La
pièce apparut dans une extrême pénombre et il fallut à Jacques un temps
d’adaptation pour distinguer ce qu’elle contenait.
Sous
une légère couche de poussière, les objets semblaient ensommeillés dans le calme des lieux. Jacques eut
l’impression de profaner un sanctuaire et resta un moment sur le seuil,
indécis. Il avait, croyait-il, transgressé un interdit et se sentait en faute.
Se
ressaisissant, il fit quelques pas et se trouva au centre de la pièce. Au fond,
il distingua une lourde armoire aux portes sculptées qu’éclairait un pâle rayon
de lumière provenant d’une petite lucarne. A l’intérieur de ce meuble imposant,
Jacques découvrit des robes de femme et du linge de maison brodé aux initiales
entrelacés « C-P » : Clarisse – Palmyre.
Il
s’agissait là du trousseau que sa tante, comme toutes les jeunes filles de
l’époque, avait brodé de ses mains avant son mariage.
Il
caressa d’une main timide les draps aux ourlets ajourés, les serviettes et
nappes aux broderies fines et régulières, les chemises de nuit et de jour
marquées au fil rouge, au point de croix du « C » de Clarisse.
En
un instant, il revit sa mère et sa tante cousant dans le jardin, le dimanche
après-midi, tout en surveillant la marmaille remuante et braillante, en
discutant calmement et chantant de concert les derniers refrains à la mode.
Se
retournant, son pied heurta un objet. Il se pencha, le ramassa et découvrit une
petite barque taillée dans un morceau de bois. Il se souvint, il y avait de
cela quelques années, d’une journée au bord du ruisseau. Quelle
journée !!!
L’oncle
Palmyre avait réalisé plusieurs navires du même modèle pour tous les garçons.
Avec ses frères et ses cousins, ils avaient donc décidé d’organiser une course
avec les petits bateaux sur le petit cours d’eau en bas de la propriété.
Quels
éclats de rires !
Les
frêles embarcations ballottées par les eaux se prirent dans les roseaux et les
herbes couvrant le fond du lit. Pour les récupérer, tous se jetèrent à l’eau.
De
retour, trempés, voire détrempés, mais heureux de ce bon moment partagé, quelle
volée chacun prit par sa mère respective.
« Vous
auriez pu vous noyer ! »
« Quelle
imprudence ! »
« Ils
vont attraper la mort ! »
Les
deux belles-sœurs furieuses, renchérissaient l’une l’autre sur les conséquences
d’une pareille épopée, tout en déshabillant, séchant et frictionnant leurs
progénitures.
Les
garçons, quant à eux, gardaient le profil bas, mais se regardaient en coin, le
sourire aux lèvres.
Jacques
ouvrit alors une boite qui dévoila un enchevêtrement de guirlandes dorées, de
boules en verre richement ornées et de petites pinces en métal emprisonnant
encore pour la plupart de petites bougies à demi-fondues.
Décorations
du dernier Noël en commun avant l’épidémie qui avait décimé la population et
qui emporta ses deux cousins, sa petite cousine Henriette et sa tante ;
mais aussi deux de ses petits frères, les jumeaux Albert et Léonce.
Après
la messe de minuit et le retour dans la nuit froide sur le chemin recouvert de
neige, ils s’étaient tous réunis autour d’un immense sapin scintillant, sur le
bout des branches duquel les petites bougies brillaient d’une flamme
vacillante.
Quelques
petits cadeaux, modestes certes, mais chacun avait reçu le sien.
Moment
festif, réunissant la famille encore composée de tous ses membres.
Les
jumeaux venaient de naître. Maman était aux anges. Les poupons étaient si beaux
et en parfaite santé.
La
petite Henriette avait même fait ses premiers pas, ce soir-là, en cherchant à
atteindre les guirlandes.
Son
père et l’oncle Palmyre, beaux-frères, s’entendaient à merveille et aucune
jalousie ne venait assombrir l’entente des deux belles-sœurs, mères comblées malgré
les multiples grossesses et les aléas de la vie. Il fallait faire face et elles
savaient le faire, sans montrer ni leur fatigue, ni leurs soucis, même si
quelque fois, les larmes envahissaient leurs yeux.
Refermant
la boite, son regard se porta sur un gros livre à la couverture rouge. Jacques
s’en empara et avant de le feuilleter, souffla dessus pour en faire s’envoler
la poussière.
« Robinson
Crusoé, lut Jacques à haute voix, Daniel De Foé… »
Il
connaissait bien cette histoire. C’était le livre préféré de tante Clarisse.
Elle en lisait parfois des extraits. Les enfants s’asseyaient alors par terre
autour d’elle, attentifs, passionnés.
L’esprit
de Jacques vagabonda alors vers ces contrées lointaines où vivaient des hommes
dits « sauvages », vivant à demi-nus et à ces caravanes de chameaux
chargés de marchandises, traversant le désert.
Soulevant
le couvercle d’un coffre, il aperçut un automate sur son socle. Il représentait
un petit violoniste. Jacques remonta le mécanisme à l’aide de la petite clef
placée sur le socle. Le bras du petit musicien se mit à bouger d’un mouvement
répétitif, accompagné de quelques notes de
musique.
Du
vivant de tante Clarisse, cet objet trônait sur le dessus de la cheminée. Il
était interdit d’y toucher, seule tante Clarisse avait le droit de remonter
délicatement le système, devant les yeux émerveillés des enfants. Mais il
fallait, par une conduite exemplaire, mériter cette petite attraction.
Au
fond du coffre, Jacques découvrit une partition de musique.
« Jean
Sébastien Bach », lit-il, et sa voix prit une ampleur inattendue dans le
grenier vide.
« C’est
vrai, se souvint-il tout haut. Tante Clarisse jouait du piano. Il lui arrivait
même de jouer sur l’orgue de l’église lors des différentes cérémonies, tels
baptêmes et mariages. Les enterrements étaient silencieux. Pas de musique ce
jour-là ! »
Il
revit les doigts agiles de sa tante courir sur le clavier et le regard empli de
fierté de l’oncle Palmyre.
Les
yeux de Jacques se posèrent alors sur un chapeau de paille. Il le reconnut tout
de suite. Clarisse le portait l’été lorsque, tous, dans le verger, sous les
rayons ardents du soleil, ils cueillaient les fruits. La cueillette, certaines
années, était abondante. Quels maux de ventre également lorsque la gourmandise
faisait manger, plus que de raison, les fruits juteux et sucrés.
Les
jours suivant, dans la cuisine, flottait une agréable odeur et les pots en
verre se remplissaient de superbes confitures, pour agrémenter les desserts
tout au long de l’hiver. Les tartines de confiture encore tiède faisaient alors
d’excellents goûters pris sous les arbres ou la tonnelle, non loin du logis.
C’était
là où tout prenait sa réelle dimension entre « cousins-cousines ».
Les filles faisaient bande à part, jouant avec leurs poupées de chiffon ou de
porcelaine, préparant de succulents repas dans des dînettes richement décorées.
Les garçons grimpaient aux arbres, construisaient arcs et lance-pierres,
toujours en quête d’aventures, ou pêchaient des grenouilles dans la mare.
Jacques
se sentit soudain submergeait par tant de souvenirs. L’envie de fuir le prit et
il sortit du grenier en courant, refermant rapidement le local dont il
suspendit la clef au clou qu’elle n’aurait jamais dû quitter.
-=-=-=-=-=-
Jacques
s’allongea sur son lit et s’endormit. Mais son sommeil fut agité. Présent et
passé se mêlaient avec les bons et les mauvais moments. Lorsqu’il s’éveilla, la
nuit avait envahi sa petite chambre. Il descendit à tâtons dans la cuisine,
alluma une chandelle et fit un feu dans la cheminée.
Quelle
heure était-il ? Son oncle ne devrait pas tarder.
Lui
dirait-il sa visite du grenier ? Il ne savait pas. Il verrait bien le
moment venu.
Tard
dans la nuit, l’oncle Palmyre rentra. Il fut étonné de trouver son neveu assis
au bout de la table, l’air songeur.
« Pas
couché, fils ? » lança-t-il. « Tu vas être fatigué pour
reprendre la besogne demain. »
Pendant
que Palmyre accrochait son chapeau et retirait sa veste, Jacques dit
timidement :
« Dimanche
prochain, est-ce que je pourrais me rendre chez mes parents ? Cela fait
longtemps que je n’ai pas eu de nouvelle. »
Palmyre
se retourna et avec un grand sourire répondit :
« Tu
as raison, fils, c’est une bonne idée ! »
Puis,
il ajouta :
« Et
si tu le veux bien, je t’accompagnerai, le chemin semblera moins long ainsi. Et
puis, cela fait bien longtemps que je n’ai pas embrassé ma sœur. »
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