mercredi 29 décembre 2021

Les catastrophes ferroviaires

 




Ce fut le 8 mai 1842
[1]

Seconde partie

 

Les raisons techniques de l’accident.

Des experts se penchèrent sur les causes de ce dramatique accident. Il fallait en connaître la cause afin d’éviter un nouveau drame.

L’accident fut, selon leurs conclusions, produit par la rupture de l’essieu avant – au ras  des roues - de la première machine, elle-même provoquée par la rupture d’un des ressorts.

 

Il faut préciser que les premières machines ne possédaient que quatre roues, positionnées entre la boite à fumée et la boite à feu. En cas de rupture d’un essieu, la locomotive basculait et déraillait. Pour éviter qu’un tel terrible événement ne se reproduise, il était primordial d’augmenter le nombre d’essieux, permettant ainsi de garder une stabilité au convoi.

 

L’organisation des secours.

Les locomotives n’avaient pas explosé, mais il s’échappait d’elles une vapeur brûlante et, de plus, le charbon incandescent se trouvant dans le foyer des machines s’était rependu sur les voitures de voyageurs construites en bois.

La solidarité avait bien fonctionné, car immédiatement, arrivèrent sur place les habitants des environs, les pompiers et la gendarmerie locale, et puis, le drame ayant été très vite connu à Paris, un dispositif d’urgence[2] avait alors été mis en place sous l’autorité du préfet de police en fonction[3] qui se déplaça aussitôt sur les lieux. Malheureusement, l’intensité de l’incendie ne permit pas de porter secours aux victimes, seuls les voyageurs des dernières voitures purent être sauvés.



Le bilan humain.

Le chiffre des victimes annoncé fut longtemps contesté.

L’Histoire retint un chiffre approximatif allant de soixante à quatre-vingts personnes décédées.

Décédées, le jour de l’accident... Car il y eut également environ cent-cinquante blessés dont une centaine très grièvement.

Ces blessés avaient été transportés, après avoir reçu les premiers soins par des médecins sur place, soit dans des maisons proches, soit au Château royal de Meudon, soit dans plusieurs hôpitaux parisiens (Hôtel-Dieu – Necker – la Pitié......) où beaucoup décédèrent, hélas, des suites de leurs blessures.

Le chiffre, plus réaliste, de cent-cinquante-sept fut alors annoncé...... Difficile à présent de connaître la vérité.

Lors du procès, les rescapés vinrent témoigner.

Un homme, entre autres, qui avait été grièvement blessé[4]. Il était avec son fils, lui-même infirme suite au déraillement. Oui, cet homme, vint devant le juge réclamer le corps de son second enfant...... Il affirmait, haut et fort, que la compagnie des Chemins de fer avait fait enterrer clandestinement une quarantaine de passagers mort dans l’incendie.

 

Un travail de reconnaissance des dépouilles.

Devant la difficulté d’identification des corps carbonisés, il fut certainement très compliqué de les nommer et les compter, d’autant plus que le Préfet de la Seine[5] donna l’ordre d’ensevelir immédiatement les corps non-identifiables. Ceux-ci furent alors rassemblés dans une fosse commune au cimetière du Montparnasse, le 23 mai 1842,

 

Pourquoi autant de morts ?

Le nombre important de victimes aurait pu être moindre.

Bien sûr, il y eut la rupture de l’essieu mais il y eut surtout......

En raison d’un nombre important de suicides dans le tunnel de Saint-Cloud, un arrêté préfectoral ordonna que les portières des wagons soient fermées de l’extérieur.

Les passagers bouclés, n’avaient donc aucune possibilité de s’échapper, sauf en brisant les vitres.

 

Ce n’était pas le premier accident de chemin de fer, mais il est, encore aujourd’hui, considéré en raison du nombre de victimes, la première catastrophe ferroviaire sur le territoire français.



 

.......La suite la semaine prochaine.....



[1] Sources : La sécurité dans les chemins de fer de Léon Malo – Les chemins de fer (3ème édition) de Amédée Guillemin et divers journaux de l’époque via le site Gallica.

[2] Le personnel médical avec tout le nécessaire (matériel – médecines – pansements – brancards.....) ainsi que des forces de l’ordre arrivèrent à cheval, par le rail  et par le fleuve.

[3] Il s’agissait de Gabriel Abraham Marguerite Delessert, né le 17 mars 1786 à Paris, et décédé dans la même ville,  le 29 janvier 1858 - haut fonctionnaire français et préfet de police de Paris de 1836 à 1848.

[4] Cet homme avait été amputé d’une jambe.

[5] Claude-Philibert Barthelot, comte de Rambuteau, né à Mâcon le 9 novembre 1781 – décédé le 11 avril 1869 à Charnay-lès-Mâcon – Préfet de la Seine de 1833 et 1848.

 

Rancard ou rancart... Que choisir ?

 

Rancard ou rancart – 1889 – nom masculin, argotique, dont l’origine reste obscure.

Mais.... peut-être dérive-t-il, ce mot, de l’ancien verbe :

  • ·         Racorder ou recorder  >  rapporter – rappeler

 

Ce nom est employé, en argot, pour « renseignement » d’où l’expression :

  • ·         Filer un rancard : renseigner

 

Le verbe rancarder ou rencarder, signifiant « renseigner », peut se conjuguer à la forme pronominale – depuis 1901 – ce qui donne :

  • ·         Se rancarder  -  Se renseigner

 

Mais...... vous le savez, il y a toujours un « mais »  dans cette langue française aux nombreux méandres.

Rancart ou rancard, nom masculin, est aussi le synonyme de :

  • ·      Rendez-vous – 1898.

D’origine non-connue, il viendrait, peut-être de « renque », abréviation de rencontre....

  • ·         Rencontre > renc > renque

 

Mais, « renque » n’est attesté qu’en 1926.

Peut-être alors une dérive de « rencarrer », verbe du premier groupe, dont la définition est :

  • ·         Rentrer chez soi – se mettre en lieu sûr.

 

Rencarrer :

  • ·         Radical « carre » : coin. Possible aussi, mais pas certain.

Ce qui est sûr, par contre, c’est qu’avec ce mot, nous plongeons dans le domaine de la rencontre ou du rendez-vous, en raison des expressions :

  • ·         Donner rancard à quelqu’un.
  • ·         Filer (un) rancard à quelqu’un.

 

Un rancard qui peut également avoir un lien avec la police qui donne rancard à un indique pour qu’il la rancarde.

Tout cela est bien nébuleux, mais dans le contexte du rancard entre agents secrets, cela semble totalement indiqué.

  • ·         Indiquer > indic.
  • ·         Renseigner > renseignement.
  • ·         Rancarder > bavarder.
  • ·         Bavarder < indiquer......

 

Je vous donne rancard (rancart ou encore rencard...)
en janvier 2022........

 

Pour cette petite histoire autour d’un mot,

Je me suis aidée du

« Dictionnaire historique de la langue française » Le Robert

mercredi 22 décembre 2021

Les catastrophes ferroviaires

 



Ce fut le 8 mai 1842
[1]

Première partie

 

La ligne de chemin de fer de Paris-Montparnasse à Versailles, par la rive gauche de la Seine, fut inaugurée le 10 septembre 1840. Presque deux années déjà.

Ce 8 mai avait lieu à Versailles le spectacle des « Grandes eaux », et beaucoup de visiteurs étaient attendus.

En fin d’après-midi, dans la gare de Versailles – côté rive gauche – les voyageurs se pressaient pour retourner vers Paris. Les quais grouillaient de monde et les wagons-voyageurs ne pouvaient accueillir plus. Le chef de gare prit alors la décision de faire ajouter deux wagons au convoi de 17 heures 30, pensant que la locomotive baptisée « l’Eclair », de type 111 dit Patentée, serait insuffisante, il fit mettre en tête un engin utilisé ordinairement pour les travaux, nommé « La Mathieu Murray », de type 110 dit Planet, n’ayant aucune autre locomotive disponible.

Un convoi bien étrange, composé de deux engins de tractions et leurs tenders et dix-sept voitures dont la caisse était en bois. Dix-sept voitures :

  • ·         Deux wagons découverts de cinquante-neuf places
  • ·         Neuf wagons couverts de quarante-huit places
  • ·         Trois diligences de quarante-six places
  • ·         Trois wagons avec serre-frein de quarante-six places

·         Poids total de cet équipage : 160 tonnes

·         Longueur totale : cent vingt mètres

·       Côté humains : sept-cent-soixante-huit voyageurs et neuf agents des Chemin de fer.

 

Le train s’ébranla au coup de sifflet du chef de gare.

Un quart d’heure plus tard, à mi-chemin entre Versailles et Paris, à l’entrée de Meudon, au passage à niveau franchissant la route départementale n° 40[2], dite du pavé des Gardes, la première machine s’affaissa et dérailla. Entrainée par sa vitesse, parcourant dans son élan soixante-cinq mètres, avant de s’immobiliser dans le sol.



Pendant ce temps, le tender, poussé par la grosse locomotive,  fut écrasé entre les deux machines, avant que la seconde locomotive ne se renversa sur le flanc.

Mais, les cinq premières voitures ne stoppèrent pas pour autant. Entraînées, elles s’encastrèrent les unes dans les autres avant d’être propulsées, pêle-mêle, sur les deux locomotives.

Bien que, par chance, les deux chaudières demeurèrent intactes, les débris de charbons s’éparpillèrent et enflammèrent l’amas de machines et wagons en bois. Devenues de véritables torches, ces voitures emprisonnèrent les voyageurs dans un piège mortel. Aucun secours ne put leur être apporté.

 


Que s’est-il réellement passé ?

Pour le savoir, je vous donne rendez-vous la semaine prochaine......

 

 



[1] Sources : La sécurité dans les chemins de fer de Léon Malo – Les chemins de fer (3ème édition) de Amédée Guillemin et divers journaux de l’époque via le site Gallica.

[2] Devenue la route départementale 181.

SALMIGONDIS

 

Un salmigondis

 

Encore un mot qui a évolué avec le temps, car il se disait :

  • ·         Salemine – 1393
  • ·         Salamine – 1545
  • ·         Salmigondin – 1552
  • ·         Salmigondu – 1596
  • ·         Salmigondis – 1627

 

C’est bien beau tout cela, mais qu’est-ce que c’est ?

 

Pour vous éclairer sachez que ce mot est composé :

  • ·         D’un radical :                     Sal > sel
  • ·         D’un suffixe :                    Ain ou in

Et de


  • ·        
    « Gongin ou gondir » de l’ancien verbe « condir » : accommoder – assaisonner – épicer....

 

Ce mot a donc un lien très étroit avec la cuisine !!!

 

Un salmigondis est un mets préparé avec plusieurs espèces de poissons, mais qui désigne aussi un ragoût de plusieurs viandes réchauffées.

Concernant le ragoût de gibier, le terme utilisé est : un salmis.

 

Au sens figuré, ce mot est attribué à un discours, une conversation ou un ouvrage, très confus !!!

 

Pour ajouter un peu de confusion à tout cela, je précise qu’il est tout à fait possible de prononcer un salmigondis tout en dégustant un salmigondis !!!

 

Bon appétit !!

 

 

Pour cette petite histoire autour d’un mot,

Je me suis aidée du

« Dictionnaire historique de la langue française » Le Robert

 

 

mercredi 15 décembre 2021

Il avait une fête qui n'existe plus.


 

Un papegai





 

Ce mot, provenant du provençal « papagay » ou encore « papagai » (XIIIème siècle), désignait un perroquet. Ce ne fut qu’à partir du XIVème siècle que cet oiseau prit l’appellation de « perroquet ».







Pendant de nombreuses, il existait une tradition dans les villes, celle de « la fête du papegay ».





Un oiseau coloré, fait de tissus et de plumes, se voyait promené par les rues, juché au sommet d’une perche.

Un chasseur, arbalétrier, devait abattre le volatile. Cet exploit lui donnait un titre honorifique pour une année, titre qu’il remettait en jeu l’année suivante.

 


Pour cette petite histoire autour d’un mot,

Je me suis aidée du

« Dictionnaire historique de la langue française » Le Robert

 

mercredi 8 décembre 2021

LA BETE HUMAINE

 


 

La fin de Lison

La pauvre Lison n'en avait plus que pour quelques minutes. Elle se refroidissait, les braises de son foyer tombaient en cendres, le souffle qui s'était échappé si violemment de ses flancs ouverts s'achevait en une petite plainte d'enfant qui pleure. Souillée de terre et de bave, elle toujours si luisante, vautrée sur le dos, dans une mare noire de charbon, elle avait la fin tragique d’une bête de luxe qu’un accident foudroie en pleine rue. Un instant, on avait pu voir, par ses entrailles crevées, fonctionner ses organes, les pistons battre comme deux cœurs jumeaux, la vapeur circuler dans les tiroirs comme le sang de ses veines ; mais pareilles à des bras convulsifs, les bielles n’avaient plus que des tressaillements, les révoltes dernières de la vie ; et son âme s'en allait avec la force qui la faisait vivante, cette haleine immense dont elle ne parvenait pas à se vider toute. La géante éventrée s'apaisa encore, s'endormit peu à peu d'un sommeil très doux, finit par se taire. Elle était morte. Et le tas de fer, d'acier et de cuivre qu'elle laissait là, ce colosse broyé avec son tronc fendu, ses membres épars, ses organes meurtris, mis en plein jour, prenait l'affreuse tristesse d'un cadavre humain, énorme, de tout un monde qui avait vécu et d’où la vie venait d’être arrachée, dans la douleur.





Un extrait de la « Bête humaine » d’Emile Zola, celui de la « mort » de la Lison, suite à son déraillement sur la ligne Paris-Le Havre.

Une entrée en matière pour vous annoncer qu’à partir de la semaine prochaine, je vous parlerai des catastrophes ferroviaires !!!



Un bricheton

 

En voilà encore un mot !!

Pour vous éclairer, je peux vous dire que sa première orthographe, vers 1867, était « Brigeton », avant de devenir, vers 1878, « bricheton ».

Est-ce que cette précision vous aide ?

Point du tout !

Alors voilà.

 

Ce mot est composé de :

  • ·         Brichet, désignant un pain d’une ou deux livres fait pour les bergers. C’était vers 1842.
  • ·         A brichet, il fut adjoint le suffixe « on ».

Bricheton, un mot dialectal, utilisé dans le département de l’Eure.

 

Mais à l’origine, dans le avant d’avant, vers 1264, l’ancien français possédait un mot presque similaire, « briche » et qui était donné à un morceau de pain.

 

Si ce mot n’est plus usité, il a fait partie, un temps, du langage argotique pour parler familièrement du pain, puis de la nourriture en général.

Au XIXème siècle, ce « bricheton » se déclina en un verbe......

  • ·         Bricheton..... Brichetonner.

  • ·        
    Brichetonner, pour manger !

 

« Qu’avez-vous brichetonner, ce soir ?

-          Juste un morceau de bricheton et un bout de fromage !!

 

Bon appétit !!

 

 

Pour cette petite histoire autour d’un mot,

Je me suis aidée du

« Dictionnaire historique de la langue française » Le Robert

mercredi 1 décembre 2021

Il y a pis et pis

 


 Ne pas confondre « pis » et « pis »......

 Il y a d’abord, le pis, nom masculin, le pis de la vache qui, d’ailleurs, en possède quatre !

 Il y a aussi « pis » : adverbe – adjectif et nom masculin.

Ce « pis » découle du latin « pejus » qui a donné « pire », le superlatif de mal.

D’où l’expression :

  • ·         Aller de mal en pis

La descente aux enfers !!

 Ou encore :

  • ·         Tant pis

Traduction : c’est dommage – c’est regrettable – c’est fâcheux........

 Et puis :

  • ·         Mettre les choses au pis

Envisager la situation extrême.

 

Et enfin :

  • ·         Au pis aller

Locution adverbiale employée depuis la fin du XVIème siècle qui est devenue, un peu plus tard, un nom invariable : un pis-aller.

Un pis-aller est une personne, une situation..... qu’on accepte faute de mieux.

Ce nom désigna, un temps, la pire chose qui pouvait arriver à quelqu’un. Cette définition est totalement sortie d’usage.

 

Alors, à présent, n’allez surtout pas confondre :

Un pis-aller avec un pis-à-lait.

 

Pour cette petite histoire autour d’un mot,

Je me suis aidée du

« Dictionnaire historique de la langue française » Le Robert

 

Que d’eau ! Que d’eau !

 


L’été avait affiché ses couleurs, en ce mois de juin 1822.

Il s’annonçait torride.

Le moindre effort faisait transpirer et l’on craignit la sécheresse.

 

« I’ faudrait ben un peu d’pluie  pour abattre la poussière ! disaient les ménagères le balai à la main.

-      ça pour sûr ! Et ça f’rait pas d’mal au jardin, répondaient quelques autres, inquiètes de voir dépérir un apport de nourriture non-négligeable.

 

Dans les champs, les agriculteurs, soucieux, scrutaient le sol craquelé et le ciel vide de formations nuageuses annonciatrices de pluie.

 

Les conversations tournaient à longueur de temps autour de l’avenir incertain des cultures, si ce temps se maintenait.


Seuls, les enfants, heureux de cette chaleur, en profitaient pour patauger à loisir dans l’eau fraîche de la rivière, se moquant bien des recommandations de prudence de leurs parents.

 

Dans les débits de boissons où les hommes se rassemblaient pour partager un verre, afin de se rafraîchir, l’ambiance était à l’inquiétude.

 

« Si les récoltes donnent pas, sûr que les prix vont grimper, et qu’on va manquer !

-      Avec une chaleur pareille, ça va craquer !

-      Faudrait pas qu’ ça fasse comme l’année dernière !

-      ça pour sûr, ce fut l’ déluge !

-      J’ y ai perdu toutes mes récoltes. ça, si j’ m’en souviens !

-      C’est qu’ ça dévalait dru par la côte du Banquet. ça charriait d’ la boue et d’ la caillasse !

-      Que misère !

 

Oui, quelle misère de perdre tous ses biens, tout le fruit d’une année de travail, mais que faire contre les intempéries ?

 

Le mardi 11 juin 1822, la chaleur était intolérable et l’air irrespirable.

 

Sur le chemin, un agriculteur, menant son cheval jusqu’à la ferme, rencontra un voisin. Tous deux se saluèrent et échangèrent quelques mots :

« Alors, voisin, c’est y vot’ temps ?

 

L’autre, sortant un mouchoir de sa poche, s’épongea le front et hocha la tête avant de répondre :

« ça va changer, pour sûr. L’père m’ la dit c’ matin. Fils, j’ peux plus m’ bouger, l’ temps est à la flotte. »

 

Le cheval se mit à renâcler en tirant sur sa longe.

 

« J’ l’ crois ben. Regarde c’t animal, il est nerveux comme une jeune mariée, répondit l’agriculteur.

-      Les poules, c’ matin, renchérit le voisin, grattaient la terre pour chercher la fraîche et à présent, elles s’ rentrent. Elles sentent que’qu’ chose !

 

Eh oui, l’observation de la nature apportait beaucoup. Les anciens avaient, depuis longtemps, repéré les signes néfastes de la nature, les attitudes des bêtes.

 

Vers les quatre heures après midi, le ciel s’assombrit d’un coup. L’atmosphère devint oppressante.

Les regards inquiets observaient le ciel devenu de plomb.

 

Une brise chaude s’éleva, remplacée peu à peu par des coups de vent de plus en plus brusques.

Quelques grosses gouttes tombèrent éparses, soulevant un peu de poussière en éclatant sur le sol.

Le ciel se zébra de quelques éclairs. Le tonnerre gronda sourdement dans le lointain.

 

Quelques rafales tourbillonnèrent encore, malmenant les branches des arbres, leur arrachant des feuilles balayées avant d’atteindre le sol.

 

Soudain, un bruit fracassant. Accompagnée d’un coup de tonnerre, la foudre venait d’atteindre un arbre à l’entrée de la ville, sectionnant une de ses plus grosses branches qui s’abattit avec fracas. Puis ce fut une trombe d’eau, aux gouttes lourdes et serrées....

 

Un rideau d’eau, cognant les toits, frappant les vitres, accompagné de coups de tonnerre et d’éclairs. Un cataclysme apocalyptique.

 

Ce trop-plein d’eau, ne pouvant être absorbé par la terre, ruisselait, profitant du moindre passage en pente pour prendre de la vitesse. Ces ruisseaux bouillonnaient, grossissaient, forcissaient de plus belle, emportaient tout sur leur passage.

 

Quelques passants, surpris par l’averse,  couraient, cherchant l’abri le plus proche. Les autres, protégés, regardaient impuissants, attendant que le ciel s’éclaircisse. L’estomac serré, ils évaluaient les pertes que cela allait générer.

 

« Pas une année de paix ! se souvenaient les uns, évoquant les années précédentes.

-      ça va t’y durer longtemps c’te vie d’ misère ? pensaient les autres. 

 

Les femmes priaient, priaient avec ferveur, quémandant à ce Dieu de miséricorde qui ne semblait ne pas vouloir l’être en ce moment présent, le privilège de ne pas être trop touchées par ce désastre.

 

Combien de temps dura l’orage ? Peu importe, car pour tous, cela sembla une éternité.

 

Lorsque le ciel se dégagea, enfin, chacun sortit, hébété, encore sous le choc.

L’heure était maintenant au constat.

 

Par la côte du Banquet, en pente accentuée, l’eau avait charrié boue et cailloux qui s’étaient amoncelés depuis l’embranchement du chemin allant de La-Haye-Leconte jusqu’à la rue de Beaulieu.

 

Il a fallu des bras - mais dans ce  cas-là il y a en avait toujours - pour déblayer trente mètres carrés de caillasse.

 

Dans les rues de Beaulieu et de la Ravine, les ménagères nettoyaient, balai à la main, l’eau mêlée de boue qui avait envahi leur demeure.

 

La rivière Eure avait débordé en raison de l’afflux soudain d’eau, inondant les prairies.

 

Le meunier, Pierre Baze, à Folleville, avait subi de lourds dommages. Il avait vu le courant envahir son moulin, emportant dans sa course folle un grand nombre d’ustensiles lui servant à l’exercice de son métier. Bringuebalés, chahutés, ceux-ci avaient été retrouvés dans un tel état qu’ils n’étaient plus utilisables.

 

Le toit de certaines maisons n’avait pas résisté, quelques vitres également.

Les jardins potagers, prometteurs, furent réduits à néant et bien évidemment les champs de cultures et les vergers environnants.

 

L’entraide fonctionna comme à chaque catastrophe. En pareils moments, les rancunes tombaient, on se serrait les coudes, et puis, on relevait ses manches, on crachait dans ses mains et on nettoyait, colmatait, réparait.

 

Le lendemain, l’air plus frais laissait penser que la chaleur de l’été deviendrait plus supportable et que cet épisode orageux n’aurait pas de suite.

 

Mais voilà, à peine tout remis en ordre, le dimanche suivant, 16 juin 1822, le ciel  s’assombrit à nouveau et se déversa en misère. Tout était à refaire.

 

L’être humain se sent bien humble devant les forces de la nature !

 

Ce texte a été rédigé à partir d’un petit compte-rendu

 recueilli dans un des registres de délibération

du Conseil Municipal de Louviers.