mercredi 27 décembre 2023

Vous ne devinerez jamais le féminin de cet adjectif !!

 


Vers 1160, parlant d’une personne qui n’avait plus de cheveux, on disait qu’elle était « chals ».

Ce ne fut qu’après 1250, que « chals » fut remplacé par « chauve ».

 

Ce mot puise ses origines dans le latin « calvus » dont la signification est : dégarni de cheveux ou encore, absence de cheveux.

 

Une chauveté, mot plus en usage aujourd’hui, a laissé sa place à un autre : une calvitie. Calvitie, par sa forme, montre bien plus ses origines avec « Calvus » que « chauveté » !!

Bon évidemment, ces deux mots évoquent la même chose, le manque total de cheveux.

 

La perte de cheveux n’atteint pas uniquement la gente masculine. Les femmes peuvent aussi être atteintes.

 

Un homme est chauve.

On parle aussi, de nos jours, d’une femme chauve.

Mais avant, elle n’était pas chauve – adjectif exclusivement masculin – elle était......

Avez-vous une idée ?

 

Elle était CHAUVESSE !!!!

 

Oui, oui !!! Mais pas très joli, ce mot !!

 

Pour cette petite histoire autour d’un mot,

Je me suis aidée du

« Dictionnaire historique de la langue française » Le Robert

Philippe Achille - juin 1832

 

La cloche de la porte d’entrée retentit avec insistance.

« C’est-y pas possible, ronchonna Milleret, le portier, i’ peuvent pas laisser les braves gens dormir ? »

 Il se leva en traînant la jambe et se dirigea vers l’entrée de l’hospice. La nuit était chaude en ce début d’été, une belle nuit étoilée.

Derrière la porte, il crut percevoir les vagissements d’un nouveau-né. Ne se fiant pas à ses oreilles qui, en raison de son âge avancé, lui jouaient parfois des tours, il alla quérir Jean Baptiste Piéton, l’économe de l’établissement.

 « Lui au moins, pensa tout haut le portier, il saura quoi faire ! »

 L’économe était encore dans son bureau, travaillant à équilibrer les comptes de l’hospice. La maladie ! L’indigence ! On ne pouvait pas rester indifférent, mais l’aide avait un coût et les finances étaient les finances et elles avaient un fond.

 « Alors, Père Antoine, pas encore couché, lança-t-il en voyant l’homme entrer dans son bureau après y avoir été invité.

     J’voudrais ben, M’sieur, mais c’est que j’crois qu’il y a un problème à la petite porte.

     Quel problème peut-il y avoir, Père Antoine, par une nuit pareille et à plus de dix heures. Ce ne doit pas être bien important.

 Se levant de sa chaise, Jean Baptiste Piéton accompagna Antoine Milleret qui, encore tout essoufflé,  peinait à le suivre.

 Arrivant à la petite porte, l’économe ne put que confirmer :

« Eh bien, Père Antoine, vous avez encore les oreilles sûres ! »

Puis, prenant un trousseau de clefs dans la poche de sa veste, il chercha un instant la bonne clef qu’il introduisit, sans tarder, dans la serrure.

 La porte s’ouvrit avec un bruit plaintif sur un amas de linges posé à même le sol et qui contenait un nouveau-né gesticulant et vociférant.

 Après avoir jeté un regard alentour et ne voyant âme qui vive, Jean Baptiste Piéton ramassa le bébé, referma la porte et se dirigea vers l’hospice afin d’examiner d’un peu plus prés ce bambin abandonné aux bons soins de la communauté.

 Lorsqu’il pénétra dans la salle de soins, une religieuse vint à sa rencontre.

« Regardez ma sœur, dit l’économe, ce qui vient d’être déposé devant notre porte. 

     Sainte-Vierge ! s’exclama la religieuse en prenant le bébé dans ses bras, encore un petit malheureux. Que Dieu le prenne en sa sauvegarde !

     En attendant, ma Sœur, il serait bien de savoir si ce petit est en parfaite santé et lui donner quelques soins. Nous trouverons peut-être quelques indices sur son identité dans ses langes. Les mamans n’abandonnent pas toujours de gaieté de cœur et elles souhaitent laisser au moins le prénom qu’elles ont donné à leur enfant.

 La religieuse dévêtit l’enfant, à la recherche de la moindre indication. Elle lui ôta son  bonnet d’indienne à petits dessins rouges et blancs, garni de mousseline et de dentelle, puis son lange en laine « rempiesté » avec des bouts d’étoffe d’origines variées,  sa brassière cousue avec des morceaux d’indienne de différentes couleurs et sa couchette faite d’un mouchoir à carreaux rouges.

 « La mère ne devait pas être bien riche, car le linge présente  une grande misère, constata la religieuse. Sans doute une pauvre fille qui n’était pas mariée ! »

 Le petit n’avait aucune trace de maltraitance. Bien constitué quoique un peu maigrichon, il ne paraissait pas malade. L’examen révéla qu’il s’agissait d’un petit garçon, âgé de tout juste un mois.

 « Vous avez raison, Monsieur Piéton, dit la Sœur, regardez, il a autour du cou un ruban auquel est accroché un carton mentionnant ses prénoms.

     Aucun autre indice ?

     Non. Il a été prénommé Philippe Achille et il est précisé qu’il a reçu le baptême.

 Les linges ne révélant rien d’autre, le nourrisson fut revêtu, nourri et déposé dans un berceau où il passa la nuit.

 L’économe savait qu’il devait déclarer sa découverte à la mairie. La nuit était bien avancée, il verrait cela le lendemain matin.

 Ce fut vers dix heures du matin que Jean Baptiste Piéton, accompagné d’Antoine Milleret et portant le précieux colis, se présenta à l’Hôtel de ville de Louviers.

Après un échange de banalités tournant autour du temps, de la misère du monde et des soucis personnels, l’officier d’Etat Civil de garde, Louis Le Couturier, demanda, désignant du menton le « petit paquet de linges » :

 « Alors, que m’apportez-vous là ?

     Encore un enfant abandonné.

 Et l’officier d’Etat Civil qui ne pouvait établir d’acte sans avoir constaté de visu, fit déshabiller l’enfant pour attester du sexe et examina le carton  qu’il portait au cou et qui indiquait ses prénoms.

Après quoi, il établit un acte en bonne et due forme, avant de le recopier sur le registre d’Etat Civil des naissances.

 « Bon, maintenant que tout est en ordre, je vous laisse le marmot, conclut-il, il ne reste plus qu’à le déposer à la Maison des Enfants Trouvés et Abandonnés de la ville d’Evreux où il rejoindra tous ces petits dont on n’a pas voulu. La seule chose que je lui souhaite, c’est de trouver une maison honnête qui le prenne comme apprenti, au moins, il aura un semblant de famille et apprendra un métier. »

 
 

L’économe hocha la tête en signe d’approbation, reprit le petit Philippe Achille.

Le lendemain, 22 juin 1832, muni de tous les documents tamponnés par l’Officier d’Etat Civil et en raison de l’article 58 du Code Civil, il le conduisit à Evreux. Sur le chemin du retour, il essaya de se souvenir du nombre d’enfants qu’il avait ainsi accompagnés. Trop sans doute.

 

mercredi 20 décembre 2023

Un gonze

 




Mot utilisé avant 1561, emprunté à l’argot italien gonzo nommant  un niais, un lourdaud.

 

Petite parenthèse :

C’est étonnant le nombre de mots qualifiant les personnes considérées comme idiotes, bêtes, abêties, niaises, ahuries, abruties, nigaudes, stupides, grossières, rustaudes.........

 

Gonze s’orthographia conce en 1628.

 

Conce peut aussi être rapproché du latin conscius : confident, complice.

Voilà un sens plus noble !

 

Conscius, de scire = savoir (1628)

D’où la fonction de : Conce du castuz = domestique d’hôpital.

 

Deuxième petite parenthèse :

Scire = savoir

Voilà la raison pour laquelle, le verbe savoir fut écrit dans les siècles passés : sçavoir.

 

Au début du XVIIIème siècle, gonze conserva sa valeur italienne de niais, lourdaud, puis vers 1753 prit le sens général d’individu, homme et plus précisément au XIXème siècle, celui d’homme énergique, de patron

Une belle ascension dans la hiérarchie des mots !

 

Si le gonze se para d’une belle renommée, il n’en fut pas de même pour son féminin.

En effet, une gonzesse, en 1811, désignait une femme ou une fille, mais dite facile, voire une prostituée.

Utilise-t-on toujours ce mot ?

Si oui, il est attribué à une fille tout simplement.

 

 

Pour cette petite histoire autour d’un mot,

Je me suis aidée du

                   « Dictionnaire historique de la langue française » Le Robert

  

Le cantonnier de Louviers

 

Cela faisait combien de temps déjà ?  Un an, deux ans ?

Pourtant, cela avait fait grand bruit à l’époque !

Oui, cela devait faire deux années, déjà !  Le temps passait si vite !

 D’abord, on chercha partout où le disparu allait fréquemment, pour retracer son dernier itinéraire. On fouilla la forêt environnante, une mauvaise rencontre étant toujours possible. On sonda les eaux des bras du cours d’eau, une chute étant toujours également possible.

 Rien !

 La maréchaussée enquêta, posant question sur question, multipliant les investigations.

Au fil du temps, sans résultat, les recherches furent interrompues. Non que l’on était devenu indifférent à cette étrange disparition, mais à quoi servait de repasser sans cesse aux mêmes endroits, déjà minutieusement inspectés ?

 

Régulièrement, le nom de Pierre Lefebvre revenait au fil des conversations, car cet ancien cantonnier était très estimé de tous.

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 Les trois compères, Gibout, Botte et Lequeu, depuis quelque temps, travaillant dans le bois du Deffend, passaient souvent devant le puits Cornier, puits réputé dangereux, car à ciel ouvert sans protection et d’une extrême profondeur.

 

Ne disait-on pas aussi, mais on dit tant de choses, que ce puits était l’aboutissement  d’un souterrain partant de l’église Saint-Germain  et parcourant le sous-sol de la ville.

 

Chacun y allait à plaisanter, car c’était bien là, selon leur humour un peu noir, un moyen radical  de se débarrasser d’une personne encombrante.

« Hop, par-dessus bord, ni vu, ni connu ! »

 Leur imagination un peu débordante fit son chemin jusqu’au jour où la conversation tournant encore autour de ce lieu, ils décidèrent d’aller y jeter un coup d’œil.

Penchés au-dessus de la margelle au ras du sol, ils ne purent, tout d’abord, rien voir. Le fond du puits plongé dans une obscurité intense ne voulait rien dévoiler. Leurs yeux s’habituant peu à peu, ils distinguèrent ombres et formes.

 

« Et si il y avait un trésor ? dit Botte qui se voyait ainsi devenir riche.

— Endroit idéal pour le dissimuler, confirma  Lequeu, mais peu facile d’accès pour prélever de quoi faire les achats au marché chaque semaine.

 

Tout à coup, Gibout qui avait gardé le silence jusque-là, s’écria :

 « Ce n’est pas un crâne, là ?

     Un crâne ? répliquèrent étonnés les deux autres qui auraient nettement préféré que leur compagnon ait aperçu un coffret au couvercle relevé laissant apparaître des pièces de monnaie.

 

Il n’était alors pas question de prendre quelque initiative avant de descendre à la ville pour prévenir le maire, Jean Louis Lambert. Celui-ci, averti, se rendit sur place, mais souhaita, l’affaire étant d’importance, en rendre compte au commissaire de police et au procureur du roi.

 

Toutes les autorisations juridiques en mains, les nommés Gibout, Botté et Lequeu, s’entourant de toutes les précautions nécessaires à leur sécurité, installèrent poulie et chèvre de cordages pour descendre, mais surtout pour remonter, puis une nacelle dans laquelle un des trois hommes prit place tandis que les deux autres actionnaient le système.

 

Grâce à leur audace et leur ingéniosité, il put être mis au jour, comme indiqué dans le procès verbal :

 

« Plusieurs os d’un cadavre, une tête et une mâchoire et différents effets tels que, une paire de sabots, deux boutons d’un gilet avec quelques morceaux de celui-ci, couleur rouge, une cravate de soie, un morceau de bonnet de laine gris où il existait encore des cheveux châtains un peu rouge, plusieurs morceaux de grosse toile qui paraissent être le reste d’une culotte et d’une blaude, d’autres morceaux de toile moins grosse que l’on suppose être d’une chemise.»

 

 Tous ces objets furent déposés au parquet du tribunal de Louviers afin d’être examinés de plus près et de pouvoir, si possible, déterminer l’identité de celui ou celle à qui ils appartenaient.

 Revint alors en mémoire la disparition étrange et inexpliquée de Pierre Lefevre. Et si c’étaient les ossements de l’ancien cantonnier qui venaient d’être découverts ?

Cela éclaircirait l’énigme de sa disparition.

 

En effet, certains qui l’avaient bien connu identifièrent dans les morceaux de tissus, les vêtements portés par le pauvre cantonnier. Cette constatation établie, il n’y eut plus aucun doute, Pierre Lefevre venait d’être enfin retrouvé après deux années.

 

Le 12 septembre 1834, un procès-verbal fut alors établi en bonne et due forme, en présence de monsieur le Procureur du Roi, monsieur le Maire de la ville de Louviers, monsieur Levigneux, Maréchal des logis de la gendarmerie, du sieur Gasse, gendarme et d’un grand nombre d’habitants de la ville dont Ferrand, Gibout, Botté et Picard. Tous signèrent le document.

 

Les ossements du pauvre homme furent ensevelis, au cimetière, après un moment de recueillement.

 Pierre Lefevre, retrouvé, emportait malgré tout avec lui dans la tombe les circonstances de sa mort.

 Accident ou suicide ? Nous ne le serons jamais.

 

Pierre Lefevre, sans plus de renseignements pour faire un peu plus connaissance avec ce que tu as été, tu resteras immortalisé, ainsi que ta profession, dans les paroles et la musique de cette chanson populaire, attachée à la ville : « Sur la route de Louviers. »

 

Alors, repose en paix !

vendredi 15 décembre 2023

Tu m’enquiquines !!


              

En clair :

Tu m’étouffes, comme si tu me serrais le quiqui (écrit aussi kiki), terme familier désignant le cou ou la gorge.

Comme disait Arletti, célèbre comédienne dans un de ses films : « Tu me bouffes mon oxygène ! »

 

·        Ce verbe enquiquiner était employé, vers 1830, en ce sens.

·         Fin XIXème siècle, il était utilisé pour : insulter.

·      Aujourd’hui, il signifie : importuner – agacer... ou encore gaver – saouler – emm....

 



Des mots dérivés de ce verbe :

 

  • ·         Enquiquinant-e-  (adjectif 1844) que Flaubert orthographiait enkikinant. 
  • ·         Un enquiquinement (nom  1883)
  • ·         Un enquiquineur-se- (nom 1940)

L’enquiquineur étant une espèce moderne et récente, forme adoucie de l’em...deur.

 

Pour cette petite histoire autour d’un mot,

Je me suis aidée du

                   « Dictionnaire historique de la langue française » Le Robert

jeudi 14 décembre 2023

Petite Marie Armantine

 



Lorsque Honorine Potel avait épousé Charles Édouard Antoine[1], de quatorze ans son aîné, elle savait que celui-ci, veuf depuis peu avait à charge trois enfants, trois garçons de treize, neuf et trois ans.

Pas facile de pénétrer dans un foyer où le souvenir de l’absente emplissait tout l’espace.

Mais en disant « oui » à Charles Édouard Antoine, le jour de leurs noces, le 27 août 1838, dans la mairie de Pinterville, elle avait accepté cette lourde charge.

 

Afin de pouvoir s’occuper de son nouveau foyer et surtout afin de prendre soin de Louis Delphis, tout juste âgé de trois ans, elle triait de la laine pour une petite manufacture de Louviers. Pas question pour elle d’être à la charge de son mari, elle souhaitait apporter un petit pécule, fruit de son travail.

Chaque matin, à l’aube, elle reportait sa pesée et en prenait une autre qu’elle triait en surveillant les jeux du garçonnet, et ainsi de suite, chaque jour de la semaine, à l’exception du dimanche.

 

Quand elle annonça sa grossesse  à son mari, celui-ci s’en réjouit  à peine. C’était son huitième enfant, alors pourquoi en faire toute une histoire !

Honorine en fut chagrinée, pour elle, c’était une première expérience et elle aurait souhaité voir le futur père un peu plus attentif.

 

Elle accoucha le 18 juin 1840 à 9 heures du matin, au foyer conjugal situé à Louviers, rue Saint Germain, numéro 3.

Sa joie fut immense d’apprendre qu’elle venait de mettre au monde une petite fille. Cela contrasterait avec les trois garçons. D’ailleurs, ceux-ci semblèrent heureux de la venue de cette petite sœur.

 

Par contre, Charles Édouard ne pouvait s’intéresser à sa fille. Il faisait des efforts pourtant, du moins lui semblait-il, mais il avait encore, ancré en lui, les décès des petites filles nées de son précédent mariage.

Alors, il attendait que la vie le rassurât en lui permettant de voir grandir cette nouvelle-née, prénommée le jour de son baptême, Marie Armantine.

Il commençait à y croire, Charles Édouard, quand il entendit les premiers gazouillis de l’enfant. Au grand bonheur d’Honorine, il changea son comportement vis-à-vis du nourrisson qu’il prenait parfois dans ses bras, très maladroitement d’ailleurs. Surpris à plusieurs reprises, il rendait bien vite le poupon à sa mère, déclarant :

     « J’vais la faire tomber. Prends-la, toi !

-      Mais non, répondait alors Honorine en riant, garde-là, j’aime lorsque tu t’occupes d’elle.

 

Comme chaque matin[2], après la première tétée, la jeune maman coucha Marie Armantine sur son lit, bien calée avec un traversin, l’embrassa et lui dit :

« Sois bien sage, mon cœur, maman revient vite ! »

 

Prenant sa pesée de laine, elle sortit du logis en emmenant avec elle le petit Louis Delphis, trop remuant pour le laisser seul.

 

Dehors, une légère brume dans l’aube naissante annonçait un automne précoce.

Ils croisaient des ouvriers pressés, ombres irréelles attirées par la sonnerie impatiente de l’embauche.  Tout le long du chemin menant au centre-ville,  Honorine fredonnait des comptines pour encourager le garçonnet encore tout ensommeillé.

 

Une heure plus tard, Honorine était de retour. Ouvrant la porte du logis, elle lança joyeuse :

« Coucou, c’est maman ! »

 

Jetant un regard vers le lit, elle s’aperçut que Marie Armantine avait basculé.  Elle se précipita pour la redresser, mais il était trop tard. Se retrouvant à plat ventre, le visage contre le dessus du lit, la petite n’avait pas eu la force de se retourner. Elle avait succombé par asphyxie.

 

Son bébé dans les bras, Honorine hurlait si fort que les voisines accoururent. Louis Delphis, effrayé,  ne comprenant pas la situation, mais percevant sa gravité, braillait à côté d’elle.

 


Le docteur Pétel, prévenu, ne put que constater la mort accidentelle dont la cause n’était pas due à de la maltraitance. Simplement un manque de vigilance. On ne laisse pas un enfant seul ! Mais comment faire autrement, quand il faut gagner de quoi vivre.

À quoi bon reprocher, il n’était plus temps, surtout face à la douleur de la jeune maman.

 

Charles Édouard n’accabla pas son épouse. Il se dit simplement que son pressentiment était fondé. Jamais il ne verrait grandir une petite fille née dans son foyer.

Était-ce une malédiction ?

Il finissait par le croire.

 

Sans vouloir abonder dans ce sens, il faut bien l’avouer, la suite ne fit rien pour le démentir.

 

Le chagrin fut tel au foyer Antoine, qu’il fallut attendre le 26 août 1844 pour que naisse un petit garçon, François Edouard.

En 1850, le 5 janvier, Alexandre Augustin fit la joie de ses parents, avant la venue de Désiré Léon, le 10 mai 1852.

 

Le couple eut une fille, le 8 février 1847. Appelée Sophie Euphémie, elle combla son papa.

Charles Édouard avait, enfin, une fille et il la regardait grandir avec fierté.

Jusqu’à ce 7 avril 1856, où elle décéda, alors qu’elle venait tout juste de prendre neuf ans.



[1] Charles Edouard Antoine avait épousé Delphine Vilcoq le 20 septembre 1825. Des sept enfants nés de cette union, quatre moururent en bas âge : Françoise Delphine (1828) vécut un mois - Cyr Alphonse  (1833) vécut un jour - Une petite fille en 1834 fut déclarée  « née sans vie » - Delphine Aimée (1835) ne vécut que cinq semaines.

 

[2] Le matin de ce funeste drame : 3 septembre 1840, vers 6 heures du matin.

mercredi 6 décembre 2023

Le quartier de la rue de Beaulieu à Louviers



 Ce fut, peu après seize heures, que Marguerite Heurtematte, épouse de Benjamin Lequeu, chercha son fils.

« Où il est encor’ celui-là, dit-elle en soupirant.

Elle confia à son fils aîné, Jacques Lambert, âgé de tout juste de neuf ans, la garde de ses petits frères et sortit dans la cour.

Personne !

Elle parcourut la rue, questionnant voisins et passants, mais personne n’avait aperçu le petit Charles Stanislas.

La peur commença à l’envahir. Elle courut chez sa sœur qui demeurait, non loin de là, dans la même rue.

« T’as vu Stanislas ? questionna-t-elle d’une voix haletante, empreinte de panique.

        Non ! Pourquoi ?

        C’est que j’ le trouve point !

 

Prévenus, les voisins et amis s’investirent dans la recherche du garçonnet, parcourant la ville, inspectant le moindre recoin.

Tous les endroits y passèrent, même les plus invraisemblables.

Pensez, un petit de trois ans, ça peut se faufiler partout !

Oui, mais même après toute cette énergie déployée, l’enfant restait introuvable.

Les investigations cessèrent lorsque la nuit se fut installée.

Quelques proches restèrent avec les parents, par solidarité, mais ils savaient bien que leur présence n’apaiserait pas leur angoisse.

Chacun essayait de se rassurer, pensant, sans trop y croire :

« On le retrouvera demain. Il s’est sûrement endormi dans un coin. »

 

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Thomas Benjamin Lequeu avait épousé, le 9 septembre 1813, Marie Élisabeth Heurtematte.

Les naissances s’étaient enchaînées, ne laissant aucun répit à l’épousée.

-      Jacques Lambert vit le jour, le 4 mars 1816.

-      Xavier Adolphe suivit, le 8 avril 1818.

-      Tranquille fit son entrée au foyer, le 29 septembre 1820.

-      Xavier Adolphe remplaça, le 15 janvier 1825, son frère décédé le 11 avril 1821, dont il reprit les prénoms.

-      Charles Stanislas montra son petit nez, le 13 janvier 1824.

-      Désiré Alphonse, survint dix-huit mois plus tard, le 7 juin 1825.

 

Au moment de ce pénible événement, en juin 1827, il y avait, au foyer Lequeu, cinq garçons.

À chaque nouvelle grossesse, Marie Élisabeth, épuisée,  espérait que ce serait enfin une fille.

Mais non, à chaque fois, la matrone clamait en recevant le nourrisson :

« Encore un beau garçon ! »

Thomas Benjamin, lui, semblait ravi de cette ribambelle de petits gars :

« Une fille, c’est fragile, j’ saurai trop quoi faire avec elle ! »

 

Les habitants de cette partie de la rue Beaulieu où se trouvait la demeure des Lequeu, puisaient l’eau nécessaire à leur quotidien au puits appartenant au sieur Pelet[1].

Ce point d’eau se situait au fond d’une allée étroite, tournante et très sombre. Sans protection aucune, il présentait, au ras du sol, un trou béant ouvert sur les entrailles de la terre.

Personne n’avait jamais pensé à le fermer, ne serait-ce que par quelques planches.

 

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Lorsqu’elle alla puiser de l’eau, le lendemain matin, une habitante du quartier fut surprise de ne pas entendre le bruit habituel du seau frappant l’eau en éclaboussures. Le bruit était mat. De plus, le récipient remontait vide.

Que se passait-il ?


Elle relança le seau aussitôt et fit le même constat. Le puits semblait obstrué par quelque chose.

Elle poussa un cri de bête blessée. Ses mains tremblaient, ses jambes se dérobaient.

« Mon Dieu, et si c’était …. ». pensa-t-elle sans oser aller plus avant dans sa réflexion.

Lâchant son seau, elle partit en courant chercher de l’aide.

 

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Quand le corps fut repêché, le docteur Goubert vint constater le décès, nullement dû à de mauvais traitements. L’enfant était bien mort noyé, après sa chute.

« ça devait arriver ! » était la réflexion commune lorsque le petit corps aux lèvres bleuies, au teint blafard  de Charles Stanislas[2] fut extrait du puits.

-      Pauvre petit ange ! pensèrent certains, compatissants.

-      Cela fera un malheureux de moins ! déclarèrent quelques autres, fatalistes, résignés.

-      C’est y pas malheureux ! s’exclama-t-on encore.

Phrases redites encore et toujours lorsqu’un accident survenait. Les mêmes phrases, car il faut bien dire quelque chose dans ce cas-là. Mais que dire, en fait, surtout lorsqu’il s’agit d’un enfant !

Quelques accusations fusèrent en direction de la pauvre mère, éplorée, effondrée.

« Quand on a des gosses, on les surveille ! »

À quoi, il était répondu :

-      Quand on en a plusieurs, pas facile d’avoir les yeux partout !

Ou encore

-      ça a vite fait, d’fair’ un tour, un marmot !

 

Quelle douleur pour les parents ! Douleur d’autant plus intense qu’elle ravivait un autre souvenir, de même nature, survenu en avril 1821. Oui, ils avaient déjà dû faire le deuil du petit Xavier Adolphe, disparu au même âge, trois ans.

Décidément, le sort s’acharnait sur eux.

 

Marguerite Heurtematte, les yeux dans le vide, se berçait en serrant contre elle, Désiré Alphonse, son dernier-né, âgé de deux ans. Elle ne voulait pas le lâcher.

Non, celui-là, la mort ne lui ravirait pas, ni avant, ni après ses trois ans.

 

Cherchant à reconstituer le déroulement des heures précédant le drame, la maréchaussée, aidée des habitants du quartier, arriva à l’explication suivante, avant de clore le dossier :

Charles Stanislas était un enfant très vif. Il ne restait pas en place. Ce jour-là, il avait sûrement, comme cela lui était déjà arrivé, décidé de se rendre, seul, chez sa tante, non loin de là. Oui, mais voilà, croyant prendre le bon chemin, il avait emprunté la petite allée qui devait le mener vers son funeste destin.

 

-=-=-=-=-=-

 

Monsieur le Maire prévenu de l’effroyable événement se rendit sur place.

« Les puits ! s’exclama-t-il furieux, cela fait pourtant un bon moment que leur protection a été légiférée. Combien faudra-t-il encore de drames pour que les propriétaires daignent, enfin, faire les travaux nécessaires ?! »

 

En effet, il n’avait pas tort, Monsieur le Maire, des lois, il y en avait eu, de mémoire, comme cela, la plus ancienne remontait bien au 20 janvier 1727[3].

Mais rien n’avait été fait !

 

 

Le Sieur Pelet, demeurant rue de Beaulieu, propriétaire du puits, reçut de la mairie un courrier daté du 5 juillet 1827, lui intimant l’ordre de réaliser, sans délai, les travaux conformes à la sécurité : une margelle  autour du point d’eau et la pose d’une porte fermant à clef, pour en empêcher l’accès  aux jeunes enfants.

Une vérification de tous les puits de la ville fut également entreprise.

Malheureusement, d’autres accidents semblables survinrent bien après ce 20 juin 1827.

 

Marie Élisabeth Heurtematte mit au monde un petit Georges Benjamin, l’année suivante, le 20 mai 1828.

Oui, encore un garçon ! Mais, peu importait, du moment qu’il grandissait bien.

 



[1] Plusieurs orthographes concernant le sieur Pelet qui fut également appelé Lepeley. Aucune mention précisant son prénom.

[2] Charles Stanislas Lequeu est décédé le 20 juin 1827.

[3] Il y eut d’autres textes de loi,  le 15 mai 1734, le 15 novembre 1781…….