jeudi 18 octobre 2018

HISTOIRE DE VILLAGE - 1792 Villettes


Fin possible  - numéro 2

L’engagement - première partie


Assis sur un étroit banc dans une petite cellule attenante à la salle d’audience du tribunal d’Evreux, Jean Jacques Philippe Signol était anéanti.
Coudes sur les cuisses, tête dans les mains, résonnait encore en lui le verdict du jugement. « Condamné à la peine de mort..... ».
Sa vie allait donc prendre fin bientôt, sous le couperet de la guillotine.
Il serait mené à son ultime supplice, revêtu d’une chemise rouge, le visage voilé d’une étoffe noire, comme le voulait la loi lorsqu’il s’agissait de parricide.
« Condamné à la peine de mort pour assassinat avec préméditation... »

Oui, ces mots sonnaient en lui comme le marteau sur l’enclume, comme les cloches tintant le glas, le glas lugubre de l’annonce d’une mort, de sa propre mort. Une mort honteuse avant laquelle il sera la cible des huées, des jets de pierres et de crachats de tous les honnêtes gens venus assister, comme il l’avait fait lui-même plusieurs fois, à ce spectacle morbide.
Cette vision de sa tête tombant dans le panier empli de sciure de bois et de son corps, raidi dans le trépas, jeté de côté, Jean Jacques Philippe Signol faillit se mettre à hurler.
L’air lui manquait, mais l’air ne lui marquerait-il pas encore plus dans quelques jours ? Cette nouvelle pensée, malgré le tragique de sa situation, faillit le faire sourire.

Que pouvait-il faire à présent ? Rien d’autre qu’attendre.
Attendre que la porte de cette cellule s’ouvre.
Attendre que les deux gendarmes le ramènent à la prison de Louviers.
Attendre dans cette salle commune malodorante de la prison, le jour fatidique où à l’aube du jour choisi par la justice, il entendra son nom lancé par le geôlier l’avertissant que le moment était venu.
Il pensa à sa mère. Elle était là, Marie Marthe Pelletier veuve Signol, présente lors du procès, petite chose ratatinée par les années de dur labeur, le visage chiffonné de rides par trop de soucis, les yeux bleus délavés d’avoir trop souvent pleuré.
Leurs regards s’étaient croisés un instant et dans celui de sa mère, il n’avait vu que de la tendresse. Elle fut appelée à témoigner, mais perdue devant les juges, Marie Marthe n’avait su que bredouiller, en évoquant, comme une circonstance atténuante, la relation entre son fils et  son défunt mari :
« Ces deux-là, ils avaient le même caractère ! »
Et puis, d’une voix peu convaincante, avant de se murer dans le silence :
« j’ sais pus moi, c’ qui s’est passé ! Mon homme, i’ est tombé. L’fils y est pour rin ! » 

Jusqu’au bout, elle avait défendu son petit. Mais les juges savaient bien qu’une mère défend toujours son enfant, alors les paroles de la vieille femme ne pesèrent pas bien lourds.
La dernière vision que le condamné eût d’elle, mère aimante et protectrice, ce fut des yeux emplis de détresse d’où coulaient de grosses larmes.
N’en avait-elle pas assez versé, pauvre Marie Marthe, tout au long de sa vie ? Et souvent, il le savait, à cause de lui et de son caractère emporté.
Bientôt, sa mère n’aurait plus à supporter ses colères.
C’en était fait de lui.
Encore quelques jours à vivre.
Le moins possible, pensa-t-il, l’attente lui serait infernale dans cette incertitude, souhaitant tout en craignant, son ultime épreuve.

Jean Jacques Philippe ressassait sans cesse les événements de ces derniers jours, essayant de comprendre comment et pourquoi, il en était arrivé là.
Tout avait été si vite.

Oui, très vite depuis cette fin d’année 1789.
Depuis cette date, changements après changements, puis surtout ordres après contrordres, les hommes semblaient pris d’effervescence. Il fallait changer, tout changer.....
Lui, Jean jacques Philippe avait vu l’opportunité de faire quelque chose de sa vie, de devenir quelqu’un d’important, alors il s’était engouffré dans ce combat révolutionnaire. La République cherchait des hommes de bonne volonté croyant en Elle et en l’égalité qu’Elle souhaitait instaurer entre les hommes. Il y croyait ferme, lui, Jean Jacques Philippe, alors il se porta volontaire pour les réquisitions. Il fallait de tout pour les troupes qui se battaient pour la liberté aux frontières du pays. Des vivres, des chevaux, de la paille, du blé....... du vin. Et il n’y avait que dans les fermes que l’on pouvait se les procurer.
Même si ils recevaient un paiement en dédommagement, celui-ci était plus que dérisoire, aussi, beaucoup de fermiers refusaient ce simili de commerce. C’était le fruit de leur labeur qu’on leur volait, et même si on les remerciait en ces termes : « Citoyen, la République te remercie et te le rendra ! », ils n’y croyaient pas du tout. Belles paroles que tout cela ! Paroles qui ne seraient pas suivies des faits.

Les réquisitions finissaient le plus souvent par des perquisitions. En effet, pour éviter de mourir de faim, pour ne pas se démunir en semences pour l’année suivante, les paysans cachaient des sacs de blé et diverses denrées.

Jean Jacques Philippe n’avait pas le beau rôle. Il connaissait tous ceux qu’il venait piller. Pas de sentiments ! Quand il apprit qu’il devait réquisitionner le cheval de son père, il comprit qu’il s’aventurait dans un sombre marais. Longtemps, il avait réfléchi  à la manière d’amener la conversation sur le sujet, sachant que cette bête avait une grande importance pour son père. Sans elle, il ne pourrait plus labourer ses terres, ramener son bois au village, aller vendre ses produits au marché au Neubourg ou à Louviers.
Pris entre son devoir et son amour filial, il oscillait, mais si il échouait quelqu’un d’autre viendrait. Alors, il n’eut pas le choix.

Non, ce n’était pas sa faute !
Ce n’était qu’un tragique enchaînement de circonstances.
Un mot qui en entraîne un autre. Et puis, tout cela pour un cheval, une vieille carne percluse de rhumatismes.

A quoi bon ressasser tout cela.

La porte de la cellule s’ouvrit .........

..........à suivre ...............

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