Nouvelle Histoire vraie
Chapitre 11
Le roman
de Ernestine Marceline Fernande Segret
Des coups violents frappés contre la porte suivis
d’une sommation : « Police ! Ouvrez », les avaient jetés
hors du lit.
Tout ensommeillée,
les cheveux ébouriffés, Fernande avait suivi son amant jusqu’à la porte
d’entrée de l’appartement.
A peine celle-ci ouverte par l’homme, des policiers
avaient fait éruption dans le couloir et avait lancé : « Henri Désiré
Landru, vous êtes en état d’arrestation !!! ».
« Mais c’est une erreur !! Lâchez-le !
hurlait Fernande. Ce n’est pas son nom. Il se nomme Guillet !!
Elle resta là, hébétée, regardant s’éloigner le
véhicule qui emmenait celui qu’elle devait épouser prochainement, Louis
Guillet.
Troublée au plus haut point, elle se posait une
multitude de questions, d’autant plus que les journaux déversaient quantité
d’informations qu’elle qualifiait de mensongères.
Il y avait erreur, une horrible erreur judiciaire....
Et pourtant, les preuves s’accumulaient et Fernande Segret, malgré tout,
persistait à ne pas croire qu’elle était la seule survivante d’un grand nombre
de fiancées, séduites, courtisées, dépouillées et assassinées par son ex-amant.
Ce fut ce qu’elle expliqua devant les juges du sieur
Landru.
« Un homme si bien, si gentil, si
aimant...... ».
Ce fut une jeune femme mince, presque frêle, qui
s’avança à la barre.
Ernestine Marceline Fernande Segret[1].
Elle était artiste Lyrique et se produisait au « Moulin de la Chanson », 43 boulevard
de Clichy[2].
La pauvre jeune femme, toujours sous le choc, lançait
des regards interrogateurs et suppliants vers son amant qui, assis, dans le box
des accusés, évitait son regard.
Pourtant, après avoir accepté le siège qu’on lui
proposait, elle refusa à plusieurs reprises, malgré de légers malaises et de
longs sanglots, d’interrompre sa déposition.
Alors, Fernande Segret expliqua........
Elle avait rencontré « l’accusé [3]»
en avril 1917. C’était dans l’autobus. Elle était montée à un arrêt et en l’absence
de sièges disponibles, elle était restée debout. Galamment, un homme (l’accusé)
lui avait proposé sa place. Elle l’avait remercié d’un signe de tête et d’un
léger sourire.
Lorsqu’elle était descendue, quelques arrêts plus
loin, l’homme l’avait suivie, avait engagé la conversation, insistant, très
insistant. Elle l’avait éconduit à plusieurs reprises, sans résultat. Il ne
l’avait quitté qu’après lui avoir arraché la promesse d’un rendez-vous, le
lendemain matin.
Il était vrai, qu’elle aurait pu ne pas se rendre,
comme promis, le lendemain matin, place de l’étoile, mais elle était curieuse
de nature, et puis, il faisait beau.
Elle n’avait pas regretté. Elle avait passé une
agréable journée.
Cet homme, l’accusé, avait été charmant. Ils avaient
canoté sur le lac du Bois, ils avaient déjeuné en discutant de tout et de rien,
du temps, des courses, des spectacles qui étaient donnés...
Elle avait parlé d’elle, beaucoup.
Il avait parlé de lui, avec parcimonie.
Cet homme s’était dit se nommer, Louis Guillet, ingénieur.
Il était venu se réfugier dans la capitale où il avait loué un petit
appartement 32, rue de Maubeuge. Mais cette situation n’était que provisoire.
Oui, provisoire, car quand la guerre serait finie, il
retournerait dans le Nord.
Ce fut à la fin du mois de juillet 1917 que l’accusé
lui avait fait une demande en mariage. Elle fut très surprise de cette
précipitation. Elle avait toutefois mûrement réfléchi.
Elle était fiancée, mais elle n’était plus réellement
certaine de ses sentiments.
Alors, pourquoi pas ?
Monsieur Guillet lui offrait une vie stable et bien
qu’elle n’en fût pas amoureuse, elle ressentait pour lui une immense sympathie.
Alors, elle accepta.
Avant le mariage, il y avait toujours le passage
obligé des fiançailles.
Avant les fiançailles et le mariage, il fallait
l’approbation des parents de la future.
Ce fut ainsi que les promis rendirent visite à la mère
de Fernande[4].
Pour cette première visite de rencontre et de demande,
le futur avait apporté à celle qui devait devenir prochainement sa belle-mère,
un énorme bouquet de fleurs.
Et pour la rassurer sur ses honnêtes intentions, avait
déclaré :
« Fernande m’apporte sa jeunesse. Je lui ferai
une situation. Je ne lui demande pas un centime[5]. »
La date des fiançailles fut arrêtée à Pâques 1918 et
pour le mariage, il fallait attendre que le futur marié puisse, enfin,
récupérer ses papiers d’identité, sa commune de Rocroi ayant été détruite par
l’ennemi.
Le jour des fiançailles arriva..... mais pas le
fiancé !!! Les invités attendirent, attendirent..... et entendirent un
coup de sonnette.
Hélas, trois fois hélas..... ce n’était qu’un
télégraphiste apportant une dépêche :
Le fiancé avait dû se rendre précipitamment en
province.
« Je te l’avais dit ! » avait
seulement lancé la mère de la fiancée délaissée qui pleurait à chaudes larmes,
avant d’ajouter :
« Et c’est mieux ainsi !! »
Toutefois, quelques doutes commencèrent à germer dans
la tête de cette mère.
Qui était réellement cet homme, en plus d’être un
mufle qui faisait pleurer sa fille ?
Un hasard fit que le maire de Rocroi, chassé de sa
commune par les bombardements, se trouvait, lui aussi, réfugié à Paris.
Mère et fille lui demandèrent un entretien.
« Non, non, avait-il répondu en se grattant le
menton, signe d’une grande réflexion. Je n’ai pas d’administré du nom de
Guillet. Aucune famille de ce nom dans ma commune et pas, non plus à ma
connaissance, dans les villages alentours. »
Pourtant, malgré cette réponse et les doutes
persistants, les fiançailles eurent lieu le mois suivant, au domicile[6]
du fiancé, qui cette fois-ci, était présent.
La date du mariage fut arrêtée pour la fin de l’année
1918.
L’armistice ! Enfin !
La fin des hostilités. Les soldats, peu à peu, revinrent
dans leur foyer.
Et ce fut le cas aussi pour l’ex-petit-ami de Fernande.
Retrouvailles émouvantes pour les deux jeunes gens.
Avec beaucoup d’emphase, Louis Guillet, théâtral
clama :
« La jeunesse va à la jeunesse. Je suis prêt à
me sacrifier. Faites votre vie ! Soyez heureux ! »
Mais, pour Fernande Segret, comme elle le précisa
devant le tribunal, une promesse était une promesse. Elle refusa de reprendre
sa parole. Elle refusa le sacrifice de son promis qui sortit grandi dans son
estime. Un homme capable d’une telle abnégation par amour ne pouvait être qu’un
homme bien !
Janvier 1919. L’heure des vœux traditionnels, le
mariage n’avait toujours pas eu lieu.
Monsieur Guillet prétendait ne pas avoir encore, en sa
possession, les documents nécessaires à la publication des bans.
Cela venait aussi, et Fernande l’apprit alors, que son
amant appartenait à la police secrète, celle du contre-espionnage.
Malgré tout, ils coulaient tous deux des jours
heureux. Elle au théâtre. Lui, va savoir !
Ils étaient devenus amants, vivaient ensemble et
passaient de fréquents moments à Gambais où le sieur Guillet possédait une
maison de campagne.
Fernande aimait cette maison dans laquelle elle
n’avait jamais rien remarqué de suspect.
La dernière fois qu’ils s’y étaient rendus, le 4 avril
1919, elle avait cuisiné elle-même, se servant pour cuire le repas de ...... la
cuisinière.
A cette pensée, Fernande frissonna et se sentit
défaillir.
Toute sa vie s’écroula au petit matin du 12 avril
1919.
A de nombreuses reprises, alors qu’elle expliquait les
faits, Fernande avait regardé « l’accusé » qui n’avait jamais daigné
lui adressé la moindre attention.
Un coup dur pour cette jeune femme qui quitta la
France aussitôt après la condamnation et l’exécution de celui qu’elle a
toujours cru innocent. Elle alla s’installer au Liban où elle fut institutrice
ou gouvernante. Enfin, elle disparut dans l’anonymat.
Toutefois, elle publia ses mémoires.
Elle ne reparut, en France, qu’en septembre 1965 pour
demander des dommages et intérêts à Claude Chabrol. En effet, elle se déclara
ridiculisée dans le film « Landru » que le cinéaste venait de
réaliser et dans lequel elle était représentée sous les traits de l’actrice
Stéphane Audran.
Elle demandait un dédommagement de 200 000 francs[7].
Ernestine Marcelline Fernande Segret se suicida le 21
janvier 1968 à Flers.
Toute sa vie, elle resta fidèle à la mémoire de son
amant.
[1] Née le 22
décembre 1892, dans le 5ème arrondissement de Paris.
[2] Le Moulin de la Chanson, cabaret ouvert en 1913,
ferma rapidement ses portes, au profit d’autres cabarets plus prisés, sur le
même boulevard, tel le « Moulin Rouge ». Tout au long du
« procès Landru, de nombreuses personnalités du spectacle de l’époque
étaient présentes : Mistinguett – Maurice Chevalier......
[3] Ce fut ainsi qu’elle dénomma son ancien amant, Henri Désiré Landru, tout au long de son témoignage.
[4] Peu d’informations sur les parents de Fernande Segret, Ferdinand Gustave Segret et Marie Louise Périgaud. Apparemment, ils étaient séparés, mais aucune preuve formelle.
[5] Une jeune fille devait, à cette époque, apporter son trousseau constitué du linge de maison et une dot, somme d’argent plus ou moins importante.
[6] Guillet-Landru avait emménagé peu avant rue Rochechouart.
[7] Je ne pourrais vous dire si elle a gagné.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Merci de votre commentaire. Il sera lu avec attention.