Cour d’assises de la Seine – 21 octobre 1902
Leca devant ses juges
Dans la salle d’audience de la Cour d’assises de la Seine, en ce 21
octobre 1902[1], il y
avait beaucoup moins de monde qu’au procès de Manda. Déçus sans doute par
l’audience précédente, morne et sans intérêt, les auditeurs ne s’étaient pas
précipités en masse. Amélie Elie, dite Casque d’or, ne put assister au
déroulement du procès. Sur ordre du président, elle avait été refoulée à
l’entrée de la salle par un garde qui lui intima l’ordre de poursuivre son
chemin, sa présente n’étant pas souhaitée.
Dans le box des accusés, comparaissaient, sous la présidence de
monsieur le conseiller Mirande :
Né le 25 septembre 1874 à Paris, 1 avenue de Bouvine - fils d’Alexis
Leca, gardien de la paix et d’Augustine Richelet.
Un fils de gardien de la paix accusé de tentative d’homicide !!
Leca, de taille moyenne et élancée, portait une petite moustache noire
soigneusement peignée. Rien à voir avec son rival, Manda, dont le physique
était rustre.
·
Georges Erbs – vingt-cinq ans – mécanicien.
Lieutenant de Leca.
Né le 24 août 1876 à Saint-Nicolas-du-Port
(Meurthe-et-Moselle) – fils de Antoine Erbs et Catherine Rickling.
·
Louis Amédée Koch – vingt-deux ans – tourneur
sur cuivre – demeurant 33, rue Vitruve à Paris. Lieutenant de Manda.
Né le 16 février 1880 à Paris – fils de Louis Koch et de Marie Louise
Rotton0
·
Félix Claude Magnin[2]
- vingt-sept ans – électricien. Lieutenant de Leca.
Né le 18 avril 1874 à Paris (Xème arrondissement)
– fils de Félix Edouard Edgar Magnin et Euphrasie Boisset.
·
Victor Jules Voiry – vingt-et-un ans – homme de
peine – demeurant 125, rue de Montreuil à Paris XIème. Lieutenant de Manda.
Né le 9 janvier 1881 à Paris XIIème, 67 rue Reuilly - fils de Victor
Désiré Voiry et de Marie Clément.
Victor Jules Voiry avait pour sobriquet, « Yeux bleus ».
Ces cinq mauvais sujets comparaissaient sous l’inculpation d’homicides
volontaires. Ils étaient défendus par cinq avocats : Messieurs Gaston
Rousset, Henri Gerau, Halgan, Charles Radot et Lucien Leduc.
Après que les cinq hommes aient décliné leur identité, le président
prononça la phrase qui brûlait les lèvres de beaucoup des auditeurs
présents : « Pourquoi cette haine ? »
En effet, Manda étant sous les verrous, l’apaisement aurait dû être de
mise. Alors ?
Ce fut Georges Erbs qui répondit, affirmant que c’était à cause de
Casque d’or.
« Encore ! » faillit s’exclamer le président de séance,
mais il s’abstint, attendant la suite des explications.
Erbs poursuivit :
« Quand l’Amélie avait quitté Manda. Koch aurait bien voulu se
l’approprier, mais ce fut Leca qu’elle préféra. »
Le dénommé Koch, quant à lui, eut une autre version :
« Leca m’en a voulu, parce qu’ quand il a quitté la bande à
Manda, j’ai pas voulu m’allier à sa bande.
-
En réalité, tout prétexte était bon pour vous
entretuer, conclut le président.
Puis s’adressant à Leca, le président Mirande poursuivit :
« Vous avez menacé le sieur Guedenay qui vous avez refusé l’accès
à son établissement de, je cite, « brûler sa boite et lui faire la
peau ». Quand vous l’avez rencontré le 16 avril, vous lui avez tiré
dessus.
-
Des paroles en l’air, pour l’impressionner. Et
le 16 avril, c’est pas lui, mais moi qui ai reçu une balle.
Aux questions du président, Koch et Voiry affirmèrent que la
responsabilité de tout cela incombait à Erbs, Leca et Magnin qui avaient lancé
les hostilités.
Ce fut au tour de Erbs de subir les questions du président.
« J’étais en état de légitime défense. J’ai vu ma maîtresse avec
un inconnu, rue des Ormeaux. Alors j’ai voulu lui dire ma façon d’penser. C’est
l’individu qui a tiré son arme.
-
Vous pouvez affirmer ce que vous voulez,
rétorqua sèchement le président, en l’absence de témoin, nous n’avons aucune
preuve. Uniquement votre parole. Les jurés apprécieront. Et puis, concernant
les coups de feu boulevard Voltaire, ce n’est pas vous non plus, je
présume ?
-
Boulevard Voltaire ? Je n’ai pas fait feu
le premier, non !
-
Bah voyons ! Vingt coups de revolver ont
été tirés, brisant des vitrines de magasins, entre autres. Dix balles sur vingt
ont été retrouvées. Et vous allez nous faire croire que vous n’avez pas tiré.
-
Deux balles seulement, en direction de Guedeney
qui venait de tirer sur moi.
-
Guedenay a soutenu qu’il n’avait pas d’arme et
personne ne l’a vu tirer.
-
Guedenay a tiré, ça j’en suis sûr, une des
balles a atteint Leca. Même que sous le choc et la douleur, Leca, il est tombé et
que c’est moi qui l’ai soutenu.
Tout comme au procès de Manda, il fut entendu toutes les déclarations
possibles et leurs contraires.
Exactement comme des garnements pris en faute : « C’est pas
moi, ce sont les autres !! »
Alors comment démêler le vrai du faux. Ils étaient tous à mettre dans
le même sac !
Les témoins défilèrent à la barre, prêtant serment de dire la vérité.
Mais quelle vérité ? Chacun avait la sienne, selon son ressenti ou
son appartenance à un groupe.
Tout d’abord, le docteur Socquet qui avait examiné les blessures des
différents protagonistes, précisa donc que :
« Les blessures par balles de Koch étaient d’une grande gravité.
Il fut alité une quinzaine de jours. Magnin, lui, reçut un coup de couteau dans
le dos lui perforant les poumons. Son séjour de douze jours à l’hôpital fut
suivi d’une longue convalescence. »
Le dernier témoin à comparaître fut Louise Van Maële, cartonnière,
ancienne et apparemment à nouveau, la maîtresse de Leca.
Très impressionnée et mal à l’aise, se tenant fermement à la barre,
elle dit simplement :
« Pendant trois années, j’ai vécu avec Leca. Il m’a quitté pour
l’Amélie, puis il est revenu, disant qu’il ne voulait plus se séparer de
moi. »
L’amour ça va, ça vient, ça s’en va et ça revient !
Un témoignage qui, ne touchant pas aux faits reprochés à son amant, ne
pouvait nullement influencer les jurés.
L’avocat général, Corentin Guyho, prononça son réquisitoire dont voici
quelques extraits :
« Tous sont coupables, sauf
Voiry sur lequel un doute peut planer..... Magnin paraît être inconscient de
ses actes, agissant par peur. Il mériterait l’indulgence des jurés..... Koch a
frappé son adversaire dans le dos. Un acte lâche, même entre criminels.......
Leca et Erbs, tout comme Koch, ne méritent aucune pitié. Conscients de leurs
actes, entraînant à leur suite les membres de leur groupe, je requiers pour ces
trois-là la peine la plus forte. »
L’avocat général demanda aux jurés d’être sévères, précisant que ces
bandes avaient commis plus de quatre-cent-trente crimes ou délits.
Les jurés se retirèrent pour délibérer.
............... à suivre........
[1] Articles
des journaux suivants : La Presse des 21 et 22 octobre 1902 – Le Radical
du 18 avril 1902 – Le Petit Journal du 21 octobre 1902 – Le XIXème siècle du 22
octobre 1902.
[2]
Plusieurs orthographes pour ce nom, selon les journaux : Magnen – Magnan.
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