais, dis
moi, est-ce que je pouvais laisser tante Adélaïde toute seule ?
Premier
haussement d’épaule de la part de Jeanne.
« Je
devais lui dire, Bah, débrouille-toi ! En clair, tu n’es pas si âgée que
cela, alors, avance ! »
Autre
haussement d’épaule de la part de Jeanne.
« J’ai
une petite fille... oh, pardon ! J’ai une grande fille et elle passe avant
tout, alors tu comprends.... »
Encore
un haussement d’épaule de la part de Jeanne.
« Tu
sais, tante Adélaïde est la seule personne de ma famille qui me reste,
maintenant que l’oncle Ernest n’est plus là. Elle compte beaucoup pour moi, et
si elle me demande encore de l’aider, et bien Jeanne, je le ferai encore et
encore. Tu comprends ? »
Haussement
d’épaule, encore et toujours, de la part de Jeanne.
« Je
t’entends penser : « Encore une leçon de
morale ! ». Non Jeanne, je t’explique simplement.... Tu sais ce
garçon, je ne sais plus son nom.....
-
Cédric
-
Oui, voilà ! Il t’a invitée et tu devrais
y aller. Tu serais avec des jeunes de ton âge et tu pourrais t’amuser un peu. A
ton âge, on fait vite connaissance. Va ma Jeannette et sèche tes larmes.
Caroline
se leva et laissa Jeanne sur le banc, mais avant de sortir du potager, elle se
retourna et, avec un large sourire, elle lança :
« Tu
sais, Jeannette, lorsque tu souris, tu es très jolie ! »
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