mercredi 28 juin 2023

Un portemanteau !

 


Plongée en pleine lecture relatant la campagne de Russie[1], j’ai rencontré « un cheval lourdement chargé de portemanteaux ».

Aussitôt, me vint à l’esprit cet objet en bois, en plastique ou en fer permettant de suspendre un vêtement, dont le manteau, à la tringle d’une armoire, et imaginais ce pauvre équidé hérissé d’une multitude de portemanteaux puisqu’il en était, selon le texte, lourdement chargé.

Ma vision redevint plus réaliste lorsque j’appris qu’un portemanteau, nom masculin attesté dans le vocabulaire français depuis 1547, désignait à l’origine, un bagage telle une malle ou une valise.

Me voilà rassurée, pouvant remettre ainsi dans son contexte ce mot qui a changé de sens au fil des siècles. Le cheval portait donc les bagages du capitaine d’Herbigny, en route pour Moscou.....

 

Pour cette petite histoire autour d’un mot,

Je me suis aidée du

 « Dictionnaire historique de la langue française » Le Robert



[1] « Il neigeait » de Patrick Rambaud – Editions Grasset et Fasquelle (2000).

La destinée de Charles Nicolas Valentin Chauvet Cinquième partie

 


Charles Nicolas Chauvet comptait les jours. Sa fille lui avait annoncé sa visite pour le début août.

Ne pouvant la recevoir dans sa maison qui ne comportait qu’une seule chambre, il avait demandé au couple Desveaux s’il leur était possible de l’accueillir la nuit, chez eux. Marie Éloïse serait ainsi mieux logée.

 

Marie Éloïse arriva le 3 août 1876, en tout début d’après-midi.

La jeune femme, comme à son accoutumée, ne marqua aucun signe affectif envers son père qui en fut chagriné.

Mais que pouvait-il attendre de sa fille ? Rien, évidemment !!

Aussi, ne voulant pas dévoiler sa déception, il essaya de se montrer bienveillant et joyeux.

N’avait-elle pas, malgré tout, accédé à sa demande de lui rendre visite ?

C’était toujours un premier pas.

 

La soirée se passa sans grande discussion. Après le repas, Marie Éloïse s’en alla chez les voisins pour y passer la nuit.

Le lendemain, elle revint chez son père. Celui-ci était absent ayant été faire une course. En l’attendant, la jeune femme prépara le repas.

Au retour du père, ils se mirent à table.

En dessert, il y avait de la crème et pour finir, un petit verre d’eau-de-vie après le café.

 

Au grand étonnement de son père, Marie Éloïse ne mangea pas de crème : «  La crème, ça me réussit pas. Après, j’ suis tout’ barbouillée. »

 

Elle refusa également le café et le pousse-café[1], prétextant : « Avec la chaleur, c’est pas bon. La tête va m’ tourner ! »

 

À chaque fois, le père Chauvet, conciliant répondait : « Comm’ tu veux, ma fille ! »

Pensant au fond de lui : « D’ailleurs, t’as toujours fait c’ que tu voulais ! »

 

La journée se passa. Le repas du soir fut composé des  restes de celui du midi et après, Marie Éloïse reprit le chemin de Déville-Lès-Rouen.

 

Peu après le départ de sa fille, le père Chauvet se sentit mal.

La contrariété ?

La crème qui passait mal avec la chaleur de ce début août ?

Le petit verre d’alcool qui lui tournait la tête ?

Il ne se sentait pas bien du tout le pauvre homme. L’estomac barbouillé, la tête lourde, les jambes flageolantes... et puis aussi ce mal à l’estomac et au ventre, comme une brûlure.

Avait-il pris un coup de chaud ?

Pourtant, il ne s’était pas exposé au soleil et avait toujours gardé son chapeau.

Alors, ne tenant plus debout, il avait décidé de se mettre au lit de bonne heure.

« Une bonne nuit de repos, avait-il pensé, et d’main il n’y paraîtra plus. »

 

En pleine nuit, Charles Nicolas Chauvet fut pris de vomissements.

 

Quand sa voisine, Gervaisine Desveaux, inquiète de ne pas le voir debout en milieu de matinée, se rendit chez lui, ce fut pour le trouver dans un état lamentable, baignant dans ses souillures.

Elle prévint le médecin qui diagnostiqua une indigestion.

Mais l’état du pauvre Chauvet alla s’empirant pendant huit jours, avant qu’il ne décède, le 11 août 1876 à 10 heures du matin.

 

Si la mort du père Chauvet parut, sur le moment, des plus naturelles, peu à peu, la rumeur enfla, enfla.....

Et chacun fit le rapprochement entre la visite de la fille et la mort du père.

 



[1] Nom donné au petit verre d’eau-de-vie pris, ordinairement, après le café. L’eau-de-vie pouvait aussi être ajoutée au café.

mercredi 21 juin 2023

La destinée de Charles Nicolas Valentin Chauvet - Quatrième partie


 Au printemps 1876, la famille Brard alla s’installer à Déville-Lès-Rouen.

 

Charles Nicolas Chauvet, vieillissant, vit sa fille s’éloigner avec un pincement au cœur. Heureusement, il avait des voisins charmants qui s’inquiétaient de lui et lui rendaient de menus services et notamment la famille Desveaux[1]. C’était souvent avec eux que le père Chauvet s’épanchait sur les différends qui l’opposaient à sa fille qui dernièrement lui avait fait signer des papiers apposés du cachet d’un office notarial.

Il avait signé, sans poser de questions.

 

« Qu’a-t-elle encore inventé ? se lamentait-il. Elle a toujours besoin d’argent, mais le porte-monnaie a un fond et l’argent s’ trouve pas sous les sabots d’un cheval. »

 

Gustave Onésime et Gervaisine Argentine l’écoutaient et au fil des discussions, face au mal-être de leur voisin toujours au bord des larmes, ils avaient fini par nourrir quelques animosités contre cette fille indigne.

 

Pendant ce temps, à Déville-Lès-Rouen, Marie Adélaïde déchantait de plus en plus. Cette nouvelle vie, dans cette nouvelle ville, n’apportait rien de nouveau dans le quotidien. Les dettes s’accumulaient encore et encore..... Toujours et toujours....

L’idée de la mort paternelle se faisait de plus en plus présente. Une seule issue, la provoquer et le plus vite possible.

Seule possibilité à portée de main, le poison.

Le poison, mais pour cela, il fallait s’en procurer.

La manière de se procurer du poison était devenue la conversation journalière du couple Brad.

 

Alexandre Frédéric Brard écoutait son épouse, las de ses jérémiades.

 

« Tu m’ fatigues ! lui répliquait-il à court d’arguments.

     Bien sûr, toi, tu lèverais pas le petit doigt pour m’aider ! J’ vois pas pour quoi  j’ t’ai épousé !!

     Et si t’as du poison, qu’en feras-tu ? Tu te vois tuer ton père ?

     On peut payer quelqu’un.

     Le payer, mais avec quoi ?

     Avec l’argent d’ l’héritage, pardi !

 

Alexandre Frédéric Brard haussait les épaules. Il était épuisé face l’obsession de son épouse et craignait le pire. Le pire ? Mais après tout, il n’y avait qu’à la laisser parler, jamais elle irait jusqu’au parricide.

Alors pour la calmer, il entra dans son jeu.

Un jeu dangereux, le jeu de la mort.

Il alla acheter de l’arsenic, soit disant pour tuer les rats qui  proliféraient dans la maison. L’apothicaire qui en vendait régulièrement pour détruire les rongeurs recommandait simplement la prudence quant à l’utilisation du produit.

Il alla aussi sur un chantier voler de l’acide chlorhydrique dont les couvreurs se servaient pour désoxyder le plomb.

 

« Voilà, pensa-t-il en donna les deux poisons à Marie Adelaïde, elle va m’ laisser tranquille à présent ! »

 

Mais le pauvre Alexandre Frédéric Brard ne savait pas que sa femme, de son côté, cherchait à engager un tueur et qu’elle s’était rendue pour cela à Fontaine-le-Bourg voir l’un de ses cousins éloigné, Augustin Brard.

 

Début août 1876, sur les insistances de son père, Marie Adelaïde décida de lui rendre visite.

Charles Nicolas Chauvet était très heureux, pensant à des réconciliations.

Il en était tout autre dans l’esprit de Marie Adélaïde.  

 



[1] Gustave Onésime Desveaux né le 20 octobre 1839 et Gervaisine Argentine Pointel née le 15 janvier 1846. Ils s’étaient mariés le 20 janvier 1866 à Le Bocasse.

De bon aloi ... ou .... de mauvais aloi.....

 

Un aloi ?

 

Ce nom masculin découle du verbe aloier ou aloyer (1268) devenu avec le temps, allier.

Ce mot était employé dans le domaine de la monnaie, celle qui était fondue, car au Moyen-âge les seigneurs pouvaient « battre monnaie ».

 

Un aloi est donc un alliage.

Un aloi, un alliage, qui pouvait être de bonne ou de mauvaise qualité.

Aujourd’hui plus question de monnaie dans cette expression toujours usitée qui a pris le sens de :

·         Conforme au bon goût, au bon sens, aux bons usages....

Ce petit article peut-il être jugé de bon aloi ?

 

Pour cette petite histoire autour d’un mot,

Je me suis aidée du

« Dictionnaire historique de la langue française » Le Robert

mercredi 14 juin 2023

La destinée de Charles Nicolas Valentin Chauvet - Troisième partie

 


Marie Éloïse Chauvet était à présent devenue la veuve Julien.

En son for intérieur, elle maudissait cet époux qui l’avait ainsi, par sa mort, abandonnée seule avec ses deux filles.

Son besoin d’argent devint aussitôt plus pressent.

« Ah, si l’ père pouvait mourir ! » pensait-elle souvent.

Cette idée finit par prendre une immense place, une réelle obsession, d’autant plus que l’homme de soixante-dix printemps s’obstinait à vivre, au grand désespoir de son unique fille.

 

Marie Éloïse Chauvet avait une réputation de femme facile. Mais n’était-ce pas commérages ?

On disait d’elle qu’elle se « livrait aux hommes » et de plus qu’elle levait bien souvent le coude en leur compagnie.

Hommes et alcool, cela n’allait-il pas ensemble ?

 

Seule, veuve, elle avait à présent tout loisir de faire des rencontres.

Elle jeta son dévolu sur un homme rencontré quelques mois avant son veuvage[1], un charpentier du nom d’Alexandre Frédéric Brard.

Leur mariage fut célébré un an après le décès du sieur Julien, le 16 mai 1870 à Le Bocasse. Ce jour-là, Marie Éloïse Chauvet, veuve Julien, devint madame Brard.

 

Nicolas Valentin Chauvet était présent à la noce. N’avait-il pas payé les frais de la cérémonie ?

Et puis, ce nouveau gendre lui plaisait bien. Avec lui, il pouvait parler métier. Mais surtout, ce père aimant mettait tous ses espoirs en ce nouveau mariage. Sa fille volage et dépensière arriverait-elle à trouver, enfin, un équilibre de vie ?

 

Ce ne fut malheureusement pas le cas, car le nouveau couple s’enfonça de plus en plus dans les dettes, mettant continuellement leurs divers biens, tels vêtements et divers objets de famille au Mont-de-piété.

Un cercle infernal faisant rejaillir à chaque fois le désir de la mort du père Chauvet, afin de pouvoir hériter.

Plus les jours passaient, plus Marie Éloïse échafaudait des scenarii possibles, dans le souci toutefois de faire paraître le décès projeté comme mort naturelle.

Un accident ?

Un empoisonnement ?

 

Nuit et jour, Marie Éloïse ne pensait plus qu’à la mort de son père et la manière de la provoquer.



[1] Pierre Bruno Julien était décédé à son domicile, à Bosc-le-Hard, le 6 mai 1869

Ecrou ....

 


Écrou, mais lequel ?

 

Oui, lequel ?

Alors que l’on parle du genre des mots, un écrou – nom masculin - fut d’abord un nom féminin.

·         Une escroe (1168 – 1175)

·         Une escroue (fin du XIIème siècle).

Ce mot ne prit le genre masculin que vers 161, avec l’orthographe suivante : un escrou.

L’écrou dont je parle présentement dans ce texte désigna tout d’abord une bande de parchemin sur laquelle pouvaient apparaître diverses informations administratives, telles : « les écroues de la maison du roi faisant état de dépenses ».

Le registre des écrous consignait les informations concernant les incarcérations des détenus (es) :

Date d’écrou, coordonnées du détenu et renseignements divers, motif de l’incarcération, date du procès, résultat du jugement et condamnation, date de sortie de l’établissement pénitentiaire ou transfert dans un autre.

 

L’ordre d’écrou est donc l’ordre d’incarcération.

La levée d’écrou, la libération d’un prisonnier.

 

Le verbe écrouer fut d’abord employé dans le sens de « mettre en pièces quelqu’un » avant de prendre celui que nous lui connaissons aujourd’hui, soit emprisonner.

Ecrouer, de escroer : dépicher en lambeaux, couper en morceaux.

 


Et puis, il y a l’autre écrou...

Un écrou – nom masculin – désignant une pièce de métal, de bois ..... percée d’un trou fileté dans lequel s’engage une vis.  

 

Pour cette petite histoire autour d’un mot,

Je me suis aidée du

« Dictionnaire historique de la langue française » Le Robert

mercredi 7 juin 2023

La destinée de Charles Nicolas Valentin Chauvet - Deuxième partie

 


Quand Marie Éloïse
[1] annonça à sa mère qu’elle était enceinte, celle-ci s’écria :

« Faut t’marier, et vite ! »

 

Juste le temps de publier les bans et la jeune fille se retrouva devant le maire et le curé.

 

Mais en ce 1er octobre 1844, jour des noces, au bras de son mari, Pierre Bruno Julien, elle n’était pas pleinement heureuse. Sans l’enfant qu’elle portait, elle ne se serait jamais mariée. En acceptant cette union, elle se sentait piégée.

 

Deux mois plus tard, Marie Delaye, la mère de Marie Éloïse, décéda brusquement, plongeant son époux, Nicolas Valentin Chauvet dans la plus grande détresse.

Ne lui restaient à présent que sa fille, son gendre et l’enfant à venir.

Ah, cet enfant ! Comme il le souhaitait doublement à présent. Sûr qu’il lui redonnerait l’envie d’avancer.

Et si c’était un garçon, il pourrait lui transmettre son savoir.

Il s’y voyait déjà, Nicolas Valentin, en grand-père aimant.

 

Marie Delaye avait quitté ce monde le 1er décembre 1844, à son domicile, à Bosc-le-Hard. Son corps à peine enseveli, Marie Éloïse parla héritage. Seule héritière, les biens de ses parents lui revenaient de droit.

Elle se faisait insistante, mais juste ce qu’il fallait, mettant en avant la prochaine naissance et le besoin d’argent. N’avait-elle pas toujours obtenu ce qu’elle souhaitait ?

 

La naissance survint le 10 mai  1845 au Bocasse.

Ce fut une fille, baptisée Éloïse Damarée[2].

Pas un garçon ! Une fille !

Tant pis, elle était la bienvenue.

 

Joies et peines. La vie en est parsemée.

 

Ce fut ainsi que le 17 janvier 1850, arriva au foyer Julien une autre petite fille. Elle reçut les prénoms d’Eugénie Clara.

Un petit ange qui s’envola au paradis deux mois plus tard[3].

Un choc pour Marie Éloïse qui peina à s’en remettre, plusieurs années durant.

 

Les années passèrent...

Entre Marie Eloïse et son père, les rapports étaient tendus. Toujours cette question d’héritage qui fut un temps reléguée au second plan, car....

 

Dès les premiers symptômes, Marie Éloïse, ne voulut pas y croire.

Entre joie et inquiétude, elle n’osait en parler.

Sa fille Éloïse Damarée venait de fêter ses seize ans et voilà qu’une nouvelle naissance s’annonçait.

Non, ce n’était pas possible, elle devait se tromper.

Pas à son âge !

Peut-être que ses périodes cessaient tout bonnement, plus tôt que d’ordinaire. C’était possible après tout.

 

Toutefois, Marie Éloïse dut admettre, quelques semaines plus tard, qu’elle était bien enceinte et cette nouvelle ne la réjouissait pas vraiment.

 

 

« C’est une fille !! s’écria la matrone venue pour la délivrance, et bien membrée avec ça ! »

 

Une fille qui reçut les prénoms d’Orangine Louise[4]. La différence d’âge entre les deux sœurs était telle que la petite dernière-née n’eut pas une maman et une sœur, mais deux mamans. D’autant plus que Marie Eloïse se déchargeait largement des soins de sa dernière fille sur l’aînée.

Quant à Nicolas Valentin Chauvet, il n’avait toujours pas eu de petit-fils. Pas grave, il avait deux adorables petites-filles. Son plus grand chagrin résidait dans le fait que son unique fille, lui battait froid, et tout cela pour une question d’argent. Il ne pouvait tout de même pas vendre tous ses biens, se séparer de son passé ?

Un crève-cœur que ce différend qui allait s’amplifier après un autre événement tragique, le décès de Pierre Bruno Julien[5], laissant Marie Éloïse seule avec ses deux filles.

 



[1] On trouve également « Héloïse » sur certains documents.

[2] Tout comme pour sa mère, le prénom est aussi orthographié « Héloïse » sur certains documents.

[3] Eugénie Clara décéda le 16 mars 1850.

[4] Orangine Louise fut appelée « Louise » tout au long de sa vie. Elle naquit le 20 août 1862 à Bosc-le-Hard.

[5] Pierre Bruno Julien décéda à son domicile, à Bosc-le-Hard, le 6 mai 1869. Il était né le 24 août 1913 à Frichemesnil (76). Il exerçait le métier de menuisier.