mercredi 26 février 2025

Le procès de La Bucaille - Révision à Rouen – chapitre 5


Avril 1699, Marie Benoist dite la Bucaille comparaissait devant le Parlement de Rouen qui se montra très prudent, demandant l’avis de Pierre Daniel Huet, Evêque d’Avranches, avant de se prononcer.

Prudence, prudence, car l’affaire passionnait l’opinion publique.

Prudence, prudence, il était préférable de ne pas faire de remous, il y en avait eu assez depuis quelque temps.

Cette prudence fut bénéfique à Marie car elle ne fut convaincue que « de crime d’imposture, séductions, impiété, abus et scandale public ».

 

Le 30 octobre 1699, la mise en cause évitait la mort, ne devant faire qu’amende honorable, pieds nus, en chemise, la corde au cou, devant les portails de Notre-Dame de Rouen, l’église de Cherbourg et celle de Valognes. Elle devait également porter un écriteau nommant son crime : « fausse dévote ».

Dans chacune de ces trois villes, elle fut fustigée, nue, jusqu’à effusion de sang.

Le jugement statuait également son bannissement à perpétuité du royaume de France.

Attendez !!!

Ce n’était pas fini....

Le summum étant le percement de la langue de la suppliciée avec un fer rouge !!

Bien évidemment, tous ses biens furent confisqués. Pas de petit profit !

 

Marie Benoist dite la Bucaille subit par trois fois l’horreur du jugement,  à Rouen devant l’église Notre-Dame, à Cherbourg devant l’église de la Trinité et dans la cour du bailliage à Valognes où eut lieu le percement de la langue.

 

Quelques témoignages :

Nicolas Foucault écrivit dans ses mémoires que la langue de la condamnée ne fut que touchée avec un fer chaud et non chauffé à blanc.

Guillaume Mauquest de la Motte, médecin pratiquant son art à Valognes, rapporta avoir soigné la langue de la Bucaille avec des applications de miel rosat aidant à la cicatrisation.

 

Le bannissement quant à lui, il fut de courte durée, car rapidement révoqué.

Réfugiée un temps sur l’île de Jersey, Marie fut accueillie aux Filles de la Charité de Caen.

 

Le 10 septembre 1704, La Bucaille confessa, avant de fermer les yeux à jamais :

« Tout mon fait n’était que mensonges et tromperies, ce dont je demande pardon à Dieu, à la Vierge et aux Saints ».

 

 

Si vous souhaitez en savoir plus sur les Grandes Affaires en sorcellerie, je vous recommande le livre :

                Sorciers, sorcières et possédés en Normandie de Yves Lecouturier

 Editions Ouest-France

Faites-vous partie du clan des nombreuses enquiquineuses ou des nombreux enquiquineurs ?

 

« Enquiquiner », un verbe qui fit son apparition vers 1830.

Quel autre mot employait-on avant ? 

Nous y reviendrons, peut-être un peu plus tard.....

 

« Enquiquiner », donc, est un verbe familier construit à partir de « Quiqui » ou encore « kiki » désignant le cou.

À  l’origine, il était employé pour « insulter ».

Mais, sans doute en raison de son origine « quiqui, le cou », il dériva vers : remplir la gorge.... gaver !

 

« Tu me gaves !!! »  - « tu me saoules !! », des expressions qui ne nous sont pas du tout étrangères.

Enquiquiner : ennuyer fortement – prendre la tête, emm......... (chut !!!)

 

Bien évidemment, « enquiquiner » possède ces dérivés, comme :

  • ·         Un enquiquineur et son féminin, une enquiquineuse : ceux qui enquiquinent.
  • ·         Un enquiquinement : gros embêtement, qui gave à mort !
  • ·         Un fait enquiquinant : un incident qui met dans la mouise !!

 

Le summum du summum étant :  

  •  L’enquiquineur qui enquiquine par ses enquiquinements terriblement enquiquinants.

 Les effets d’un enquiquineur peuvent prendre des proportions excessives et pour que vous en jugiez par vous-même, je vous renvoie au film mettant en scène deux acteurs des plus brillants, Lino Ventura et Jacques Brel.

Je veux parler, et vous l’aviez deviné,  de « l’emmerdeur », bien évidemment.

 

Notons toutefois que nous pouvons tous, à un moment donné, être l’enquiquineur de quelqu’un d’autre !!

 

Pour cette petite histoire autour d’un mot,

Je me suis aidée du

                   « Dictionnaire historique de la langue française » Le Robert

 

vendredi 21 février 2025

Le procès de La Bucaille – chapitre 4

 


Au Tribunal des témoins furent entendus.

 

Jeanne de Launay, fidèle domestique, travaillant pour sa maîtresse sans autre salaire que le gîte et le couvert expliqua : « Un jour, ma maîtresse m’appela  en pleine nuit alors que je dormais assise en l’attendant. Alors le temps de reprendre mes esprits, j’ai mis un petit moment avant de répondre à ses appels, celle-ci, très énervée d’avoir attendu, m’a jeté un maléfice, ça c’est sûr. Je me sentis tout à coup étouffer, la gorge comme dans un étau. Alors après un moment, elle toucha ma gorge du doigt et je repris souffle. Comme un avertissement,elle me dit : voilà ce que c’est que de ne pas venir quand on vous appelle ! »

 

Deux autres témoins mirent en avant les bienfaits de guérisseuse de Marie Benoist.

Jeanne de Saulx qui avait perdu la vision d’un œil  retrouva la vue comme avant. Mieux encore !

Anne Feuillie, elle, souffrait d’une rétention d’urine. Grâce aux soins et prières de Marie, elle se vit rapidement soulagée.

 

L’avocat de Marie Benoist mit en avant la moralité du sieur de Golleville, un homme dont le cœur fut touché par Dieu, grâce aux entretiens plein de ferveur qu’il eût avec la Bucaille. Il était devenu depuis un de meilleurs chrétiens qui soit dans la contrée.

«  Un homme de cette qualité ne se serait pas noué d’amitié avec une femme de mauvaise vie, de mauvaise foi », avait conclu le défenseur de Marie.

 

En cette fin janvier 1699, devant un public nombreux et attentif dont les avis divergés, le sieur de Sainte-Marie, lieutenant criminel et juge du bailliage de Valognes, rendit son verdict.

 

·         Concernant Catherine Bedel dite La Rigolette, elle était bannie hors du baillage de Valognes.

·         Concernant Marie Benoist et son ancien amant, le moine Saulnier, ils étaient  reconnus :

Coupables d’incestes spirituels, de maléfices, blasphèmes, prophéties, opérations de magie diabolique, invocations de fantômes....

Saulnier étant parti précipitamment en Lorraine, indépendante du royaume de France, ne pouvait être inquiété.

Marie Benoist – sœur Marie de la Bucaille –  fut condamnée à être soumise à la question ordinaire et extraordinaire, avant d’être pendue et étranglée.

 

Marie Benoist fit appel de ce verdict auprès du Parlement de Rouen.

 

mercredi 19 février 2025

Une turpitude....

 

 

Ce mot découle du latin « turpitudo » - « turpitudinis » au pluriel -, de « turpis » : difforme, laid.....

 Il qualifie une laideur, une difformité physique, mais surtout morale.

 

« Turpide », adjectif découlant de « turpitude », est attribué à une parole, une action ou une pensée.

Une action turpide n’est autre qu’une action ignominieuse.

 Balzac était friand de ces deux mots dans ses œuvres. (1830)

 

Il existe aussi le verbe « se turpider », employé notamment par Huysmans en 1881.

Se turpider : se conduire d’une façon honteuse.


Balzac, encore lui, usa de l’adverbe, turpidement.

 

Des mots oubliés aujourd’hui, nous ne disons plus, et c’est bien dommage :

« Tu te conduis turpidement. Ta conduite est réellement turpide. Un conseil qu’il te faudrait suivre, cesse de te turpider !!

Ou encore

« Tes turpitudes en tout genre te conduiront vers des turpitudes encore plus turpidement turpides. »

 

Ouah !!

N’est-ce pas là, le summum de la turpitude !!!

 

Pour cette petite histoire autour d’un mot,

Je me suis aidée du

                   « Dictionnaire historique de la langue française » Le Robert

vendredi 14 février 2025

Dans le quartier de Bucaille – chapitre 3

 


La vie à Saint-Lin commença sereinement. Marie Benoist était souvent invitée et notamment, depuis  la Noël 1688, régulièrement au château de Golleville dont le propriétaire, Adrien Lebas, appréciait sa présence.

Adrien Lebas, écuyer, sieur de Golleville et du Quesne, faisait partie d’une honorable famille du pays.

 

Hélas, le calme fut de courte durée car la jeune femme fut reprise de convulsions. Les démons qui la possédaient s’accrochaient à elle.

Le curé de la paroisse de Golleville, Jacques Doublet désira rencontrer sa nouvelle paroissienne. L’entretien se solda par le constat sans appel suivant : « Le démon possède le corps de Marie Benoist. »

Et Adrien Lebas confessa avoir vu sur le front de la jeune femme, lors de ses crises, le dessin représentant « comme une couronne d’épines ».

Et voilà, tout recommença et tout s’amplifia surtout lorsqu’intervint dans l’affaire une certaine Catherine Bedel, dite la Rigolette.

 

Les deux femmes se connaissaient bien pour avoir eu le même amant en la personne du moine Saulnier. Saulnier avait abandonné Catherine pour Marie. Une rancœur devenue une profonde haine tenaillait encore le corps de Catherine contre sa rivale. La Rigolette vit alors un moyen d’assouvir sa vengeance.

Mais Marie Benoist et Adrien Lebas prirent les devants, en accusant la Rigolette d’être en possession d’hosties ensanglantées.

Accusation qui fit son effet, car la Rigolette fut aussitôt arrêtée.

Au cours d’un interrogatoire qui suivit son arrestation, elle dénonça Saulnier comme étant celui qui les lui avait données. Elle précisa aussi que Marie Benoist avait un don d’ubiquité.

Voilà, c’était reparti, car les protestants, les jansénistes et les cordeliers se mêlèrent de l’affaire qui devenait d’importance.

 

Le curé de Saint-Malo de Valognes considérait que les deux femmes étaient des affabulatrices, mais il fallait voir clair dans toutes ces accusations, aussi Marie fut arrêtée à son tour.

Accusée d’ubiquité, elle répondit : «  Mon bon ange prend ma place pendant mes absences. »

En effet, pendant qu’elle se trouvait derrière les barreaux de sa geôle, il y eut les témoignages de :

·         Un écolier de 12 ans qui affirma l’avoir rencontrée à l’Hermitage du bois.

·         Anne Feuillie l’avait, elle, vue au pied de son lit.

Il fallait à tout prix éclaircir tout cela, et ce fut ainsi que Marie Benoist dite la Bucaille se retrouva, le 28 janvier 1699, devant un tribunal.

mercredi 12 février 2025

Deux petits mots

 


Une bisbille

 Bisbille de l’Italie, bisbiglio : chuchotement, murmure.

Bisbiglio du verbe bisbogliare : murmurer

Une bisbille (1752) désignait familièrement une petite querelle pour un motif futile.

En clair, une querelle chuchotée, sans éclat !

 

Un blabla  

Onomatopée attestée à l’écrit en 1945... Mais sûrement utilisée bien avant oralement.

Blabla de bab : babine.

Blabla : syllabes répétées provoquant un mouvement des lèvres bavardant, imitant un flux de paroles continu.

Des blablas : propos ridicules et sans intérêt (pour celui auquel ils sont destinés), paroles en l’air.

Celui qui blablate, ne cesse de dire des propos vains.

 

Une question :

Au cours d’une bisbille, les protagonistes blablatent-ils ?

 

Pour cette petite histoire autour d’un mot,

Je me suis aidée du

                   « Dictionnaire historique de la langue française » Le Robert

jeudi 6 février 2025

Dans le quartier de Bucaille – chapitre 2


Était-ce pour se rapprocher de Dieu que Marie Benoist entretenait des relations charnelles avec le moine Saulnier ?

Marie, une jeune femme au comportement étrange, passant pour avoir commerce avec les démons, entretenant une liaison hors mariage avec un moine... Voilà suffisamment de faits pour qu’elle fût appelée à comparaître devant l’abbé Paté de Cherbourg et M. Forten de Quettreville, médecin d’Helleville.

Après examens, l’abbé, tout comme le médecin, déclarèrent Marie possédée par le démon.

Devant de telles accusations et en mesurant les conséquences, Marie Benoist préféra quitter Cherbourg pour s’établir à Valognes, en 1696.

 

La fuite plutôt que l’incarcération....

Et pourquoi la ville de Valognes ?

Parce que l’Évêque de Coutances y avait envoyé, en disgrâce, le moine Saulnier, devenu aux yeux de tous, son compagnon.

Marie Benoist avait emménagé  dans une petite maison dans le hameau de Saint-Didace de Valognes. Avec elle, une servante nommée Jeanne de Launay.

 

Aussitôt son emménagement, Marie eut de nouveau des convulsions, notamment lors des offices. Certains affirmèrent l’avoir vue léviter, suspendue au-dessus du sol.

Marie affirma aussi être régulièrement visitée par Jésus ou par le diable. Des stigmates réapparurent régulièrement sur son corps.

 

Puis arriva le jour de Pâques 1697. Au cours de la messe en l’église Saint-Malo de Valognes, la jeune femme entra en transe.

La situation était telle que devant ces manifestations hors du commun, le curé de cette paroisse, Julien de Laillier[1] ordonna que sa paroissienne fût transportée dans l’Hôtel-Dieu de la ville.

L’entrée à Hôtel-Dieu n’était-elle pas le premier pas vers un autre enferment, la prison ?

Marie Benoist réfléchit.  Si elle était emprisonnée, elle risquait d’être accusée de sorcellerie, aussi confessa-t-elle que ses transes n’étaient que comédie et dénonça son compagnon, le moine Saulnier, comme l’instigateur de ces bouffonneries.

 Suite à cette dénonciation, le cordelier Saulnier sentant le vent tourner et la justice poindre son nez préféra s’éloigner loin, bien loin. Il se réfugia dans un couvent de Nancy.

 

Marie Benoist toutefois resta sous surveillance et une enquête ecclésiastique fut diligentée.

Après cinq mois de recherches et interrogatoires, la jeune femme fut enfin libérée, rien n’ayant été retenue contre elle.

Pour laisser derrière elle tous ces mauvais moments, elle quitta le hameau de Saint-Didace pour s’installer dans une maison du hameau de Saint-Lin.

Cette nouvelle demeure fut-elle un havre de paix ?



[1]   Julien de Laillier – né le 12 février 1641 à Valognes – décédé le 30 avril 1728 à Valognes  - ordonné prêtre à 35 ans.  En 1677, il est nommé curé de sa paroisse natale et porte les titres de curé et official de Valognes, archidiacre du Cotentin et grand-vicaire du diocèse. Durant son ministère valognais, il fut le témoin de plusieurs événements importants dont  le procès de Marie Bucaille qui a fait l’objet d’un précédent récit.



mercredi 5 février 2025

Gripper !!!!

 



Ce verbe provient du francisque gripan pour : empoigner, saisir. Bien qu’attesté en 1425, il est sans doute bien plus ancien :

  • ·         Gripaille au XIIIe siècle.
  • ·         Agripper vers 1200.

·         Gripper : empoigner, saisir, était utilisé en parlant des voleurs qui dérobaient très rapidement argent ou objets et détalaient aussitôt à toute vitesse.

Gripper (verbe transitif) :

  • ·         Saisir violemment (1425). 
  • ·         Saisir avec des griffes (1509).
  • ·         Prendre au collet un voleur – avec notion d’attraper (1649).

Gripper (verbe intransitif) :

  • ·         Froncer une étoffe (1740).

 

Et puis, il y a cette machine qui grippe lorsque ses pièces frottent les unes contre les autres. Mot employé depuis 1757. De nos jours, les machines grippent toujours, aucun remède contre l’usure depuis le milieu du XVIIIe siècle !

Une grippe est aussi, depuis 1306, le nom donné à une querelle, ou plutôt une empoignade. Cela me fait penser aux divers crêpages de chignons décrits par Zola dans certains de ses romans.



Autres mots découlant de gripper :

  •           Un grippage (1869) : terme technique.
      •       Un grippement (1845) : action de saisir.
  •      Dégripper : faire cesser le grippage et pour cela utiliser un dégrippant.
  •       Un grippe-sou (1680) – nom et adjectif : un usurier.
  •       Un grippe-sou (1778) – nom et adjectif : un avare.

 

Quelques petites locutions :

  • ·         Être grippé de quelque chose (1684) : être entiché.
  • ·         Prendre quelqu’un en grippe (1751) : avoir de l’antipathie pour quelqu’un.

 



Et puis, il y a une grippe depuis 1743, qui désignait une maladie infectieuse saisissant brusquement une personne, l’agrippant, la cramponnant et la maintenant avec fièvre et céphalées pendant une huitaine de jours.

Aujourd’hui, revenant chaque hiver depuis visiblement de nombreux siècles avec toujours les mêmes symptômes, cette infection virale est devenue, LA grippe.

Pour revenir à notre grippe-sou. Est-ce que celui-ci, fortement grippé, accepterait de débourser les sommes dues au médecin et à l’apothicaire ?

Sûrement difficilement, car s’agrippant à sa cassette !!

Pour cette petite histoire autour d’un mot,

Je me suis aidée du

                   « Dictionnaire historique de la langue française » Le Robert