mercredi 14 octobre 2020

Nouvelle Histoire vraie - Chapitre 10

 

Nouvelle Histoire vraie

Chapitre 10

Le roman de Marie-Thérèse Marchadier

 

 Il y a des vies qui commencent mal et qui enchaînent les déconvenues.

 Est-ce que ce fut le cas pour Marie-Thérèse Marchadier ?

Assurément. 

 L’acte retraçant sa naissance fut déjà le premier mauvais pas.

Elle naquit le 27 octobre 1881, au 10 rue Saint-Nicolas à Bordeaux, à une heure du matin.

Pourquoi Saint-Nicolas ne s’était-il pas, ce jour-là, penché un peu plus sur le berceau ?

D’ailleurs y avait-il un berceau prêt à accueillir la petite fille ?

 
Ce fut dame Haran, sage-femme de son état, demeurant dans le même immeuble qui assista à la naissance. Ce fut elle, également, qui présenta le bébé à la mairie, le déclarant de sexe féminin, né de Marie-Georgette Marchadier, âgée de vingt-et-un ans,  et de père non-nommé.

 

Qui était Marie-Georgette ?

Elle était née le 30 juin 1860 à Ruffec en Charente.

Et travaillait comme domestique.

 

Un enfant sur les bras, sans mari, ce n’était pas facile.

Que faire ?

Assurément, la petite n’était pas désirée, un accident de parcours suite à une amourette qui avait mal tourné, ou plus exactement, ce fut le père qui avait tourné le dos en apprenant la future naissance.

Les parents Marchadier, avaient-ils été mis au courant de l’état de leur fille ?

Si oui, l’avaient-ils alors mise à la porte ?

Marie-Georgette, avait-elle caché volontairement cette grossesse, attendant sa délivrance pour déposer  la « petite-chose » au tourniquet de l’hospice[1]?

 

Rien pour le dire...... 

 

La petite Marie-Thérèse fit son chemin chaotiquement, dans les rues de Bordeaux où elle gagna un petit pécule.

Gageons toutefois que cette jeune femme n’eut pas la vie très facile.

 

Début 1913, Marie-Thérèse décide de monter à Paris où elle s’installa  dans une chambre rue Saint-Jacques.

Elle s’absentait régulièrement plusieurs semaines pour aller en province. Les gens qu’elle fréquentait alors pendant ces périodes l’avaient surnommé Zaza.

Dans son quartier, à Paris, où elle était appréciée, elle avait été baptisée, « la femme aux chiens ».

Pourquoi ?

Parce qu’elle possédait trois griffons qu’elle chérissait tels des enfants.

Lorsqu’elle s’absentait, elle mettait « ses amours » en garde, et dépensait pour leur soin la somme de cinq francs par semaine, somme astronomique à cette époque et surtout pour des animaux.

 

Les années passant, la jeune femme commença à penser à son avenir.

En 1916, elle avait mis de côté une belle somme d’argent, presque huit mille francs, aussi demanda-t-elle la possibilité de louer un pavillon qui se trouvait derrière l’immeuble où elle demeurait[2]. Son idée était d’y aménager de petits logements meublés et de les sous-louer.

Oui, mais que se passait-il vraiment dans cet endroit où l’on faisait la fête fort tardivement dans la nuit, au grand dam des voisins qui ne pouvaient dormir et où Marie-Thérèse, connue sous le nom de «  la belle Mytèse », régnait en maîtresse ?

 

Arriva ce qui devait arriver.

Plaintes après plaintes, elles étaient fort nombreuses, la demoiselle Marchadier reçut un avis d’expulsion du propriétaire du lieu, avec ordre de quitter la maison et remise des clefs pour le 31 janvier 1919.

 

« Expulsée !! »

Cela ne faisait pas son affaire. Elle devait quitter les lieux, mais ayant englouti toutes ses économies, il lui fallait, assurément, revendre le mobilier pour récupérer un peu de ses fonds.

 

« Pourquoi pas essayer de te caser ? lui avait suggéré une amie et voisine, Madame Le Gallo. Un galant qui t’épouserait et te mettrait à l’abri du besoin. »

 

En effet, pourquoi pas ?

 

Marie-Thérèse Marchadier alla se renseigner dans une agence matrimoniale. Elle en connaissait une qui avait bonne réputation, l’agence Tarty. Ce fut dans ce lieu qu’elle croisa un certain Moret, un habitué. Ils sympathisèrent, discutèrent. Il connaissait bien, ce monsieur Moret, un industriel du nom de Lucien Guillet qui cherchait un local, justement, pour y installer un atelier.

 

Ce fut ainsi que, par l’intermédiaire de monsieur Moret, Lucien Guillet se présenta rue Saint-Jacques.

Cet industriel ne fut pas seulement intéressé par le local, mais aussi par le mobilier.

Il avait un château, avait-il expliqué, qu’il avait besoin de meubler.

Quelle aubaine !!

Mais il ne pouvait pas tout prendre, seulement cinq chambrées.

L’affaire fut conclue rapidement.

 

Quelques jours après cette première entrevue, la belle Marchadier, toute en effervescence, expliquait à la concierge de son immeuble :

« C’est insensé ! J’ai vraiment de la veine. J’ai fait la connaissance d’un type qui a le béguin pour moi. Il m’achète mon mobilier fort cher et m’emmène très bientôt dans sa villa à la campagne... et vous savez quoi ?  Nous allons nous marier !! »

 

A son amie, mademoiselle Poillot, qui avait la même passion qu’elle pour les chiens, elle confia :

« Il est charmant et il aime bien les chiens !! »

 

Les rencontres s’intensifièrent.

Le couple passa les fêtes de Noël ensemble, et parla avenir.

 

« J’ai bien réfléchi à ce que vous m’avez proposé, je ne demande pas mieux que de vivre à la campagne. Depuis longtemps, c’était mon rêve, si ma situation l’avait permise. »

Marie-Thérèse était sous le charme, elle entrevoyait pour la première fois sa vie future sous de meilleurs auspices.

 

« Oui, mon amie, avait répondu Lucien Guillet, mais il ne faudra donner l’adresse de notre maison à personne. Voyez-vous, je vais vous confier un secret, ce qui prouve toute la confiance que j’ai en vous, je m’occupe de contre-espionnage. Je suis attaché bénévole au 2ème Bureau.... »

 

Marie-Thérèse toute frémissante devant un tel secret partagé et bien sûr pour la fonction qui impliquait de grands dangers, promis évidemment.

Contre-espionnage !!!....  La guerre venant de s’achever, elle prit cette information comme des plus plausibles.

 

Le 13 janvier 1919, ce fut le grand départ pour Gambais.

Mademoiselle Marchadier n’emporta qu’une petite valise et ses trois chiens[3].

Deux jours plus tard, le 15 janvier, le sieur Guillet vint déposer les clefs du domicile de Marie-Thérèse, après l’avoir vidé de son mobilier.

 

Plus personne n’eût, à partir de ce jour, aucune nouvelle de la jeune femme.

 



[1] Dans les divers documents découverts par la suite, il est noté « enfant de l’assistance publique », ce qui laisse à penser que Marie-Thérèse fut abandonnée. Marie-Georgette, sa mère, épousa quelques années plus tard, le 9 décembre 1897, Jean Julien Madaune, qui exerçait la profession de pharmacien.

[2] Il se situait au 830 rue Saint-Jacques.

[3] Elle emmena, avec elle, deux chiens lui appartenant et un autre appartenant à son amie, Mademoiselle Poillot.

 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Merci de votre commentaire. Il sera lu avec attention.