Nouvelle Histoire vraie
Chapitre 9
Le roman
de Anne-Marie Pascal
« Est-ce que nous verrons monsieur Mystère
aujourd’hui ? » lança une des ouvrières de l’atelier de couture de la
villa Stendhal.
Cet atelier situé dans le XXème arrondissement avait été ouvert par Anne-Marie
Pascal, une femme plus qu’excentrique qui était venue du sud de la France s’installer
dans la capitale, quelque cinq années auparavant.
Travaillaient, là avec leur patronne, trois ou quatre ouvrières et
autant d’apprenties.
L’atelier de bonne réputation en raison des finitions exceptionnelles
apportées aux divers vêtements, ne manquait pas de clientèle.
A l’évocation de ce « monsieur Mystère », des rires fusèrent
ainsi que des échanges de regards de connivence.
Qui était-il ?
L’amoureux de la patronne de l’atelier.
Pour bien comprendre le pourquoi et le comment du mystérieux surnom
donné au galant de Anne Marie Pascal, il faut remonter quelques mois en
arrière......
Tout commença le jour où Anne-Marie Pascale, cherchant un compagnon,
répondit, le 10 septembre 1916, à une petite annonce qui disait :
« Monsieur 47 ans – situation
4 000 – désire mariage avec personne goûts simples – âge et situation en
rapport. » Forest
« Forest »
– la signature – assurément le nom du « monsieur de l’annonce ».
Pourtant, depuis son divorce en février 1913,
Anne Marie avait crié bien haut et bien fort qu’on ne l’y reprendrait plus.
Fini, les hommes !!!
Léon Marius Elisée Gabriel,
était le dernier !!!
Anne Marie Pascal avait vu le jour le 5 novembre 1880 à Beaucaire dans
le Gard. Mais, elle vivait depuis plusieurs années chez sa sœur, Louise, à
Toulon.
Les deux jeunes femmes étaient très proches, surtout depuis le décès de leur
mère. La naissance des deux filles de
Louise
avait resserré les liens, d’autant plus que l’union de Anne Marie et Léon Marius Elisée avait été
stérile.
Paris-Toulon n’étant pas le bout du monde, Anne Marie descendait
fréquemment dans le sud, et inversement, sa nièce Marie Jeanne
montait passer des semaines ou des mois dans la Capitale.
Et puis, dans la ville de Toulon, en plus des liens familiaux, il y
avait aussi des liens d’amitié, notamment ceux avec un certain Monsieur Léglise.
Après avoir répondu à la petite annonce du journal, Anne Marie Pascal
rencontra rapidement le monsieur Forest en question, dont le prénom était,
Louis.
Monsieur Louis Forest eut une agréable surprise en découvrant celle
qui lui avait répondu, car, bien que
Anne Marie approchât la quarantaine,
elle possédait un aspect de jeune fille et un physique des plus agréables. On
pouvait même affirmer que c’était « une belle femme », et par son
métier, une femme d’une extrême élégance avec un rien de coquetterie, une
petite touche presque adolescente.
Une grande intimité s’instaura rapidement entre eux et le couple se
retrouvait souvent au domicile de Paul Forest, rue Rochechouart.
D’ailleurs, un soir, la dame Pascal fut très troublée par l’attitude
de son prétendant. Troublée au point qu’elle se demanda si elle n’avait pas
rêvé.
« Comment expliquer ? avait-elle confié à Madame Carbonnel. Nous étions ensemble, après le repas, et Paul
s’est approché de moi, a défait mes cheveux, les a étalés sur mes épaules, m’a
saisi les poignets qu’il serrait fortement...
tout en me fixant ardemment dans les yeux. Un regard bien étrange,
profond, presque fou. A ce moment, je me suis sentie vidée de toute force, de toute
volonté. Je me demande même si je n’ai pas perdu conscience.
-
Ne t’aurait-il pas hypnotisée ? s’exclama
la dame Carbonnel que cette seule idée faisait frissonner d’effroi.
- Oh !
tu crois ? Quelle horreur !! Mais dans quel but ?
Cet épisode avait laissé en Anne Marie un grand malaise qu’elle
essayait toutefois de dissiper.
Paul n’avait-il pas de bons côtés ?
Prévoyant. Attentionné.
Séduisant. Aimant.
Dans l’atelier, toutes les ouvrières n’avaient d’yeux que pour lui. Il
faut bien dire qu’il savait y faire, car à chacune de ses venues, il apportait
bonbons, chocolats ou pâtisseries, et puis, toujours un mot gentil pour chacune
d’elles.
Anne Marie n’en était point jalouse, car elle savait qu’elle était
l’élue de son cœur.
Ne l’avait-il pas demandée en mariage ?
Ne l’emmenait-il pas régulièrement à la campagne où il avait une
petite maison, fort agréable du reste ?
« Et puis, se disait Anne Marie, si ce n’est pas le bon, je
pourrais toujours rompre mes engagements ! »
Lors d’un voyage à Toulon, en Mars 1916, Anne Marie revint avec sa
nièce « préférée », Marie Jeanne, une adorable demoiselle de vingt
ans, fraîche comme un bouquet de
printemps. Un réel rayon de soleil.
Le sieur Forest fit le joli cœur, un temps seulement, car la
demoiselle en question mettait son petit nez, qu’elle avait fort joli
d’ailleurs, un peu partout. Et surtout, un jour elle se présenta rue
Rochechouart.....
Pourquoi ?
Comme cela, en se promenant....
Mais le hasard faisant (peut-être !!) bien les choses, elle
apprit que monsieur Forest se nommait également Paul Darzieux, André Guillet et
.......L’atelier au grand complet avait eu connaissance du fait, et bien
entendu, ne sachant qu’elle était la réelle identité du monsieur en question,
celui-ci fut baptisé « Monsieur Mystère ».
Cette anecdote amusait la galerie, comme on disait alors.
Si, de premier abord, Anne Marie n’y avait pas réellement prêté
attention, elle finit toutefois par avoir des doutes.
En fait, que savait-elle réellement à propos de cet homme ?
Un soir, alors qu’ils étaient seuls, Anne Marie demanda :
« Tu t’appelles bien Paul Forest ?
-
Bien évidemment ! Pourquoi cette question,
rétorqua monsieur Mystère, avec un sourire un tantinet crispé.
-
Parce que rue Rochechouart, tu es connu sous le
nom de Darzieux.
Monsieur Mystère éclata de rire.
« Et c’est cela qui te perturbe, ma chère amie ? Alors, je
vais tout te révéler. Je m’appelle Forest et je m’appelle aussi Darzieux, car
mon vrai nom est en vérité, Forest de Darzieux. Pompeux, non ? Un peu trop
à mon goût, aussi j’ai pris un raccourci. Et je peux ajouter que je suis
employé de ministère. Une autre question ?
-
Oui. Qui est Monsieur Guillet ?
- Monsieur
Guillet ? Alors, celui-là je ne le connais pas !
- Il
habite pourtant ton appartement, à ce que dit la concierge.
-
Alors, si maintenant tu écoutes les ragots des
concierges !!
Et aussitôt, monsieur Forest de Darzieux se mura dans un silence des
plus profonds, plombant l’ambiance de la soirée.
A partir de cette petite mise au point, les rapports entre l’amant de
sa tante et la jeune Marie Jeanne se rembrunirent, ce qui précipita le retour
de la jeune fille au foyer parental de Toulon
C’était au mois d’octobre 1917.
Depuis leur rencontre en septembre 1916, les rapports entre Paul et
Anne Marie avaient été assez espacés, notamment dans les débuts. Ce ne fut qu’à
partir de la fin 1917 qu’ils devinrent
plus intenses.
Les absences fréquentes et plus ou moins longues de Paul Forest loin
de son aimée avaient une explication.....
Voilà....
Anne Marie n’était pas seule...... elle partageait les faveurs de
l’homme en question avec d’autres créatures du beau sexe : Andrée Babeley
– Célestine Buisson – Louise Jaume et une autre également, Fernande Segret.
Quelle santé !!
Le 1er janvier 1918, au moment des vœux traditionnels de la
« Bonne année », tout énamouré, Paul Forest offrit à sa fiancée, une
broche en or, orné en son centre d’une perle fine. Gage d’amour, gage de leur
engagement futur, un réel symbole d’ autant
plus que ce bijou avait appartenu à sa mère.
Cette nouvelle année 1918 devait être mémorable, être celle de leurs
épousailles.
Mais le terme
« épousailles »
implique aussi « vie commune ».
La villa de Gambais plaisait à Anne Marie et elle souhaitait
l’aménager à son goût.
Elle avait d’ailleurs tout l’assentiment de son futur époux.
Le 4 avril 1918, ce fut le grand départ de la villa Stendhal.
Bagages prêts, petite chatte sous le bras, car cet animal de compagnie
ne pouvait que suivre sa maîtresse, et en avant pour une nouvelle aventure.....
Avant de partir, la dernière personne à visiter fut bien sûr la
concierge, Joséphine Kestler. Les deux femmes s’embrassèrent, les yeux mouillés
de larmes.
« Ne vous inquiétez pas, Madame Kestler, précisa Anne Marie
Pascal, si je suis heureuse, je vous le dirai. Si je suis malheureuse, eh bien,
je reviendrai et reprendrai ma machine à coudre, comme avant. »
Depuis avril 1918, personne ne revit la dame Pascal.
Des courriers, écrits de la main de Anne Marie, parvinrent :
·
Le 8 avril, à Mademoiselle Bousset, une amie, un
simple pli remis par le fiancé Forest, expliquant qu’il était chargé de cette
mission et que sa future, très occupée, se portait à merveille.
·
Le 21 avril 1918, Louise Fauchet, sœur d’Anne
Marie, reçut une lettre qui lui avait été adressée à son domicile - 10 rue de
la Fraternité à Toulon.
Une troisième missive fut découverte dans la villa de Gambais, elle ne
parvint jamais à son destinataire dont les coordonnées ne figuraient pas sur
l’enveloppe.
Adressée à un Monsieur ou une
Madame Mystère, sans doute.....
Le mystère survola cette disparition bien étrange..... mais il fut
dévoilé quelques années plus tard.