mercredi 29 novembre 2023

Les fringues !!

 


Nom féminin pluriel, d’origine incertaine.

 

Un mot qui changea vraiment de sens au cours de sa vie car........

·         Au XIIIème siècle, il était employé pour « gambade ».

·         Au XVème siècle, « faire fringues », c’était : danser, gambader.

 

Pourquoi ?

Première hypothèse, ce mot viendrait de :

·             Fring : onomatopée exprimant une allure   sautillante

·  Guttire : chanter en parlant pinçon   (fringilla : pinson)

 

Deuxième hypothèse, une provenance d’outre-Rhin avec :

·         De l’ancien allemand kreinjan : purifier

Ce qui expliquerait le sens disparu de fringuer (1590) : rincer des verres.

 

Mais le rattachement de fringues à : sauter, gambader, se divertir, briller par l’élégance (surtout vestimentaire), courtiser une femme serait le plus plausible, notamment en considérant le mot gallo-romain frumicare, dérivé du latin frumere : consommer, jouir.

 

Fringues, au XIXème siècle, donna le verbe fringuer.

·         En 1878, une fringue (au singulier) était une toilette de luxe.

·         En 1886, des fringues s’attribuèrent aux vêtements en général, sens que nous lui donnons  aujourd’hui.

 

 

Fringuer (verbe) :

·         Vers 1462 : gambader.

·         1466 : se faire valoir, parader.

·         1743 : faire l’élégant.

·         1878 : se vêtir bien ou mal.



 Fringant et fringante.

Participe présent du verbe fringuer.


·         1478 : personne arborant un air décidé –  personne dont la mise élégante dévoile une certaine vitalité.

·         1687 : un cheval plein de vigueur.

 

 

Être fringant dans ses fringues, peut se traduire par : à l’aise dans ses vêtements.

Et par extension : bien dans ses baskets !

 

Désobéissance !

 

« Où il est encore, c’ t’ gosse ?

     Encore à fouiner dans un coin !

     I’ réapparaîtra ben quand il aura faim, va !

     I’ doit êt’ près d’ la rivière, à c’t’ heure !

 

Le gamin dont il était question avait été accueilli à l’hospice de la ville de Louviers, suite au décès de son père[1].

Turbulent, effronté, vif d’esprit, on ne pouvait, malgré tout, que tomber sous son charme.

Très longtemps livré à lui-même, il n’en faisait qu’à sa tête, sans tenir compte des conseils et des mises en garde.

Un galopin comme il y en avait tant d‘autres.

 

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Lorsque sa mère, Marie Rose Prévost, avait épousé, le 5 mars 1803, René Roussel, veuf d’Anne Duteurtre, âgé de soixante ans passés alors qu’elle affichait seulement vingt-sept ans, cela fit jaser.

 

Quand naquit le petit Louis Jacques[2], sept ans plus tard, cela fit sourire.

Mais Marie Rose n’en avait que faire de tous ces ragots.

Quant à René Roussel, il n’était pas peu fier d’aller présenter le petit à la mairie, en ce 27 avril 1810.

 

« Un beau gars ! R’gardez moi ça ! », disait-il à tous ceux qu’il rencontrait sur son parcours.

 

Et « son gars », comme il disait, il ne le quittait pas des yeux. Il voulait en profiter de ce petit. Il était vrai qu’à son âge, il savait bien qu’il avait peu de chances d’être présent le jour de son mariage.

Alors, il le dévorait des yeux à longueur de temps, n’acceptait pas qu’il criât, prenait peur lorsqu’il le trouvait un peu chaud.

Son « gars » était le centre du monde, de son monde à lui.

 

En effet, il n’en profita pas longtemps, pas assez longtemps, juste celui de le voir faire ses premiers pas et de l’entendre articuler ses premiers mots, car, René Roussel décéda le 29 décembre 1812.

 

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Au bord du bras de Saint Taurin qui bordait le terrain, derrière l’hospice de Louviers, le jeune Louis Jacques essayait d’attraper des poissons. C’était son occupation favorite.

 

« Tu vas finir par tomber dans la rivière, lui avait dit la sœur chargée des enfants hébergés à l’hospice. C’est dangereux !

     Que non ! répondait le gamin. Pas dangereux. Pis, j’ sais nager, moi !

     Il est interdit d’aller près de l’eau. Tu entends ?

     Oui, oui, finissait-il par répondre pour avoir la paix, et puis, il disparaissait en courant, faisant entendre un rire cristallin, plein de fraîcheur et de malice.

 

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Le ciel était bas, en ce milieu d’après-midi de début d’automne. Il charriait des nuages aux formes étranges et mouvantes que l’enfant aimait à observer. Une petite pluie fine tombait, rendant la berge glissante.

 

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Lorsque la luminosité s’assombrit, en début de soirée, alors que l’on s’affairait dans la cuisine à préparer la soupe du soir, une voix s’éleva :

 

« Ça fait ben longtemps qu’on l’a pas vu, l’ gamin ! »

 

Alors, on se mit à le chercher et bien entendu, les pas menèrent, sans tarder, vers son lieu de prédilection : le bord de la rivière.

Là, en effet, se trouvait l’enfant, flottant le nez dans l’eau, inanimé.

 

« J’ lui avais ben dit, d’ pas venir pécher, dit une femme en apprenant la nouvelle le soir même.

     On lui avait tous dit, répondit la sœur, en se signant. Que Dieu accueille son âme !

 

Le 6 octobre 1819, Pierre Guesnon, économe de l’hospice, alla déclarer au service de l’état-civil, que la veille à cinq heures du soir, était décédé le jeune Roussel, âgé de neuf ans et six mois, fils de feu René Roussel et de Marie Rose Prévost. Il était accompagné de Guillaume Huet, sonneur de son état.

 

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Je n’ai malheureusement pas retrouvé la trace de Marie Rose Prévost, fille de Jacques Prévost et Marie Lequeu, née le 14 novembre 1776 (date notée sur son acte de mariage en date du 15 floréal an 11).

Avait-elle abandonné son fils, Louis Jacques, aux bons soins des sœurs de l’hospice de Louviers, juste après le décès de son époux, afin de convoler avec un nouvel amoureux ?

 

Était-elle décédée ?

 L’histoire gardera à jamais ce secret.



[1] Aucune date précise sur l’arrivée du jeune garçon à l’hospice.

[2] Le petit garçon fut déclaré le jour de sa naissance sous les prénoms de Louis Jacques - sur son acte de décès, il est nommé Jacques René.             

mercredi 22 novembre 2023

La vérité se trouve-t-elle au fond du puits ? - Deuxième partie – Sera-t-on un jour ce qui s’est réellement passé ?

 


Une enquête fut diligentée et les familiers de la jeune femme furent entendus.

Madeleine Langlois expliqua que la veille au soir, elle avait dîné avec Marie Anne Marguerite Langlois. Leur cousin  Louis Langlois[1] avait partagé leur repas.

Elle précisa que le matin du drame, elle avait été réveillée par le petit Jacques Seney qui appelait sa maman, sans que celle-ci ne lui réponde. Alors, elle s’était levée pour voir l’enfant, et elle s’était rendu compte de l’absence de la jeune mère. Elle était sortie alors, et avait aperçu le voisin qui lui avait montré les sabots, là, prés du puits.

Louis Langlois confirma les dires de sa cousine.

Marie Anne Marguerite Langlois, fille de Jacques Langlois et d'Anne Marguerite Saunier,  est décédée le 25 ventose an XI (15 mars 1803),  en tombant dans le puits dans la cour de son domicile.

  

Le juge de Paix du Canton de Gaillon, Jean François Delamotte, conclut à un accident, en raison de l’absence de blessure sur le  corps de la défunte, et de  traces de lutte près du puits.

 « Pensez-donc, dirent certains, dans son état, elle a eu un vertige et hop …... »

 

D’autres, par contre, septiques, doutèrent fortement, car on entendit dans le bourg :

« C’est point normal, ça j’ vous l’ dit. I’ d’vait s’marier ! Mais, c’est que l’Jacques, i’ fricotte pas avec une jeunette de Venables ? Il avait accepté l’mariage pour avoir la paix, ça c’est sûr …… mais.......»

 

Mais, vous le savez bien, n’est-ce pas, que les ragots courent, courent et racontent tout et n’importe quoi. Alors ? !

 

 Jacques Langlois ne se remit jamais de la mort de sa fille, il devait décéder, six années plus tard,  le 1er mars 1809, à l’âge de soixante-six ans.

Anne Marguerite Saunier, épouse Langlois, elle, alla vivre chez son fils Jacques Félix, au logis duquel elle décéda, le 12 avril 1822.

 

 Quant à la famille Seney :

Jacques Seney épousa, le 12 octobre 1803 à Venables, Marie Françoise Bellenger.

Était-ce la jeune femme dont parlaient les ragots ?
Ils élevèrent le petit Jacques qui se maria le 14 mai 1824 à Villers-sur-le-Roule, avec une demoiselle du nom de Marie Catherine Lefebvre.

 

Jacques Seney père décéda le 12 juillet 1852, à Gaillon, à l’âge de soixante-quinze ans.

Jacques Seney fils décéda le 15 janvier 1867, à Gaillon. Il était âgé de soixante-six ans.

 

 

Il y eut de nombreux accidents - enfants, mais aussi adultes -  par noyade, suite à une chute dans un puits.

En effet, encore dans la première partie du XIXème siècle, la plupart des puits ne possédaient aucune protection. Il s’agissait d’un simple trou à fleur de terre, servant à approvisionner plusieurs habitants proches et ces points n’étaient pas toujours protégés par une plaque de bois.

D’autre part, la terre autour de ce point d’eau, mouillée après chaque remontée du seau, glissante, devenait très dangereuse. Chaussés de sabots, les utilisateurs perdaient souvent l’équilibre.

            



[1] Les familles Langlois, Saunier, Seney  se sont unies sur plusieurs générations. Difficile de refaire clairement l’arbre généalogique. Ce qui est certain, c’est que le seul cousin, âgé de 31 ans au moment des faits (comme noté sur le rapport de police) et prénommé Louis, ne peut être que le fils de Robert Langlois (boulanger) et Marie Cécile Alline. Selon l’état civil, ce Louis avait un frère jumeau : Dominique Borice.


Gueux et gueuse

 

Noms et adjectifs

Le féminin de ce mot fut d’abord gueue (1454), avant de prendre la forme du féminin des mots en eux = euse.

 

Quelle origine ?

  •  Du Neerlandais (milieu du XVème siècle) : guit = coquin – fripon ?
  •  Du latin : queux = cuisinier ?

De coquere : cuire – faire fondre, et qui avec le temps prit un autre sens, celui de : tourmenter – importuner.

 

Un gueux qui, par extension, passa du coquin, du fripon, à quelqu’un qui importune.

 

Revenons sur les différentes définitions de ce nom, à travers les siècles.

  • ·         Gueux – début du XVème siècle : coquin.
  • ·         Gueux – 1458 : personne qui vit d’aumônes donc, personne pauvre, démunie.
  • ·         Gueux – 1654 : personne qui n’a pas de quoi vivre.
  • ·         Gueux – dès 1615 : de nom, il est employé aussi comme adjectif, pour : coquin

 

Et gueuse ?

·         Gueuse – 1454 : femme de mauvaise vie.

Une locution connue depuis 1808 : « courir la gueuse », signifie se débaucher..... avec des femmes dites de mauvaise vie, bien évidemment !!

 


Une gueuse peut être également :

  • ·         Une pauvrette, une femme vivant chichement.
  • ·         Une variété de dentelle (1669)
  • ·         Une étoffe sans valeur (1723)

 

Il y a aussi, ce pot en grès dans lequel étaient placées des braises et qu’utilisaient les gens pauvres et qui reçut le nom de :

  • ·         Un gueux (1830)
  • ·         Une gueuse (1851)

 


Provenant de la même origine :

·         Gueuser - verbe intransitif (1501) : vivre comme des gueux – mendier.

·         Gueusard et gueusarde – nom et adjectif (1807).

·         Une gueuserie :

o   Condition de gueux (1606)

o   Chose de bas prix (1624)

o   Action vile (1808)

 

En histoire de l’art, une gueuserie désigne une peinture du XVIIème siècle, représentant des gueux.

Exemple : les gueuseries de Callot.

 

Pour cette petite histoire autour d’un mot,

Je me suis aidée du

                   « Dictionnaire historique de la langue française » Le Robert

mercredi 15 novembre 2023

Un fripon – une friponne

 






Mot argotique utilisé dans le langage avant 1547.

Ce mot est dérivé du verbe friper : s’agiter, puis manger goulûment (1545).

Et par extension, il a pris le sens de : consommer – dissiper, puis dérober.

 






Dans les dialectes de l’ouest, fripe ou frippe (nom féminin) nomme tout aliment pouvant s’étaler sur du pain.

Le nom fripon prit au cours du temps différents sens, tels :

  • ·         1547                                     : gourmand – bon vivant.
  • ·         1558                                     : personne sans scrupule – malhonnête.
  • ·         1636                                     : enfant joueur et turbulent.
  • ·         1678                                     : quelqu’un qui aime faire des tours malicieux.
  • ·         Au XVIIème siècle               : personne égrillarde.

 

 Molière, en 1666, attribua le terme de friponne à un de ses personnages, une jeune femme coquette. Un sens que le terme garda aux XVIIIème et XIXème siècles.

 

Jean de la Fontaine utilisa le diminutif friponneau en 1665.

 

Le verbe transitif friponner s’employait pour :

  • ·         Vers 1340           : faire bonne chair.
  • ·         1590                      : voler des petites choses.
  • ·         1585                      : escroquer quelqu’un.

Ce verbe n’est plus que très rarement employé.

 

Une friponnerie, n’est autre que :

  • ·         1530                      : une débauche.
  • ·         1790                      : le caractère du fripon.

·         Encore utilisé aujourd’hui, le mot désigne une malhonnêteté.

 

De nos jours, un petit fripon, n’est qu’un gamin facétieux, rejoignant ainsi la définition que le terme possédait en 1636.

 

Pour cette petite histoire autour d’un mot,

Je me suis aidée du

                   « Dictionnaire historique de la langue française » Le Robert

 

 

La vérité se trouve-t-elle au fond du puits ? - Première partie - Une drôle d’affaire

 


 La porte de l’auberge s’ouvrit sur un homme d’une cinquantaine d’années. À son entrée, tous les regards se tournèrent vers lui.

Il lança un « bonjour la compagnie » sonore et alla s’installer à une table près d’une fenêtre donnant sur la rue.

 Le patron vint lui demander ce qu’il souhaitait consommer. En cette question, il répondit :

« Une chopine de rouge, et du bon ! »

 

En attendant d’être servi, l’homme alluma sa pipe et lança quelques volutes de fumée.

Chacun avait repris sa conversation et, peu à peu, le brouhaha se fit plus dense dans la salle.

Le patron, en servant son client, essaya d’engager la conversation. La mine morose de l’homme l’intriguait.

«Alors, vous v’nez de loin ? lança-t-il

-      De Gaillon.

-      Et vous allez ?

-      Pas plus loin qu’ici. Je vins fair’ un’ livraison et j’y r’tourne !

 

Voyant l’homme peu bavard, le patron orienta la conversation sur le temps.

« Fait pas beau aujourd’hui, pas vrai ?

-      Oui, comm’ vous l’dites. Une petite pluie et du brouillard tout l’ long du ch’min !

-      Sale temps en effet. Et pis, i’ fait point chaud !

 

Pas bien causant, en effet, mais le patron ne se découragea pas. Un homme venant d’une autre ville avait sûrement des choses à raconter, même si cette ville n’était éloignée que de quelques lieues, et l’auberge n’était-elle pas un lieu primordial servant à véhiculer toute information ?

 

« Quoi d’ neuf à Gaillon ?

-      Rien à vrai dire, la routine.

-      Au moins, i’ y a pas d’accident à déplorer, c’est déjà ça !

-      Des accidents, répondit l’homme songeur, i’ y en a tous les jours. La routine ….

-      Comme vous dites, la routine, répliqua le patron qui, quelque peu découragé, allait s’en retourner derrière le comptoir.

-      Sauf qu’hier, c’est une jeune femme qui est morte……..

 

Le patron fit volte-face et revint vers son client.

« Une jeune femme, et comment ? »

 

L’homme releva la tête, appuya son dos au dossier de la chaise et regarda le cabaretier dans les yeux. Il avait l’air atterré.

« Oui, une jeune femme. La fille d’un voisin. Quel malheur tout d’ mêm’. Surtout quand on l’a r’tirée du puits. »

 

Le silence planait de nouveau dans la salle où les buveurs attentifs, tout à coup, attendaient la suite du récit.

 

L’homme hochait la tête revoyant le pauvre corps remontant, peu à peu, à la surface. Il en avait vu pourtant à son âge, mais lorsqu’il s’agissait de jeunes et notamment de jeunes qu’il avait vu grandir, ça lui faisait quelque chose, là, au creux de la poitrine.

Alors, se sentant écouté, ayant besoin aussi de déverser sa peine, il se mit à conter l’événement, un peu dans le désordre, au fil de ses souvenirs, au fil de ses émotions.

 

 



« Oui, j’la vois encore courir dans les prés. J’connaissais bien son père. C’était un voisin et un ami, maréchal ferrant et fier de l’être.

Il venait de Villers-sur-le-Roule[1] et avait épousé  Anne Marguerite Saunier[2], une brave fille et bien tournée avec ça.

Des petiots[3], il en était né, pour sûr.  D’ailleurs les petiots ça pousse plus que les rentes et ça crée bien du souci…..

La Marie Anne Marguerite[4], elle était née en été, oui, sa mère avait fini les moissons en s’tenant l’ventre. Tous lui disaient qu’elle accoucherait parmi les épis. Mais, elle ne voulut pas laisser l’ouvrage.

« ça tiendra ben encore un peu ! » répondait-elle en riant.

 

En effet, ça a tenu……. Une belle petite, vigoureuse et qui hurlait sur les fonts baptismaux.

 

« Oui, j’la vois encore courir en riant, grimper aux arbres et, plus tard, chanter en filant.

Elle est devenue une bien jolie jeune fille, la plus belle de toutes les filles Langlois. Et elle était, bien sûr, très courtisée. Mais malgré cela, i’ parait qu’elle était sage ….. « J’veux point d’mari, précisait-elle, j’suis ben comm’ ça. » Elle en abattait d’ l’ouvrage. Une courageuse ! Oui, une sacrée femme !

J’me souviens aussi d’la naissance du p’tit Jacques.

Une drôle d’histoire, ça pour sûr. C’est qu’la  Marie Anne Marguerite avait eu un galant. C’était d’ son âge, pardi. Et la v’là avec un petit dans l’ventre. Furieux qu’il était le Langlois. Surtout que l’père, un journalier n’ voulait pas s’marier.

Peut-être même que c’était elle qui n’voulait pas ! Va savoir ?

Enfin, tout ça, ça a fait des histoires, au point que l’père Langlois, il a mis sa fille à la porte.

La voilà, partie vivre chez la Madeleine[5], la ferme juste à côté. Chez elle, i’ avait d’ l’ouvrage, alors elle s’installa et que'qu' temps après elle a eu son p’tit. Un p’tit gars qu’elle a prénommé Jacques, comme son père ou comme le père du marmot. Est-ce qu’on sait ? L’père, Jacques Seney[6], a été déclarer le petit à la mairie. Il a reconnu être le père. J’me souviens, il est né en hiver. C’jour-là, i’ neigeait. Il a bien deux ans à c’t’ heure. Mais, toujours pas d’mariage en vu.

L’père venait l’voir et tout ….. et j’pense qu’avec la mère.... Enfin, c’est point mes affaires, et pis à présent, qu’elle est morte ……. J’comprends point moi, tout allait s’arranger et on allait aller à la noce ……… Car faut vous dire, que la Marie Anne Marguerite et le Jacques y s’aimaient bien et plus encore... car.... La s’maine dernière, l’ père Langlois, il apprend qu’ sa fille, elle est d’ nouveau grosse. Furieux qu’il était et bien que malade, au fond de son lit,  i’ va la voir et finit par savoir que l’père c’est encore l’ Jacques Seney. Alors, i’ fait ni une, ni deux, i’ s’ rend chez lui. Oui, furieux qu’il était l’ pèr’ Langlois, j’ l’avais jamais vu comme ça et pourtant j’ le connais ben, moi, l’pèr’ Langlois.

« Faut qu’épouse ma fille, maint’nant, lui ordonna-t-il, surtout avec le s’cond qu’est en route ! »

Et le Jacques, i’ a fini par dire oui. La publication du mariage devait s’faire c’ t’ jour.

Après, j’sais plus trop. Simplement, c’est que c’ matin là, en sortant à six heures du matin, pour aller m’soulager au fond du jardin,  j’ai aperçu des sabots près du puits d’ la maison d’ la Madeleine.

C’est à c’moment que j’vois la Madeleine sortir de la maison. Ell’ cherchait Marie Anne Marguerite, car le p’tit Jacques pleurait. J’lui montre les sabots, là …. et penchés au-dessus du puits, on a essayé d’ voir que’qu’ chose, mais i’ s’ faisait encore noir.

Comme on a pas trouvé Marie Anne Marguerite, on a fait prév’nir le père qu’est venu tout d’suite.

Et puis on a prév’nu les autorités, pour sûr. C’est que ça d’venait grave, c’ t’affaire-là.

C’est dans l’après-midi qu’on l’a r’montée. Tout d’suite, on l’a reconnue. Elle portait sa jupe de molleton rouge et un casaquin bleu sur sa chemise. Oui, que misère !

Dir’ qu’on aurait pu aller à la noce ……….

 

Le silence retomba sur cette fin tragique.

L’homme renifla, essuya d’un revêt de manche une larme qui roulait sur sa joue, se leva, posa une pièce sur la table en paiement de sa consommation, et sortit de la taverne sans se retourner.

 

La porte de l’estaminet refermée, un silence pesant flotta encore dans le lieu. Peu à peu les habitués reprirent leurs conversations, en sourdine, comme pour respecter le repos de la jeune défunte.



[1] Jacques Langlois, fils de Jean Langlois et Anne Mulot, est né le 12 mars 1743 à Villers-sur-le-Roule.

[2] Mariage à Gaillon avec Anne Marguerite, fille de Claude Saunier et Marie Jeufosse, le 2 juin 1867.

[3] Le couple eut de nombreux enfants dont  : 1769 : Marie Magdeleine - 1771 : Marie Anne Marguerite - 1773 : Jacques (décédé en 1774 à 16 mois) - 1775 : Jacques Félix - 1779 : Jean Baptiste - 1782 : Pierre Joseph (décédé en 1782 à 15 jours) - 1783 : Jean Dominique (décédé en 1784 à 9 mois) - 1787 : enfant mort né (sexe non noté) -…….

[4] Date de naissance de Marie Anne Marguerite : le 11 août 1771

[5] Aucune information sur le rapport de police concernant Madeleine. S’agissait-il de sa sœur aînée,  Marie Magdeleine, née le 11 octobre 1769 ou sa tante Madeleine Langlois qui était aussi la marraine de sa sœur aînée. Mais étant donné qu’il est question d’un cousin, Louis, cela laisse à penser qu’il s’agissait de sa tante.

[6] Jacques Seney, fils de Jacques Seney et Marie Jeanne Victon, est né à Gaillon le 29 avril 1778.