mercredi 1 juillet 2015

EN FEUILLETANT LA GAZETTE - JOURNAL DE ROUEN - JUILLET 1784



Journal de Rouen – juillet 1784

Avant 1789, les annonces du journal de Rouen  concernaient l’immobilier (ventes, achats de biens et location de fermage), mais aussi objets perdus ou trouvés, offres et demandes d’emploi.
Rien sur les affaires politiques, rien sur les autres régions et pays étrangers.


Le 2 juillet 1784


Pour exemple, voici une offre qui dut intéresser un grand nombre de jeunes femmes de 30 à 35 ans libres et honnêtes, mais aussi bien d’autres, un peu moins libres et pas honnêtes du tout..

« Un homme veuf, septuagénaire, prés de quitter le commerce, désirerait trouver une fille honnête, âgée de trente à trente-cinq ans, pour demeurer chez lui, avoir soin et de son linge et de sa personne, enfin une fille de compagnie, son dessein étant toujours d’avoir une autre domestique pour la cuisine et le ménage ; il ferait à cette demoiselle un sort heureux tandis qu’il vivrait, et en cas de son décès, il lui laisserait de quoi vivre honnêtement sa vie durant. »


Il fallut, aux femmes, attendre le milieu du  XXème siècle pour être une « personne responsable à part entière ». Avant, elles étaient considérées comme incapables de gérer seules leur vie, dépendant d’un père ou d’un mari.
Dans les familles pauvres, dés leur plus jeune âge, elles étaient placées petites servantes dans une ferme ou dans une maison bourgeoise.
Si elles se retrouvaient veuves, trouver une place de servante était une aubaine car logées, nourries, blanchies et habillées. Bien sûr, débout à l’aube, couchée fort tard, elles effectuaient tous les durs travaux en étant souvent sévèrement rudoyées par leurs maîtres.

Combien de femmes se sont présentées au bureau des annonces en ce mois de juillet 1784 ?
Assurément, un grand nombre

J’imagine le défilé de sourires, de minauderies, de regards aguicheurs, plus ou moins feints, pour décrocher cette place prometteuse.
Le choix a dû être compliqué pour ce veuf. Quels certificats de « bonne et honnête conduite » étaient demandés ?
Et puis, qu’entendait ce veuf septuagénaire par « de fille de compagnie » ? Qu’impliquait cette fonction ?

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« Une nourrice dont le lait est de trois mois offre de prendre l’enfant d’une personne en place ; elle demeure dans un des faubourgs de cette ville.
S’adresser chez M Sevrin tapissier-fripier, rue de Crosne »


Il y avait nourrice et nourrice ! « Nourrice allaitante » et « nourrice au biberon ».
Les femmes de la noblesse ou de la haute bourgeoisie n’allaitaient pas leurs bébés. Souvent elles embauchaient une nourrice, femme venant d’accoucher elle aussi, pour s’occuper de leur enfant à demeure. Cette femme devait alors mettre son propre enfant en nourrice.
Etre nourrice dans une « grande maison » possédait beaucoup d’avantages et notamment ceux d’être bien nourrie, bien logée dans une pièce près de l’enfant et bien habillée.
Elle devait être « présentable » (ne représentait-elle pas le bon train de maison de la famille ?), et surtout, ne pas tomber malade, car son lait altéré par une maladie aurait été néfaste à la santé du nourrisson.
L’annonce ci-dessus concerne une jeune femme qui a un enfant de trois mois et souhaite, pour se faire un petit peu d’argent, prendre chez elle un nourrisson.
La mort de son bébé avait-elle été à l’origine de cette annonce ?


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9 juillet 1784


« A vendre une charge de porteur de sel au Grenier de Rouen, chambre de la Bouille et caves de Dieppedalle ; elle est exempte de tutelle, curatelle, logement de gens de guerre et autres charges publiques.
S’adresser à m. Varengue Notaire »


Le sel, monopole royal, était taxé. Cet impôt, la gabelle, représentait environ  6% des revenus royaux.

Entreposé dans des greniers ou chambres à sel, le sel était vendu par des grenetiers, qui sous contrôle, majoraient le prix de vente d’un droit dont le montant était fixé par le Roi et reversé au Trésor Royal.

La Normandie, tout comme l’Ile de France, recevait du sel en provenance des marais salants de l’Atlantique. Ces régions, selon l’ordonnance de mai 1680, se situaient dans le pays de « Grande Gabelle ». En effet, cette ordonnance avait divisé le royaume en régions qui se voyaient différemment imposées sur le sel en fonction de leur éloignement à un lieu de production saline.
Les pays de « Petite Gabelle », dans le quart sud-est, se ravitaillaient aux marais salants de Méditerranée. Peu de consommation par rapport à la production, le prix du sel était donc très bas.
Les « Pays rédimés », dans le quart sud ouest, ne bénéficiaient que d’un sel noir  médiocre et très bon marché. Ses habitants pouvaient donc consommer à volonté.
Les « pays de salines », au Nord-est bénéficiaent du sel gemme de Franche-Comté et de Lorraine.
La Basse-Normandie faisait partie du « pays de quart bouillon ». Son sel était extrait du sable grâce à un traitement par ébullition. Le roi percevait sur sa vente, un droit du « quart » d’où son nom.
Il y avait des « pays exempts », dans lesquels le commerce de cette denrée ainsi que son prix étaient libres : Flandre – Artois – Boulonnais – Navarre et surtout la Bretagne.
Un statut privilégié, mais aucune infirmation sur ce privilège, pour Paris et Versailles.
Quant à la Corse, elle n’était pas soumise à la gabelle.

Toutes ces disparités incitaient, bien évidemment à la fraude et à la contrebande.
Mes contrebandiers, nommés faux-sauniers, risquaient jusqu’à la peine de mort pour leur commerce illicite.
Des agents de la Gabelle, les gabeleurs, employés dans les « Fermes du Roy » faisaient donc de nombreux contrôles, allant jusqu’à se présenter chez les habitants pour vérifier la quantité de sel qu’ils avaient à leur domicile, vérifiant méticuleusement si cette quantité n’était pas, par le hasard de la fraude, supérieure au chiffre noté sur le billet de gabellement en leur possession, document attestant la quantité de sel achetés au grenier à sel et la date de l’acquisition. En cas de fraudes avérées, les sanctions tombaient : amendes, emprisonnement, peine de mort.
Le canton de Duclair comptait 491 employés à la Révolution. Après l’abolition de la gabelle, ils devinrent pour la plupart, douaniers.

Les greniers à sel étaient des entrepôts de l’Etat qui prélevait « la gabelle ». Le sel, amené des lieux de productions était mis à sécher dans les chambres de dépôts pensant deux ans.
Les habitants des paroisses environnantes devaient venir y chercher tous les ans le « sel du devoir », 3.5 kgs par personnes de plus de 8 ans.

Greniers à sel de la généralité de Rouen au XVIIème siècle :
Des chambres de dépôts dépendant d’un Grenier à : Eu – Dieppe – Fécamp –Le Havre – Honfleur – Harfleur – Pont-Audemer -.
Des greniers de ventes volontaires à : Lisieux – Bernay – Evreux – Louviers – Vernon – Les Andelys – Pont-de-l’Arche – Rouen – Caudebec – Gisors – Gounay – Neufchatel.
Des greniers d’impôts : Le Tréport – Saint-Valéry – Quillebeuf - La Bouille – Dieppedalle.

sources
Lexique historique de la France d'Ancien Régime, G. CABOURDIN et G. VIARD,
L’impôt des gabelles en France aux XVII et XVIIIème siècle ; Jean Pasquier
Paris, Armand Colin, 2006, 3e édition.
Dictionnaire illustré de l’histoire de France, A. Decaux et A. Castelot

Je recherche actuellement dans quelle paroisse se situait le grenier à sel de Rouen. Je suppose non loin du port. Je ne manquerai pas de vous faire part de mes trouvailles dans un autre article. Mais, bien entendu si vous avez des pistes n’hésitez pas à m’en faire part.
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« Une femme de quarante ans désirerait trouver place chez un monsieur seul ou une dame dans un couvent, elle se propose aussi pour gouvernance d’enfants
S’adresser à M Ballant, dentiste, à l’entrée de la rue Beauvoisine »

Voilà une femme seule a présent recherchant monsieur seul, lui aussi …….

Ne pourrait-on pas mettre en relation cette femme et l’homme septuagénaire ? A mon avis, ils seraient faits pour s’entendre ?
Zut ! La dame est sûrement trop âgée ! Quarante ans !!

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Voilà une annonce bien particulière et qui a dû attirer l’attention. Ce professeur, afin de mettre en avant ses connaissances, a rédigé le texte en Anglais et en Français, petite initiative qui lui valut l’avantage de toucher, en une fois, un plus large public.


“John Ducout teaches English, French, Latin, Geography with out the use of the Globes and the art of reading.
John Ducout montre l’Anglais, le Français, le Latin par principe, la géographie, dans l’usage des Globes, l’art de bien lire.
Il demeure rue Tirhuit, chez M. Le Courtois, porte Saint Eloi. »


John Ducout habitait la rue Tirhuit, rive droite de la Seine.
« Tirhuit »  nom provenant assurément de huis, signifiant porte. En effet, cette rue se situait non loin des remparts, près de la porte Saint-Eloi.
Cette rue porte aujourd’hui le nom de l’architecte Defrance (Jean-Pierre 1694-1768). Elle se situe à quelques pas de la  rue Poussin.
Jean-Pierre Defrance,  sculpteur et architecte français, né le 8 décembre 1694 à Rouen et décédé à Rouen  le 22 mars 1768.
Connu pour ses nombreuses interventions dans les anciennes églises de Rouen et sa participation au décor de la fontaine du Gros-Horloge.

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Puis cette autre annonce proposant également un enseignement de qualité.

« Un abbé anglais, connus de plusieurs personnes de distinction de cette ville, enseignera les principes de sa langue, 4 fois par semaine, depuis 9 jusqu’à 11 heures du matin, à 3 livres par semaine, chez lui ; le reste du temps, il le dévouera à l’instruction des pensions et des particuliers qui désireraient profiter de ses leçons, chez eux. Il ose se promettre des progrès rapides de la part de l’esprit et de l’application, et il se fera un plaisir de répondre aux difficultés les plus embarrassantes, et de faire goûter les beautés de Milton et autres écrivains les plus célèbres.
S’adresser chez M Maze, rue Boudin. »


Perpendiculaire à la rue Saint-Lô et à la rue aux Juifs, la rue Boudin, à Rouen, longe l’arrière des bâtiments composant le Palais de Justice.
Etre professeur, sous l’Ancien Régime, n’était autre qu’un emploi équivalent à domestique, ce qui fait que très souvent les professeurs vivaient dans la misère.
Etre précepteur à demeure dans une famille noble était une rude tâche, elle impliquait  l’éducation et l’instruction des enfants.

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