mardi 7 avril 2015

MOI, J'Y R'TOURNE !




Une pluie torrentielle s’abattait depuis deux jours sur la région. Elle dévalait, en flux rapide, les ravines jusqu’à la ville, inondait tout, pénétrait le moindre espace. Un temps de Normandie qui procurait cette végétation si verdoyante, ces fleurs si odorantes, mais qui donnait aux hommes toutes ces douleurs articulaires qui gênaient fortement tout  mouvement. Mais, là, ce n’était plus ce crachin bienfaisant, c’était le déluge !

A couvert sous un épais buisson, deux hommes, trempés comme une soupe, dégoulinant, grelottaient. C’était la pleine journée et ils devaient attendre, dans ce repère de fortune, que la nuit se soit installée pour enfin sortir.
Ils étaient transis, mais surtout, la faim les tenaillait. Par intermittence, leur estomac émettait des grognements de révolte.
Tous deux gardaient le silence, la tête enfoncée dans les épaules, le col relevé, afin d’empêcher l’eau de ruisseler dans leur dos.

« Moi, j’y r’tourne ! » lança l’un d’eux en se relevant à demi.

L’autre le rattrapa par la manche de sa veste et l’obligea à se rasseoir près de lui.

« Fait pas le mariole, reste là ! Moi, j’ te dis qu’on va y arriver et qu’on s’ra pas r’pris.
-          Penses-tu ! Et si on est r’pris, on risque le bagne !
-          I’ sont pas assez malins pour ça, dans ma maréchaussée !
-          J’ veux pas fuir toute ma vie ! Surtout qu’on va bientôt être libérés !

Le silence se fit de nouveau. L’un et l’autre semblaient méditer. Au dessus d’eux, la pluie tambourinait sur les feuilles ployées par le trop plein d’eau.

« C’est-i quand qu’ ça va s’arrêter ? »

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Pierre Cyrille B et Nicolas R se connaissaient depuis l’enfance, leur famille vivant l’une près de l’autre dans le même quartier. D’autre part, le grand-père de Pierre Cyrille ainsi que le père de Nicolas, tous deux siamoisiers, travaillaient dans le même atelier.
Nicolas, petit dernier d’une nombreuse fratrie,  avait vu le jour en l’an 4 de la République, dans un foyer sans histoire. Pierre Cyrille, lui, enfant naturel de Marguerite B, n’avait pas été rejeté par les parents de sa mère. L’autorité d’un père, il l’avait trouvée auprès de François B, son grand-père.
Cela ne l’avait pas empêché de grandir. Peut-être avait-il ressenti un peu de jalousie lorsque sa mère se maria en 1803, alors qu’il avait tout juste cinq ans. Juste un peu. Et puis, ce sentiment s’était estompé.

Pierre Cyrille et Nicolas avaient donc partagé les mêmes jeux et surtout, multiplié les bêtises. Des bêtises d’enfants sans grande importance, comme en faisaient tant d’autres, jusqu’au jour où les petits chapardages anodins, devinrent des vols organisés avec minutie.
Les corrections paternelles ne changèrent rien à l’affaire, car leurs repentis étaient de courtes durées.

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Quand, la police vint les arrêter fin octobre 1817, ils ne montrèrent aucune résistance. A quoi bon ! Ni l’un ni l’autre n’essaya de se justifier en rejetant la faute sur son ami. Soudés comme aux jours de leur enfance. Il n’aurait plus manqué qu’ils n’affrontent pas leurs responsabilités. Et puis, un ami, c’est un ami, en toutes circonstances.

Devant le juge, ils avouèrent leurs méfaits. Pourquoi nier l’évidence. Alors,  la sentence du tribunal de police correctionnel les condamna, après jugement, tous deux à un an d’emprisonnement. Ils furent donc écroués à la prison de Louviers, le 27 novembre 1817.

Cette incarcération, bien que les privant de liberté, ne les gêna pas les premiers mois. L’hiver approchait et dehors le temps était gris. Oui, mais au printemps, ils eurent des fourmis dans les jambes. Courir les bois leur manquait. Puis ce fut l’été, avec son soleil radieux, alors qu’ils se trouvaient, dans une geôle humide et malodorante où le soleil ne pénétrait jamais.

Alors, ils échangèrent de longs moments, la nuit, lorsque leurs codétenus dormaient. A l’approche du gardien, effectuant sa ronde, ils feignaient le sommeil.
Très vite, ils mirent au point une procédure d’évasion. Et ils réussirent leur coup, le 18 août 1818.
« Salut la compagnie ! »

Dehors, toujours sur le qui-vive, ils se dirigèrent vers la Porte du Neubourg, et s’enfoncèrent dans la forêt, espérant y trouver refuge le jour et poursuivre leur marche la nuit. Cela semblait, en effet, très facile, trop facile, mais le temps se détraqua et les nuages déversèrent des trombes d’eau à n’en plus finir.
La faim ! Ils n’avaient pas pensé que trouver de la nourriture serait aussi compliqué. Le gibier, il fallait le débusquer et surtout le faire cuire. En fuite, le moindre feu pouvait alerter les populations, les faisant repérer rapidement. D’ailleurs, comment faire du feu alors que tout était détrempé.

Ils réalisaient à présent que leur entreprise n’était plus une farce d’enfant, que leur vie se jouait à cet instant.

« J’ai faim, moi ! lança Cyrille B, en se redressant d’un bond. Au moins en prison, on a de quoi manger ! »

Sans autre commentaire, il prit le chemin de Louviers.

« Hé m’ laisse point seul ! » s’écria Pierre Cyrille B.

Il se tut soudain de peur que ses cris soient entendus. Il s’enfonça à nouveau dans son abri de verdure, indécis, entre l’envie de ne pas abandonner son ami de toujours et le refus d’être réincarcéré.


Nicolas n’eut pas le temps de se rendre au commissariat. Il fut appréhendé à la Porte du Neubourg, par deux gendarmes qui patrouillaient.

Quant à Pierre Cyrille, après une nuit de réflexion, il s’était rendu à l’évidence qu’une vie à se cacher sans cesse, avec la peur au ventre d’être arrêté à n’importe quel moment, n’était pas une existence enviable.
Alors, le lendemain matin, il se livra aux forces de l’ordre.

Quand les deux amis se retrouvèrent dans la geôle de la prison, ils tombèrent dans les bras l’un de l’autre, heureux d’être réunis. Ah c’est deux là ! Arriveront-ils un jour à « grandir » et sortir du monde de leur enfance[1] ?

Leur évasion causa quelques dommages dans le plancher de la prison  dont la réparation fut évaluée, par l’architecte de la ville,  au montant de huit francs cinquante.

Se posa alors la question : Qui allait payer la facture ? Les deux fugitifs repris ? Leur famille ?

Gageons que les familles mirent la main à la poche, imposant toutefois à leurs garnements de fils, tout de même âgés de vingt ans, de rembourser en travaillant. C’était le moins qu’ils pouvaient faire !
Mais cela fera,  peut-être, l’objet d’un autre récit.




[1] Aucune information sur ces deux compères – assurément ils ont quitté Louviers. Mais pour où ?

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