jeudi 26 juillet 2018

Un mot, presque rien...... une bêtise ......


Un mot que j’adore !

Une calembredaine....... N’est-il pas merveilleux ce mot ?

Mais, d’où vient-il ?
Une certitude, il fait son apparition vers 1745, mais par quel chemin, ça, c’est une autre histoire.

Observons-le attentivement :
Dans « calembredaine », il y a « bredaine », peut-être de la famille de « bredouiller », mais ...... peut-être aussi de « bourde », désignant des paroles en l’air.
Les deux ne sont pas incompatibles, on peut « bredouiller des paroles en l’air ». Pas besoin de crier pour dire des bêtises !

Poursuivons notre observation.
« Calem » pourrait venir du wallon « Calauder » signifiant « bavarder » ou encore, pourquoi pas, du picard « calender », mot s’employant pour « dire des balivernes ».

Enfin quelle que soit son origine, ce mot n’est « que bêtises lancées lors des conversations ».
D’ailleurs, n’emploie-t-on pas « calembredaine » toujours au pluriel ?
Ce qui est le signe qu’il en est dit des propos extravagants, dérisoires et absurdes, à longueur de temps.

Donc, la plupart des gens bourdent des calembredaines, certains autres font des bourdes.
Le décodeur traduit : « Donc, la plupart des gens disent des propos extravagants, certains autres font des bêtises ».

Calembredaine peut aussi se rapprocher de « calembour » qui n’est autre qu’un « jeu d’esprit à double-sens équivoque de mots », ou encore, en 1812, « un mauvais jeu de mots ».
Dans les salons à la mode dans les temps anciens, cet exercice de l’esprit était fort prisé.

Je peux, également, vous proposer :
·         Un(e) calembourdier(e) – 1775
·         Un(e)  calembouriste – nom et adjectif - 1783
·         Un(e) calembouriste - 1777
·         Calembourdiser – verbe – 1842
·         Calembouresque – adjectif – 1883

Résumons, il est tout à fait possible d’entendre une calembourdière bourder des calembredaines calembouresques face à un calembouriste qui calembourdise.

Bon, j’arrête ici mes propos calembouristes de peur de passer pour une mauvaise calembourdière !

mercredi 25 juillet 2018

CONTE POUR LES ENFANTS SAGES..... ET TOUS LES AUTRES


LE CAILLOU NOIR
Chapitre 2


Rentrant chez lui, il ne prit pas le temps de se déchausser comme le demandaient les règles familiales, mais gravit les marches de l’escalier menant à l’étage, deux à deux, ouvrit à la volée la porte de sa chambre, balança son sac dans un coin de la pièce et se jeta sur son lit dont la couette gisait en boule sur le sol.
Allongé sur le dos, les bras repliés sous la tête, les yeux semblant observer au-delà du plafond un monde lointain, il s’immobilisa dans une sorte de « transe statique »  que seuls les adolescents maîtrisent à la perfection...... jusqu’à ce que :
« Théo ! Tu es là ? »
La voix venait d’en bas, de l’entrée, c’était celle de maman qui, inquiète d’avoir trouvé la porte d’entrée entrouverte et de n’entendre aucun bruit dans la maison, se renseignait si ce n’était pas encore son chenapan-de-fils-nommé-Théo qui n’avait pas, comme à son habitude, fermé la porte.

Il fallut à Théo un certain temps et plusieurs appels de sa « maternelle », pour sortir de sa bulle et répondre enfin par un « Ouais !» dont l’intonation en disait long sur son humeur du moment.

Théo. Un jeune adolescent de 11 ans, scolarisé dans le groupe scolaire de son village, en classe de CM2.
« L’an prochain, lui disait-on, c’est le grand saut vers le collège ! Du sérieux, hein ? »
Théo. Un visage encore poupon tacheté de rouille, une tignasse épaisse et rousse, de grands yeux bleus clairs, presque transparents et un sourire angélique et resplendissant  (quand il daignait sourire, bien sûr) qui laissait apparaître une dentition baguée qui étincelait au soleil.
Théo avait tout ce qu’il fallait pour être la risée des copains, un prénom divin (Merci les parents !), une petite taille et légèrement enrobée, des cheveux roux, un visage de gros bébé.... Il n’y avait que « l’appareil d’orthodontie » qui n’était pas objet de moquerie, car, tous ou presque, en étaient équipés.
Théo, surnommé « Dieu », vivait à l’école un « enfer de lazzis ».
Mal à l’aise, dans cet environnement hostile, il ne fréquentait l’école que par obligation, mais ne s’y sentait pas bien. Ses résultats n’étaient donc pas excellents, bien au contraire. N’obtenant que de mauvaises notes même aux exercices les plus faciles, celles-ci lui valaient les sobriquets gratifiants de « Nul », « Nase », « Idiot », « Cancre », et bien d’autres encore, même par ceux dont le niveau ne se révélait pas plus élevé que le sien.

Alors, il s’était réfugié dans son monde, un monde dans lequel il était le héros, se promettant chaque soir d’affronter ses détracteurs, mais chaque matin, en se rendant à l’école, son courage fondait.....
Alors il pensait tristement : « Non seulement je suis nul, mais en plus, je suis un lâche. »



LA SUITE LA SEMAINE PROCHAINE

HISTOIRE DE VILLAGE - Risques professionnels





Pas facile, le métier de marchand de vin ! Pour appâter le client, il ne faut pas ménager sa peine ! Et celle-ci ne consiste-t-elle pas en dégustations ?
Il faut donc accompagner le client potentiel en trinquant, une fois, deux fois… et la rincette, jusqu’à la décision finale et l’accord de la commande.
Une journée pouvait compter un client, deux clients, trois clients…..
Certains jours, donc, l’équilibre du pauvre vendeur se trouvait bien compromis.

Pierre François Hyppolite F était marchand de vin et il lui arrivait, fréquemment, de rentrer au domicile conjugal, complètement pompette.

Mais, car il y avait un mais, si certains avaient le « vin gai », ce n’était pas du tout le cas de Pierre François Hyppolite qui, dans cet état, cherchait noise à quiconque se trouvait sur son passage. De ce fait, plusieurs plaintes avaient été déposées au commissariat de police de Pont-de-l’Arche, ville dans laquelle résidait cet homme que l’on disait brave, uniquement lorsqu’il était à jeun.
A chacun de ses esclandres, son épouse, Marie Barbe Rose Anne L, prenait sa défense.

« Il est point méchant, mon homme, simplement qu’avec son métier, i’ peut point fair’ autrement que d’  boire. Pis, un homme sâs, ça n’a p’us d’ raisonnement ! »

Mais, dans son for-intérieur, il était vrai que la pauvre épouse était fatiguée de voir celui qu’elle avait épousé en mars 1807 pour « le meilleur et pour le pire », se conduire de la sorte, même si il avait quelques circonstances atténuantes. Ne pouvait-il pas boire un peu moins, tout de même ! Un jour, elle s’était permis de lui en faire la remarque. Il l’avait mal pris.

« T’y comprends ren, toi, au commerce ! Si j’ veux vendre, c’est comm’ ça !  s’était-il exclamé.
-          Mais, ne pourrais-tu pas boire moins, tout d’ même, car en plus, tu t’ rends malade !
-          Tais-toi, j’ te dis ! C’est tout d’ même pas une femme qui va dire c’ que dois fair’ ! Non de  d’là !

Alors, Marie Barbe Rose Anne s’était tu. Que faire d’autre ?

Depuis leur union, de nombreux enfants avaient vu le jour au foyer. 1808, 1809, 1810. Un chaque année. Mais, un avait rendu son âme à Dieu, alors qu’il n’avait que dix-sept mois.

En ce mois de février 1811, la pauvre femme présentait, encore, un ventre rebondi, la naissance étant prévue pour la mi-mai, alors que le dernier-né n’avait que dix mois et que le précédent venait tout juste de faire ses premiers pas.

Ce jour-là, donc, ayant réalisé une bonne vente, Pierre François Hyppolite F rentra en début d’après-midi dans son foyer, dans un état indescriptible. Il franchit la porte de son domicile, en se tenant à celle-ci, mais la traîtresse, ouverte grandement, sous la brusque poussée du marchand de vin, projeta celui-ci, déjà fort instable sur ses jambes, au milieu de la pièce où il atterrit à plat ventre.
Maugréant d’une voix pâteuse, il se releva avec peine et alla s’asseoir sur une des chaises placées devant la table. Frappant celle-ci du plat de la main comme il l’aurait fait à la taverne, il s’écria :

« Femme ! J’ai soif ! Apporte du vin ! »

N’ayant aucune réponse, il scruta l’intérieur de la pièce et aperçut Marie Barbe Rose Anne se relevant péniblement, le ventre en avant, de dessus le lit sur lequel elle s’était allongée avec ses deux petits, afin de prendre un peu de repos.
La colère s’empara de l’ivrogne qui se redressant d’un bond, se dirigea vers son épouse en vociférant :

« Et tu t’ reposes, fainéante, pendant que j’ me crève au travail ! J’ai soif que j’ te dis ! J’attends ! »

Puis, il leva le bras qui s’abattit une fois, deux fois, en coups puissants et désordonnés. La future maman protégeait tour à tour son ventre et sa tête, essayant  d’éviter les coups, en criant.

« Mais tu d’viens fou, ma parole ! Arrête ! Mais arrête donc !»

Les petits, toujours sur la couche, hurlaient de terreur.

Des voisines alertées s’interposèrent, tandis que d’autres allèrent prévenir la maréchaussée. Celle-ci maîtrisa difficilement le forcené dont la colère et l’ivresse avaient décuplé la vigueur et le mena dans la cellule de dégrisement au commissariat de police de la ville, avant de le conduire à la prison de Louviers, le lendemain.
Il ne purgea qu’une courte peine de quatre jours, juste le temps de reprendre ses esprits et de se repentir de ses actes. C’était la première fois qu’il frappait son épouse et, même lui, ne se serait pas cru capable d’un tel acte. L’alcool était le seul responsable.

Revenu au foyer, tout penaud, il ne fit pas d’excuses à sa femme. Non ! Trop honteux  pour oser en parler. Marie Barbe Rose Anne L ne dit rien non plus. Elle aurait pourtant aimé un semblant d’excuses, mais elles ne vinrent pas.

Assis les mains jointes posées sur la table, la tête basse, alors que sur le sol de terre battue jouaient Pierre Virgile Justinien et Auguste Virgile Caesar, il réfléchissait.
Devant l’âtre, son épouse brodait un bonnet de naissance – elle espérait une fille – en jetant de temps à autre un regard vers son mari.
Soudain, sans bouger, Pierre François Hyppolite déclara :
« J’ vas changer d’métier. L’ vin, c’est pas pour moi ! A la fabrique, i’ d’mande un marchand de chaussons. J’ te promets, j’ boirai p’us jamais. »

Puis, il relava la tête et regarda son épouse qui poursuivait son ouvrage, comme si elle n’avait rien entendu.

« Tu m’en veux ? Oui, j’ vois ben ! »

Sans répondre à la dernière question, ne souhaitant pas que son mari se sente absout de peur qu’il ne renouvelle, envers elle cet acte de violence, Marie Barbe Rose Anne répliqua simplement :

« J’ pense qu’ t’ as trouvé la bonne solution ! »


Rose Eléonore naquit, fin mai 1811. Elle ne vécut que cinq semaines. Puis, vint ensuite un autre petit garçon, Alexandre Caesar, Eugène Hyppolite.
Après cette naissance, à l’automne 1812, la famille quitta sûrement Pont-de-l’Arche, car plus aucun acte la concernant dans les registres de l’Etat Civil de cette ville.



Un fait divers de « maltraitance conjugale »,
découvert dans le registre de délibérations de la Sous-préfecture de Louviers.
J’ai un peu romancé l’histoire, pour la rendre « plus jolie »

jeudi 19 juillet 2018

UN MOT QUI CHAMBOULE ..... TOUT !


C’est à en perdre l’esprit !

Tournebouler !
Au XIIIème siècle, ce mot s’écrivait « Tourneboeler ». Il était alors employé pour « bouleverser ».
Les saltimbanques, en ce temps-là, faisaient des « tourneboeles », entendez par là, des culbutes.

Observons ce mot : TOURNEBOELER.
Il est composé de TOURNER et de BOELE .
Tourner = bouleverser et Boele = le boyau.
Donc, « Tourner les boyaux » !

Concernant l’évolution de sa signification :
·         Au XIIIème siècle – bouleverser au point de déranger les intestins. Bonjour les dégâts !
·         Puis, dans les siècles suivants – s’agiter, se démener.
·         Au XIXème siècle, dans leurs écrits, les frères Goncourt lui attribuaient le sens de «  faire perdre la tête à quelqu’un ».

Alphonse Daudet employa le mot « Tourneboulage », pour qualifier « le trouble de l’esprit ».
Un fada est donc atteint de tournaboulages !

Aujourd’hui, lorsque j’utilise ce mot, (oui, oui, cela m’arrive !), c’est pour expliquer que je suis bouleversée au plus haut point, chavirée, retournée, que je n’arrive plus à aligner deux idées, préoccupée et tourmentée par un grave évènement.

« Tournebouler », un mot qui s’éleva au fil des siècles, de la fermentation de l’intestin au mal de l’esprit !!
Tout évolue !


Pour cette petite histoire autour d’un mot,
Je me suis aidée du
« Dictionnaire historique de la langue française » Le Robert


mercredi 18 juillet 2018

HISTOIRE DE VILLAGE - MARIE ANNE PESQUEUX



Marie Anne Pesqueux


« Vous savez ? lança une femme en s’approchant de deux de ses voisines qui, venant de se rencontrer sur le parvis de l’église Notre-Dame à Louviers, discutaient de tout et de rien.
-          Quoi donc ? questionna l’une d’elles.
-          C’est la Marie ! poursuivit la première
-          Quoi la Marie ? demandèrent d’une seule voix les deux autres.
-          C’est qu’on vi’nt d’ la r’pêcher !
-          D’ la r’pêcher !  répéta le duo incrédule.
-          Ben oui, c’ matin à l’aube.

Et chacune de poursuivre commentaires et réflexions :
-          C’est qu’elle allait pas ben !
-          Pour sûr, pour aller pas ben, elle allait pas ben.
-          J’ dirai même qu’elle était dérangée.
-          Ben oui, pour en arriver là, ça c’est sûr !
-          V’là l’ Jean-Baptiste encore veuf !
-          Ah, mais quelle affaire !

Des noyés, « ça pour sûr », on en repêchait et chaque fois, après enquête minutieuse de la maréchaussée afin de déterminer si il n’y avait pas là-dessous quelque acte de malveillance, la conclusion ne différait nullement d’un cas à l’autre : « suicide[1] ».
En début de XIXème siècle où la population en quasi-totalité ne savait pas nager, ce moyen était malheureusement utilisé par la plupart de ceux qui souhaitait en finir.


« La Marie » dont le corps venait d’être ramené sur la berge de la rivière Eure, et plus précisément du canal Saint-Taurin, avait eu, comme beaucoup de ses contemporains, une vie dure,  trop dure, tellement dure qu’elle n’avait pu la supporter.
Trop, c’était trop !

Native de Saint-Etienne-du-Rouvray, Marie Anne P. avait épousé, à l’automne 1796, Jean-Baptiste Michel L, jeune veuf de vingt-sept ans.
En effet, Jean-Baptiste Michel P. avait au printemps précédent perdu sa jeune épouse, Marie Anne F., tout juste âgée de vingt-quatre, des suites de couches difficiles, le laissant seul, avec à charge, deux fillettes en bas-âge : Désirée, vingt-et-un mois et Louise, trois mois.

Devant son désœuvrement, Marie Anne P. l’avait pris en pitié. Une brave fille, Marie Anne, le cœur sur la main !
Se sentant écouté, l’homme s’était épanché sur cette épaule réconfortante, voyant en elle celle qui pourrait s’occuper de ses deux petites.
Alors, lorsqu’il lui avait proposé le mariage, elle n’avait osé refuser, ne voulant pas le peiner. N’avait-il pas eu assez de malheur comme cela !

Evidemment, elle le trouvait à son goût, mais elle n’éprouvait pas de réels sentiments pour lui. Elle espérait toutefois que l’amour viendrait. Ne disait-on pas qu’il se construisait au quotidien ? Mais elle garda cette pensée pour elle, on ne parlait pas de ces choses-là.
Et puis, il y avait les fillettes. De vrais angelots ! Elle aimait tant les enfants !
Ils avaient donc convolé.

Jean-Baptiste Michel L. exerçait le métier de maréchal-ferrand. Homme courageux, il avait une force considérable. Il n’y avait qu’à le regarder actionner le soufflet de sa forge, frapper avec énergie sur le fer rougi, façonner les outils avec habileté et précision, ferrer les chevaux avec patience. Il jouissait d’une bonne réputation et, de ce fait, l’ouvrage ne manquait pas, au point que, certains jours, la forge ne désemplissait pas.
Quant aux prix des travaux demandés, ils se négociaient au débit de boissons non loin de là, devant un verre, puis un autre…. « Tope-là, mon gars ! » était la formule qui scellait le contrat entre l’artisan et le client. Cela suffisait, car une parole donnée ne se reprenait pas.
Il était vrai que parfois, pour ne pas dire souvent, le Jean-Baptiste n’était pas toujours très frais lorsqu’il rentrait. Marie Anne le sermonnait :
« C’est-y pas Dieu possible de s’ mett’ dans des états pareils ! Et tout c’t argent qui part en beuveries ! »


Marie Anne, elle, s’occupait de son foyer, un foyer qui vit arriver un grand nombre d’enfants.
Dix enfants en dix-neuf années de mariage.
Dix marmots dont un mourut à l’âge de trois mois et un autre, né prématurément à sept mois de grossesse, déclaré « sans vie » à l’Etat Civil.
Dix auxquels il fallait ajouter les deux petites du premier lit de son mari dont elle prit soin avec autant d’amour que pour les siens.
Quelle vie !

Les deux décès l’avaient énormément marquée.  Pourtant, elle le savait, beaucoup de nourrissons mouraient avant leur premier anniversaire. On n’y pouvait rien, c’était ainsi !

Il lui fallut pourtant poursuivre le chemin, mais depuis lors, Marie Anne fatiguée, usée, épuisée, n’était plus que l’ombre d’elle-même. Mais elle avait parfois la force de se révolter. Dans ces moments, elle piquait des colères qui finissaient en crises de larmes. Entendant les cris de la jeune femme,  le voisinage avait vite conclu que la pauvre Marie Anne avait perdu l’esprit, et bien sûr, on chuchotait derrière son dos en hochant la tête, l’air entendu et compatissant.
Conclusion facile qui évitait de se poser trop de questions. A quoi bon !

Personne ne fut donc étonné d’apprendre que la pauvre femme avait souhaité mettre fin à ses jours. C’était un acte naturel de démence auquel il fallait s’attendre.

Marie Anne quitta ce monde fin septembre 1818. Elle avait quarante-six ans. Sa dernière-née, Victoire Alexandrine, venait tout juste d’avoir trois ans.

Sur le rapport établi par le maire de la ville de Louviers, il est noté, en parlant de la défunte : « Elle a fréquemment donné des preuves de démences depuis seize ans ».
Seize ans !! Non, pas seize ans de démence !
Seize années à trimer du matin au soir, grosse neuf mois sur vingt-quatre.
La perte de deux de ses petits fit que, fatiguée, épuisée, tout à basculer.
A bout de fatigue, oui, mais pas démente !



Nouvelle écrite suite à la lecture d’un rapport de quelques lignes
trouvé dans les documents des archives de Louviers.
Les personnages ont réellement existé, mais cette histoire est romancée.


[1] Mais il était souvent noté « accident », afin que le défunt puisse bénéficier d’un enterrement religieux.

CONTE POUR LES ENFANTS SAGES........... ET TOUS LES AUTRES. Le caillou noir


Le caillou noir

Un éclair de lumière, à quelques pas devant lui, sur le sol, attira son regard.
De la lumière venant du sol. Quelle bêtise !
C’était sûrement la mauvaise note qu’il venait, encore, d’avoir qui lui tourneboulait la tête.
Ses copains avaient tout à fait raison en le traitant de cancre et d’imbécile. Et en plus, à présent, voilà qu’il avait des hallucinations.
La totale, quoi !
Comme un clin d’œil, l’étincelle de lumière se reproduisit une nouvelle fois, puis une troisième.
C’était quoi, ça ?
Scrutant le sol, il se dirigea vers le point lumineux pensant découvrir un morceau de verre scintillant au soleil. Après un minutieux examen, il remarqua un petit caillou, rond et noir, qui luisait sous les rayons du soleil.
Etrange. Comment un caillou pouvait renvoyer de la lumière ?
Sans y penser, il prit le caillou et l’examina. Il ressemblait plus à une bille qu’à un caillou et dans sa main, il répandait une étrange sensation de chaleur, de réconfort et de force.
Alors, machinalement, il le plaça dans la poche de son jean et poursuivit son chemin jusqu’à la maison de ses parents.

jeudi 12 juillet 2018

JE SUIS CERTAINE QUE VOUS N'EN FAITES JAMAIS !


Une bêtise de rien du tout.

Un  garnement rentre chez lui, un peu en retard, après la classe. Pas trop en retard, mais suffisamment pour que cette absence soit remarquée au foyer.
Son père furieux pense aussitôt que son fils s’est amusé en chemin. Le garçon n’était-il pas coutumier du fait ?
« Où as-tu encore été traîné ? Qui va faire tes corvées, à présent ? s’écrie le père furieux. En voilà un fainéant qui ne pense qu’à prendre du bon temps !
-          C’est point de ma faute, réplique le garçon, j’ai été puni.
-          Puni ! Encore ! Tu n’es qu’un bon à rien ! Et qu’as-tu fait, encore ?
-          Oh ! bah rien !
-          Comment ça, rien ? Si le maître t’a puni, ce n’est sûrement pas pour rien !
-          Bah non ! Je n’ai rien fait ou si peu.....
-          Ah, nous y voilà ! Si peu, c’est quoi pour toi ?
-          Bah.... j’ai fait une boulette !!!!
-              Une boulette ? C’est quoi encore que cette invention ?


En effet, qu’avait bien pu faire ce gamin ?
Une boulette ?
Une petite Boule ?

Oui, une boulette de papier, envoyé sur un de ses camarades, histoire de faire diversion, de faire le malin, lorsque face au tableau le maître écrivait à la craie. Une « boulette » qui prit, sans doute en raison de la transgression de la discipline du perturbateur, le sens de « bévue, sottise », à partir de 1829.
Voilà l’origine probable, mais non certifiée, de « faire une boulette ».

mercredi 11 juillet 2018

HISTOIRE DE VILLAGE - SAUVETAGE A PONT-DE-L'ARCHE


Suite et fin


Nicolas, après le départ des sauveteurs et des gendarmes, se rendit prés de la rescapée que la voisine avait aidée à se changer. A présent, elle reposait dans son lit.

« Comment va ? s’enquit le mari, en regardant son épouse dont le visage livide le saisit d’effroi.
-      Elle est ben fatiguée, à c’t’ heure. Faut qu’elle dorme.
-      Le médecin doit venir, précisa le cordonnier, i’ faudrait pas qu’elle attrape la mort après une tel’ baignade.
-      Pour sûr,  approuva la voisine, surtout l’iau, el’ doit point êt’ chaude.
-      C’est sûr, répéta machinalement Nicolas, simplement comme ça pour dire quelque chose.

A ce moment, Marie Catherine Angélique ouvrit les yeux et d’une très faible voix, protesta :

« Non, non, pas l’ docteur. Ça va aller ! C’est une dépense pour ren !
-      J’ m’en moque, moi, d’ la dépense !
-      ça va, j’ te dis répéta-t-elle avant de refermer les yeux. J’suis fatiguée, simplement fatiguée.
-      Il faudrait lui donner un peu d’eau-de-vie, préconisa la voisine, ça va la réchauffer.
-      J’vais chercher un verre, obéit le cordonnier.
-      Bon bah, j’y vas moi ! Si besoin, j’ suis point loin !
-      Oui, merci ! j’ vas rester près d’elle en attendant l’ médecin.

Quand la voisine fut sortie, Marie Catherine Angélique ouvrit de nouveau les yeux, esquissa un sourire.

« Ça va aller, va, dit elle pour rassurer son mari. J’ai eu ben peur, tu sais. J’ai vu la mort de près.
-      Tu veux un peu d’eau d’ vie pour t’ réchauffer, demanda le mari qui avait gardé le verre plein à la main.
-      Non, j’ suis barbouillée. J’ veux ren !

En foi de quoi, l’homme vida d’un trait le verre, il ne faut rien perdre, et s’assit à côté de son épouse. Se sentant inutile et surtout souhaitant entendre le son de la voix de son épouse, histoire de se rassurer, il demanda :

« Tu veux que j’ te laisse ? »

Sa question restant sans réponse, il regarda son épouse et s’aperçut que le visage de celle-ci avait pris un teint cireux. Elle ne respirait plus.

Ce fut à ce moment que le médecin arriva. Il ne put que constater le décès de la femme. Décès qu’il ne pouvait attribuer aux « suffocations de la noyade », puisque la «noyée » avait repris ses esprits après avoir été repêchée.

Alors ? Quelle était la cause du trépas survenu deux heures après l’immersion prolongée dans la rivière.

Le médecin ausculta la défunte, réfléchit, posa des questions au pauvre veuf complètement retourné et qui essayait de répondre de son mieux.

Il fallait, au médecin, trouver une explication plausible afin de ne pas perdre la face.

Alors, le praticien, à court d’arguments, posa son ultime question :  

« Pouvez-vous me dire ce que votre femme a mangé ce matin, au réveil ?
-      Des œufs durs, répondit le cordonnier en se grattant le menton, se demandant où voulait en venir le médecin.

Le praticien prit un air grave et conclut :

« Des œufs durs ! Ne cherchez plus la cause de la mort. Ce sont les œufs durs qu’elle a mangés avant sa chute dans l’eau. C’est lourd à digérer les œufs durs, et secouée comme elle a été dans l’eau……

Evident, non ?

Les trois sauveteurs reçurent, chacun, pour leur acte de bravoure une récompense de vingt francs. Cette somme, accordée par le Conseil Municipal de Pont-de-l’Arche, fut prélevée sur les fonds des dépenses imprévues.
Leur seul regret, à tous trois, fut que la femme Lucas n’aie pas survécu.


-=-=-=-=-=-


Marie Catherine Angélique Legendre était née à Pont-de-l’Arche, le 6 août 1761.
Elle décéda, à l’âge de cinquante-huit ans, ce 17 avril 1820.

Nicolas François Lucas, lui, décéda le 8 novembre 1828, rue Sainte Marie à Pont- de-l’Arche. Il était âgé de soixante-six ans.

Après ce funeste événement, le pauvre veuf continua-t-il à manger des œufs durs ?


Heureusement...... la médecine a fait de grands progrès.



jeudi 5 juillet 2018

QUESTION DU JOUR : Migrainez-vous ?



Un mot qui prend la tête !

Le mot « migraine » vient du bas latin médical « hémicrania » : mal de tête, emprunté lui-même au grec « hemikrania » : moitié de tête.
Si l’on mixte les deux mots, on obtient « mal de tête de la moitié de la tête ».
Alors, pas besoin de se casser la tête, vu ainsi, vous l’avez deviné, une migraine est un mal de tête n’affectant qu’un seul côté du crâne.

Dans les années 1240-1280 et jusqu’à la fin du XIVème siècle, on se plaignait de « fièvre migraine ».
Bien qu’existant, le verbe « migrainer » ne fut jamais réellement employé.
Imaginez un peu la conversation suivante :
« Comment vas-tu ?
-          Oh ! Aujourd’hui, je migraine ! »
Un peu pompeux, non ?

Par contre, si la personne migraine très souvent, elle est qualifiée de « migraineuse ».
Mot toujours en usage.


Mais, ce mot ne désigne pas seulement cette douleur.
Déjà, en 1690, « donner la migraine à quelqu’un », c’était l’ennuyer au plus haut point, l’agacer à l’extrême.
Je pense que cette formule est toujours très actuelle, quoique plus fréquemment remplacée par « tu me prends la tête !! » 
Ce qui revient au même.

Je souhaiterais apporter une petite précision :
Une migraine ne rend douloureux qu’un seul côté de la tête, alors qu’une céphalée meurtrit la boite crânienne toute entière.
La totale en quelque sorte !

Enfin, migraine ou céphalée, rien de très amusant, surtout qu’elles peuvent l’une et l’autre être agrémentées de nausées ou vertiges.
Dans ce cas :  paracétamol et repos complet !!!

mardi 3 juillet 2018

HISTOIRE DE VILLAGE - SAUVETAGE A PONT-DE-L'ARCHE



 Première partie 

« Hé ! L’ Nicolas ! »

Nicolas Lucas, dans son atelier, leva la tête de sur son ouvrage. Qui pouvait l’appeler ainsi, à cette heure ?

Par la fenêtre donnant sur la rue Sainte-Marie, il vit un groupe de trois hommes transportant un corps.
Son sang ne fit qu’un tour en reconnaissant les vêtements de son épouse.
Il sortit à la hâte, alors que déjà devant sa demeure, un attroupement de commères  grossissait peu à peu.


« Mais c’est la Catherine ! s’exclama l’une d’elle.
-      Grand Dieu ! Que s’est-il donc passé ? poursuivit une autre.

Nicolas Lucas, les bras ballants, sous le choc, n’osait rien demander, attendant qu’on lui donnât quelque explication.
Etait-ce réellement Catherine, son épouse ?
Etait-elle vivante ? Morte ?

Dégageant l’entrée de l’atelier de cordonnerie où il exerçait, afin de permettre l’accès au logis contigu à celui-ci, Nicolas constata, avec soulagement, que son épouse, bien que livide, respirait encore.

Une voisine entra à la suite des arrivants, précisant :
« Faut la changer. A ruisseler ainsi, elle va attraper la mort, pour sûr !

Nicolas Lucas acquiesça d’un signe de tête. Pendant que cette bonne âme s’occupait de la pauvre femme, Nicolas Lucas resta dans son atelier, sortit des verres et une bouteille d’eau-de-vie, ne trouvant à dire que :
« Ça va vous réchauffer un brin.
- C’est point d’ refus, dit l’un des trois hommes.

En effet à bien regarder leurs vêtements, il était visible qu’ils avaient, eux aussi, séjourné dans l’eau.

Devant le regard interrogateur du cordonnier, le plus âgé prit la parole :

« Vot’ femme, elle a fait un sacré plongeon, ça pour sûr !
-      Heureus’ment qu’on était là, nous autres ! ajouta le plus jeune.

Ce fut alors le récit de l’évènement, non pour se vanter, que non, simplement pour expliquer au mari, encore sous le choc, à quelle mort atroce son épouse avait échappé.

Devant lui, trois hommes, trois héros :
-      Joseph Antoine Gonnord, pêcheur et marinier.
-      Michel Guillaume Léonard Lalande fils, bourrelier.
-      Noël Pascal, cordonnier.

Et lui, le cordonnier, abasourdi, ne savait que bredouiller :

« Bah ! j’ vous r’mercie. C’est peu ça, j’ sais ben. Qu’est-ce que peu fair’ d’autre, à cet’ heure ?
-      Rien du tout, pour sûr, précisèrent-ils presque en chœur.
-      Non rien, précisa Joseph Antoine.
-      On a point réfléchi, nous, i’ fallait la sauver ! poursuivit Noël Pascal.

Puis les détails vinrent, surtout quand la maréchaussée se pointa pour faire leur enquête. L’administration demandait des rapports que les représentants de la loi se devaient d’établir avec les témoignages recueillis.

La pauvre Marie Catherine Angélique Legendre, femme Lucas, avait été déstabilisée en remontant le seau qu’elle emplissait à la rivière.
Trop lourd, ce seau, pour ses bras usés par le travail.
En essayant de rétablir l’équilibre, ne voulant pas lâcher le récipient qui serait parti au fil de l’eau ou aurait piqué droit au fond du lit de la rivière, elle avait glissé sur le sol glaiseux de la berge. 

Joseph Antoine Gonnord, pêchant non loin de là,  l’avait vu le premier. Marinier de son état, la rivière, il connaissait, pour sûr, et il ne nageait pas trop mal. Il avait plongé dans l’eau, essayant de rattraper le corps de la pauvre femme qui disparaissait, réapparaissait, malmené par les remous du courant, ballotté comme un tronc d’arbre mort.

Michel Guillaume Lalande fils, bourrelier et Noël Pascal, cordonnier, discutant sur le pont, en la ville de Pont-de-l’Arche,  apercevant la scène qui se passait en amont, se précipitèrent pour rejoindre la berge et se jetèrent dans la Seine, en aval, afin d’intercepter le corps arrivant en leur direction.

« Une chance ! Une vraie chance ! précisa le marinier, car j’ commençais à être distancé et j’  sais point si j’aurais pu la r’joindre.

La maréchaussée, après avoir bu un verre en écoutant le récit des sauveteurs - il fallait bien fêter l’évènement, trinquer à l’heureux dénouement - prit congé.

« C’est pas tout ça, mais on va aller s’ sécher, à présent, lança le bourrelier.
-      Merci encore, dit Nicolas Lucas en guise d’au revoir.

Puis, serrant chaleureusement la main des trois hommes, il précisa :

«Venez quand vous voulez, la porte, ell’ s’ra toujours ouverte !
-      Pour sûr, qu’on va rev’nir. Pour prendre des nouvelles ! confirma le marinier, et si j’ai pris quelques poissons, j’en apport’rai pour que vot’ femme, elle r’prenne des forces.



..............  à suivre ...................