En
ce dimanche 9 mai 1847, Pierre Louis Berrier, adjoint au maire, était de
permanence.
Dehors,
il faisait bon, le soleil commençait à donner de la force. Le printemps
s’annonçait clément.
Une
journée où il aurait fait bon prendre un peu de temps. Profiter, comme on
disait.
Mais
voilà, il y a des jours comme cela où rien ne va et la journée de repos de
l’adjoint allait prendre rapidement fin.
Vers
les dix heures du matin, en effet, le sieur Daufrene le garde-champêtre de
Marbeuf, fit irruption sans la maison commune.
« J’
vins vous voir, parc’ que cette nuit, il a été coupé grande quantité de pieds
de colza sur la commune de Marbeuf.
-
Et en quoi, cela regarde la commune de
Saint-Aubin ? questionna Pierre Louis Berrier.
-
C’est qu’ j’ai été prév’nu par le
propriétaire du champ, le sieur Delphin Charpentier.
-
Et alors ! soupira l’adjoint, je ne
vois toujours pas !
-
Quand il est v’nu m’ voir, j’ suis allé
constater avec lui. Et, à l’endroit du
champ, au triège de la Garenne, on a suivi des traces que les malfaiteurs ont
laissées.
-
Et ces traces, elles menaient où ?
-
Bah, justement, elles se dirigeaient
vers vot’ commune. Alors, comme c’est point mon secteur, j’ suis v’nu vous
voir !
-
Nous y voilà, pensa l’adjoint en se
levant, faut y aller !
Ce
fut donc accompagné du sieur Daufrene, garde-champêtre de Marbeuf et du sieur Thomas Vaugeon, garde-champêtre
de Saint-Aubin-d’Ecrosville que Pierre
Louis Berrier dut se résigner à abandonner sa journée paisible pour suivre les
traces des malfaiteurs qui les menèrent tout doit vers le logis de Jean Pierre
Morel.
Les
trois hommes furent accueillis par l’épouse du sieur Morel, Joséphine Deboos,
qui se trouvait dans sa cour, en plein milieu de laquelle se dressait un tas de
fumier fraîchement retiré de l’étable et dans lequel se trouvaient quelques
feuilles de colza déjà fanées, justement.
Après
les présentations, l’adjoint au maire demanda :
«
Pouvons-nous parler à Jean Pierre Morel ?
-
C’est qu’il est point là !
-
Alors, nous serait-il possible de
visiter votre étable à vaches, ainsi que le bâtiment qui se trouve à
côté ?
-
Et pourquoi donc ?
-
Il y a eu un vol de colza, cette nuit et
nous.......
-
Ce s’rait-i’ pas que vous m’ traitez d’
voleuse ! s’exclama la femme d’une voix revêche.
-
Une simple visite des lieux permettrait
d’ôter tout soupçon, expliqua l’adjoint.
-
J’ai pas la clef ! déclara
Joséphine Deboos.
-
Nous vous prions d’aller la
chercher !
-
J’ veux ben, mais elle est perdue,
alors.......
La
femme Morel alla quérir la clef, mais bien évidemment, celle-ci fut déclarée
introuvable, puisque précédemment déclarée perdue, soi-disant.
Peu
importait d’ailleurs car les murs des bâtiments, mal joints sous le toit,
permettaient d’y accéder, sans passer par la porte.
Il
suffit au garde-champêtre de Saint-Aubin-d’Ecrosville, seul habilité à
intervenir sur la commune, après être monté sur une botte de paille, de se
hisser en haut du mur, de se faufiler, avec toutefois quelques difficultés,
dans l’interstice entre haut du mur et toit, avant de se laisser glisser sur le
sol à l’intérieur du lieu.
Dans
la place, il ne lui fut pas difficile de trouver une vingtaine de pieds de
colza, tout fleuris. Après ce constat, le garde-champêtre, revenu dans la cour
en employant la même méthode, revint vers le groupe, muni d’un pied de colza,
et demanda à Joséphine Deboos qui semblait de plus en plus nerveuse.
« Où
est votre mari ?
-
A c’ qu’i’ m’a dit, il est à
Criquebeuf-sur-Seine.
-
Il revient quand ?
-
Est-ce que j’ sais moi ! C’est
qu’i’ m’dit pas tout !
-
Et ce colza, dans votre remise, il
provient d’où ?
-
C’est à nous, pardi ! On en récolte
un peu sur les terres.
-
Où exactement ?
Désignant
une direction d’un geste vague de la main, Joséphine Deboos répondit :
« Est-ce
que j’ sais moi, par-là ! Et puis, c’est l’affaire de mon homme tout ça.
J’ai ma besogne moi, et j’ai assez à faire. J’ prends pas l’ travail des
autres !
La
nervosité de la femme Morel allait crescendo. Elle triturait le coin de son
tablier, ne sachant que dire, que faire, regardant de droite et de gauche si
elle ne pouvait obtenir secours. On ne savait jamais, son homme pouvait rentrer
plus tôt.
Mais
le sieur Daufrene qui avait l’œil, et il fallait l’avoir quand on était
garde-champêtre, affirma reconnaitre le pied de colza comme provenant du champ
qui avait été dépouillé.
Aussi,
solennel, montrant toute son autorité, il déclara :
« Au
nom de la loi, je vous dresse procès et vous somme de vous trouver demain à
huit heures du matin, accompagnée de votre mari, devant monsieur le maire de
Marbeuf, afin que tout cela soit consigné. »
Un
procès ! Comme il y allait, cet homme !
Mal.
Elle se sentait mal, la pauvre femme. Prête à défaillir.
Aussi,
comme faute avouée et à moitié pardonnée, disait-on, elle s’exclama :
«
Bah oui, c’est mon homme qui a pris le colza. Oh ! pas volé, ça pour sûr.
C’était pas pour le r’vendre. C’était pour nourrir les lapins ! Vous
savez, ça mangent ces petites bêtes-là ! »
-=-=-=-=-=-=-=-
Y-a-t-il
eu procès ?
L’affaire
s’arrangea-t-elle à l’amiable ?
Le
couple a-t-il quitté la commune juste après ce « vol » ?
Ce
que je peux vous affirmer, c’est que :
Jean
Pierre Morel naquit à Criquebeuf-sur-Seine, le 20 juin 1802.
Il
s’unit en mariage à Félix (on trouve Félice également) Joséphine Deboos, le 23
février 1827, à Saint-Aubin-d’Ecrosville, commune où la jeune fille avait vu le
jour, le 23 août 1808.
Le
jeune couple alla s’installer à Criquebeuf-sur-Seine où naquirent la
quasi-totalité de leurs enfants jusqu’en 1839, année de la dernière naissance
dans cette commune.
Leur
dernier fils lui, arriva au foyer de ses parents, à Saint-Aubin-d’Ecrosville,
en septembre 1851.
Le
couple Morel/Deboos s’y installa donc entre 1839 et 1847, date de l’évènement
raconté plus haut.
Nous
le retrouvons à Criquebeuf-sur-Seine, en 1870, le 7 septembre, date du décès de
Jean-Pierre Morel. Mais je suppose qu’il s’y était installé bien avant.
Aucune
information sur la disparition de Félix Joséphine, survenue après celle de son
mari.
Saint-Aubin-d’Ecrosville,
9 mai 1847, encore un fait divers,
recueilli dans
les registres de la communes.
Un
« emprunt de colza » pour engraisser des lapins !
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