Les Trois Glorieuses, des 27, 28 et 29
juillet 1830, balayèrent Charles X qui, après avoir abdiqué le 1er
août, s’exila en Angleterre.
Louis Philippe le remplaça à la tête
de la France à compter du 7 août 1830.
Nouveau souverain, nouveaux espoirs
pour le peuple qui espérait être, enfin, entendu et voir se réaliser,
rapidement, les réformes qui s’imposaient.
Alors, dans tout le pays, l’optimisme
remplaça la morosité, chacun voulant y croire.
Les administrateurs des villes
invitèrent rapidement le nouveau monarque, souhaitant ainsi par cette
rencontre, exposer leurs problèmes et obtenir quelques aides de l’Etat.
Dans ses tournées, le nouveau
souverain était ovationné chaleureusement par ses sujets qui n’avaient que ce
seul moyen pour l’entrevoir.
Louis Philippe qui avait déjà fait une
rapide apparition à Louviers, le 17 mai 1831, avait répondu favorablement à
cette nouvelle invitation, et dans cette ville, afin de l’accueillir dignement,
tous s’activaient aux préparatifs. Ne fallait-il pas être à la hauteur de l’événement,
et plus encore ?
En cette fin d’été 1833, ce fut donc
un réel branle-bas-de-combat pour honorer cet invité de marque.
La garde nationale qui devait faire
une haie d’honneur sur le passage du cortège royal, mais également effectuer
une revue de maniement d’armes, dut multiplier les exercices afin d’obtenir un
ensemble parfait de régularité et d’éclats. Plus la date approchait, plus les
entraînements s’intensifiaient. Certains exercices furent programmés avec la
garde nationale de la ville d’Evreux, invitée pour l’occasion, comme ce fut le
cas le vendredi 6 septembre à 6 heures après midi et le dimanche 8 septembre à
7 heures du matin.
En effet, le maire de Louviers avait sollicité
de son homologue d’Evreux la possibilité d’obtenir le concours de la garde
nationale de sa ville et, plus particulièrement, de son artillerie.
En cas d’impossibilité de déplacer les
hommes, le maire de Louviers demanderait le prêt de canons avec une aide à la
manipulation pour un essai de soixante-trois coups la veille de l’arrivée du
roi.
Peu à peu, la réception prenait
forme :
Les ingénieurs des Ponts et Chaussées
de l’arrondissement de Louviers avaient reçu par courrier, le 4 septembre,
l’ordre de faire dresser un arc-de-triomphe sur la grande route de Rouen, un
peu au-dessus de la ravine Saint-Germain. Pour cela, il fallait faire creuser
des trous de chaque côté de l’accotement, pour y mettre les piquets de peuplier servant à l’armature. À leur
charge, également, de faire remettre, en l’état, les lieux après démontage de
l’édifice éphémère.
Le 7 septembre, ce fut monsieur le
curé qui reçut les consignes concernant la mise en volée des cloches de
l’église Notre-Dame à l’entrée et au départ de Louis Philippe. Lui était
demandé, également, de se tenir, vêtu des habits sacerdotaux, sur le parvis,
avec son clergé.
Quelques « demoiselles » de
la ville, minutieusement choisies, avaient été désignées pour faire partie
d’une députation devant offrir fleurs et couronnes à la reine. Toutes de blanc
vêtues, elles devaient arborer un maintien parfait, un sourire avenant et
exécuter une révérence gracieuse, longuement répétée avant la réception.
- Réception dans la grande salle de
l’Hôtel de Ville.
- Revue militaire.
- Visites de manufactures.
- Discours.
- Remerciements.
Une réception identique à la
précédente et semblable à la suivante, lorsqu’un souverain venait en visite.
Une réception bien rodée, sans aucun
changement !
Sauf que …….
Cette fois-ci, vint aux oreilles des
autorités de la police la possibilité d’un attentat contre la vie du monarque.
Louviers ne pouvait voir sa réputation
entachée par un pareil acte !
Une enquête discrète, autant que
possible, se voulant efficace, se mit alors en place, car, en fait, il
s’agissait d’une rumeur : quelqu’un avait dit à une personne qui l’avait
répété à ……. Une rumeur va vite et se perd souvent dans les brumes de
l’incertitude ou l’inexactitude.
C’était le domestique de monsieur le
sous-préfet qui en avait fait la révélation à son maître, au lever de celui-ci,
le jour de la venue du roi, le 11 septembre à 7 heures.
« Comment ! s’était écrié le
sous-préfet. Mais, d’où vous vient une pareille information ?
—
C’est Rousseau,
le menuisier, qui m’en a parlé, Monsieur !
— Et ce
menuisier, de qui la tenait-il ?
— C’est que, Monsieur, un certain Lehuilier,
de Romilly, lui a demandé, contre une somme d’argent, de tuer le roi.
—
Et ce monsieur
vous en a parlé à vous, sans avertir les autorités ? C’est une
plaisanterie !
Une plaisanterie, certes, mais comment
en être sûr ?
Si l’information se révélait exacte et
que le monarque venait à succomber, l’entière responsabilité reposerait sur ses
épaules.
Le commissaire de police et l’officier
de gendarmerie furent appelés, sans délai.
« Messieurs, dit le sous-préfet
d’un ton solennel, l’instant est grave. Je viens d’apprendre qu’un complot se
trame contre le roi que nous attendons dans les heures qui suivent. Il faut
donc repérer rapidement tout individu nouvellement arrivé dans la ville, ayant
une apparence et des agissements suspects. Bonne chance, messieurs, et
tenez-moi au courant. »
Les deux hommes consultèrent donc tous
les registres d’inscription de voyageurs des logeurs de la ville. Mais les
registres étaient loin d’être bien tenus !
Cependant, la rumeur pointa aux
oreilles des autorités la présence d’un individu douteux logeant depuis trois
semaines à l’hôtel du Mouton d’Argent, dont le registre de l’établissement,
pourtant vérifié le matin même, ne mentionnait
aucun nouveau client.
Ne voulant pas laisser planer le
doute, le commissaire de police retourna donc dans cet hôtel. Il y trouva la
femme Marais et la questionna comme il l’avait fait, un peu plus tôt, avec son
mari.
« Avez-vous couché quelque
étranger ces derniers temps et notamment la nuit dernière ?
—
Point du
tout ! Quoique …..
—
Quoique ?
insista le commissaire de police.
—
Y’a ben un jeune
homme depuis un mois, mais ben convenable.
—
Comment
savez-vous qu’il est convenable ?
—
Bah ! il m’a
été amené par madame Deschamps et monsieur Hugues, des gens biens, ça j’peux
vous l’ dire ! C’est eux qui ont retenu cette chambre pour un ami de leur
fils et beau-frère, à c’ qu’ils ont dit !
—
Et quel est le
nom de ce jeune homme, s’enquit le commissaire de police.
—
Bah ! j’
sais point, moi !
—
Il serait bon,
madame, de mettre à jour votre registre comme la loi vous l’impose, en
attendant vous devez vous faire préciser le nom de cet homme.
—
Je lui demande,
c’matin, il est point sorti encore, il a les jambes à l’eau
à c’t’ heur’ ! promit la femme Marais.
—
Très bien,
conclut le commissaire de police, qui ayant à faire, précisa qu’il allait
repasser dans un court moment.
L’homme de police se rendit alors chez
le procureur du roi qui était encore au lit. Il fit part au domestique qui le
fit entrer, des raisons de sa visite. Il lui fut répondu, toujours par
l’intermédiaire de ce même domestique :
« Monsieur le procureur vous fait
dire qu’il s’habille au plus vite et vous rejoint à l’auberge du Mouton
d’Argent. »
Quelques temps après, le procureur du
roi, le sous-préfet, l’officier de gendarmerie et le commissaire de police se
réunirent, afin de mettre en commun les informations qu’ils possédaient et de
prendre les mesures qui s’imposaient.
Ils partaient des bases
suivantes :
Un jeune homme, nommé Jules, venant de
Romilly, habitait depuis un mois environ à l’hôtel du Mouton d’Argent. On ne
connaissait pas grand-chose de lui, sinon qu’il était l’ami de Léon Deschamps,
fils de madame Deschamps et beau-frère de monsieur Hugues. Ce Léon Deschamps
avait, selon les dires, quitté dernièrement Louviers pour Paris en raison du
décès de son beau-frère, Evariste Dumoulin.
Le nommé Jules avait demandé au
menuisier Rousseau, contre de l’argent, d’assassiner le roi.
C’était bien maigre !
Quels étaient ces personnages ?
Quelles entreprises, plus ou moins
funestes, les unissaient ?
Il fallait intercepter le nommé Jules,
la clef de l’énigme, avant l’arrivée du visiteur royal.
Était-il encore à l’auberge ?
Escortés de quelques gendarmes, le
commissaire de police et l’officier de gendarmerie retournèrent voir madame
Marais qui leur annonça :
« C’est qu’il est parti, y’ a pas
un quart d’heure, oui, ça, pas plus. Mais, il va r’venir, il est parti sans
rien prendre. On va point loin le ventr’ vid’ !
Il était neuf heures du matin.
Dans la ville, les mouvements
incessants d’hommes en uniformes et de notables n’étonnaient personne, l’événement
attendu nécessitant un déploiement des forces de l’ordre, pour la sécurité du
souverain.
Pour mener au mieux les
investigations, le commissaire de police du Neubourg, frère du commissaire de
Louviers, vint renforcer l’équipe de Louviers avec quelques hommes. Tous
sillonnèrent la ville, à la recherche du moindre indice, perquisitionnant les
lieux suspects. Sans succès, malheureusement !
L’individu avait, selon les dires
recueillis, fui vers midi, profitant d’une petite voiture allant à
« Rolleboise ». Mais comment en être sûr ?
Pendant toute la réception, la
vigilance fut de mise. L’enjeu était de taille. La vie du roi était sous la
responsabilité des autorités de la commune.
La journée se déroula sans problème.
Tout fut parfait !
Le cortège royal, arrivant de Rouen où
la famille royale avait reçu tous les honneurs dus à son rang, était précédé de
Louis Philippe, à
l’allure altière, sur un magnifique coursier.
Les canons tonnèrent, pour honorer les
visiteurs, sous la manipulation conjointe de la garde nationale de Louviers et
d’Evreux.
Les cloches carillonnèrent de joie.
Solennité et bonne humeur
accompagnèrent la journée.
Les voitures de l’escorte, emportant
le souverain et les siens, quittèrent Louviers pour se rendre à Gaillon où,
sous une pluie battante, elles arrivèrent vers vingt heures.
Nouvelle réception, avec passage sous
un arc-de-triomphe et discours, plus brève cependant, car Louis Philippe quitta
cette ville une heure plus tard pour gagner le château de Bizy, près de Vernon,
où il passa la nuit.
Pendant ce temps, à Louviers, on
apprit que l’individu nommé Jules n’était pas parti à midi.
Il fut donné l’ordre à la gendarmerie
de cerner la maison de madame Deschamps. Ce Jules, de Romilly, n’était-il pas
un ami de son fils ?
Le jeune homme ne fut jamais retrouvé,
car il avait bel et bien pris la voiture pour « Rolleboise », en haut
du village d’Heudebouville.
L’heure était au bilan. Comme à chaque
réception de dirigeants, les questions politiques furent débattues et les
problèmes exposés.
Louis Philippe, comme tous ces
prédécesseurs, n’était pas dupe, il savait que ces moments conviviaux
l’amèneraient à apporter des aides financières.
Les routes, les ponts étaient un point
clef pour le commerce, alors, il écouta en monarque attentif.
Oui, il aiderait pour le pont de
Folleville, on verrait pour la construction d’un barrage. Il promit.
Aider les villes, aider Louviers, n’était-ce
pas aider la France à prospérer.
Le 27 septembre 1833, le maire de
Louviers demandait au maire d’Evreux un délai de paiement pour le transport de
l’artillerie.
Les dépenses occasionnées pour la
réception avaient dépassé de beaucoup les prévisions et il fallait régler, en
priorité, les ouvriers.