Premier condamné,
un soldat nommé
Jodon.
Chapitre 1
Huit jours de permission.
Quelle aubaine !
Le sésame en poche, le
caporal-fourrier Achille Jodon se promettait bien d’en profiter. Il allait de
ce pas, quittant son casernement d’Ham[1],
non loin d’Amiens, rejoindre sa ville natale du Havre.
« A moi la
liberté !!! » chantait-il sur un air connu de lui seul.
Pour Achille Jodon prendre du bon
temps, c’était essentiellement boire avec des amis dans les estaminets jusqu’à
plus soif, jusqu’à ne plus tenir sur ses jambes.
Et c’est ce qu’il fit et
notamment avec un de ses camarades, un certain Florence[2]
qu’il débaucha aussitôt arrivé au Havre, le 27 novembre 1874.
Edouard Florence était employé
aux comptes chez un banquier du Havre.......
30 novembre 1874.
Monsieur Adam, commissaire en
fonds public fut très étonné ce matin-là de ne pas trouver son employé à son
poste de travail. Celui-ci était d’une extrême ponctualité. Un employé
exemplaire en qui il avait toute confiance.
D’ailleurs, ne lui avait-il pas
confié les clefs du coffre qu’il gardait toujours sur lui, comme un trésor ?
Oui, Edouard Florence était un
employé modèle.
Pourtant, ce matin-là, Edouard Florence
était bien absent. Monsieur Adam alla donc quérir le double des clefs du coffre
à son domicile et lorsqu’il ouvrit le coffre en question, celui-ci était vide
de toutes les valeurs qu’il contenait la veille en monnaie et en papier.
Etait-ce Edouard Florence le
coupable ?
Monsieur Adam était totalement
anéanti. Il se sentait trahi.
30 novembre 1874 – 8 heures du
matin – rue des Gadelles à Sainte-Adresse.
En portant une dépêche, le facteur des postes fit une bien macabre
découverte. Le cadavre d’un jeune homme tué par balles.
Très vite, la victime fut
identifiée, il s’agissait d’Edouard Florence.
Le pauvre jeune homme avait été
abattu de quatre balles de revolver calibre de sept millimètres dont une dans
une oreille et une autre dans le cou. L’assassin avait tiré à bout portant.
Il ne fut pas difficile de
connaître le mobile de ce crime, car après examen du corps, il fut constaté que
la clef du coffre de la banque de Monsieur Adam n’était pas sur le cadavre.
Il fut aisé de nommé un premier
suspect, un certain Achille Jodon, qui avait été vu en compagnie de la victime
la veille au soir, dans un ou deux estaminets.
C’était une piste qu’il fallait
remonter rapidement.
Oui rapidement, car Achille Jodon
avait déjà quitté Le Havre.
Il fut arrêté à Paris.
Ce n’était qu’un suspect et il
fut tout d’abord interrogé.
« Vous connaissiez la
victime ? lui demanda un inspecteur.
-
Oui, nous nous
connaissons depuis plusieurs années, avait répondu le caporal Jodon, sans
montrer aucune inquiétude.
-
Vous étiez ensemble
dans la nuit du 29 au 30 novembre ?
-
Oui, nous avons bu
plusieurs verres et parlé du passé.
-
Qu’avez-vous fait
ensuite ?
-
Nous nous sommes
quittés, Edouard travaillait le lendemain et ne voulait pas se coucher trop
tard.
-
Avez-vous une
arme ? Un revolver sept millimètres ?
-
Je n’ai pas d’arme,
avait affirmé avec aplomb le caporal.
Tout cela aurait pu être vrai.
Sauf que......
Achille Jodon avait déjà été
condamné pour vol et notamment chez deux de ses employeurs :
-
MM. Ancel et cie en
1870, soit 5 600 F.
-
MM. Hurel et cie,
soit 1 400 F.
Et puis, et surtout, il fut
découvert sur le caporal fourrier quelques pièces chiliennes et péruviennes qui
justement se trouvaient dans le coffre de la banque de Monsieur Adam.
D’autre part, au moment des faits,
Achille Jodon ne put fournir aucun alibi.
[1]
La forteresse d’Ham dans la Somme est connue pour
avoir été une prison d’Etat et avoir eu comme « pensionnaire », Louis
Napoléon Bonaparte, condamné à six ans d’emprisonnement pour conspiration
contre le roi et y avoir séjourné de 1840 à 1846. Le marquis de Sade y fit
également un séjour. Cette forteresse fut détruite au cours de la première Guerre
Moniale.
[2] Ce jeune homme était né à Saverne dans le Bas-Rhin, sa
famille étant originaire du Bas-Rhin, d’où une autre orthographe de son
patronyme : Florentz.