jeudi 25 janvier 2018

HISTOIRE DE VILLAGE - Colzas dans les prés, fleurissent, fleurissent..........




En ce dimanche 9 mai 1847, Pierre Louis Berrier, adjoint au maire, était de permanence.
Dehors, il faisait bon, le soleil commençait à donner de la force. Le printemps s’annonçait clément.
Une journée où il aurait fait bon prendre un peu de temps. Profiter, comme on disait.
Mais voilà, il y a des jours comme cela où rien ne va et la journée de repos de l’adjoint allait prendre rapidement fin.

Vers les dix heures du matin, en effet, le sieur Daufrene le garde-champêtre de Marbeuf, fit irruption sans la maison commune.
« J’ vins vous voir, parc’ que cette nuit, il a été coupé grande quantité de pieds de colza sur la commune de Marbeuf.
-          Et en quoi, cela regarde la commune de Saint-Aubin ? questionna Pierre Louis Berrier.
-          C’est qu’ j’ai été prév’nu par le propriétaire du champ, le sieur Delphin Charpentier.
-          Et alors ! soupira l’adjoint, je ne vois toujours pas !
-          Quand il est v’nu m’ voir, j’ suis allé constater avec lui. Et, à l’endroit du champ, au triège de la Garenne, on a suivi des traces que les malfaiteurs ont laissées.
-          Et ces traces, elles menaient où ?
-          Bah, justement, elles se dirigeaient vers vot’ commune. Alors, comme c’est point mon secteur, j’ suis v’nu vous voir !
-          Nous y voilà, pensa l’adjoint en se levant, faut y aller !

Ce fut donc accompagné du sieur Daufrene, garde-champêtre de Marbeuf  et du sieur Thomas Vaugeon, garde-champêtre de Saint-Aubin-d’Ecrosville  que Pierre Louis Berrier dut se résigner à abandonner sa journée paisible pour suivre les traces des malfaiteurs qui les menèrent tout doit vers le logis de Jean Pierre Morel.

Les trois hommes furent accueillis par l’épouse du sieur Morel, Joséphine Deboos, qui se trouvait dans sa cour, en plein milieu de laquelle se dressait un tas de fumier fraîchement retiré de l’étable et dans lequel se trouvaient quelques feuilles de colza déjà fanées, justement.

Après les présentations, l’adjoint au maire demanda :
«  Pouvons-nous parler à Jean Pierre Morel ?
-          C’est qu’il est point là !
-          Alors, nous serait-il possible de visiter votre étable à vaches, ainsi que le bâtiment qui se trouve à côté ?
-          Et pourquoi donc ?
-          Il y a eu un vol de colza, cette nuit et nous.......
-          Ce s’rait-i’ pas que vous m’ traitez d’ voleuse ! s’exclama la femme d’une voix revêche.
-          Une simple visite des lieux permettrait d’ôter tout soupçon, expliqua l’adjoint.
-          J’ai pas la clef ! déclara Joséphine Deboos.
-          Nous vous prions d’aller la chercher !
-          J’ veux ben, mais elle est perdue, alors.......

La femme Morel alla quérir la clef, mais bien évidemment, celle-ci fut déclarée introuvable, puisque précédemment déclarée perdue, soi-disant.

Peu importait d’ailleurs car les murs des bâtiments, mal joints sous le toit, permettaient d’y accéder, sans passer par la porte.
Il suffit au garde-champêtre de Saint-Aubin-d’Ecrosville, seul habilité à intervenir sur la commune, après être monté sur une botte de paille, de se hisser en haut du mur, de se faufiler, avec toutefois quelques difficultés, dans l’interstice entre haut du mur et toit, avant de se laisser glisser sur le sol à l’intérieur du lieu.
Dans la place, il ne lui fut pas difficile de trouver une vingtaine de pieds de colza, tout fleuris. Après ce constat, le garde-champêtre, revenu dans la cour en employant la même méthode, revint vers le groupe, muni d’un pied de colza, et demanda à Joséphine Deboos qui semblait de plus en plus nerveuse.

« Où est votre mari ?
-          A c’ qu’i’ m’a dit, il est à Criquebeuf-sur-Seine.
-          Il revient quand ?
-          Est-ce que j’ sais moi ! C’est qu’i’ m’dit pas tout !
-          Et ce colza, dans votre remise, il provient d’où ?
-          C’est à nous, pardi ! On en récolte un peu sur les terres.
-          Où exactement ?

Désignant une direction d’un geste vague de la main, Joséphine Deboos répondit :
« Est-ce que j’ sais moi, par-là ! Et puis, c’est l’affaire de mon homme tout ça. J’ai ma besogne moi, et j’ai assez à faire. J’ prends pas l’ travail des autres !

La nervosité de la femme Morel allait crescendo. Elle triturait le coin de son tablier, ne sachant que dire, que faire, regardant de droite et de gauche si elle ne pouvait obtenir secours. On ne savait jamais, son homme pouvait rentrer plus tôt.

Mais le sieur Daufrene qui avait l’œil, et il fallait l’avoir quand on était garde-champêtre, affirma reconnaitre le pied de colza comme provenant du champ qui avait été dépouillé.
Aussi, solennel, montrant toute son autorité, il déclara :
« Au nom de la loi, je vous dresse procès et vous somme de vous trouver demain à huit heures du matin, accompagnée de votre mari, devant monsieur le maire de Marbeuf, afin que tout cela soit consigné. »

Un procès ! Comme il y allait, cet homme !

Mal. Elle se sentait mal, la pauvre femme. Prête à défaillir.
Aussi, comme faute avouée et à moitié pardonnée, disait-on, elle s’exclama :
«  Bah oui, c’est mon homme qui a pris le colza. Oh ! pas volé, ça pour sûr. C’était pas pour le r’vendre. C’était pour nourrir les lapins ! Vous savez, ça mangent ces petites bêtes-là ! »

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Y-a-t-il eu procès ?
L’affaire s’arrangea-t-elle à l’amiable ?
Le couple a-t-il quitté la commune juste après ce « vol » ?

Ce que je peux vous affirmer, c’est que :

Jean Pierre Morel naquit à Criquebeuf-sur-Seine, le 20 juin 1802.
Il s’unit en mariage à Félix (on trouve Félice également) Joséphine Deboos, le 23 février 1827, à Saint-Aubin-d’Ecrosville, commune où la jeune fille avait vu le jour, le 23 août 1808.

Le jeune couple alla s’installer à Criquebeuf-sur-Seine où naquirent la quasi-totalité de leurs enfants jusqu’en 1839, année de la dernière naissance dans cette commune.
Leur dernier fils lui, arriva au foyer de ses parents, à Saint-Aubin-d’Ecrosville, en septembre 1851.
Le couple Morel/Deboos s’y installa donc entre 1839 et 1847, date de l’évènement raconté plus haut.
Nous le retrouvons à Criquebeuf-sur-Seine, en 1870, le 7 septembre, date du décès de Jean-Pierre Morel. Mais je suppose qu’il s’y était installé bien avant.

Aucune information sur la disparition de Félix Joséphine, survenue après celle de son mari.



Saint-Aubin-d’Ecrosville, 9 mai 1847, encore un fait divers,
recueilli dans les registres de la communes.
Un « emprunt de colza » pour engraisser des lapins !


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