1783, annus mirabilis ou annus
horribilis[1] ?
L’Islande, terre de « glace et de feu », abritant de
nombreux volcans et plusieurs glaciers.
Grímsvötn est le système volcanique le plus
productif d’Islande, alimenté par un volcan central du même nom qui se trouve
sous le bouclier de glace Vatnajökull.
En Islande, la prochaine éruption volcanique n’était
jamais bien loin dans le temps, les Islandais étaient habitués, ils subissaient
régulièrement la folie de la terre, une éruption volcanique tous les deux à
sept ans.
Aujourd’hui, la fureur de la terre peut être
pressentie et la population prévenue, mais avant......
Le 8 juin 1783..... Une fissure
de vingt-sept kilomètres – direction sud-ouest / nord-est – où se
situent cent-quinze cratères s’ouvrit d’une manière explosive avec projection
de pierres et de cendres, puis ce fut, dans un premier temps, une émission de
lave dense qui devint de plus en plus fluide.
Environ quinze kilomètres carrés de lave
basaltique, une coulée de soixante kilomètres de longueur recouvrant
cinq-cent-soixante-cinq kilomètres carrés.
L’éruption se poursuivit jusqu’en févier 1784,
mais la majorité de la lave s’écoula jusqu’en novembre 1783. Cinq mois !!
Le volcan Grimsvötn, marquant le début de la
fissure du Laki, fut en éruption de 1783 à fin mai 1785.
Les
cendres recouvrirent l’île, produisant un effet désastreux :
·
De 50% à 80% des animaux d’élevage moururent,
entre 1783 et 1785. La moitié des bovins, ainsi que les trois-quarts des ovins
et chevaux.
·
La famine, conséquence des cendres contaminant
les terres fertiles, en raison de leur teneur en fluor, entraîna la
mortalité d’environ 20% de la population islandaise, soit plus de
neuf-mille-trois-cents personnes.
Les huit mois qui suivirent le début de cette
éruption volcanique furent les plus dévastateurs, en raison d’une émission de
gaz sulfurique formant un immense nuage, entraînant d’importantes perturbations
climatiques et malheureusement pas seulement en Islande.
Ce nuage empoisonné dériva vers Bergen. Il atteignit
Prague le 17 juin, Berlin le 18 juin, Paris le 20 juin, Le Havre le 22 juin et
le Royaume-Uni le 23 juin.
L’Europe
fut ainsi enveloppée d’un étrange brouillard sec et pendant tout l’été, les
Européens assistèrent à des levers et couchers de soleil rouge sang. Une odeur
de soufre régnait partout provoquant chez les individus les plus fragiles, difficultés
respiratoires et irritations des yeux.
Personne
ne se doutait qu’il s’agissait de l’épanchement des gaz de l’éruption
volcanique islandaise contenant des
millions des tonnes de fluor et de dioxydes de soufre.
Un
dérèglement climatique s’ensuivit :
·
L'été de 1783 -
l’un des plus chauds enregistrés - eut un impact sur les récoltes
entraînant, à partir de 1784, disette et misère.
·
L’hiver qui suivît fut des plus rudes.
Il gela à pierre fendre pendant de nombreuses semaines, causant de nombreux
décès.
·
Cet hiver-là, le Royaume-Uni enregistra huit mille décès de plus
qu’à l’ordinaire.
·
Au printemps 1784, l’Allemagne et l’Europe Centrale subirent de
nombreuses inondations.
De
Caen à Prague, ces inondations furent catastrophiques. A Paris, elles durèrent
six semaines.
Les
autres continents ne furent pas épargnés :
·
En Amérique du Nord, l’hiver 1784 fut long et rigoureux, avec des
chutes de neige importantes. La baie de Chesapeake fut prise par les glaces. Le
port de Charleston était une immense patinoire.
·
Le sud des Etats-Unis fut balayé par de violentes tempêtes de
neige et à la Nouvelle-Orléans, le Mississippi gela. Des blocs de glace
flottaient dans le golf du Mexique.
D’autres phénomènes furent
remarqués tout au long de 1783 :
·
De nombreux tremblements de terre d’une fréquence inhabituelle :
o
Le 6 juillet 1783, la terre trembla, alors que le brouillard sec
était encore très dense, en Franche-Comté, dans le Jura, en Bourgogne et à
Genève. Peu de dégâts.
o
Dans la nuit du 7 au 8 août 1783, dans le nord de la France et les
zones entre Aix-la-Chapelle et Maastricht, il y eut des secousses sismiques.
o
Le 30 juillet 1783, un autre tremblement de terre important frappa
Tripoli, au Liban.
·
Mai 1783, des marins signalèrent l’apparition d’une « île brûlante
nouvellement émergée » au large des côtes de
l’Islande. Cette île émettait de la fumée et
était entourée de pierres ponces flottant à la surface de l’océan. Elle
fut appelée Nyey (« nouvelle île »).
·
Des orages violents avec chutes de grêle et ponctués de
multiples éclairs ont tué de nombreuses personnes ainsi que du bétail.
- ·
Les étoiles et les planètes devinrent
invisibles au-dessus de l’horizon.
- ·
La végétation subit les effets de ce
brouillard. Une substance collante se déposa sur les plantes. En particulier
vers les 24 et 25 juin 1783, aux
Pays-Bas et dans le nord-ouest de l’Allemagne.
·
Des réactions chimiques sur les métaux furent
constatées – rouille et apparition d’une couleur verte.
Un autre phénomène :
Le 18 août 1783, dans le ciel un météore extrêmement brillant
fut visible depuis l’Irlande, l’Écosse, l’Angleterre, la France, la Belgique
et les Pays-Bas. Appelé « le Grand Météore de 1783 », il eut une
durée inhabituelle.
En mai 1784, Benjamin Franklin, qui se trouvait à Paris, émit la possibilité que
le brouillard sec pourrait avoir été causé par le météore, puis finalement que
l’éruption des volcans islandais – soit le Nyey ou l’Hekla – pourrait en être
responsable. Des hypothèses qui trouvèrent quelques réponses bien des années
plus tard.
Le royaume de France, comme nous l’avons vu, n’avait pas été
épargné. Il subit un hiver aux températures polaires.
Chrétien Guillaume de Lamoignon de Malesherbes a noté dans
ses mémoires :
« L'hiver de 1783-1784 était d'une
rigueur épouvantable. Les églises, les ateliers, les lieux publics étaient
fermés. Paris semblait désert. On ne rencontrait plus personne dans les rues.
Les riches étaient réduits à brûler leurs meubles pour se chauffer. Les pauvres
mouraient de froid dans leurs greniers. La charité même était
impuissante : la cassette du roi était épuisée. »
A Paris, on enregistra des températures allant jusqu’à -19 degrés. La Seine charriait des glaçons à la mi-décembre et gela pendant huit jours en février 1784.
Sécheresse, orages, grêles et hivers rigoureux se succédèrent
entraînant la destruction des récoltes et une extrême misère.
Bien que les caisses de France soient vides, Louis XVI, ému
par le sort terrible des Français, fit un geste pour les plus miséreux, mais ce fut une goutte d’eau dans l’océan. Le peuple
de France grondait......
Certains dirent que la Révolution de 1789 fut le résultat de la
misère provoquée par les conséquences de l’éruption volcanique islandaise.
Peut-être ou peut-être pas... Des révoltes en France, il y en
a eu continuellement au cours des temps. Alors ?
Quant à l’Islande, il a fallu attendre les années 1810 pour que sa
population retrouve son niveau d’avant 1783.