mercredi 13 mars 2019

HISTOIRE VRAIE - ROUEN A LA FIN DU XIXème SIECLE


Chapitre 10





 Gracié, mais envoyé au bagne, Constant Roy, enchaîné, embarqua avec d’autres bagnards, sur le bâtiment « Ville de Saint-Nazaire »[1] qui accosta en Guyane[2], le 17 mai 1891.

Deux jours plus tard, Constant Roy découvrait Maroni, son nouveau lieu de villégiature.
Pas vraiment le rêve !
La cohabitation avec les autres détenus ne se révéla pas des plus aisées, il ne fallait montrer aucun signe de faiblesse. S’imposer. Dominer. Les coups ne venaient pas uniquement des matons.






La fiche d’identification établie à son arrivée apporte quelques renseignements supplémentaires.
La voici :



Matricule 24 553

ROY se disant Constant
Né le 2 avril 1865 à Yverdon – Suisse
Fils d’Auguste et Charlotte Rouiller
Garçon de café
Lettré

Dernière adresse : Rouen
De religion protestante

1 m 76
Cheveux châtain-clair
Yeux gris-bleu
Nez moyen
Menton à fossette
Visage ovale



Le « dit Constant », ne subit pas cette peine sans révolte, car il s’évada le 8 avril 1892.
Le document ne nous donne aucune information sur le moyen employé, s’il partit seul, s’il bénéficia d’une aide extérieur.
Dommage, c’eut été fort intéressant.

Deux mois de cavale qui se terminèrent le 1er juin 1892, jour où il fut repris.

Le « dit Constant » fut jeté dans une geôle d’isolement, sans presque pas de lumière, surveillé nuit et jour, au pain et à l’eau.
Pour résister à un tel traitement, il fallait posséder un mental à toute épreuve.

Le Tribunal Maritime Spécial qui se réunissait deux fois l’an afin de juger les crimes et délits les plus graves au sein du bagne, tels les meurtres, les évasions et les voies de fait sur les surveillants, condamna, en sa séance du 6 septembre 1892, Roy à deux années de double chaîne, pour évasion.

La double-chaîne ?
Cela signifiait que le forçat se trouvait dans une salle séparée dont il ne sortait pas jusqu’à la fin de sa peine, retenu au bout de son banc par une chaîne pesant le double du poids d’une chaîne normale.
Manière d’ôter aux fugitifs toute envie d’une nouvelle évasion.

Les punitions finissaient par briser les plus coriaces.

Ce fut ce qui arriva, car Roy, brisé, mâté, anéanti, finit par rentrer dans le rang.
Le temps de la révolte passé, il ne lui fallait penser qu’à survivre du mieux possible dans cet enfer.

A Maroni, la journée des bagnards commençait par le réveil à 5 heures, puis l’appel trois quarts d’heure plus tard. Ensuite, le temps de ranger leur case et ils partaient travailler de six heures à onze heures. Une pause de deux heures et le labeur reprenait jusqu’à dix-sept heures.
Extinction des feux à vingt heures.

Les tâches, au bagne,  étaient diverses et variées.
Le nouvel arrivé était affecté à la troisième classe. Ce qui impliquait que, sauf infirmité ou faiblesse physique constatée par un certificat médical, il effectuait les tâches les plus pénibles, corvées collectives, sous haute surveillance.
Une des tâches leur incombant, la coupe de bois, avec un stère obligatoire par jour[3].
La troisième classe avait des dortoirs collectifs séparés des deux autres classes.

Au bout de trois années sans problème majeur de discipline, le forçat accédait à la seconde classe, puis à la première classe.
Ces deux dernières  classes donnaient quelques avantages non-négligeables : être affecté chez des employeurs en ville et dormir chez ces derniers, et parfois la permission de ne pas porter la tenue de bagnard....
En 1901, Roy passa en première classe.














En 1903, cela faisait douze années qu’il avait quitté le sol français.
1903, en raison de sa conduite exemplaire, sa demande de ramener sa peine à quinze années de travaux forcés fut acceptée.
Encore quinze années !
En 1918, il aurait cinquante-trois ans et serait enfin libre.
Il avait survécu, même aux fièvres qui avaient décimaient tant de ses camarades de galère, alors, il pouvait espérer avoir encore quelques bonnes années à vivre.

D’autant plus que sa peine fut encore réduite........ Il voyait enfin la lumière de la liberté au bout du tunnel.

Il allait enfin être libre ....... Enfin !!

Mais la vie se plaît à jouer de mauvais tours, c’est bien connu !
Ce fut ainsi qu’elle ôta, à Constant Roy, cette joie de mourir libre. Oui, car Roy, dit Constant, décéda le 20 mai 1914, à Saint-Laurent-de-Maroni.


[1] Le paquebot « Ville de Saint Nazaire » sortit du chantier naval de l’Océan à Bordeaux en janvier 1871. En 1891, il fut affrété par l’Etat pour transporter les forçats à Cayenne. Longueur : 88,5 m - Largeur : 12,33 m - Jauge : 2676 tonneaux - Vitesse : 12,5 nœuds.
[2] Charles Bousquet, ayant bénéficié de la grâce présidentielle en même temps que Constant Roy, était en direction du bagne de Guyane, également sur ce navire.
[3] A Maroni, il y avait aussi une briqueterie. Les bagnards fabriquaient également des tuiles,  entretenaient les rues et bâtiments de la ville de Saint-Laurent, étaient au service de certains commerçants et habitants.......

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