mercredi 21 février 2018

HISTOIRE DE VILLAGE - Maltraitances

 Saint-Aubin-d'Ecrosville  -  Maltraitances


« Y va comment l’ Mathurin ?
-          Pas fort, ça pour sûr !
-          Va tout d’ même pas passer ?
-          Va savoir ! Faut attendre qui dit l’ docteur. I doit savoir, lui.
-          C’est point facile, tout ça !
-          Faut faire avec, pardi. Heureusement qu’ j’ai la p’tiote !


Marie Louise Monique Bourdon, sur le chemin menant au bourg, avait rencontré une voisine qui, de suite, s’inquiéta de la santé du mari de Marie Louise Monique qu’elle savait mal en point.
Une maladie qui clouait au lit le pauvre homme depuis plusieurs semaines, privant ainsi la commune de Saint-Aubin-d’Ecrosville de son maréchal-ferrant.

La p’tiote dont Marie Louise Monique Bourdon avait mentionné l’aide précieuse, dans sa conversation, n’était autre qu’une gamine qu’elle avait dû prendre pour l’aider en raison de la maladie de son époux.
Une gamine bien dégourdie et efficace dans les travaux ménagers, malgré son jeune âge.

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En ce 14 février 1842, après une nuit de veillée funèbre auprès du corps de Mathurin Aubin Bourdon qui venait de succomber après une longue agonie, dans la même église où trente-deux ans plus tôt chacun se réjouissait de son union avec Marie Louise Monique Bourdon, les cloches tintaient bien tristement.
Autour de Marie Louise Monique, veuve à présent, ce n’était que visages atterrés et hochements de têtes affligés.
« Un brave homme, le Mathurin !
-          C’ sont les meilleurs qui partent les premiers !
-          Il est soulagé, à c’ t’ heure !

Que de condescendances !

Après l’église, le cimetière où, en raison du froid, le prêtre précipita un peu la cérémonie.
Puis chacun repartit vaquer à ses occupations.
La vie continuait, pas vrai ?
Chagrin ou pas, il fallait aller de l’avant.

En chemin, les hommes s’arrêtèrent boire un coup au débit de boissons, histoire de se réchauffer et lever le coude à la mémoire du défunt (boire à sa santé, en ce jour de deuil, aurait été déplacé) qui en fonction du nombre de verres absorbés n’était plus, pour certains, réellement mort.
C’était ainsi !
Le mot de la fin étant : « On y pass’ra tous un jour. Pas vrai ? Alors, faut en profiter avant ! »

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La vie reprit, en effet.
Les années passèrent : naissances, mariage, décès.
Comme on disait : « La roue tourne ! »

Marie Louise Monique Bourdon, devenue veuve Bourdon, avait gardé auprès d’elle la p’tiote qui avait grandi, bien évidemment.
De ce fait, on ne l’appelait plus « la p’tiote », mais par son nom, Vitaline Lelièvre.
Vitaline participait à la vie de la maison.
Même si elle n’était que domestique, elle s’entendait bien avec sa maitresse, l’accompagnant partout, au marché vendre les produits de la petite ferme et,  tout comme, elle filait le soir au coin du feu, pour améliorer l’ordinaire.

Elles partageaient tout, les travaux, les recettes et les moments de détente.

Si bien qu’un jour, Vitaline s’installa dans une partie de la maison y apportant des meubles qu’elle avait acquis et signant avec sa maîtresse un bail d’occupation, lui donnant des droits mais aussi des obligations, chez le notaire de Daubeuf-la-Campagne, afin que tout soit en règle.

Elles s’entendaient donc bien. « Trop bien ! » murmurait-on autour d’elles.
Mais vous savez, comme moi, que les gens sont suspicieux.
Il était vrai que la veuve Bourdon avait des biens et chacun pensait que Vitaline avait des vues sur ces biens-là.

En effet, ce bail conforta peu à peu Vitaline dans ses droits. Elle ne pouvait plus être jetée à la rue. Aussi, prit-elle peu à peu de l’ascendant sur sa maitresse, régentant tout à sa façon, allant jusqu’à refuser de donner les soins que nécessitait le grand âge de celle-ci.
Les voisins avaient, plus d’une fois, entendu des éclats de voix, aussi étaient-ils aux aguets.

A présent, âgée et diminuée, la pauvre Marie Louise Monique finissait par craindre sa servante, aussi souvent, très souvent, trop souvent, ne répliquait-elle pas, acceptant son sort.
Pourtant, elle aurait bien voulu, Marie Louise Monique, que cette Vitaline parte de sa maison.

Lorsque la veuve Bourdon se plaignait, Vitaline lui répliquait :
« Vous savez bin que j’ suis chez moi à c’ t’ heure, d’puis qu’on a signé chez l’ notaire. Vous pouvez point m’ renvoyer ! »

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En ce début de matinée du lundi 16 juin 1863, la servante déclara :
«  J’ vas faire une soupe au lait pour c’ midi. Nous en mang’rons tout’ les deux, précisant toutefois, sans y mettre de l’eau !
-          Quelle bonne idée, répondit Marie Louise Monique, heureuse de voir Vitaline dans de meilleures dispositions qu’à l’accoutumée.

Oui, mais, ce que vit alors la veuve Bourdon lui souleva le cœur.
Avant de se mettre à préparer la soupe, Vitaline se moucha avec les doigts. Marie Louise Monique la regarda faire, tout en prenant un couteau afin de couper de petits morceaux de pain qui devaient servir à tremper la soupe.
« Tu vas t’ laver les mains, Je ne veux pas manger tes saletés !  lui dit-elle alors.

Que se passa-t-il dans la tête de Vitaline, suite à cette remarque, voyant sa maîtresse avec le couteau ?
Eut-elle peur que sa maîtresse se serve de ce couteau pour l’agresser ?
Ce qui était sûr, c’était que devançant ce qu’elle pressentait comme un geste agressif, elle se rua sur la vieille dame et lui arracha, sans ménagement, le couteau des mains, lui entaillant fortement l’auriculaire gauche.
Voyant le sang couler, Marie Louise Monique, craignant pour sa vie se mit à hurler :
«  Au secours ! Au secours ! Au voleur ! A l’assassin ! »

Quelle alarme !

La porte de la maison étant grande ouverte sur la cour, les voisins qui se trouvaient tout proches se précipitèrent pour porter secours.
Il y avait là, les sieurs François Levif, Pierre Désiré Beaucousin, Louis Médard Bréant et Louis Désiré Bréant qui aperçurent en arrivant sur les lieux, Vitaline Lelièvre trainant sa maîtresse hors de la maison et aussitôt celle-ci dehors, claquant la porte et s’enfermant à l’intérieur du logis.
Les quatre hommes réconfortèrent la vieille dame et enveloppèrent son doigt dans un linge. Ensuite, ils lui conseillèrent :
« Faut aller porter plainte ! »

Marie Louise Monique refusa tout d’abord, mais devant les arguments de ses sauveurs, elle accepta de se rendre à la mairie, à la condition qu’ils l’accompagnent.

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En mairie de Saint-Aubin-d’Ecrosville, le maire, Augustin Taurin, prit la déposition de la plaignante.
Il avait déjà eu  vent de ce qui se passait et, bien sûr, ne fut pas étonné de ce que Marie Louise Monique lui racontait, car elle lui en raconta, Marie Louise Monique, qui une fois lancée, débita tout ce qu’elle avait sur le cœur, tout ce qu’elle avait subi depuis des mois et des mois.

« C’est qu’elle m’enferme dans ma chambre pour aller Dieu sait où, pendant des heures..... sans rien..... toute seule..... »

Et puis aussi, il y a deux ans, lorsqu’elle avait acheté aux héritiers Letailleur une pièce de terre.
« Avec mes jambes malades, c’est qu’ j’ peux plus marcher, pardi. Alors, j’ai envoyé la Vitaline à ma place chez l’ notaire à Daubeuf. Deux cent vingt-cinq francs, que j’y ai remis. Une somme pour sûr ! Une somme qui d’vait payer la terre. Et bien, c’est qu’elle y est allée chez l’notaire, mais l’acte, c’était pas à mon nom qu’il était, mais au sien. C’est quand j’ai r’çu les papiers qu’ j’ai vu qu’elle m’avait volée ! »


Les quatre voisins y allèrent aussi de leurs témoignages.
Même le maire se souvint qu’il y a environ six mois, le nommé Adolphe Billon était venu le chercher chez lui, le pressant de venir au domicile de la veuve Bourdon, celle-ci étant dehors, sa domestique l’ayant jetée hors de la maison avant de se barricader à l’intérieur.
La pauvre Marie Louise Monique avait dû se réfugier chez son beau-frère, le Modeste Bourdon, qui logeait tout près.
Le maire avait alors essayé de raisonner la domestique qui, comme toujours, s’était rebellée, jurant ses grands dieux qu’elle était dans son droit et incriminant sa maîtresse :
« C’est moi, la maltraitée ! » hurlait-elle. 

L’affaire s’apaisa et les deux femmes s’étant rabibochées, continuèrent à vivre ensemble.
Mais, visiblement leur mésentente n’avait pas cessé et cette mésentente consistait en une succession ininterrompue de petites tracasseries au quotidien, tracasseries qui, mises bout à bout, minaient leur vie commune.

Il fallait à tout prix trouver une solution.


Après cette déposition, le maire convoqua la domestique, Vitaline Lelièvre.
Il voulait entendre la version de la partie adverse, sachant toutefois que les témoignages recueillis n’étaient pas en sa faveur.

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Assise devant le maire, Vitaline Lelièvre se tenait sur ses gardes. Le visage fermé, elle triturait le coin de son tablier, attendant que le maire lançât, le premier, les offensives.
Mais, rien !
Aucune parole ne sortait de la bouche du représentant de la commune qui observait la     domestique, face à lui.
Ce fut Vitaline qui prit l’initiative de rompre le silence.
«  Bon ! C’est point l’ tout, mais j’ai d’ l’ouvrage, alors, c’est pourquoi que j’ suis là ?
Aucune réponse de monsieur le maire.
« C’est la Louise ? Pas vrai ? Elle est v’nue baver sur mon compte ?

Toujours aucun commentaire de Monsieur le maire.
« Moi, j’ sais c’ qu’elle veut, la Louise ? Me j’ter à la rue ! Voilà, c’ qu’elle veut ! Mais j’ suis chez moi ! Elle peut point ! Elle a signé chez l’ notaire !

Monsieur le maire, adossé à son fauteuil, n’avait toujours pas émis une parole, ni bougé ne serait-ce que le petit doigt. Il attendait.
Oui, il attendait le moment où il allait pouvoir trouver la faille pour mettre Vitaline Lelièvre en défaut. Celle-ci semblait d’ailleurs de plus en plus mal à l’aise face au mutisme et au regard fixe de l’homme qui, tout compte fait, représentait un peu la loi dans cette commune.
« Et pis, les autres, là, les voisins, ils ont dû en dire aussi des ment’ries, hein ? Mais, c’est qui la connaissent point la Louise, ça c’est certain ! C’est qu’elle en dit aussi des ment’ries, elle, et pis elle, on la croit ! J’ai rin fait d’ mal, moi ! Rin ! J’suis dans mon droit........

Monsieur le maire venait de poser ses avant-bras sur son bureau, et les mains jointes, fixait toujours Vitaline avec intensité. Puis, s’entend le moment propice, dit posément :
«  Je ne cherche pas les responsables, mais un moyen de mettre fin à toutes vos querelles. Il faut trouver un compromis. D’abord, je vais vous donner lecture de la plainte de Marie Louise Monique Bourdon, veuve Bourdon, dont les nommés François Levif, Pierre Désiré Beaucousin, Louis Médard Bréant et Louis Désiré Bréant, voisins de celle-ci ont confirmé l’authenticité.

Augustin Taurin lut lentement la plainte, tout en scrutant les réactions de la domestique qui se tortillait un tantinet sur sa chaise.
Ayant achevé, il reposa sur le bureau le feuillet qu’il tenait dans ses mains et attendit quelques instants avant de  prendre à nouveau la parole.
« Contestez-vous cette déposition ?
-          Pour sûr ! lança Vitaline. Que des ment’ ries !
-          Il y a eu pourtant des témoins. Moi-même, je suis venu, vous vous en souvenez ?
-          La Louise, elle m’avait poussée à bout !
-          Et ce qui s’est passé hier, avec le couteau ? Vous l’avez blessée, n’est-ce pas ?
-          J’ voulais juste lui r’prendre l’ couteau. Elle v’nait de m’en donner un coup, dans les reins.
-          Vous n’avez pas mentionné cette blessure. Si c’est le cas, il faut la faire constater par un médecin.

Vitaline ne répondit pas, et pour cause, il n’y avait pas eu de blessure.

« Il y a plus grave, Vitaline, poursuivit le maire, l’acte d’achat du terrain que vous avez fait mettre à votre nom. Cela s’appelle un vol.
-          Oh que non ! J’ savais ben que l’ terrain était à elle. C’était pour éviter d’ payer des frais quand elle s’rait morte ! Comme ça, c’était déjà à mon nom.
-          Devant une cour de justice, vous risquez le bagne pour cela.
-          Le bagne !
-          Pensez-y, Vitaline. Si la veuve Bourdon, votre maîtresse, vous mène en justice, vous n’aurez pas gain de cause. Alors, je vous propose de régler tout cela calmement et intelligemment, sans y mêler la justice.
-          Vous m’emmêlez la cervelle. Ça veut dire quoi tout ça ?
-          Vous prenez vos affaires, vos meubles et vous quittez la maison de la veuve Bourdon, et cela immédiatement. Si vous en êtes d’accord, ce qui serait la meilleure des choses, pour vous bien entendu, le bail sera annulé et vous n’aurez plus aucune obligation envers votre maîtresse.
-          Et moi, là-dedans, où j’ vas aller ?
-          Nous vous trouverons un endroit pour vous installer provisoirement, puis vous quitterez la ville.

Vitaline Lelièvre accepta.
Elle n’avait d’ailleurs, étant donné les accusations contre elle, d’autre choix.
Quelque temps après, elle quitta Saint-Aubin-d’Ecrosville.
Pour quelle destination ?
Ça, c’est une autre histoire !


Marie Louise Monique Bourdon, veuve Bourdon, décéda peu de temps après, le 12 mai 1864, dans sa maison. Elle était âgée de quatre-vingt-trois ans.



Une plainte découverte dans un des registres de
Saint-Aubin-d’Ecrosville,
en date du lundi 8 juin 1863.
Un fait divers comme je les aime tant, car permettant
de décrire un épisode de la vie de cette époque d’une manière cocasse,

bien que la situation ne le soit pas vraiment.

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