mercredi 14 février 2018

HISTOIRE DE VILLAGE - Vol de poules à Ecquetot !

Histoire de poules

« Mais voyons, Euphrasie, s’écria le maire, une poule ressemble à toutes les autres poules ! Comment pouvez-vous affirmer que ce sont les vôtres ?
-          Parc’ que j’ les ai r’connues, voilà tout ! D’puis l’ temps que j’ les nourris. Et puis, vous, derrière vot’ bureau, qu’est-ce que vous savez des poules, hein ?

Le maire d’Ecquetot, ne voulant pas mécontenter la plaignante, déjà fort énervée par les évènements, marqua un silence, puis répondit :
« Soit, passons ! Je vais noter que vous avez reconnu trois poules, mises en vente sur le marché d’Elbeuf, comme vous appartenant.

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Pour bien comprendre cette histoire de volatiles, il faut remonter à la nuit du jeudi 20 au vendredi 21 mars 1834, jours précédents le samedi 22, jour du dépôt de plainte de la dite Euphrasie.

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Euphrasie Gantier, la plaignante, vivait avec sa mère, Elisabeth Hemery veuve Gantier.
Depuis que le père, Ambroise Gantier, les avait quittées, le 7 novembre 1822, elles vivotaient toutes les deux en exploitant un petit lopin de terre et élevant quelques volailles et lapins.
Rien de bien folichon, mais faute de mieux, elles devaient s’en accommoder.

Dans cette nuit-là, donc, alors que toutes deux dormaient, alors que tous les habitants d’Ecquetot devaient, eux aussi, dormir, des individus mal intentionnés, souffrant sans doute d’insomnie, s’étaient introduits dans la grange attenante à la maison des deux femmes, et avaient dérobé six poules.
Tout cela sans bruit, car ni Euphrasie, ni sa mère, n’avaient été éveillée par le caquetage effrayé des gallinacés qui passaient leurs nuits perchés sur les bottes de paille entreposées dans la grange.
Six poules !

Quand elles découvrirent le larcin, le lendemain, elles furent dépitées.

« Tu vas voir, dit Euphrasie à sa mère, j’ vas les r’trouver, nos volailles !
-          Mais comment tu f’ras, ma fille ? Elles sont p’t-être déjà à cuire dans un poêlon !
-          J’ vas faire un tour au marché d’Elbeuf.

Alors que le jour se levait à peine, d’un bon pas, son panier sous le bras, Euphrasie s’en alla, encapuchonnée dans son châle, car dehors une gelée matinale avait blanchie l’herbe et emprisonné l’eau des flaques jalonnant le chemin.

A Elbeuf, sur la place du marché, régnait déjà une grande agitation. Euphrasie ne s’attarda pas et alla directement vers les étals où elle savait trouver les animaux de basse-cour, ainsi que tout ce qui était crèmerie. Et c’était là qu’elle les avait vues. Trois de ses poules qui venaient d’être l’objet d’un négoce entre la vendeuse et une fermière qui ne se doutait sûrement pas qu’elle venait d’acquérir des poules volées !

« Attendez ! s’écria Euphrasie en arrêtant l’acheteuse qui, stupéfaite, la regardait les yeux écarquillés. Ces poules m’appartiennent !
-          Elles vous appartiennent ! lança l’acheteuse. Cela m’étonnerait ben, car j’ vens de les payer avec mon pécule.
-          Vous les avez payées, mais elles venaient d’ mett’ volées.
-          Volées !

Les éclats de voix avaient déjà attiré l’attention et un attroupement de badauds s’était déjà formé.

Il y avait là :
La fermière, celle qui avait vendu les trois poules, faisant figures de voleuses.
La fermière, celle qui venait d’acquérir les dites poules et qui ne savait plus que penser. Si, en fait, elle savait qu’elle ne voulait pas être impliquée dans ce qui pouvait être une affaire malhonnête.
Euphrasie, celle qui accusait, convaincue de son bon droit, trop heureuse que son esclandre ait attiré l’attention.

La vendeuse se ressaisit aussitôt. Elle ne pouvait pas se laisser accuser sans répliquer. Son silence serait alors pressenti pour un aveu. Aussi, s’écria-t-elle :
« Mais, j’ai rien volé, moi !  J’ai acheté ces poules à une fille  qui  habite du côté  d’Elbeuf ! J’ suis une honnête femme, moi ! »

Cet incident prenant des proportions considérables et entrainant des commentaires plus ou moins partisans des spectateurs, il fallait se résigner à faire intervenir les forces de l’ordre. Elles arrivèrent en la personne du commissaire de police d’Elbeuf dont la première action fut de confisquer les poules, objet de discorde, afin qu’elles soient présentées, si besoin, au juge d’instruction.
Pièces à conviction, au centre du différend, elles devaient être mises en sécurité.
Puis, une enquête fut diligentée et rondement menée.

Tous les protagonistes de cette histoire furent entendus.
A l’exception des volailles qui, pourtant, étaient les seules à pouvoir rétablir rapidement la vérité.
L’acheteuse fut vite mise hors de cause. Habitant Thuit-Signol, elle venait fréquemment faire son marché à Elbeuf. N’étant plus en possession de son achat, elle fut donc remboursée.
Et voilà pour le premier point !

Passons au suivant, la vendeuse des poules.
Interrogée par le commissaire de Police sur la provenance des volailles, elle parut bien ennuyée.
« C’est que, ces poules, elles sont point à moi !
-          Pas à vous ! s’exclama le commissaire. Ah ! Ah ! Nous y voilà ! Vous avouez donc les avoir volées ?
-          Mais pas de tout ! s’écria la marchande qui se voyait déjà enchaînée au bagne.
-          Alors, reprenons. Elles ne sont pas à vous ? Mais, vous les vendez, sur le marché ? Expliquez-moi comment vous appelez ça, si ce n’est pas du vol ?
-          C’est qu’on m’ les a confiées, les poules, pour les vendre au marché.
-          Ah ! Nous y voilà ! Et qui est cette mystérieuse personne qui vous a, soit disant, donné ces poules à vendre ?
-          Bah ! Y a pas mystère là d’dans !
-          Pas de mystère ? Alors, je vous écoute.
-          C’est la fille aînée au Thomas Paris.
-          Et où demeure cette femme ?
-          Bah ! C’est point difficile. A Ecquetot.
-          Ecquetot ? Tiens, tiens ! Nous irons vérifier.
-          Vous pouvez, car moi, j’ veux point payer pour elle !
-          Une autre question ? Cette  femme vous donne souvent des poules, ou autre chose d’ailleurs, à vendre ?
-          Ça arrive de temps à autre.
-          Et vous n’avez jamais pensé que ce qu’elle vous donnait à vendre pouvait être volé ?
-          Vous croyez qu’ j’ai ça à faire, de penser..... j’ai ben trop d’ouvrages.....
-          Vous savez que vous pouvez être condamnée pour recel ?
-          C’est quoi encore qu’ ça ?
-          C’est le mot donné à la détention de biens volés.
-          Mais, j’ai ren volé. J’ai simplement pris les poules pour les vendre.....
-          Vous ne receviez pas un petit quelque chose sur cette vente ?
-          C’est que........

La pauvre femme, à court de mots, se voyait empêtrée dans une affaire de justice dont elle ne comprenait rien et surtout pas ces termes qui la dépassaient.
Que dire d’ailleurs ?
Elle voyait bien qu’elle aurait toujours tort. Que de tracas !
Et pourquoi tout ce tintouin ?
Pour trois poules !

A ça, en cet instant présent, elle se disait bien qu’elle ne s’y laisserait plus prendre à rendre service. A que non alors !

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Je suppose que l’affaire s’arrangea à l’amiable.
Sauf peut-être pour la dite fille Paris dont je n’ai pas retrouvé trace.

   

Un petit fait divers de voleurs de poules, comme il y en avait tant...
J’ai profité de celui-là,
découvert dans les registres de délibérations
de la commune d’Ecquetot,
m’amusant beaucoup à décrire cette situation,

en en faisant un récit cocasse.

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