mercredi 21 octobre 2020

JASER

 

Parler ou jaser ?

 Vers 1500, le terme « jaser » faisait partie du vocabulaire du  langage attribué aux animaux et notamment à celui des oiseaux, tels la pie ou le perroquet,  quand ceux-ci, notamment, poussaient une succession de petits cris.

Le geai, quant à lui, il gasait.

« Jaser » était employé aussi pour « babiller », d’ailleurs nos cousins-canadiens-francophones utilisent « jaser » pour : bavarder – raconter.

 

Ronsard, très poétiquement, se servait de ce verbe pour décrire le murmure du ruisseau, le coassement de la grenouille.

Le ruisseau jase..... Joli ! Non ?

 

Dès le XVIème siècle, le verbe « jaser » prit une connotation plus péjorative. En ce début de siècle, « jaser, c’était « se moquer », « se gausser ».

1678, « jaser » se para d’une touche de frivolité, d’indiscrétion.

1690, ce fut la médisante que revêtit le verbe, le rapprochant  de « cancaner ».

  

Et pour faire jaser, je vous propose quelques dérivés !

 1530 :

Un jaseur ou une jaseuse..... Des personnes très bavardes.

1538 :

Un jasement ou une jaserie. Bavardage ou causerie.

1731 :

Un jaseur, nom donné à un prêtre ou un avocat général. Sans doute considérés comme « beaux parleurs ».

Un jaseur donna le verbe « jaspiner ».

 

1865 :

Avec la logique du cheminement des mots, du verbe « jaspiner » découla le nom « un jaspin », pour un  bavardage et « un jaspineur ou une jaspineuse » pour nommer le bavard et la bavarde.

 

Un petit dernier ?

Vers 1883, un bavardage était aussi « un jaspinage ».

 

Avec tout cela, n’allez surtout pas jaser derrière mon dos !!


 

 

Pour cette petite histoire autour d’un mot,

Je me suis aidée du

« Dictionnaire historique de la langue française » Le Robert

HISTOIRE VRAIE - CHAPITRE 11

 


Nouvelle Histoire vraie

Chapitre 11

Le roman de Ernestine Marceline Fernande Segret

 

 

Des coups violents frappés contre la porte suivis d’une sommation : « Police ! Ouvrez », les avaient jetés hors du lit.

Tout ensommeillée,  les cheveux ébouriffés, Fernande avait suivi son amant jusqu’à la porte d’entrée de l’appartement.

A peine celle-ci ouverte par l’homme, des policiers avaient fait éruption dans le couloir et avait lancé : « Henri Désiré Landru, vous êtes en état d’arrestation !!! ».

 

«  Mais c’est une erreur !! Lâchez-le ! hurlait Fernande. Ce n’est pas son nom. Il se nomme Guillet !!

 Le monsieur Guillet, lui, gardait calme et silence. Il demanda simplement la possibilité de se vêtir, avant de suivre les représentants de l’ordre, ce qui lui fut accordé.

 Fernande, elle, ne prit pas le temps de passer même un peignoir sur sa chemise de nuit, pieds nus, elle descendit à la suite des policiers qui encadraient son amant, jusque sur le trottoir devant l’immeuble, au numéro 76 de la rue Rochechouart, où malgré l’heure matinale, un attroupement s’était déjà formé.

Elle resta là, hébétée, regardant s’éloigner le véhicule qui emmenait celui qu’elle devait épouser prochainement, Louis Guillet.

 

 Qui était donc cet homme avec qui elle s’apprêtait à partager sa vie ?

Troublée au plus haut point, elle se posait une multitude de questions, d’autant plus que les journaux déversaient quantité d’informations qu’elle qualifiait de mensongères.

 

Il y avait erreur, une horrible erreur judiciaire.... Et pourtant, les preuves s’accumulaient et Fernande Segret, malgré tout, persistait à ne pas croire qu’elle était la seule survivante d’un grand nombre de fiancées, séduites, courtisées, dépouillées et assassinées par son ex-amant.

 

Ce fut ce qu’elle expliqua devant les juges du sieur Landru.

« Un homme si bien, si gentil, si aimant...... ».

 

  

Ce fut une jeune femme mince, presque frêle, qui s’avança à la barre.

Ernestine Marceline Fernande Segret[1].

Elle était artiste Lyrique et se produisait  au « Moulin de la Chanson », 43 boulevard de Clichy[2].

La pauvre jeune femme, toujours sous le choc, lançait des regards interrogateurs et suppliants vers son amant qui, assis, dans le box des accusés, évitait son regard.

 

Pourtant, après avoir accepté le siège qu’on lui proposait, elle refusa à plusieurs reprises, malgré de légers malaises et de longs sanglots, d’interrompre sa déposition.

  

Alors, Fernande Segret expliqua........

Elle avait rencontré « l’accusé [3]» en avril 1917. C’était dans l’autobus. Elle était montée à un arrêt et en l’absence de sièges disponibles, elle était restée debout. Galamment, un homme (l’accusé) lui avait proposé sa place. Elle l’avait remercié d’un signe de tête et d’un léger sourire.

Lorsqu’elle était descendue, quelques arrêts plus loin, l’homme l’avait suivie, avait engagé la conversation, insistant, très insistant. Elle l’avait éconduit à plusieurs reprises, sans résultat. Il ne l’avait quitté qu’après lui avoir arraché la promesse d’un rendez-vous, le lendemain matin.

 

Il était vrai, qu’elle aurait pu ne pas se rendre, comme promis, le lendemain matin, place de l’étoile, mais elle était curieuse de nature, et puis, il faisait beau.

Elle n’avait pas regretté. Elle avait passé une agréable journée.

Cet homme, l’accusé, avait été charmant. Ils avaient canoté sur le lac du Bois, ils avaient déjeuné en discutant de tout et de rien, du temps, des courses, des spectacles qui étaient donnés...

Elle avait parlé d’elle, beaucoup.

Il avait parlé de lui, avec parcimonie.

 

Cet homme s’était dit se nommer, Louis Guillet, ingénieur. Il était venu se réfugier dans la capitale où il avait loué un petit appartement 32, rue de Maubeuge. Mais cette situation n’était que provisoire.

Oui, provisoire, car quand la guerre serait finie, il retournerait dans le Nord.

 

Ce fut à la fin du mois de juillet 1917 que l’accusé lui avait fait une demande en mariage. Elle fut très surprise de cette précipitation. Elle avait toutefois mûrement réfléchi.

Elle était fiancée, mais elle n’était plus réellement certaine de ses sentiments.

Alors, pourquoi pas ?

Monsieur Guillet lui offrait une vie stable et bien qu’elle n’en fût pas amoureuse, elle ressentait pour lui une immense sympathie.

 

Alors, elle accepta.

 

Avant le mariage, il y avait toujours le passage obligé des fiançailles.

Avant les fiançailles et le mariage, il fallait l’approbation des parents de la future.

Ce fut ainsi que les promis rendirent visite à la mère de Fernande[4].

Pour cette première visite de rencontre et de demande, le futur avait apporté à celle qui devait devenir prochainement sa belle-mère, un énorme bouquet de fleurs.

Et pour la rassurer sur ses honnêtes intentions, avait déclaré :

« Fernande m’apporte sa jeunesse. Je lui ferai une situation. Je ne lui demande pas un centime[5]. »

 

La date des fiançailles fut arrêtée à Pâques 1918 et pour le mariage, il fallait attendre que le futur marié puisse, enfin, récupérer ses papiers d’identité, sa commune de Rocroi ayant été détruite par l’ennemi.

 

Le jour des fiançailles arriva..... mais pas le fiancé !!! Les invités attendirent, attendirent..... et entendirent un coup de sonnette.

Hélas, trois fois hélas..... ce n’était qu’un télégraphiste apportant une dépêche :

Le fiancé avait dû se rendre précipitamment en province.

 

«  Je te l’avais dit ! » avait seulement lancé la mère de la fiancée délaissée qui pleurait à chaudes larmes, avant d’ajouter :

« Et c’est mieux ainsi !! »

 

Toutefois, quelques doutes commencèrent à germer dans la tête de cette mère.

Qui était réellement cet homme, en plus d’être un mufle qui faisait pleurer sa fille ?

Un hasard fit que le maire de Rocroi, chassé de sa commune par les bombardements, se trouvait, lui aussi, réfugié à Paris.

Mère et fille lui demandèrent un entretien.

« Non, non, avait-il répondu en se grattant le menton, signe d’une grande réflexion. Je n’ai pas d’administré du nom de Guillet. Aucune famille de ce nom dans ma commune et pas, non plus à ma connaissance, dans les villages alentours. »

 

Pourtant, malgré cette réponse et les doutes persistants, les fiançailles eurent lieu le mois suivant, au domicile[6] du fiancé, qui cette fois-ci, était présent.

La date du mariage fut arrêtée pour la fin de l’année 1918.

 

L’armistice ! Enfin !

La fin des hostilités. Les soldats, peu à peu, revinrent dans leur foyer.

Et ce fut le cas aussi pour l’ex-petit-ami de Fernande.

Retrouvailles émouvantes pour les deux jeunes gens.

Avec beaucoup d’emphase, Louis Guillet, théâtral clama :

«  La jeunesse va à la jeunesse. Je suis prêt à me sacrifier. Faites votre vie ! Soyez heureux ! »

 

Mais, pour Fernande Segret, comme elle le précisa devant le tribunal, une promesse était une promesse. Elle refusa de reprendre sa parole. Elle refusa le sacrifice de son promis qui sortit grandi dans son estime. Un homme capable d’une telle abnégation par amour ne pouvait être qu’un homme bien !

 

Janvier 1919. L’heure des vœux traditionnels, le mariage n’avait toujours pas eu lieu.

Monsieur Guillet prétendait ne pas avoir encore, en sa possession, les documents nécessaires à la publication des bans.

Cela venait aussi, et Fernande l’apprit alors, que son amant appartenait à la police secrète, celle du contre-espionnage.

 

Malgré tout, ils coulaient tous deux des jours heureux. Elle au théâtre. Lui, va savoir !

Ils étaient devenus amants, vivaient ensemble et passaient de fréquents moments à Gambais où le sieur Guillet possédait une maison de campagne.

Fernande aimait cette maison dans laquelle elle n’avait jamais rien remarqué de suspect.

La dernière fois qu’ils s’y étaient rendus, le 4 avril 1919, elle avait cuisiné elle-même, se servant pour cuire le repas de ...... la cuisinière.

 

A cette pensée, Fernande frissonna et se sentit défaillir.

 

Toute sa vie s’écroula au petit matin du 12 avril 1919.

 

A de nombreuses reprises, alors qu’elle expliquait les faits, Fernande avait regardé « l’accusé » qui n’avait jamais daigné lui adressé la moindre attention.

 

 

Un coup dur pour cette jeune femme qui quitta la France aussitôt après la condamnation et l’exécution de celui qu’elle a toujours cru innocent. Elle alla s’installer au Liban où elle fut institutrice ou gouvernante. Enfin, elle disparut dans l’anonymat.

 

Toutefois, elle publia ses mémoires.

Elle ne reparut, en France, qu’en septembre 1965 pour demander des dommages et intérêts à Claude Chabrol. En effet, elle se déclara ridiculisée dans le film « Landru » que le cinéaste venait de réaliser et dans lequel elle était représentée sous les traits de l’actrice Stéphane Audran.

Elle demandait un dédommagement de 200 000 francs[7].

 

 

Ernestine Marcelline Fernande Segret se suicida le 21 janvier 1968 à Flers.

Toute sa vie, elle resta fidèle à la mémoire de son amant.

 

 



[1] Née le 22 décembre 1892, dans le 5ème arrondissement de Paris.

[2] Le Moulin de la Chanson, cabaret ouvert en 1913, ferma rapidement ses portes, au profit d’autres cabarets plus prisés, sur le même boulevard, tel le « Moulin Rouge ». Tout au long du « procès Landru, de nombreuses personnalités du spectacle de l’époque étaient présentes : Mistinguett – Maurice Chevalier......

 

[3] Ce fut ainsi qu’elle dénomma son ancien amant, Henri Désiré Landru, tout au long de son témoignage.

[4] Peu d’informations sur les parents de Fernande Segret, Ferdinand Gustave Segret et Marie Louise Périgaud. Apparemment, ils étaient séparés, mais aucune preuve formelle.

[5] Une jeune fille devait, à cette époque, apporter son trousseau constitué du linge de maison et une dot, somme d’argent plus ou moins importante.

[6] Guillet-Landru avait emménagé peu avant rue Rochechouart.

[7] Je ne pourrais vous dire si elle a gagné.

mercredi 14 octobre 2020

Pourquoi ce mot !!

 Intrépide !!



Ce gamin est intrépide !!

Oui, ça arrive, il y a des gosses, comme ça, qui n’ont peur de rien.

Mais pourquoi : « Intrépide » ?

 

« Intrépide » est un adjectif qui remonte au XVème siècle.

Ce qui implique que les mamans d’hier avaient, avec leurs mioches, les mêmes soucis !!

 

D’où vient ce mot ?

« Intrépide » vient du latin « intrepidus » ( in : négation – trepidus : tremblement):

·         Qui ne tremble pas

donc

·         Qui est courageux

 

Un mot qui était attribué surtout aux hommes, aux guerriers.

Un guerrier intrépide était donc un homme très bien noté par ses supérieurs !!

C’était bien le sens de cet adjectif en 1694 : « quelqu’un qui ne tremble pas devant le danger.

Un adjectif qui devint un nom dans le courant du XIIème siècle.

Un intrépide, celui qui ne se laisse pas rebuter par les obstacles, qui garde le cap quoiqu’il arrive, droit dans ses bottes.

 

Au début du XXème siècle, un gosse intrépide ne tenait pas en place, n’écoutait rien, n’en faisait qu’à sa tête, sans trembler devant l’autorité des adultes.

« Parle toujours tu m’intéresses », semble dire le regard du chenapan intrépide devant les menaces de punitions.

 

Petite question.

Henri de la Tour d’Auvergne, vicomte de Turenne, dont les exploits à la tête de l’armée française, sous Louis XIII et Louis XIV, fleurissent dans les livres d’Histoire se disait avant les combats :

« Tu trembles carcasse, mais tu tremblerais encore plus si tu savais où je vais te mener !! »

 

Courageux Turenne. Un grand soldat.

Mais en raison de cette petite phrase, nous pouvons penser qu’il n’était pas « intrépide », au sens premier du mot.

Mais ne lui retirons pas ses mérites qui lui valurent beaucoup d’hommages.

 

Pour cette petite histoire autour d’un mot,

Je me suis aidée du

« Dictionnaire historique de la langue française » Le Robert

 

Nouvelle Histoire vraie - Chapitre 10

 

Nouvelle Histoire vraie

Chapitre 10

Le roman de Marie-Thérèse Marchadier

 

 Il y a des vies qui commencent mal et qui enchaînent les déconvenues.

 Est-ce que ce fut le cas pour Marie-Thérèse Marchadier ?

Assurément. 

 L’acte retraçant sa naissance fut déjà le premier mauvais pas.

Elle naquit le 27 octobre 1881, au 10 rue Saint-Nicolas à Bordeaux, à une heure du matin.

Pourquoi Saint-Nicolas ne s’était-il pas, ce jour-là, penché un peu plus sur le berceau ?

D’ailleurs y avait-il un berceau prêt à accueillir la petite fille ?

 
Ce fut dame Haran, sage-femme de son état, demeurant dans le même immeuble qui assista à la naissance. Ce fut elle, également, qui présenta le bébé à la mairie, le déclarant de sexe féminin, né de Marie-Georgette Marchadier, âgée de vingt-et-un ans,  et de père non-nommé.

 

Qui était Marie-Georgette ?

Elle était née le 30 juin 1860 à Ruffec en Charente.

Et travaillait comme domestique.

 

Un enfant sur les bras, sans mari, ce n’était pas facile.

Que faire ?

Assurément, la petite n’était pas désirée, un accident de parcours suite à une amourette qui avait mal tourné, ou plus exactement, ce fut le père qui avait tourné le dos en apprenant la future naissance.

Les parents Marchadier, avaient-ils été mis au courant de l’état de leur fille ?

Si oui, l’avaient-ils alors mise à la porte ?

Marie-Georgette, avait-elle caché volontairement cette grossesse, attendant sa délivrance pour déposer  la « petite-chose » au tourniquet de l’hospice[1]?

 

Rien pour le dire...... 

 

La petite Marie-Thérèse fit son chemin chaotiquement, dans les rues de Bordeaux où elle gagna un petit pécule.

Gageons toutefois que cette jeune femme n’eut pas la vie très facile.

 

Début 1913, Marie-Thérèse décide de monter à Paris où elle s’installa  dans une chambre rue Saint-Jacques.

Elle s’absentait régulièrement plusieurs semaines pour aller en province. Les gens qu’elle fréquentait alors pendant ces périodes l’avaient surnommé Zaza.

Dans son quartier, à Paris, où elle était appréciée, elle avait été baptisée, « la femme aux chiens ».

Pourquoi ?

Parce qu’elle possédait trois griffons qu’elle chérissait tels des enfants.

Lorsqu’elle s’absentait, elle mettait « ses amours » en garde, et dépensait pour leur soin la somme de cinq francs par semaine, somme astronomique à cette époque et surtout pour des animaux.

 

Les années passant, la jeune femme commença à penser à son avenir.

En 1916, elle avait mis de côté une belle somme d’argent, presque huit mille francs, aussi demanda-t-elle la possibilité de louer un pavillon qui se trouvait derrière l’immeuble où elle demeurait[2]. Son idée était d’y aménager de petits logements meublés et de les sous-louer.

Oui, mais que se passait-il vraiment dans cet endroit où l’on faisait la fête fort tardivement dans la nuit, au grand dam des voisins qui ne pouvaient dormir et où Marie-Thérèse, connue sous le nom de «  la belle Mytèse », régnait en maîtresse ?

 

Arriva ce qui devait arriver.

Plaintes après plaintes, elles étaient fort nombreuses, la demoiselle Marchadier reçut un avis d’expulsion du propriétaire du lieu, avec ordre de quitter la maison et remise des clefs pour le 31 janvier 1919.

 

« Expulsée !! »

Cela ne faisait pas son affaire. Elle devait quitter les lieux, mais ayant englouti toutes ses économies, il lui fallait, assurément, revendre le mobilier pour récupérer un peu de ses fonds.

 

« Pourquoi pas essayer de te caser ? lui avait suggéré une amie et voisine, Madame Le Gallo. Un galant qui t’épouserait et te mettrait à l’abri du besoin. »

 

En effet, pourquoi pas ?

 

Marie-Thérèse Marchadier alla se renseigner dans une agence matrimoniale. Elle en connaissait une qui avait bonne réputation, l’agence Tarty. Ce fut dans ce lieu qu’elle croisa un certain Moret, un habitué. Ils sympathisèrent, discutèrent. Il connaissait bien, ce monsieur Moret, un industriel du nom de Lucien Guillet qui cherchait un local, justement, pour y installer un atelier.

 

Ce fut ainsi que, par l’intermédiaire de monsieur Moret, Lucien Guillet se présenta rue Saint-Jacques.

Cet industriel ne fut pas seulement intéressé par le local, mais aussi par le mobilier.

Il avait un château, avait-il expliqué, qu’il avait besoin de meubler.

Quelle aubaine !!

Mais il ne pouvait pas tout prendre, seulement cinq chambrées.

L’affaire fut conclue rapidement.

 

Quelques jours après cette première entrevue, la belle Marchadier, toute en effervescence, expliquait à la concierge de son immeuble :

« C’est insensé ! J’ai vraiment de la veine. J’ai fait la connaissance d’un type qui a le béguin pour moi. Il m’achète mon mobilier fort cher et m’emmène très bientôt dans sa villa à la campagne... et vous savez quoi ?  Nous allons nous marier !! »

 

A son amie, mademoiselle Poillot, qui avait la même passion qu’elle pour les chiens, elle confia :

« Il est charmant et il aime bien les chiens !! »

 

Les rencontres s’intensifièrent.

Le couple passa les fêtes de Noël ensemble, et parla avenir.

 

« J’ai bien réfléchi à ce que vous m’avez proposé, je ne demande pas mieux que de vivre à la campagne. Depuis longtemps, c’était mon rêve, si ma situation l’avait permise. »

Marie-Thérèse était sous le charme, elle entrevoyait pour la première fois sa vie future sous de meilleurs auspices.

 

« Oui, mon amie, avait répondu Lucien Guillet, mais il ne faudra donner l’adresse de notre maison à personne. Voyez-vous, je vais vous confier un secret, ce qui prouve toute la confiance que j’ai en vous, je m’occupe de contre-espionnage. Je suis attaché bénévole au 2ème Bureau.... »

 

Marie-Thérèse toute frémissante devant un tel secret partagé et bien sûr pour la fonction qui impliquait de grands dangers, promis évidemment.

Contre-espionnage !!!....  La guerre venant de s’achever, elle prit cette information comme des plus plausibles.

 

Le 13 janvier 1919, ce fut le grand départ pour Gambais.

Mademoiselle Marchadier n’emporta qu’une petite valise et ses trois chiens[3].

Deux jours plus tard, le 15 janvier, le sieur Guillet vint déposer les clefs du domicile de Marie-Thérèse, après l’avoir vidé de son mobilier.

 

Plus personne n’eût, à partir de ce jour, aucune nouvelle de la jeune femme.

 



[1] Dans les divers documents découverts par la suite, il est noté « enfant de l’assistance publique », ce qui laisse à penser que Marie-Thérèse fut abandonnée. Marie-Georgette, sa mère, épousa quelques années plus tard, le 9 décembre 1897, Jean Julien Madaune, qui exerçait la profession de pharmacien.

[2] Il se situait au 830 rue Saint-Jacques.

[3] Elle emmena, avec elle, deux chiens lui appartenant et un autre appartenant à son amie, Mademoiselle Poillot.

 

jeudi 8 octobre 2020

NOUVELLE HISTOIRE VRAIE - CHAPITRE 9

 


Nouvelle Histoire vraie

Chapitre 9

Le roman de Anne-Marie Pascal

 

   

« Est-ce que nous verrons monsieur Mystère aujourd’hui ? » lança une des ouvrières de l’atelier de couture de la villa Stendhal.

Cet atelier situé dans le XXème arrondissement avait été ouvert par Anne-Marie Pascal, une femme plus qu’excentrique qui était venue du sud de la France s’installer dans la capitale, quelque cinq années auparavant.

Travaillaient, là avec leur patronne, trois ou quatre ouvrières et autant d’apprenties.

L’atelier de bonne réputation en raison des finitions exceptionnelles apportées aux divers vêtements, ne manquait pas de clientèle.

 

A l’évocation de ce « monsieur Mystère », des rires fusèrent ainsi que des échanges de regards de connivence.

Qui était-il ?

L’amoureux de la patronne de l’atelier.

Pour bien comprendre le pourquoi et le comment du mystérieux surnom donné au galant de Anne Marie Pascal, il faut remonter quelques mois en arrière......

 

Tout commença le jour où Anne-Marie Pascale, cherchant un compagnon, répondit, le 10 septembre 1916, à une petite annonce qui disait :

« Monsieur 47 ans – situation 4 000 – désire mariage avec personne goûts simples – âge et situation en rapport. » Forest

« Forest » – la signature – assurément le nom du « monsieur de l’annonce ».

 

Pourtant, depuis son divorce en février 1913[1], Anne Marie avait crié bien haut et bien fort qu’on ne l’y reprendrait plus.

Fini, les hommes !!!

Léon Marius Elisée Gabriel[2], était le dernier !!!

 

 

Anne Marie Pascal avait vu le jour le 5 novembre 1880 à Beaucaire dans le Gard. Mais, elle vivait depuis plusieurs années chez sa sœur, Louise, à Toulon[3]. Les deux jeunes femmes étaient très proches, surtout depuis le décès de leur mère. La  naissance des deux filles de Louise[4] avait resserré les liens, d’autant plus que l’union de  Anne Marie et Léon Marius Elisée avait été stérile.

Paris-Toulon n’étant pas le bout du monde, Anne Marie descendait fréquemment dans le sud, et inversement, sa nièce Marie Jeanne[5] montait passer des semaines ou des mois dans la Capitale.

Et puis, dans la ville de Toulon, en plus des liens familiaux, il y avait aussi des liens d’amitié, notamment ceux  avec un certain Monsieur Léglise.

 

Après avoir répondu à la petite annonce du journal, Anne Marie Pascal rencontra rapidement le monsieur Forest en question, dont le prénom était, Louis.

Monsieur Louis Forest eut une agréable surprise en découvrant celle qui  lui avait répondu, car, bien que Anne Marie  approchât la quarantaine, elle possédait un aspect de jeune fille et un physique des plus agréables. On pouvait même affirmer que c’était « une belle femme », et par son métier, une femme d’une extrême élégance avec un rien de coquetterie, une petite touche presque adolescente.

Une grande intimité s’instaura rapidement entre eux et le couple se retrouvait souvent au domicile de Paul Forest, rue Rochechouart.

 

D’ailleurs, un soir, la dame Pascal fut très troublée par l’attitude de son prétendant. Troublée au point qu’elle se demanda si elle n’avait pas rêvé.

 

« Comment expliquer ? avait-elle confié à Madame Carbonnel.  Nous étions ensemble, après le repas, et Paul s’est approché de moi, a défait mes cheveux, les a étalés sur mes épaules, m’a saisi les poignets qu’il serrait fortement...  tout en me fixant ardemment dans les yeux. Un regard bien étrange, profond, presque fou. A ce moment, je me suis sentie vidée de toute force, de toute volonté. Je me demande même si je n’ai pas perdu conscience.

-       Ne t’aurait-il pas hypnotisée ? s’exclama la dame Carbonnel que cette seule idée faisait frissonner d’effroi.

-       Oh ! tu crois ? Quelle horreur !! Mais dans quel but ?

 

Cet épisode avait laissé en Anne Marie un grand malaise qu’elle essayait toutefois de dissiper.

Paul n’avait-il pas de bons côtés ?

Prévoyant.  Attentionné. Séduisant. Aimant.

Dans l’atelier, toutes les ouvrières n’avaient d’yeux que pour lui. Il faut bien dire qu’il savait y faire, car à chacune de ses venues, il apportait bonbons, chocolats ou pâtisseries, et puis, toujours un mot gentil pour chacune d’elles.

 

Anne Marie n’en était point jalouse, car elle savait qu’elle était l’élue de son cœur.

Ne l’avait-il pas demandée en mariage ?

Ne l’emmenait-il pas régulièrement à la campagne où il avait une petite maison, fort agréable du reste ?

 

« Et puis, se disait Anne Marie, si ce n’est pas le bon, je pourrais toujours rompre mes engagements ! »

 

Lors d’un voyage à Toulon, en Mars 1916, Anne Marie revint avec sa nièce « préférée », Marie Jeanne, une adorable demoiselle de vingt ans, fraîche comme un  bouquet de printemps. Un réel rayon de soleil.

Le sieur Forest fit le joli cœur, un temps seulement, car la demoiselle en question mettait son petit nez, qu’elle avait fort joli d’ailleurs, un peu partout. Et surtout, un jour elle se présenta rue Rochechouart.....

Pourquoi ?

Comme cela, en se promenant....

Mais le hasard faisant (peut-être !!) bien les choses, elle apprit que monsieur Forest se nommait également Paul Darzieux, André Guillet et .......L’atelier au grand complet avait eu connaissance du fait, et bien entendu, ne sachant qu’elle était la réelle identité du monsieur en question, celui-ci fut baptisé « Monsieur Mystère ».

Cette anecdote amusait la galerie, comme on disait alors.

Si, de premier abord, Anne Marie n’y avait pas réellement prêté attention, elle finit toutefois par avoir des doutes.

En fait, que savait-elle réellement à propos de cet homme ?

 

Un soir, alors qu’ils étaient seuls, Anne Marie demanda :

«  Tu t’appelles bien Paul Forest ?

-       Bien évidemment ! Pourquoi cette question, rétorqua monsieur Mystère, avec un sourire un tantinet crispé.

-       Parce que rue Rochechouart, tu es connu sous le nom de Darzieux.

 

Monsieur Mystère éclata de rire.

«  Et c’est cela qui te perturbe, ma chère amie ? Alors, je vais tout te révéler. Je m’appelle Forest et je m’appelle aussi Darzieux, car mon vrai nom est en vérité, Forest de Darzieux. Pompeux, non ? Un peu trop à mon goût, aussi j’ai pris un raccourci. Et je peux ajouter que je suis employé de ministère. Une autre question ?

-       Oui. Qui est Monsieur Guillet ?

-       Monsieur Guillet ? Alors, celui-là je ne le connais pas !

-       Il habite pourtant ton appartement, à ce que dit la concierge.

-       Alors, si maintenant tu écoutes les ragots des concierges !!

 

Et aussitôt, monsieur Forest de Darzieux se mura dans un silence des plus profonds, plombant l’ambiance de la soirée.

 

A partir de cette petite mise au point, les rapports entre l’amant de sa tante et la jeune Marie Jeanne se rembrunirent, ce qui précipita le retour de la jeune fille au foyer parental de Toulon

C’était au mois d’octobre 1917.

 

 

Depuis leur rencontre en septembre 1916, les rapports entre Paul et Anne Marie avaient été assez espacés, notamment dans les débuts. Ce ne fut qu’à partir de la fin 1917  qu’ils devinrent plus intenses.

Les absences fréquentes et plus ou moins longues de Paul Forest loin de son aimée avaient une explication.....

Voilà....

Anne Marie n’était pas seule...... elle partageait les faveurs de l’homme en question avec d’autres créatures du beau sexe : Andrée Babeley – Célestine Buisson – Louise Jaume et une autre également, Fernande Segret[6].

Quelle santé !!

 

Le 1er janvier 1918, au moment des vœux traditionnels de la « Bonne année », tout énamouré, Paul Forest offrit à sa fiancée, une broche en or, orné en son centre d’une perle fine. Gage d’amour, gage de leur engagement futur, un réel symbole d’         autant plus que ce bijou avait appartenu à sa mère.

Cette nouvelle année 1918 devait être mémorable, être celle de leurs épousailles.

Mais le terme  « épousailles »  implique aussi « vie commune ».

La villa de Gambais plaisait à Anne Marie et elle souhaitait l’aménager à son goût.

Elle avait d’ailleurs tout l’assentiment de son futur époux.

 

Le 4 avril 1918, ce fut le grand départ de la villa Stendhal.

Bagages prêts, petite chatte sous le bras, car cet animal de compagnie ne pouvait que suivre sa maîtresse, et en avant pour une nouvelle aventure.....

 

Avant de partir, la dernière personne à visiter fut bien sûr la concierge, Joséphine Kestler. Les deux femmes s’embrassèrent, les yeux mouillés de larmes.

« Ne vous inquiétez pas, Madame Kestler, précisa Anne Marie Pascal, si je suis heureuse, je vous le dirai. Si je suis malheureuse, eh bien, je reviendrai et reprendrai ma machine à coudre, comme avant. »

 

Depuis avril 1918, personne ne revit la dame Pascal.

Des courriers, écrits de la main de Anne Marie, parvinrent :

·         Le 8 avril, à Mademoiselle Bousset, une amie, un simple pli remis par le fiancé Forest, expliquant qu’il était chargé de cette mission et que sa future, très occupée, se portait à merveille.

·         Le 21 avril 1918, Louise Fauchet, sœur d’Anne Marie, reçut une lettre qui lui avait été adressée à son domicile - 10 rue de la Fraternité à Toulon.

 

Une troisième missive fut découverte dans la villa de Gambais, elle ne parvint jamais à son destinataire dont les coordonnées ne figuraient pas sur l’enveloppe.

Adressée à  un Monsieur ou une Madame Mystère, sans doute.....

 

Le mystère survola cette disparition bien étrange..... mais il fut dévoilé quelques années plus tard.

 



[1] Léon Marius Elisée Gabriel et Anne Marie Pascal se sont unis à Toulon le 20 janvier 1903. Le divorce fut prononcé le  17 février 1913.

[2] Léon Marius Elisée Gabriel se remaria le 17 avril 1925 à Toulon avec Félicité Poggi.

[3] Louise avait épousé, le  17 octobre 1895, François Pierre Marius Fauchet.

[4] Deux fillettes naquirent : Marie Jeanne (1896) et Pauline (1900).

[5] Marie Jeanne Fauchet est née le 14 septembre 1896.

[6] Nous reviendrons un peu plus tard sur cette femme, amante de cœur de cet homme dont vous avez, depuis longtemps, deviné la véritable identité.