mercredi 24 juin 2020

HISTOIRE VRAIE - DES SIÈCLES D'EMPOISONNEUSES

LES EMPOISONNEUSES
L'AFFAIRE LACOSTE




Chapitre 7

Après une courte pause, c’était reparti !!
Le défilé des témoins reprenait avec, en premier, 
M. Tennet, chirurgien à Riguepeu.
Il avait appris, M. Tennet, par la rumeur – encore elle, toujours aussi tenace ! – que Lacoste était avare et que son épouse s’en plaignait. Lacoste, lui, disait satisfaire à tous les caprices de sa jeune épouse.
Par contre, c’était lui, M. Tennet, que le fils Meilhan avait chargé de demander trente francs à Meilhan-père pour les études d’un de ses fils au séminaire. Le refus paternel avait été catégorique.
Mais plus tard, M. Tennet avait su par M Salazan que la situation financière de Meilhan-père avait bien changée. Très bien même ! Il avait, à présent, de l’argent et des rentes de cent pistoles.

M. Baudens, curé à Bazian, vint prêter serment.... était-ce nécessaire ? Un curé ne devait-il pas toujours dire la vérité ?
Cet homme d’église, à l’annonce de la mort d’Henry Lacoste, fut bien étonné. Lacoste lui semblait en parfaite santé.
Quant à Meilhan, le curé le connaissait peu.
On le disait (encore cette rumeur) mal famé, mais depuis le veuvage de Mme Lacoste, il rendait quelques menus services à cette jeune veuve, comme porter des lettres à un jeune homme, à Tarbes. Il conclut, M. le curé, par :
« Quand j’appris qu’il avait reçu de l’argent de Mme Lacoste, j’ai tout de suite pensé que c’était pour services rendus. »

Se tournant vers l’inculpée, le juge demanda :
-          Meilhan servait donc d’intermédiaire entre vous et un jeune homme de Tarbes ?
-          C’est faux, répondit celle-ci, vivement, d’un ton courroucé.

Vint ensuite à la barre,  le sieur Sabattier, chirurgien à Vic-Fezensac. Il semblait très embarrassé, mal à l’aise.
Le juge lui parla de l’autopsie qu’il avait pratiquée sur la jeune Lescure après son décès. Ce que rapporta le chirurgien sur cette affaire fut des plus nébuleux. Des « oui » et des « non » répondus timidement, et en ce qui concernait les causes du décès, un vague « on pourrait supposer une cause de grossesse », bredouillé.

Meilhan s’expliqua alors.
« La jeune fille, dit-il, se plaignait de douleurs et avait le ventre gros comme un tambour. Le médecin appelé lui appliqua, pour la soulager, des sinapismes. Mais, il ne les appliqua pas directement sur le ventre, mais par-dessus la couverture. »

Ce fut au tour de Blaise Durau, juge de paix à Vic-Fezensec, de se présenter devant le juge.
Il avait eu connaissance, comme déjà relaté dans sa déposition, que M. Lacoste était décédé le 21 mai. Sachant qu’il n’avait pas de descendant, il était allé poser les scellés. Six mois plus tard, lui était venu aux oreilles que la mort du sieur Lacoste ne serait pas réellement naturelle. Ce fut ainsi qu’il avait pris la décision d’en informer le procureur du roi.

Joseph Lescure, aubergiste à Riguepeu, père de la jeune fille autopsiée par le chirurgien Sabattier.
Il ne se souvenait pas avoir vu Meilhan et Lacoste boire un verre ensemble dans son débit de boisson le jour de la foire.

La femme Lescure ainsi que leurs deux enfants, Bertrand et Anne, ne purent en dire d’avantage.

Claudine Mieussens, femme Bordes, aubergiste à Riguepeu.
M. Lacoste lui avait affirmé être heureux en ménage.

Pierre Damane, tailleur d’habits, à Tarbes.
Il avait reçu les confidences de Mme Lacoste.
« Mon mari, lui avait-elle confié, est très avare et grogne toujours à cause de mes dépenses. »
A la mort de M. Lacoste, cet homme eut quelques soupçons, allant même jusqu’à penser :
« C’est qu’elle aurait pu l’aider à mourir. »

Marie Lubre, femme Planté, épicière à Tarbes, déclara :
« Je n’ai que du bien à dire de Mme Lacoste. Elle était très bonne et très attentionnée avec son mari. Après le décès de celui-ci, elle eut énormément de chagrin. »

Puis vint François Fourcade, épicier à Tarbes.
«  Je reçus, le 25 mai 1843, une lettre de Mme Lacoste m’apprenant la triste nouvelle du décès de son époux. Un mois après, Mme lacoste vint à Tarbes et je lui fis une visite de courtoisie. Elle me déclara ne pas se plaire dans son appartement et vouloir en changer. Je lui ai proposé un autre logis qui m’appartenait. Tout de suite, nous convînmes des conditions, et le lendemain, elle déménageait.
Peu après, j’appris qu’un jeune homme passait toutes ses soirées chez elle. Ma femme, sur mon conseil, s’est permis de lui faire part des commentaires fort déplaisants que cette visite masculine, si peu de temps après son veuvage, provoquait dans le voisinage. Mme Lacoste lui avait rétorqué : « Je suis maîtresse de mes actions et l’opinion publique n’est pas grand-chose. »

Puis le juge parla de quelques questions d’intérêts et notamment un effet de mille cinq cents francs remis à M. Fourcade par le défunt Lacoste. Fourcade devait faire le placement de cette somme au nom de Lacoste, mais, Euphémie s’était aperçue que cette somme n’apparaissait pas sur le livre de comptes de son mari et donc, elle en déduisit que Fourcade l’avait, bel et bien, encaissée à son nom.

Là, c’en était trop, et le sieur Fourcade s’insurgea :
« On parle d’une chose sérieuse, là, qui attaque mon honneur ! Je tiens à me justifier sur l’heure.

Et voilà, l’explication de ce témoin, outré par cette accusation de vol.
Il y avait cinq ou six ans, M. Lacoste avait eu une créance de mille cinq cents francs. Il avait demandé à François Fourcade si il voulait bien en accepter la cession simulée.
« Je suis obligé, avait alors justifié Lacoste, de rendre des comptes aux héritiers de ma première femme.
-          Je ne le puis, avait répondu François Fourcade, elle n’est pas sérieuse.
Mais, le lendemain, Lacoste lui avait apporté la somme pour qu’il la remette devant le notaire pour lui faire croire à la réalité de la cession, lui précisant :
« Vous paierez tous les ans une somme aux héritiers Bastard et la créance vous restera. »

Et, le sieur Fourcade de conclure :
« Depuis cette époque, j’ai payé aux héritiers Bastard environ mille ou mille cent francs. Je peux montrer toutes les preuves. Je l’ai d’ailleurs expliqué à Mme Lacoste, juste après la mort de son défunt.

Le témoin suivant était attendu avec une impatience toute particulière. Il s’agissait de Hippolyte Berrens, négociant à Tarbes, celui-là même que la rumeur publique désignait comme l’amant de la jeune veuve.
De petite taille, ce jeune homme portait des moustaches et de larges favoris d’un blond ardent.

Le juge attaqua, sans détour, l’interrogatoire.
« Monsieur, avez-vous connu Mme Lacoste avant son mariage.
-          Non rétorqua Hippolyte, d’une voix forte et claire.
-          Prenez garde ! fustigea le juge.
-          Je ne crains rien, je dis la vérité.
-          Pourtant, Mme Lacoste a dit que vous l’aviez demandé en mariage et qu’elle avait refusé étant engagée ailleurs. La fille Jacquette Larrieu l’a affirmé sous serment.
-          La fille Jacquette peut se tromper et se trompe. J’en suis certain.
-          Pourtant, Mme Lacoste a dit à M. Navarre, je cite : « Si j’avais un mari à choisir, ce serait M. Berrens que je prendrais parce que c’est mon premier amoureux. »

Y avait-il eu un petit raté dans la compréhension du texte, ne fallait-il pas interpréter cette phrase par : « le premier prétendant qui s’était déclaré depuis la mort de ce pauvre Lacoste » ?
Mais visiblement, non seulement il y avait eu incompréhension, mais aussi quiproquo, car ce jeune homme précisa en parlant de la jeune femme :
« J’avais avec elle des rapports de politesse. »

Quelle déception dans la salle ! Les dames, surtout, qui sentirent leur cœur battre  d’émoi  lorsqu’elles avaient aperçu celui que les « on-dit » désignaient comme « l’amant », s’attendaient à une belle histoire d’amour des plus romantiques.  Elles en furent vivement contrites, se sentant lésées de cette absence de déclarations enflammées.
Ce fut donc avec beaucoup moins d’attention qu’elles écoutèrent le témoin suivant, M. Montegut, avocat à Lamiac qui prêta serment avant de déclarer qu’il avait aussi le projet de se porter concurrent à la main de Mme Lacoste.
Une demande en mariage devant de multiples témoins suite à laquelle le juge demanda :
« Rien d’autre ?
-          Non, répondit, en souriant, l’avocat amoureux.
-          Très bien ! Allez-vous rasseoir !!

Ce que l’avocat fit sous l’hilarité de l’auditoire.

Fut alors appelé M. Labadie, huissier à Vic-Fenzensac.
« Quelques temps après le décès de M. Lacoste, cet homme de loi avait reçu la visite de la veuve. Elle souhaitait connaître ses droits et savoir si elle pouvait poursuivre en justice les personnes qui faisaient courir des bruits diffamatoires à son sujet. Le lendemain, M. Labadie s’était rendu à Riguepeu où il avait rencontré le maire et le curé afin de les engager, eux et les habitants indélicats, à la circonspection, leur expliquant combien il était pénible pour Mme Lacoste de se trouver sous le coup de telles infâmes calomnies.

Louis Davalle, agent de change à Toulouse, sous la foi du serment, expliqua les faits suivant :
« Un jour, une personne, un homme d’une grande taille dans la cinquantaine, vint me voir, me demandant si elle pouvait me parler en toute confiance. Il s’agissait selon cette personne d’un beau bénéfice à réaliser. Une cession d’immeuble et de créances, concernant quelqu’un impliqué dans une affaire criminelle. La somme s’élevait à six cent mille francs, avec une prime de cinquante mille francs. Une affaire louche apparemment. Je n’avais jamais vu cet homme avant et ne le revit jamais.

M. Dousset, notaire à Bessouès. Après avoir décliné son identité, le notaire indiqua que Henry Lacoste avait épousé, en premières noces, la sœur de son père. Il avait, après l’inhumation de son oncle par alliance, reçut quelques confidences de la part d’Euphémie Lacoste, et notamment au sujet des nombreuses infidélités de feu son époux avec des servantes à qui il avait promis, à l’une mille deux cents francs, à l’autre trente mille francs, si elles lui donnaient un enfant. Elle craignait, de ce fait, voir surgir un testament annulant celui établi en sa faveur. Elle s’épancha également sur le fait que les escapades extra-conjugales de l’infidèle n’avaient pas été sans conséquences, car le mari volage avait contracté une maladie qu’il lui avait gentiment transmise.
«  Confidence pour confidence, poursuivit M. Dousset, je compatis, car les soucis rencontrés par la seconde épouse ne différaient en rien de ceux qu’avait rencontrés ma tante qui avait été très malheureuse avec Lacoste.
-          Lacoste était-il avare ?
-          Excessivement avare et en plus très libertin

La dernière déposition fut celle de M. Paudelé, percepteur à Bessouès, qui n’apporta rien de plus.

L‘audience s’acheva donc, sans avoir apporté d’éléments concluants.

Quelles étaient ces créances et ces sommes d’argent qui circulaient de main en main ? Ces traites endossées successivement par différentes personnes, au point de ne plus rien y comprendre ?

Et ces sommes promises, ici et là, également et peut-être données sous le manteau.....

Qui était réellement Henry Lacoste ?
Quelles affaires menait-il ?

Et puis, tous ces témoins souvent réticents à dévoiler certaines vérités ?
Pourquoi le juge n’avait-il pas, pour grand nombre d’entre eux, cherché à provoquer des aveux plus complets ?

La suite lévera-t-elle un pan de lumière ?

Les mots sont souvent bien étranges....




Saviez-vous que ce fût à partir d’une pierre nommée « béryl », un cristal transparent et incolore, que furent confectionnées les premières loupes et les premières lunettes ?
Saviez-vous également que ces premières lunettes – vers 1328 -  étaient appelées « bericle », mot dérivé de « béryl », justement.

Et  puis, « bericle », avec le temps,  dériva en « bezicle », tout d’abord au singulier, avec un genre incertain -  parfois masculin, parfois féminin -  vers 1399, pour être définitivement pluriel vers 1555.
Ceux qui portaient cet accessoire n’avaient-ils pas deux yeux, donc deux bezicles.....

A partir de ce milieu du XVIème siècle, on ne portait plus un besicle ou une besicle, mais des besicles.

Le mot « lunettes », petites lunes, car les verres ne possédaient alors qu’une forme ronde, apparut au XVIIème siècle.
Les lunettes avaient balayé les besicles, ce mot étant regardé comme burlesque, puis plaisant avant d’être considéré comme archaïque.

Un besiclard (ou une besiclarde)  (1949) chaussait des besicles...... sur le bout de son nez.

Mais « bésiclard », tardif dans notre vocabulaire, fut tout de même beaucoup moins employé que son synonyme « binoclard », terme péjoratif, également, véhiculé depuis 1885 et découlant de « binocles ».

Binocles ?
Du latin « binoculus », nom forgé à partir de :
·         Bini : paire
·         Oculus : œil
En 1645, un binocle était un télescope à deux oculaires, en quelque sorte l’ancêtre des jumelles (fin du XIXème siècle).

Une forme réduite du binocle, le monocle.
« Monocle », mot apparut vers 1596, du latin :
·         Mono : seul unique
·         Oculus : œil
« Monocle » : qui n’a qu’un seul œil, ou encore borgne.
Ce mot évolua vers 1671 et désigna une petite lunette pour un seul œil.
En 1746, le monocle désignait un petit verre optique se plaçant sous l’arcade sourcilière.
Ce qui fut un accessoire utile pour améliorer la vue devint à la fin du XIXème siècle, une marque d’élégance qu’arboraient les messieurs des classes aisées.
Arsène Lupin, le personnage créé par Maurice Leblanc, portait un monocle, élément marquant son extrême raffinement.



Il y avait également le lorgnon.
Lorgnon ?
De l’ancien adjectif « lorgne » (1175) qui qualifié une personne qui louchait. Cet adjectif donna le verbe « lorgner » (1400) qui après avoir signifié « loucher » prit la signification de « regarder – observer » (XVIIème siècle).
Lunettes sans branche, le lorgnon fut également appelé, « pince-nez ».
Emile Zola apparaît sur certaines photos avec un pince-nez.






Il y avait aussi le « face-à-main », lunettes à une branche, perpendiculaire aux verres, qui se portait avec élégance devant le visage par les femmes de la haute société.
Ce procédé fut également utilisé avec de petites jumelles qu’il était de bon ton de se munir pour aller au théâtre..... pour regarder, du haut des balcons, la scène, mais également la salle, pour observer le public...... Les cancans faisant partie du spectacle.

 



Bon, binocles ou besicles sur le nez, je vais relire cet article......
Pardon, ce sont à présent des lunettes...... mes indispensables lunettes....... indispensables et chères à ma vue que je vais dès à présent ne désigner, affectueusement, que par : « mes petites lunes » !


Pour cette petite histoire autour d’un mot,
Je me suis aidée du
« Dictionnaire historique de la langue française » Le Robert

mercredi 17 juin 2020

HISTOIRE VRAIE - DES SIÈCLES D'EMPOISONNEUSES


les empoisonneuses

L'affaire Lacoste 





Chapitre 6

Dès six heures du matin, le lendemain, 11 juillet, la foule s’était amassée devant le  palais de justice, afin d’avoir une place assise. De plus en plus de dames endimanchées comme à la promenade.
Quelques minutes avant sept heures, les accusés furent introduits dans le prétoire et prirent place non loin l’un de l’autre.
Meilhan, le regard scrutant la salle, faisait des signes de la main aux personnes de sa connaissance, comme au théâtre avant la levée du rideau.
Euphémie Lacoste, très pâle, semblait  souffrante. Au premier rang du public, la sœur et la servante de l’accusée la rassuraient d’un sourire.
Sept heures tapantes, la cour entrait en séance, et le défilé des témoins débuta.

Ce fut, en premier, M. Vignes, médecin à Tarbes qui confirma avoir était appelé par le sieur Lacoste  pour des douleurs dans les reins, lui demandant de le saigner, ce qu’il refusa dans un premier temps ne jugeant pas cet acte nécessaire. Devant la vive insistance du malade, il obtempéra, non sans avoir longuement argumenté.  Ce praticien affirma avoir aperçu sur le bras du patient quelques petites tumeurs.
« Vous habitez Tarbes, demanda ensuite le juge, n’avez-vous pas su que Mme Lacoste recevait des visites masculines dans son appartement ?
-          Je l’ai entendu dire, mais ce ne sont que des rumeurs, répondit le médecin.
-          Justement, dites-nous ce que disent ces rumeurs !
-          Que Mme Lacoste, en effet, avait quelques visites, en soirée. Il y avait beaucoup de prétendants à sa main.
-          Nous avons reçu soixante-huit demandes de ce genre, M. le juge, se précipita d’ajouter maître Alem-Rousseau, défenseur de l’accusée.

Cette précision sur le nombre de prétendants amena quelques murmures de surprise, et peut-être même d’admiration, parmi les personnes présentes. En effet, quel succès !! Succès dû, en grande partie pour certains galants, à la fortune de la jeune veuve que chacun disait qu’elle n’était, en plus, pas vilaine. Deux atouts appréciables.

Le capitaine Mothe fut rappelé à la barre.
Il lui fut demandé de préciser la date exacte de sa rencontre avec son ami Meilhan. Le brave capitaine s’emmêla. Tantôt, il affirmait que c’était le 30 avril, tantôt que c’était le 16 mai.
Sa mémoire, défaillante, lui jouait bien des farces. Tout cela n’était pas en faveur de Meilhan.

M. Larrieu, Jean de son prénom, cultivateur à Riguepeu.
Le 19 mai, il avait rencontré Lacoste qui rentrait chez lui. Ce devait être vers les trois ou quatre heures après midi. Ils s’étaient salués et avaient échangé quelques mots. Lacoste lui avait dit qu’il ne se sentait pas très bien, un peu dérangé, et que c’était depuis que Meilhan l’avait fait boire.

Pierre Cournet, maçon demeurant à Bazian.
Jacquette Larrieu, la servante des Lacoste, lui avait dit que son maître avait commencé à vomir, le soir même de la foire, soit le 16 mai.

Bernard Daste, également maçon, mais exerçant à Riguepeu, confirma les dires du précédent témoin, Pierre Cournet.

Milhas, domestique chez les Lacoste, vint déposer à son tour.
Il eut bien du mal à prêter serment, se trompant de main. Il dut s’y reprendre à plusieurs fois avant d’arriver à lever la main droite.
Y étant enfin arrivé, il déclara :
« C’est que le maître, le lendemain matin du 16 mai, m’a dit en se levant « j’ai des dispositions à vomir », mais c’est par madame... ou bien la fille de service.... je sais plus, que j’ai appris que le maître vomissait. »
Il ajouta ensuite qu’on l’avait envoyé porter une lettre à M. Roubée, médecin à Vic-Fezensac, le lundi soir et été allé chercher M. Lesmolles, chirurgien, le mardi soir. Ce praticien avait posé des sangsues au malade. Et le surlendemain, c’était M. Lignac, médecin à Vic-Fezensac, à qui il était allé demander de venir, mais celui-ci était arrivé trop tard, le sieur Lacoste n’ayant plus besoin de ses soins....

Joseph Navarre, menuisier à Vic-Fezensac.
« Quelques jours avant la foire, M. Lacoste est venu me voir. Il se plaignait d’être indisposé, disait avoir des maux d’estomac et de ventre. Pourtant, nous avons mangé ensemble et il eut bon appétit. Le jour de la foire, le matin, je le vis et il me dit avoir envie de manger de l’ail. Il aimait beaucoup l’ail. Je le revis dans la soirée, il se plaignait d’un grand mal à la tête. Mais, il ne me dit pas avoir de coliques. »
Après un court silence, Joseph Navarre poursuivit :
« J’oubliais..... M. Lacoste avait des dartres sur la figure sur lesquelles il mettait une pommade.
-          Qui lui fournissait cette pommade ? demanda la juge.
-          Je sais pas.... une espèce de devin du côté d’Auriébal.
-          A votre connaissance, en avait-il ailleurs qu’à la figure ?
-          Je sais pas, peut-être en avait-il à l’estomac.

Une remarque qui déclencha quelques rires.
Le magistrat après avoir demandé le silence continua :
« Vous semblez connaître bien des choses ? Vous n’en avez pas autant dit lors des premiers interrogatoires.
-          Dam,  c’est que j’avais oublié !
-          Puisque vous semblez bien connaître le couple Lacoste. M. Lacoste était-il jaloux ?
-          Oh oui, beaucoup ! s’exclama le témoin. Il disait qu’il ne confierait pas sa femme à tout le monde.
Décidément Joseph Navarre avait l’art de la formule. Quelques rires fusèrent encore, mais le juge n’y prêta, cette fois, aucune attention,  enchaînant la question suivante :
« Que savez-vous des relations de Mme Lacoste depuis son veuvage ?
-          Oh ! Y avait des prétendants, des amants, qui cherchaient à la voir. Y en a qui venaient me voir pour que je parle d’eux à Madame.
-          Y-avait-il un jeune homme de Tarbes ?
-          Oui, et ce n’était pas du meilleur choix. Je l’ai même dit à Madame.

Nouveaux rires !!! Pour certains « spectateurs », venus là comme au théâtre, ce témoignage fut des plus amusants. Ils ne s’étaient pas déplacés pour rien !

Gabriel Navarre, fils du précédent, confirma les dires de son père, mais précisa avoir rencontré M. Lacoste au soir du 16 mai.
« Il était bien en forme. Nous avons discutait un bon moment et puis plaisanté aussi. A un moment, il a même entonné une chanson et s’est mis à danser. Nous avons bien ri. »

Cette famille Navarre, assurément de bons vivants !!
Toutefois, le juge s’étonna de ce témoignage, allant à l’encontre de tous les autres. Mais Gabriel Navarre persista dans sa déposition.

Jacquette Larrieu – servante chez les Lacoste au moment du décès de son maître.
Ce fut un joli brin de fille qui s’approcha de la barre, avec un joli minois et coquettement vêtue.
Elle avait, à présent, dix-huit printemps.
Tout intimidée, elle déposa avec une voix toute fluette.
« Le maître était souffrant en rentrant de la foire. Il s’est mis au lit aussitôt. C’est Madame qui m’a
dit le lendemain qu’il avait vomi dans la nuit.
-          Les vomissements, c’était le soir même ou le lendemain ?
-          Je sais pas bien.
-          C’est important. Il faudrait le savoir.
-          C’était le lendemain..... mais, j’en suis pas sure. C’était Madame qui s’occupait de Monsieur.
-          Vous étiez la seule domestique ?
-          Oui, monsieur.
-          Après la mort de M. Lacoste, que dit sa femme ?
-          Elle versa quelques larmes.
-          Ensuite ?
-          Ensuite, elle alla chercher le testament.
-          Son chagrin semblait-il avoir diminué ?
-          Oui, le soir, elle était moins chagrine.

Les questions portèrent alors sur un possible premier amour que Euphémie aurait eu avant son mariage. A cela la jeune fille répondit :
« Oui, elle l’avait connu avant son mariage. Il était de Tarbes.
A la demande du juge : « Savez-vous le nom de ce jeune homme ? »
Jacquette répondit : «  Oui. Hippolyte Berin. »  
Bien évidemment, il fut question de la conduite plus que libertine du maître de maison avec certaines filles à son service, et des tentatives à son égard.
Jacquette Larrieu, baissant les yeux, acquiesça : « C’est vrai, Monsieur, il m’a cherché. »
Et la jeune fille raconta qu’un jour, dans le salon, M. Lacoste lui avait dit que si elle voulait l’écouter, il lui ferait 2 000 francs de rente. Et le voilà, qu’il lui montre un document. Jacquette avait refusé ce marché qu’elle trouvait honteux, alors cet homme bafoué se fâcha et jeta le document au feu.

Confrontée à la déclaration de son ancienne servante, impliquant « le jeune homme de Tarbes », la veuve Lacoste démentit formellement. Jamais, elle n’avait connu de jeune homme avant son mariage. Après ses épousailles, un jeune homme de Tarbes venait quelques fois à son domicile, mais il s’agissait d’un fournisseur, épicier-droguiste, afin de livrer une commande.

Monsieur Pouy-Lateulère, propriétaire à Tarbes.
Cet homme avait vu M. Lacoste quelques jours avant sa mort. Il se plaignit ce jour-là de coliques, mal qu’il attribuait à sa hernie. Il l’avait revu le lendemain, mais il était tout guilleret. En effet, il lui confia que c’était  sa femme qui le rasait et que sa main était légère et fort douce, ajoutant : « C’est un trésor que ma femme ».
En discutant de choses très personnelles, Henry Lacoste avait ajouté : « Elle m’a fait la barbe toute ma vie et pas que cela, elle me lave aussi les pieds et me rogne les ongles. »

Cette dernière remarque déclencha l’hilarité dans la salle d’audience. Pour faire cesser moqueries et quolibets qu’il trouvait terriblement déplacés en raison du contexte, maître Alem-Rousseau, forçant la voix, lança avec panache :
« C’est là ce que l’accusation qualifie d’abjection et ce que nous appelons, nous, du dévouement. »

Sur le même ton et avec beaucoup d’ironie, le procureur du roi ajouta :
« Et ce que nous appelons, nous, du calcul. »

M. Bordes, aubergiste à Riguepeu.
Lui, il avait entendu dire que la maladie de Lacoste s’était déclarée suite à l’absorption d’une potion chez Meilhan et préparée par lui.


Larmalles, métayer de M. Lacoste, demeurant à Riguepeu.
On lui avait dit que Henry Lacoste avait mangé des haricots et que c’était à la suite de ce repas que les vomissements s’étaient produits. Apprenant que son maître était malade, il s’était rendu au château de Philibert[1],  pour prendre des nouvelles. Il n’avait pu le voir, le malade refusant toute visite.

Après une pause d’une heure, les témoignages reprirent.

M. André Sabazan – capitaine en retraite – maire de Riguepeu – officier de la Légion d’Honneur.
Les dires de cet homme, ayant de lourdes responsabilités dans la commune, ne pouvaient être que crédibles.
D’ailleurs, tout ce qui se passait à Riguepeu lui revenait aux oreilles et dans les cas délicats, il se devait d’établir un procès-verbal.
Il avait donc su, André Sabazan, qu’après avoir bu un verre chez Meilhan, Lacoste s’était senti indisposé.
Ce même Meilhan, après le décès de Lacoste était venu lui demander des renseignements sur un certain Castera, et notamment si celui-ci était solvable, car Meilhan avait en sa possession  un effet de 1 772 francs, cadeau de Mme Lacoste, sur le nom de Castera. Il avait appris, toujours de la bouche de Meilhan, que Mme Lacoste était disposée à lui faire une pension viagère de 400 francs. D’ailleurs, au mois d’août suivant, il avait rencontré Joseph Meilhan qui arborait un large sourire. Il venait, lui a-t-il appris, de percevoir le premier terme de sa pension. C’est en août qu’il s’était rendu aux eaux de Bagnères-Bigorre, les personnes qui l’avaient croisé là-bas dirent qu’il avait sur lui plus de mille francs.
Ce ne fut qu’en septembre qu’il perçut les premières rumeurs attestant que Henry Lacoste était mort empoisonné.

Suite à la déposition de monsieur le maire, Meilhan fut de nouveau interrogé sur les sommes d’argent en sa possession. Son discours ne varia pas. Il avait fabriqué un faux pour cacher ses ressources à son fils qui ne cessait de lui demander de financer ses nombreuses dépenses.

Mais le juge n’en avait pas fini avec M. Sabazan et il le questionna alors sur les visites d’un jeune homme de Tarbes au Hameau de Philibert.
« En effet, confirma André Sabazan, il y avait un jeune homme qui venait dans cette maison juste après le décès de Lacoste. Un jeune homme de Tarbes. D’ailleurs, il est ici !! »

Stupeur générale !! Le jeune homme était présent, parmi le public, dans la salle d’audience !!!

«  Oui ! s’exclama le témoin, pas peu fier de son petit effet, en désignant du doigt un jeune dans la salle, c’était Monsieur Montaigu[2] ».

Soulagement !!
Il ne s’agissait pas « du jeune homme de Tarbes », mais, « d’un jeune homme de Tarbes ».
Tout dans la nuance !!

Vint ensuite, pour déposer, M. Noël, curé de Riguepeu.
Lui, il avait entendu dire que M. Lacoste était décédé d’une hernie et que depuis son décès, son épouse, était irréprochable. Aucun rapport contre elle. Elle lui avait confié ne pas souhaiter se remarier rapidement.
Il affirma que le couple Lacoste s’était uni religieusement.
Quant à M. Meilhan, un brave homme selon lui, qui se trouvait dans son école du matin au soir.

« Et du soir au matin ? demanda le juge.
-          Je ne l’ai vu qu’une seule fois le soir, lorsqu’il est venu me demander asile.

Brandissant un document, le procureur du roi lança :
« J’ai là une attestation par laquelle les époux Lacoste ne se sont pas unis religieusement. Ni chez un prêtre, ni à Tarbes, ni ailleurs ..... »
Maître Alem-Rousseau renchérit alors :
« Aux documents du Ministère public, j’oppose les miens. »

Et voilà que Euphémie Lacoste se sentit un tantinet épuisée..... Ses forces venaient de l’abandonner.
Elle se sentait perdue. Que venait faire la bénédiction religieuse de son mariage dans cette affaire ?

Etait-on coupable lorsque l’on n’était pas passé devant le curé ?

Une petite pause s’imposait.
L’audience fut suspendue.


[1] Nom de la maison des Lacoste – grande maison au lieu-dit Philibert à Riguepeu.
[2] Rien sur ce monsieur Montaigu...... Qui était-il ? Apparemment pas un inconnu pour les personnes présentes.