« Canaille !
Voleur ! Tous que vous êtes ! Vous les conseillers municipaux, vous
mérit’rez d’être brûlés ! ».
Tout
en racontant le harcèlement verbal dont il était la cible, Amable Désiré
Buffet, propriétaire à Phipou, rouge comme une pivoine, avait monté le ton en
répétant les paroles de son agresseur.
Le
maire de Saint-Aubin-d’Ecrosville l’écoutait patiemment et attendait que le
calme revint pour poser des questions à celui qui, devant lui, venait porter
plainte, en ce 29 novembre 1846.
Mais,
celui-ci était intarissable :
« Et
puis, c’est point la première fois, ça j’vous promets ! T’nez, en juillet
dernier. J’étais point là, alors, il a dit haut et fort à tout l’ quartier qu’
j’étais une canaille et pis un voleur ! C’est plus possible ça !.....
Moi, j’vous dis ! Et j’ pourrais vous dire encore que l’ quatre novembre,
ça, j’m’en souviens encore, pardi, il est v’nu m’ trouvé, l’animal, pour m’
lancer qu’ j’étais une canaille. Je l’ vois encore, d’vant moi, menaçant,
arrogant, qui hurlait : « Toi, canaille, tu mérit’rais être brûlé et
si j’ craignais plus la justice que toi, y a longtemps que j’ t’aurais cassé la
gueule !! ».
En
prononçant cette dernière phrase, le sieur Buffet s’était levé, face au maire,
et d’un poing rageur, levé vers le plafond, avait théâtralement interprété la
scène avec éloquence, hurlant, soufflant, avant de se laisser choir sur la
chaise placée derrière lui, anéanti.
Quelle
prestation !
A
coup sûr sur une scène parisienne, il aurait remporté un franc succès,
animé d’applaudissements redoublés.
Puis,
reprenant son souffle, il sortit de sa poche un large mouchoir à carreaux avec
lequel il s’épongea le visage avant de le remettre en place.
Le
maire qui s’était légèrement reculé devant l’agitation du plaignant expliquant
avec force les scènes dont il avait été victime, craignant quelques
débordements, se rapprocha de son bureau. Et, dans le calme revenu, il osa,
prudemment, poser quelques questions.
Oui,
il était prudent, monsieur le maire, ne voulant pas déchaîner de nouveau le
flux verbal et tonitruant de Amable Désiré Buffet.
« Je
ne mets nullement votre parole en doute, commença-t-il, car je connais Théodule
Joseph Auzoux pour être un homme impulsif et sanguin, mais.......
-
Manqu’rait plus qu’ vous traitiez de
menteur, à c’t’ heure ! le coupa le sieur Buffet.
-
Loin de ma pensée, répliqua le maire qui
redoutait du plaignant une nouvelle envolée verbale et gestuelle, mais vous
comprenez qu’il me faut des preuves,
pour affirmer vos dires. Avez-vous des témoins ?
-
Nous y v’la ! On m’croit point.
Mais des témoins, comme vous dites, j’en ai plein !
-
Parfait ! Alors, qui
sont-ils ?
Le
sieur Buffet déclina l’identité de ceux qui, présents aux divers moments des
faits, pourraient les confirmer.
Ceux-ci
allaient donc pouvoir être entendus, auditionnés, et ça tombait bien, car l’un
d’entre eux était présent, justement.
Il
s’agissait de Adélaïde Goujou, sans profession, mais tout de même bien occupée,
puisque en plus de son ménage, elle cultivait son potager et prenait soin de sa
basse-cour.
Impressionnée
devant le maire qui à ses yeux était un haut personnage possédant tous les
pouvoirs, elle conta d’une voix ferme qu’en effet, elle avait vu et
entendu :
«
Ça, j’peux l’ jurer. Ça s’est passé y a quatre ans, en automne, vers les cinq
heures du soir ou à peu près, j’ai entendu l’ Théodule, l’ mari à la Rose, qui
disait bien des méchanc’tés au Désiré. On pouvait que l’entendre, d’ailleurs,
parc’ qu’il hurlait. Et il en a d’ la voix le Théodule !
-
Et que disait-il, Théodule Auzoux ?
demanda le maire qui voulait en finir au plus vite avec cette déposition.
-
Bah ! Il criait : « Tu
mérit’rais être brûlé et si j’ craignais plus la justice que toi, i’ y a
longtemps que j’ t’aurais cassé la gueule !! ».
-
Vous êtes formelle, il s’agissait bien de Théodule Auzoux ?
-
J’ l’ai vu comme j’ vous vois, ça pour
sûr. J’étais dans ma cour, et je m’ suis avancée, pour voir après qui il en
avait l’ Théodule !
-
Et c’était bien après Amable Désiré
Buffet ?
-
Comme j’ vous l’dis ! confirma
Adélaïde Goujou.
Le
second témoin, Benoit Colin, journalier, vint déposer son témoignage après sa
journée de travail. Il voulait bien aider la justice, mais pas au point de
perdre le salaire d’une journée. D’autant plus que le dit Benoit Colin
demeurait à Ecquetot.
Devant
monsieur le maire de Saint-Aubin-d’Ecrosville, il confirma la déposition de
Adélaïde Goujou.
Le
dernier témoin, Joséphine Lelarge dut demander à son maitre, le sieur Védie,
propriétaire à Phipou, à s’absenter pour se rendre au bourg. S’agissant d’une
« affaire de justice », la permission fut accordée.
Joséphine
Lelarge, âgée de vingt-deux ans, native de Barquet dans l’Eure, était domestique
depuis son plus jeune âge.
Petite,
menue, elle avait le regard droit et franc. Il ne fallait pas lui en conter.
Quand elle avait quelque chose à dire, elle ne s’en gênait pas !
Elle
déclara, qu’en effet, le quatre de ce mois de novembre, elle avait entendu le
sieur Théodule Auzoux menacer le sieur Buffet.
« Pouvez-vous
dire à quel endroit s’est déroulée la scène ? questionna le maire.
-
A Phipou, non loin de mon domicile.
J’étais avec le Désiré. On arrachait des pommes de terre dans l’ champ. C’est l’
Théodule qu’ est v’nu nous voir. J’ai pas tout entendu, car l’ Théodule m’a
m’nacée, alors j’ suis partie chercher l’Adélaïde. ça criait ! ça
criait ! une vraie furie l’ Théodule !
La
plainte fut enregistrée, bien entendu, comme beaucoup d’autres du même type.
Quand
quelque chose n’allait pas, les mécontents en venaient, malheureusement, trop
souvent aux insultes, voire aux violences.
Je
suis navrée de constater que, presque deux siècles plus tard, cela n’a pas
réellement changé !
-=-=-=-=-=-=-
Les
10 propriétaires les plus fortunés de la commune, ceux qui par conséquent
étaient les plus imposés, participaient aux délibérations municipales lorsqu’il
y avait des décisions importantes à prendre.
Cela
entrainait donc des contestations et notamment provenant de ceux qui se
sentaient mis à l’écart et défavorisés par les décisions prises en conseil.
-=-=-=-=-=-=-
Concernant
cette plainte :
Qui
étaient-ils ?........
Buffet
Aimable Désiré naquit à Saint-Aubin-D’Ecrosville, le 17 germinal an 9.
De
son mariage avec Emilie Letourneur, il eut, entre autres, un fils Aimable
Augustin qui, à l’âge de vingt-cinq ans, épousa la fille d’un autre gros
propriétaire à Phipou, Désirée Adèle Vedie.
Ce
genre d’alliance permettait d’agrandir le patrimoine.
Colin
Jacques Benoit, témoin, journalier ouvrier de ferme, ayant aussi exercé comme
cantonnier, décéda à Ecquetot le 20 août 1889, commune où il était né le 11
juillet 1808.
Il
était veuf de Marie Anasthasie Dequatremare, décédée le 21 octobre 1886.
Leur
mariage avait été célébré, le 14 avril 1831.
Lelarge
Joséphine, témoin, célibataire au jour
de la plainte, se maria à Barquet, sa ville natale, le 3 juillet 1855, avec
Dubosc Louis Armand qui décéda le 16 décembre 1899.
Fille
de Monique Lelarge, née le 4 mars 1823 de père inconnue, Joséphine Lelarge quitta
ce monde, le 16 décembre 1899.
Joseph
Théodule Auzoux vit le jour à Saint-Aubin-d’Ecrosville le 5 novembre 1815. Il
s’y maria le 21 mai 1839 avec Rose Arsène Signol.
Le
11 janvier 1871, son acte de décès mentionne que Joseph Théodule était marchand
de vaches.
Saint-Aubin-d’Ecosville,
29 novembre 1846.
Les registres de
délibération renferment, décidément,
une richesse de
moments de vies.
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