jeudi 23 février 2023

L’aubergiste de Sotteville-lès-Rouen - Première partie

 


Première partie : Que s’était-il passé en ce  27 août 1881 ?

 



 

Que s’était-il passé, au numéro 48 de la rue du cimetière à Sotteville-lès-Rouen, le 27 août 1881 ?

 

Attroupés devant le débit de boisson nouvellement construit et tenu par le couple Alavoine, les voisins se posaient cette question, surtout depuis que la maréchaussée avait pénétré les lieux.

Si la police s’était déplacée, l’affaire devait être grave.

Les commentaires allaient donc bon train d’autant plus que les informations qui circulaient étaient contradictoires.

 

« C’est qu’il y aurait eu le feu ! affirma une femme qui semblait bien renseignée. C’est l’ père Delmotte qui m’ la dit. C’est lui qui a éteint les flammes.

     Et l’Emilie ? Où c’est qu’elle elle ? s’inquiéta une autre.

     I’ paraîtrait qu’elle est passée, lui répondit son voisin, la casquette à la main en signe de respect devant le mort supposée de la pauvre femme.

     Oh ! s’exclamèrent les commères autour de lui.

     Morte ! s’exclama une vieille femme au visage buriné et creusé de nombreuses rides. Fallait s’y attendre, avec toutes ces querelles à longueur de temps. C’est que l’ Félix, c’était point un tendre. Et en plus, i’ buvait bin plus que d’ raison !

     L’ commerce marchait pas fort, à c’ qu’on dit !!

     Avec un pareil patron, plus à courir le jupon, qu’à travailler. La pauvre Emilie, elle en a vu des vertes et des pas mûres[1]

 

Et blablabla et re-blablabla.....

Les vannes des commérages étaient ouvertes, produisant un déferlement de  commérages parcourait la foule. C’était à celui ou celle qui en dirait le plus......  jusqu’à ce que le silence se fit, devant deux gendarmes sortant du débit de boissons, encadrant le patron, Félix Alavoine, qui arborait une mine déconfite.

Une figure de coupable ou de victime ?

 

Mais avant, pour comprendre le présent, il faut se replonger dans les années qui ont précédé l’événement de ce mois d’août 1881.

 

 



[1] Expression normande. Par « des vertes et des pas mûres », il faut entendre « de toutes les couleurs ».

mercredi 22 février 2023

Comment qu’ t’es accoutrée ?!


 

Voilà une phrase que me lançait ma grand-mère, lorsqu’elle me voyait mal fagotée !!!

 

Accoutrer. D’où provient ce mot ?

  • ·         1509                                                     : accoustrer
  • ·         1525                                                     : acoustrer
  • ·         à partir du XIIIème siècle                   : acoutrer

 

Ce verbe viendrait du latin oral acconsturare, soit assembler en cousant.

D’où par la suite : orner – préparer – arranger.

Terme dans lequel se retrouve : consutura (couture)

Voilà qui rapproche du chirurgien avec ses points de suture !!! Un chirurgien-couturier.....

 

L’idée première de s’acoustrer (forme pronominale apparue vers 1295) n’avait aucun lien avec les vêtements et la couture, mais avec celui de mise en place.

Au début du XVIème siècle, il s’employait dans l’art culinaire pour : accommoder les aliments.

 

Au fil du temps, plus question d’aménagement ni de cuisine, car dès le tout début de la première partie du XVIème siècle, on l’employait pour : se vêtir.

Puis, vers 1680, dans un sens péjoratif, il dériva vers : s’habiller d’une manière grotesque.

Ce fut à cette même époque qu’apparut le participe passé-adjectif : accoutré(e).

 

Des dérivés, bien sûr, comme toujours, avec :

  • ·         Un accoutreur – pas de féminin : terme technique au XIIIème siècle qui fut confirmé au XVIIIème siècle en nommant : un ajusteur de la filière à tirer de l’or.
  • ·         Un accoutrement : costume, manière de s’habiller. Avec le temps, ce terme prit de plus en plus un sens péjoratif, à valeur ironique.... très ironique !

 

N’était-ce pas, justement, cette lueur d’ironie qui brillait dans le regard de ma grand-mère ?

Ma tenue était-elle donc si grotesque pour mériter cette appellation ?

À moins que ma jupe n’ait été de travers et mon gilet boutonné en menteuse....

Il est vrai que je n’étais pas une petite fille aimant dentelles et froufrous.

Cela n’a pas changé malgré les années, préférant des vêtements pratiques et non apprêtés.

 

Pour cette petite histoire autour d’un mot,

Je me suis aidée du

« Dictionnaire historique de la langue française » Le Robert

 

 

mercredi 15 février 2023

Asticoter ?

 Asticoter !!!

 


Ce verbe asticoter pourrait  être rapproché du mot astic dont je vous ai déjà parlé en ces termes :

 

Un astic est un petit instrument en os, en métal ou en bois servant à gratter, polir, faire briller... et cela depuis fort longtemps, car l’astic était utilisé depuis 1721, environ. Ah, qu’en même !!

Se servir d’un astic... c’est ASTIQUER !!!

Astiquer, un verbe employé dans l’argot militaire à partir de 1823, pour désigner cette action de faire briller et entretenir le matériel.

Mais, les bonnes ménagères astiquent à longueur de temps ... ou presque !!

  

L’astic  est un outil qui pique.

Ce mot astic auquel fut ajouté le suffixe « oter » pour donner ce verbe asticoter.

 

Si à l’origine, il signifiait : discuter – tergiverser, il devint vite, dans le langage familier : harceler – agacer, avec la notion de jeu.

 

Quelques dérivés :

  • ·         Un asticotage, nom utilisé par Madame de Staël en 1779.
  • ·         Un asticoteur (ou une asticoteuse), celui qui asticote.

 

D’ailleurs, il est bien connu qu’un asticoteur asticote par ses nombreux asticotages.

 

Et puis, il y a l’asticot, dont le nom apparut vers 1828.

Vous savez tous que cet asticot est un petit ver blanc qui, au bout de l’hameçon de la ligne du pêcheur, en se tortillant, agace, taquine le poisson au point que celui-ci se jette sur lui, ne se doutant pas qu’en gobant cette proie bien énervante, il se crocherait à l’hameçon.

 

J’espère ne pas vous avoir asticotés avec ce petit article.......

 

Les derniers condamnés à mort dans l'Eure et en Seine-Maritime - Jean Pierre Canu - troisième partie

 


Sixième condamné, un nommé Jean Pierre Canu

Troisième partie

 

 

La maréchaussée arriva sur les lieux, constata la mort de la victime et commença à enquêter.

Les soupçons de la police se tournèrent très vite vers Jean Pierre Canu-fils.

N’était-il pas de notoriété publique que le fils en voulait à son père pour des raisons financières ?

 

Jean Pierre Canu-fils fut alors appréhendé.

Malgré les questions pressantes des policiers, il nia toute implication dans le meurtre qu’on voulait à tout prix lui mettre sur le dos.

Oui, il ne s’entendait pas avec son père, mais là à le tuer !

 

« Alors, vous diriez que vous vous entendiez bien ?

 Nous avions des disputes comme dans chaque famille.

 Des disputes, jusqu’au meurtre ?

 J’y suis pour rien dans sa mort, moi !

 Beaucoup de témoignages disent que vous êtes un sanguin, vous emportant rapidement.

 Faut pas m’embêter, pour sûr, mais je ne suis pas un meurtrier.

 

Jean Pierre Canu fut incarcéré à la prison des Andelys jusqu’au jour de son procès.

 

 

Cour d’Assises de l’Eure – 3 janvier 1847

 

Avant d’entendre les témoins, devant une salle d’audiences pleine à craquer, il fut rappelé l’identité de l’accusé et les faits pour lesquels il comparaissait.

 

Vinrent ensuite, à la barre, afin de déposer :

·         Marie-Catherine Vincent, fille de la victime et sœur de l’accusé, celle qui avait découvert le corps ensanglanté sur le chemin allant au bourg d’Ecos.

·         Les autres sœurs de l’accusé.

·         Les frères et sœurs du défunt.

·         Quelques voisins.

·         Et la tante Avisse, sœur de la mère de l’accusé.

 

 

Tous ces témoignages n’étaient pas en faveur de Jean Pierre Canu-fils. Loin de là !

Les insultes et menaces proférées de nombreuses fois, comme :

                « Mon père est un gredin qui  mérite d’être tué !! »

                « Mon père veut se marier, il a le projet de me déshériter. Je le marierai, moi, à quelques            coups ! »

 

 Des mots ! avait répondu l’accusé. Qui n’a pas dit ce genre de mots en proie à la colère !! »

 Des mots, répondit le juge, qui ont abouti à un parricide ! Un père qui malgré tout vous aimait !

 

Maître E. de Chalenge, avocat de la défense, fit ce qu’il put pour obtenir un adoucissement de la peine de son client. Il se démena corps et âme tout en sachant la cause perdue d’avance.

 

En effet, les jurés ne furent pas convaincus de l’innocence de Jean Pierre Canu et ne mirent pas longtemps à délibérer.

Lorsqu’ils revinrent dans la salle d’audience, ce fut pour annoncer leur verdict :

Coupable de meurtre avec préméditation – guet-apens – mutilation du cadavre

Condamné à la peine de mort

 

Ce fut le 9 février 1847, à trois heures du soir, que jean Pierre Canu se dirigea vers la guillotine qui avait été dressée sur la place du marché d’Ecos. Comme tout parricide se dirigeant vers son supplice, il était en chemise, pieds nus, la tête couverte d’un voile noir.

 

 

Extraits de l’acte de décès

Le mardi 9 février mil huit cent quarante sept, Jean Pierre Canu, domestique, vingt-neuf ans, né à Valcorbon, demeurant à Bionval hameau de Ecos.......

Décédé à trois heures du soir.......

Fils de feus Jean Pierre Canu et Marie Victoire Avisse.....

Epoux  de Marie Augustine Elisabeth Dauvel........

mercredi 8 février 2023

Être assidu !!

 



Assidu
provient du verbe latin assedere : être assis – siéger – demeurer.

Sa forme en « u », attestée au XIIème siècle, s’imposa vers 1534, en l’adjectif assidu, avec la signification de continuel.

Cinquante ans plus tard, vers 1593, ce qualificatif prit le sens moderne que nous lui connaissons aujourd’hui, « qui se tient souvent auprès de quelqu’un », et par extension, vers 1611, il s’employa pour, « qui est régulièrement présent (dans un lieu) », avant de qualifier également des actions et des attitudes.

 

Bien évidemment découlent de ce terme des dérivés tels :

Une assiduité

·         Fin XIIème siècle                : persistance.

·         1607                         : soin – application.

·         1638                         : fait de se tenir auprès de quelqu’un.

·         1690                         : fait de se tenir dans un lieu avec constance.

·         XVIIème siècle    : manifestation d’empressement auprès d’une femme.

(Comme si une femme avait besoin d’être continuellement assistée. Enfin, c’était l’idée qui courait, galopait même à cette époque).

 

Assiduité marque surtout la régularité professionnelle ou dans un travail, comme le note cette petite phrase sortie tout droit de 1559 : l’assiduité du labeur.

 

Assidûment

Adverbe avec les variantes orthographiques suivantes :

·         1246 : assiduement

·         Fin XIIIème siècle : assidueusement

Le « û » fit son apparition vers 1669, gommant du même coup le « e ».

 

Être assidu s’applique surtout au monde du travail.

 

Depuis des années, je reste très assidue à écrire de petits articles chaque semaine, choisissant des mots et des expressions pouvant vous intéresser.

Je pense, qu’en raison de cette assiduité, je mérite quelques « like »...... Merci !!

 

 

Pour cette petite histoire autour d’un mot,

Je me suis aidée du

« Dictionnaire historique de la langue française » Le Robert

 

Les derniers condamnés à mort dans l'Eure et en Seine-Maritime - Jean Pierre Canu - deuxième partie

 



Sixième condamné, un nommé Jean Pierre Canu

Deuxième partie

 

 

Ce matin-là, mercredi 17 février 1846, comme à son habitude, Jean Pierre Canu quitta son domicile situé au Hameau de Valcorbon, à 6 heures du matin, pour se rendre  chez le sieur Becquet pour lequel il travaillait depuis des années.

Toujours plus ou moins inquiet en raison des menaces proférées par son fils, il prenait toujours avec lui son bâton et son couteau.

Il faisait un peu frisquet et, pour se protéger du vent froid, Canu-père avait remonté le col de sa veste.

 

Un peu plus d’une heure après le départ de son père, Marie Catherine, enveloppée dans son châle, prit le chemin du centre d’Ecos pour aller vendre son beurre. Elle était accompagnée par deux enfants de Valcorbon qui se rendaient à l’école.

Tous trois marchaient d’un bon pas, pressés d’arriver afin de se mettre au chaud.

 

Sur le chemin, au loin, elle aperçut comme un homme couché sur le sol. À moins que ce ne fût un paquet tombé d’une charrette. Mais approchant peu à peu, il s’avéra qu’il s’agissait bien d’un homme.

Stoppant sa marche, elle demanda aux enfants de s’arrêter et de l’attendre un petit moment. Elle courut alors vers l’homme à terre, ayant reconnu, à ses vêtements, son père.

Avait-il eu un malaise ?

Vivait-il encore ?

 

Elle fut rapidement renseignée en découvrant que son père avait la tête ensanglantée.

Qui avait pu le frapper de la sorte, lui infligeant de nombreuses plaies au point que la tête était presque séparée du tronc ?

L’assassin s’était acharné sur le corps du pauvre homme. Un vrai massacre.

 

Marie Catherine, ses jambes la tenant à peine, s’en retourna vers les deux enfants, leur demandant de courir vers le bourg afin de prévenir qu’un malheur venait de se produire.

 

« Courez vite ! J’attends ici. »

 

Pendant que les enfants se dirigeaient vers le bourg d’Ecos, la jeune femme s’approcha du cadavre et l’observa.

Son père n’avait pas dû se défendre, car ses vêtements n’étaient pas en désordre et de plus, il avait encore ses sabots aux pieds.

Connaissait-il son agresseur pour ne pas s’être méfié ?

Avait-il été pris par surprise ?

 

Marie-Catherine constata que les poches de la victime n’avaient pas été fouillées. Dans celles-ci se trouvaient encore son couteau et une somme de vingt-cinq centimes.

Le vol n’était donc pas le mobile de ce crime horrible.

 

Aussitôt, Marie Catherine ne put s’empêcher de penser à son frère.

Comment ne pas faire autrement, étant donné les menaces et injures que celui-ci avait lancées à la tête de leur père.

Pourtant, elle se refusait, au fond d’elle-même, d’admettre que son frère pouvait attenter à la vie de leur père. Elle essayait de rejeter cette pensée qui la taraudait.

 

En pensant au meurtrier, si le nom de son frère lui était apparu comme une évidence, la police, assurément, ferait le même rapprochement.

 

Marie-Catherine se sentait mal. Ses forces l’avaient quittée. Elle s’assit auprès de corps, lasse, perdue, malheureuse, les larmes lui coulant doucement sur les joues.

Elle ne sentait plus le froid. Immobile dans l’attente des secours, seules ses lèvres remuaient dans le murmure d’une prière.

mercredi 1 février 2023

Les derniers condamnés à mort dans l'Eure et en Seine-Maritime - Jean Pierre Canu - première partie

 


Sixième condamné, un nommé Jean Pierre Canu

Première partie

 

 

Écos, commune de l’Eure, non loin de Vernon, non loin des Andelys, comptait, en cette année 1846, cinq-cent-vingt-cinq habitants

Une commune sans histoire.

Bien sûr, il y avait, comme partout des disputes entre voisins et des querelles familiales, mais rien de bien méchant même si parfois les rancunes pouvaient être tenaces.

N’allez pas croire, toutefois, que les gens y étaient meilleurs qu’ailleurs, ils avaient seulement d’autres chats à fouetter, et leur premier objectif consistait à vivre le mieux possible en évitant le malheur.

 

Du malheur, il y en avait comme partout et l’on faisait avec.....

 

Jean Pierre Canu avait toujours travaillé dur pour les autres comme domestique de ferme. Levé tôt. Couché tard. Il trimait sans rechigner.

Ce travail acharné lui avait permis d’acquérir quelques biens, modestes toutefois. Il pouvait se féliciter d’être propriétaire de sa maison et de six à sept arpents de terre[1]. De quoi être à l’abri et voir venir.

 

Il avait épousé, le 23 juin 1813 à la mairie de Fourges, Marie Victoire Avisse native de cette commune. Cinq enfants étaient nés de leur union, cinq toujours vivants, une chance à une époque où beaucoup de petits mourraient au cours de leur première année de vie.

 

Victoire s’en était allé vers un monde meilleur, le 12 juin 1844. Veuf, à présent, Jean Pierre Canu se sentait bien seul. Pour les soins du ménage, sa fille, Marie Catherine, qui vivait avec lui s’en chargeait.

C’était la solitude qui lui pesait.

Il avait rencontré une jeune femme[2] et souhaitait l’épouser.

Une perspective bien douce si il ne rencontrait pas quelques oppositions provenant de son fils, prénommé comme lui, Jean Pierre[3].

 

Jean Pierre Canu fils, depuis qu’il connaissait les projets matrimoniaux de son père, ne décolérait pas.

Il avait tout bonnement peur de se voir déshériter au profit de la nouvelle élue.

Les rapports père-fils déjà tendus, ne firent qu’empirer.

L’escalade fut telle que le père gardait toujours à portée de main son couteau ou sa fourche pour se défendre d’une éventuelle attaque venant de son unique fils.

 

Il y avait eu, tellement de fois, des insultes et des menaces devant témoins, que le pauvre homme était toujours sur le qui-vive, même la nuit, ne dormant que d’un œil, éveillé au moindre bruit.

Pourtant, tout en s’en méfiant, il l’aimait, son garçon. Ne disait-il pas :

« J’ai eu des difficultés avec mon garçon, je ne me fie pas à lui, c’est une mauvaise tête. Je ne dis pas tout, c’est mon enfant. »

 

Jean Pierre Canu fils avait la réputation de fréquenter les cabarets plus qu’il ne fallait.

Même après son mariage avec Elisabeth Dauvel et la naissance de la petite Augustine Elisabeth Silvie, le 30 novembre 1845, il n’avait pas modifié sa conduite.



[1] 6 arpents = 15000 m2 = 150 ares et 7arpents = 17500 m2 = 175 ares.

[2] Aucune information concernant cette femme.

[3] Un prénom de tradition puisque Jean Pierre Canu le tenait de son père et l’avait donné à son fils.