LES EMPOISONNEUSES
L'AFFAIRE LACOSTE
Chapitre 7
Après
une courte pause, c’était reparti !!
Le
défilé des témoins reprenait avec, en premier,
M. Tennet, chirurgien à Riguepeu.
Il
avait appris, M. Tennet, par la rumeur – encore elle, toujours aussi tenace ! –
que Lacoste était avare et que son épouse s’en plaignait. Lacoste, lui, disait
satisfaire à tous les caprices de sa jeune épouse.
Par
contre, c’était lui, M. Tennet, que le fils Meilhan avait chargé de demander
trente francs à Meilhan-père pour les études d’un de ses fils au séminaire. Le
refus paternel avait été catégorique.
Mais
plus tard, M. Tennet avait su par M Salazan que la situation financière de
Meilhan-père avait bien changée. Très bien même ! Il avait, à présent, de
l’argent et des rentes de cent pistoles.
M. Baudens, curé à Bazian, vint
prêter serment.... était-ce nécessaire ? Un curé ne devait-il pas toujours
dire la vérité ?
Cet
homme d’église, à l’annonce de la mort d’Henry Lacoste, fut bien étonné.
Lacoste lui semblait en parfaite santé.
Quant
à Meilhan, le curé le connaissait peu.
On
le disait (encore cette rumeur) mal famé, mais depuis le veuvage de Mme
Lacoste, il rendait quelques menus services à cette jeune veuve, comme porter
des lettres à un jeune homme, à Tarbes. Il conclut, M. le curé, par :
« Quand
j’appris qu’il avait reçu de l’argent de Mme Lacoste, j’ai tout de suite pensé
que c’était pour services rendus. »
Se
tournant vers l’inculpée, le juge demanda :
-
Meilhan servait donc d’intermédiaire entre
vous et un jeune homme de Tarbes ?
-
C’est faux, répondit celle-ci, vivement, d’un
ton courroucé.
Vint
ensuite à la barre, le sieur Sabattier, chirurgien à Vic-Fezensac. Il semblait très
embarrassé, mal à l’aise.
Le
juge lui parla de l’autopsie qu’il avait pratiquée sur la jeune Lescure après
son décès. Ce que rapporta le chirurgien sur cette affaire fut des plus
nébuleux. Des « oui » et des « non » répondus timidement,
et en ce qui concernait les causes du décès, un vague « on pourrait
supposer une cause de grossesse », bredouillé.
Meilhan
s’expliqua alors.
« La
jeune fille, dit-il, se plaignait de douleurs et avait le ventre gros comme un
tambour. Le médecin appelé lui appliqua, pour la soulager, des sinapismes.
Mais, il ne les appliqua pas directement sur le ventre, mais par-dessus la
couverture. »
Ce
fut au tour de Blaise Durau, juge de
paix à Vic-Fezensec, de se présenter devant le juge.
Il
avait eu connaissance, comme déjà relaté dans sa déposition, que M. Lacoste
était décédé le 21 mai. Sachant qu’il n’avait pas de descendant, il était allé
poser les scellés. Six mois plus tard, lui était venu aux oreilles que la mort
du sieur Lacoste ne serait pas réellement naturelle. Ce fut ainsi qu’il avait
pris la décision d’en informer le procureur du roi.
Joseph Lescure, aubergiste à Riguepeu, père de
la jeune fille autopsiée par le chirurgien Sabattier.
Il
ne se souvenait pas avoir vu Meilhan et Lacoste boire un verre ensemble dans
son débit de boisson le jour de la foire.
La
femme Lescure ainsi que leurs deux enfants, Bertrand et Anne, ne purent en dire
d’avantage.
Claudine Mieussens, femme Bordes,
aubergiste à Riguepeu.
M.
Lacoste lui avait affirmé être heureux en ménage.
Pierre Damane, tailleur d’habits, à Tarbes.
Il
avait reçu les confidences de Mme Lacoste.
« Mon
mari, lui avait-elle confié, est très avare et grogne toujours à cause de mes
dépenses. »
A
la mort de M. Lacoste, cet homme eut quelques soupçons, allant même jusqu’à
penser :
« C’est
qu’elle aurait pu l’aider à mourir. »
Marie Lubre, femme Planté, épicière à
Tarbes, déclara :
« Je
n’ai que du bien à dire de Mme Lacoste. Elle était très bonne et très
attentionnée avec son mari. Après le décès de celui-ci, elle eut énormément de
chagrin. »
Puis
vint François Fourcade, épicier à Tarbes.
«
Je reçus, le 25 mai 1843, une lettre de Mme Lacoste m’apprenant la triste
nouvelle du décès de son époux. Un mois après, Mme lacoste vint à Tarbes et je
lui fis une visite de courtoisie. Elle me déclara ne pas se plaire dans son
appartement et vouloir en changer. Je lui ai proposé un autre logis qui
m’appartenait. Tout de suite, nous convînmes des conditions, et le lendemain,
elle déménageait.
Peu
après, j’appris qu’un jeune homme passait toutes ses soirées chez elle. Ma
femme, sur mon conseil, s’est permis de lui faire part des commentaires fort
déplaisants que cette visite masculine, si peu de temps après son veuvage, provoquait
dans le voisinage. Mme Lacoste lui avait rétorqué : « Je suis
maîtresse de mes actions et l’opinion publique n’est pas grand-chose. »
Puis
le juge parla de quelques questions d’intérêts et notamment un effet de mille
cinq cents francs remis à M. Fourcade par le défunt Lacoste. Fourcade devait
faire le placement de cette somme au nom de Lacoste, mais, Euphémie s’était
aperçue que cette somme n’apparaissait pas sur le livre de comptes de son mari
et donc, elle en déduisit que Fourcade l’avait, bel et bien, encaissée à son
nom.
Là,
c’en était trop, et le sieur Fourcade s’insurgea :
« On
parle d’une chose sérieuse, là, qui attaque mon honneur ! Je tiens à me
justifier sur l’heure.
Et
voilà, l’explication de ce témoin, outré par cette accusation de vol.
Il
y avait cinq ou six ans, M. Lacoste avait eu une créance de mille cinq cents
francs. Il avait demandé à François Fourcade si il voulait bien en accepter la
cession simulée.
« Je
suis obligé, avait alors justifié Lacoste, de rendre des comptes aux héritiers
de ma première femme.
-
Je ne le puis, avait répondu François
Fourcade, elle n’est pas sérieuse.
Mais,
le lendemain, Lacoste lui avait apporté la somme pour qu’il la remette devant
le notaire pour lui faire croire à la réalité de la cession, lui
précisant :
« Vous
paierez tous les ans une somme aux héritiers Bastard et la créance vous
restera. »
Et,
le sieur Fourcade de conclure :
« Depuis
cette époque, j’ai payé aux héritiers Bastard environ mille ou mille cent
francs. Je peux montrer toutes les preuves. Je l’ai d’ailleurs expliqué à Mme
Lacoste, juste après la mort de son défunt.
Le
témoin suivant était attendu avec une impatience toute particulière. Il
s’agissait de Hippolyte Berrens,
négociant à Tarbes, celui-là même que la rumeur publique désignait comme
l’amant de la jeune veuve.
De
petite taille, ce jeune homme portait des moustaches et de larges favoris d’un
blond ardent.
Le
juge attaqua, sans détour, l’interrogatoire.
« Monsieur,
avez-vous connu Mme Lacoste avant son mariage.
-
Non rétorqua Hippolyte, d’une voix forte et
claire.
-
Prenez garde ! fustigea le juge.
-
Je ne crains rien, je dis la vérité.
-
Pourtant, Mme Lacoste a dit que vous l’aviez
demandé en mariage et qu’elle avait refusé étant engagée ailleurs. La fille
Jacquette Larrieu l’a affirmé sous serment.
-
La fille Jacquette peut se tromper et se
trompe. J’en suis certain.
-
Pourtant, Mme Lacoste a dit à M. Navarre, je
cite : « Si j’avais un mari à choisir, ce serait M. Berrens que je
prendrais parce que c’est mon premier amoureux. »
Y
avait-il eu un petit raté dans la compréhension du texte, ne fallait-il pas
interpréter cette phrase par : « le premier prétendant qui s’était
déclaré depuis la mort de ce pauvre Lacoste » ?
Mais
visiblement, non seulement il y avait eu incompréhension, mais aussi quiproquo,
car ce jeune homme précisa en parlant de la jeune femme :
« J’avais
avec elle des rapports de politesse. »
Quelle
déception dans la salle ! Les dames, surtout, qui sentirent leur cœur
battre d’émoi lorsqu’elles avaient aperçu celui que les
« on-dit » désignaient comme « l’amant », s’attendaient à
une belle histoire d’amour des plus romantiques. Elles en furent vivement contrites, se
sentant lésées de cette absence de déclarations enflammées.
Ce
fut donc avec beaucoup moins d’attention qu’elles écoutèrent le témoin suivant,
M. Montegut, avocat à Lamiac qui
prêta serment avant de déclarer qu’il avait aussi le projet de se porter
concurrent à la main de Mme Lacoste.
Une
demande en mariage devant de multiples témoins suite à laquelle le juge
demanda :
«
Rien d’autre ?
-
Non, répondit, en souriant, l’avocat amoureux.
-
Très bien ! Allez-vous rasseoir !!
Ce
que l’avocat fit sous l’hilarité de l’auditoire.
Fut
alors appelé M. Labadie, huissier à
Vic-Fenzensac.
« Quelques
temps après le décès de M. Lacoste, cet homme de loi avait reçu la visite de la
veuve. Elle souhaitait connaître ses droits et savoir si elle pouvait
poursuivre en justice les personnes qui faisaient courir des bruits
diffamatoires à son sujet. Le lendemain, M. Labadie s’était rendu à Riguepeu où
il avait rencontré le maire et le curé afin de les engager, eux et les
habitants indélicats, à la circonspection, leur expliquant combien il était
pénible pour Mme Lacoste de se trouver sous le coup de telles infâmes
calomnies.
Louis Davalle, agent de change à Toulouse, sous la
foi du serment, expliqua les faits suivant :
« Un
jour, une personne, un homme d’une grande taille dans la cinquantaine, vint me
voir, me demandant si elle pouvait me parler en toute confiance. Il s’agissait
selon cette personne d’un beau bénéfice à réaliser. Une cession d’immeuble et
de créances, concernant quelqu’un impliqué dans une affaire criminelle. La
somme s’élevait à six cent mille francs, avec une prime de cinquante mille
francs. Une affaire louche apparemment. Je n’avais jamais vu cet homme avant et
ne le revit jamais.
M. Dousset, notaire à Bessouès. Après
avoir décliné son identité, le notaire indiqua que Henry Lacoste avait épousé,
en premières noces, la sœur de son père. Il avait, après l’inhumation de son
oncle par alliance, reçut quelques confidences de la part d’Euphémie Lacoste,
et notamment au sujet des nombreuses infidélités de feu son époux avec des
servantes à qui il avait promis, à l’une mille deux cents francs, à l’autre
trente mille francs, si elles lui donnaient un enfant. Elle craignait, de ce
fait, voir surgir un testament annulant celui établi en sa faveur. Elle
s’épancha également sur le fait que les escapades extra-conjugales de
l’infidèle n’avaient pas été sans conséquences, car le mari volage avait
contracté une maladie qu’il lui avait gentiment transmise.
«
Confidence pour confidence, poursuivit M. Dousset, je compatis, car les soucis
rencontrés par la seconde épouse ne différaient en rien de ceux qu’avait
rencontrés ma tante qui avait été très malheureuse avec Lacoste.
-
Lacoste était-il avare ?
-
Excessivement avare et en plus très libertin
La
dernière déposition fut celle de M.
Paudelé, percepteur à Bessouès, qui n’apporta rien de plus.
L‘audience
s’acheva donc, sans avoir apporté d’éléments concluants.
Quelles
étaient ces créances et ces sommes d’argent qui circulaient de main en
main ? Ces traites endossées successivement par différentes personnes, au
point de ne plus rien y comprendre ?
Et
ces sommes promises, ici et là, également et peut-être données sous le
manteau.....
Qui
était réellement Henry Lacoste ?
Quelles
affaires menait-il ?
Et
puis, tous ces témoins souvent réticents à dévoiler certaines vérités ?
Pourquoi
le juge n’avait-il pas, pour grand nombre d’entre eux, cherché à provoquer des
aveux plus complets ?
La
suite lévera-t-elle un pan de lumière ?