mercredi 25 octobre 2023

Un badaud, une badaude...


 Mot utilisé comme nom et comme adjectif.

 

Employé depuis 1532, et provenant du provençal badau, pour niaiserie.

Badau dérive lui-même de badar = bâiller.

D’où l’expression, rester bouche bée. Une expression peu flatteuse car renvoyant l’image d’une personne regardant quelqu’un ou quelque chose d’un air ahuri et la bouche ouverte.

 

Rabelais utilisa le terme badaud comme adjectif en lui donnant le sens de  sot, niais.

Plus tard, vers 1552, un badaud devint celui regardant par curiosité un spectacle futile.

Le badaud perdit alors son air niais et ferma la bouche.

 

Voici quelques mots ayant la même origine :

  • ·         Une badauderie (1547)    : une niaiserie
  • ·         Badauder (1690)              : faire le badaud.
  • ·         Un badaudage (1594)      :  sorti d’usage.

 

Aujourd’hui, quelle définition donnerait-on à badaud ?

Individu se promenant sans but, en quête d’insolite qu’il pourrait alors observer à loisir ?

 

 

Pour cette petite histoire autour d’un mot,

Je me suis aidée du

« Dictionnaire historique de la langue française » Le Robert

Courdemanche, une triste affaire. Chapitre 3 – Le procès au tribunal d’Evreux.

 


6 février 1877.

Cour d’assises de l’Eure où le procès devait se dérouler sur deux jours[1].

·         Monsieur le Conseiller Boulland[2] de la cour d’appel de Rouen, Président des séances.

·         Monsieur Lélu, Procureur de la République à Evreux, soutenant l’accusation.

·         Maître Demange du Barreau de Paris ayant la lourde tâche de défendre l’accusé.

 

Sur le banc des accusés, vêtu du costume des paysans aisés, Adolphe Émil Fez, « un homme à la physionomie très mobile dont l’expression se transforme vingt fois par minute »[3].

 

Avant de faire venir à la barre les divers témoins, furent entendus, afin de déterminer si l’accusé pouvait être en état de démence lors des faits :

·         Le docteur Broc, directeur de l’asile des aliénés de l’Eure.

·         Le docteur Fortin d’Evreux.

·         Le docteur Bidault d’Evreux.

Les rapports médicaux, après examens, montrèrent qu’Adolphe Émil Fez aurait le cerveau « oblitéré [4]», mais que son geste découlait d’un « mouvement passionnel ».

 

Adolphe Émil Fez n’était donc pas considéré comme dément, mais d’une jalousie extraordinaire. Un constat ne permettant pas de lui accorder les circonstances atténuantes.

 

Les témoins qui déposèrent sous serment furent tous unanimes à affirmer que l’accusé était un honnête homme, mais vindicatif, violent et jaloux à l’égard de son épouse.

 

« C’est qu’il était également rancunier, attesta un de ses voisins. Il jurait une haine mortelle à quiconque lui faisait le plus léger grief.[5]»

 

Par contre tous ne prodiguèrent que des éloges concernant Marcelline Bâton, feu l’épouse d’Adolphe Émil Fez.

 

« Pensez donc, une femme irréprochable et d’une parfaite moralité.

     Elle souffrait beaucoup, la pauvre, des soupçons non justifiés de son mari.

     C’est que j’ la voyais souvent pleurer en raison des coups qu’elle recevait. Il était dev’nu violent et de plus en plus, depuis quelques mois.

 

Il fut également question de l’achat du revolver, et ce fut le Président de séance qui posa la question :

« Pourquoi cet achat ? Vous aviez déjà l’intention de vous en servir contre votre épouse ?

     Non, c’était pour faire peur au Clairet, son amant, pour qu’il ne s’approche plus d’elle.

     Mais ce fut avec cette arme que vous avez tiré six coups, tuant deux personnes et en blessant une troisième.

     La Marcelline, elle m’avait avoué son infidélité. C’est de sa faute, tout ça !

     Ce n’est pourtant pas ce que révèlent les témoignages. Et d’autre part, juste avant de mourir, ses dernières paroles ne furent-elles pas : « Je ne l’ai jamais trompé ». On ne ment pas juste avant de mourir !

     C’est faux, elle me l’a avoué et je l’ai noté dans mon registre[6].

     Votre registre dans lequel vous notiez vos secrètes pensées. Comment peut-on savoir si ces écrits sont réalités ou fables ?

 

Fut également entendu Pierre Fez[7], le père de l’accusé. N’avait-il pas favorisé la fuite de son fils après le drame ?

« J’aimais beaucoup ma belle-fille, expliqua-t-il. Quand j’ai appris ce qui s’était passé, j’aurais jamais cru que mon fils en arriverait à tuer. Quand Joseph est venu chez nous la nuit suivante pour demander de la nourriture, j’ai essayé de le raisonner. Il devait se rendre à la police. Je l’ai aidé, c’est vrai. Pouvais-je faire autrement, c’est tout de même mon gars...... »

 

Le jury se retira pour délibérer.

Ce fut une longue délibération qui aboutit au verdict suivant :

 

Joseph Émil Fez était reconnu coupable.

Les circonstances atténuantes n’avaient pas été retenues.

La sanction : la peine de mort.

 

Condamné le 7 février 1877, son pourvoi fut rejeté, mais la Cour de cassation cassa l’arrêt du tribunal d’Evreux pour vice de forme.

Pour quelle raison ?

Certains témoins prêtèrent serment en qualité d’experts.

Cela suffit pour annuler le jugement qui fut renvoyé devant la Cour d’assises de Rouen.

 



[1] Informations tirées en partie du journal, « le Figaro – journal politique » du 8 février 1877.

[2] On trouve, selon les journaux, deux orthographes : Boulland et Bouland.

[3] Phrase tirée de l’article du « Petit journal » du 10 février 1877.

[4] Oblitéré : que certains vaisseaux sanguins du cerveau seraient obstrués. Comment les médecins de l’époque avaient-ils pu découvrir cette pathologie ? Cerveau oblitéré.... cela amènerait-il quelque accès de folie.... d’où le terme : être complètement timbré ?

[5] Le « Petit journal » du 10 février 1877.

[6] Adolphe Émil Fez tenait ce qu’on pourrait appeler un « journal intime » qui fut découvert dans son logis après les faits.

[7] Pierre Fez - Né le 29 avril 1807  - Décédé le 2 janvier 1878.

 

mercredi 18 octobre 2023

Galvauder

 


D’origine incertaine, ce verbe apparaît dans le vocabulaire français vers 1690.

Galvauder pourrait être rapproché de :

·         Gal = galer : s’amuser

·         Vauder = aller d’un côté et de l’autre : fureter, chercher une piste.

 

Le premier sens de galvauder était : poursuivre quelqu’un et le maltraiter.

Sympa !

 

·         En 1770, il s’employa pour « compromettre quelqu’un » et se conjugua aussi à la forme  pronominale : se galvauder.

·         En 1810, il s’utilisa pour : mettre en désordre

·         En 1887, il signifiait : traîner sans rien faire, avec une notion de mouvement et de gaspillage de temps.

 

 

De ce mot en découlent d’autres, comme :

·         Un galvaudeux et son féminin, une galvaudeuse : personne hargneuse (1865)

·         Un galvaudeur : homme paresseux, un propre-à-rien (1778)

·         Un galvaudage : action de galvauder (1842), mot toutefois peu usité.

 

En fait, il vaut mieux ne pas galvauder......

 

    

   Pour cette petite histoire autour d’un mot,

Je me suis aidée du

« Dictionnaire historique de la langue française » Le Robert

Courdemanche, une triste affaire. Chapitre 2 – L’irréparable.

 


La journée était radieuse, l’été s’annonçait idéal.

Marcelline avait étendu une lessive. Tout serait sec avant le soir.

Adolphe Émil, après le repas du midi était reparti aux champs. Il ne rentrerait qu’en début de soirée.

Que ne fut pas l’étonnement de la jeune femme de voir son mari revenir au logis vers les trois heures après midi.

Que s’était-il passé ?

S’était-il blessé ?

Inquiétude puis peur s’emparèrent d’elle, aussi se précipita-t-elle au-devant de lui. 

Arrivée à sa hauteur, il lui lança l’air mauvais, la voix pleine de hargne, en désignant leur maison de sa main droite : « Toi, tu rentres ! »

N’osant répliquer pour ne pas augmenter le courroux marital, elle obtempéra les jambes tremblantes, l’estomac contracté.

 

Adolphe Émil claqua violemment la porte, puis, faisant face à son épouse, hurla :

« Maintenant, tu peux plus m’échapper ! Tu pourras pas aller le rejoindre ! Je l’ai bien vu sur le chemin lorsque j’ suis parti. Il venait ici, hein ? Il attendait mon départ ?

     Mais qui, voyons ? Tu perds la raison !

     Facile de m’ dire ça, alors que c’est toi, catin, qui derrière mon dos, reçois ton amant !

     Mais quel amant ?

     Tu l’ sais bien !

 

Et c’était reparti, les hurlements, les coups .....

Marcelline n’osait plus rien dire, les mots de défense prononcés auraient amplifié l’ire d’Adolphe Émil.

D’ailleurs, que dire ?

Le mari jaloux était tellement convaincu de l’infidélité de son épouse que c’était devenu une idée fixe, une obsession.

 

Le calme revint toutefois. Pour combien de temps ?

Marcelline reprit ses tâches ménagères, retenant ses sanglots, mesurant ses gestes afin de ne pas faire de bruit, de ne pas attirer l’attention.

Ne pas déranger.

Devenir invisible.

Adolphe Émil, assis devant la table, s’était servi un verre de vin, puis un autre....

« Pourvu qu’il ne s’enivre pas ! pensa Marceline terrifiée, sachant que les effets de l’ivresse n’apporterait qu’un surcroît de brutalité.

 

Le silence fut rompu par une querelle, juste devant la porte.

Des voix d’enfants.

Celles d’Adolphe Gilbert et d’Emilien Marcellin.

Puis celle d’un homme.

Assurément c’était le voisin, Eugène Lemaire, qui réprimandait les deux garçons.

Qu’avaient fait les deux petits vauriens ?

 

Adolphe Émil alla s’informer du motif de tout ce bruit, suivi de Marcelline dont les yeux étaient encore rouges d’avoir pleuré.

Ce qu’aperçut alors Adolphe Émil, ce fut l’objet de sa colère, de sa jalousie.....  Jules Clairet !

 

  Son sang ne fit qu’un tour et.......  

 

« Messieurs, la Cour ! »

L’annonce prononcée d’une voix magistrale par un huissier, le bruit des personnes présentes se levant à l’entrée des Magistrats, dans la salle d’audience, ramena Adolphe Émil Fez à la réalité.

Une réalité qu’il allait devoir affronter en expliquant les événements l’ayant amené présentement dans le box des accusés.

mercredi 11 octobre 2023

Courdemanche, une triste affaire. Chapitre 1 – les années bonheur.

 


Courdemanche, une triste affaire.

Chapitre 1 – les années bonheur.      

 

Adolphe Émil[1] l’avait remarquée et en était tombé follement amoureux.

Elle avait si belle tournure. Son visage  charmant, ses yeux malicieux, son sourire gracieux, tout en elle n’était que ravissement.

Elle se prénommait Marcelline.

 

Après s’être fréquentés un moment, ils avaient décidé de se marier.

La cérémonie eut lieu le 21 novembre 1867. Les travaux des champs étant achevés, c’était le moment idéal pour les épousailles.

·         Lui, Adolphe Émil Fez[2], né le 13 novembre 1846 à Courdemanche,

·         Elle, Marcelline Bâton, née le 13 avril 1849 dans la même commune,

s’unirent pour « le meilleur et pour le pire ».

 

Les premières années de mariage furent, pour le couple, un vrai bonheur. Adolphe Émil cultivait ses terres et Marcelline s’occupait des soins de son ménage. Et il y avait à faire entre le potager, le poulailler, la lessive et l’entretien de la maison. Une charge de travail importante, amplifiée par l’arrivée de deux enfants :

·         Adolphe Gilbert, le 18 septembre 1868

·         Émilien Marcellin, le 6 juillet 1870

Deux petits garnements plein de vie qui faisaient le bonheur de leurs parents.

 

Tout semblait aller au mieux.

Le couple vivait bien, l’argent rentrait régulièrement.

Sauf que l’humeur d’Adolphe Émil changea peu à peu. Il devint soupçonneux à l’égard de son épouse, la surveillant sans cesse, le reproche toujours aux lèvres et surtout l’accusant de tromperies.

Avait-elle le temps de penser à la gaudriole avec les petits et le travail de la maisonnée ?

Il n’avait qu’à effectuer, un seul jour, les tâches dont elle s’acquittait, et il verrait un peu si elle avait une seconde à elle !

Fin 1874, l’époux jaloux commença par proférer des insultes.

Comment pouvait-elle arrêter le flux d’autant de violences verbales ?

 

Puis, ce fut une première gifle, puis une deuxième. Vinrent ensuite les coups.

 

«  J’sais qu’ tu m’ trompes, hurlait-il tel un dément, pas la peine de nier ! »

 

L’amant ! Il savait qui c’était. Il le voyait rôder autour de la maison aussitôt qu’il avait le dos tourné. C’était le Jules Clairet[3] !

 

Marcelline ne savait que faire. Son mari ne devenait-il pas fou ?

 

Les actes de violence allaient crescendo. Un jour, Adolphe Émil avait voulu la frapper avec un couteau à betteraves, Marcelline avait de justesse paré le coup.

Et puis, Adolphe Émil avait fait l’acquisition d’un revolver. Le soir, alors que les garçons étaient couchés, il sortait l’arme, la manipulait devant le visage de son épouse et d’un air méchant lui disait :

« Est-ce aujourd’hui que je vais l’étrenner ? »

 

Marcelline n’en pouvait plus. Elle avait le ventre qui se serrait lorsqu’elle entendait son mari rentrer au logis.

La peur la tenaillait.

Les voisins tout proches du domicile du couple, entendaient souvent les cris. Ils conseillaient à Marcelline de partir et de retourner vivre chez ses parents.

« Il me retrouvera vite et me ramènera à la maison. Si je m’enfuis, je devrai me cacher toute ma vie avec mes enfants. »

 

Il était vrai qu’une femme n’avait pas le droit de quitter le domicile conjugal. La justice lui donnerait aussitôt tous les torts.

 



[1] Les documents d’état civil (naissance – mariage..) notent l’orthographe du second prénom Émil, sans le « e » final.

[2] Noté sur l’acte de mariage : Adolphe Émil Fez de la classe 1866, exempté du service militaire par le conseil de révision. Les recherches n’ont pas abouti à la fiche militaire, mais d’autres documents révélèrent : estropié (ou encore infirme) du bras gauche, deux cicatrices au menton, sans plus de précisions. Avait-il eu un accident ? Quand ? Assurément avant l’âge de vingt ans, âge légal du recensement militaire. Une question qui restera sans réponse.

[3] Aucune information sur le dénommé Jules Clairet.