mercredi 30 janvier 2019

HISTOIRE VRAIE - ROUEN A LA FIN DU XIXème SIECLE.




Chapitre 4

Retournons un peu en arrière, rue des Charrettes où les quatre voisins revinrent accompagnés des deux agents de sûreté.
Sur les lieux, devant  la macabre découverte, les deux agents trouvant la situation critique (ne l’était-elle pas d’ailleurs ?) allèrent en informer  leurs supérieurs qui, réveillés en plein sommeil, se déplacèrent au plus vite. L’affaire n’était-elle pas d’importance ?
Ce ne fut pas n’importe-qui qui arrivèrent en renfort rue des Charrettes, loin de là, mais :
·         Monsieur Masquin, commissaire central.
·         Monsieur Collignon, commissaire de police.
·         Monsieur Prost, chef de sûreté.
Ils établirent rapidement et efficacement  leurs premiers constats.
1.       Le sieur Dubuc, limonadier, était bien décédé.
2.       Il s’agissait bien là d’un meurtre.
3.       Il y avait eu vol également. Le mobile de cette agression mortelle bien évidemment.
4.       Sur le sol, un trousseau de clefs, celui rassemblant assurément toutes les clefs de l’établissement dont celle, sans doute, du coffre-fort.
5.       Un tire-bouchon très court, au manche de corne, près du cadavre, attira leur attention. Un tire-bouchon ? Quoi de plus naturel dans un débit de boissons ! Mais celui-ci, un tantinet tordu, maculé de sang coagulé et portant quelques cheveux, semblait être, après constatation, l’arme du crime. Mais prudence, il fallait s’en assurer !

Après ces cinq constats, il ne restait plus qu’à préciser quelques détails et découvrir ce qui s’était réellement passer entre 11 h 30 du soir et 0 h 30 du matin, dans cette nuit du 6 au 7 mai 1890.

Ce furent là qu’intervinrent les témoins, ceux qui les premiers avaient entendu les appels à l’aide et découvert le défunt, et les derniers à avoir vu le sieur limonadier vivant, la femme Molière et le garçon de café, Victor Hiaa.
On alla d’abord quérir Victor Hiaa qui demeurait dans la même rue, au numéro 39.
« Ça devait arriver ! s’exclama-t-il en apprenant l’horrible nouvelle. Et je sais qui a fait le coup ! »

Cette déclaration spontanée ne pouvait qu’intéresser fortement le chef de la sûreté.
Si ce témoin disait vrai, ce serait une affaire rondement menée, et l’assassin serait bientôt sous les verrous.
Oui mais, parole de justice : il faut toujours se méfier des témoignages trop hâtifs, ceux-ci se révélant souvent jalouses délations. Prudence !

Mais, Victor Hiaa ne fut pas le seul, beaucoup d’autres avancèrent les mêmes accusations, visant une seule et même personne : Constant Roy, cet individu qui depuis plusieurs jours guettait, surveillait, attendait son heure, tapi dans l’ombre d’un recoin.

-=-=-=-=-=-

Vers les trois heures du matin, Monsieur Prost, chef de sûreté, alla toquer à la porte de la chambre du dénommé Roy, présumé coupable, rue de Petit Salut.

Aux sommations, Constant Roy ouvrit sa porte immédiatement. Il ne portait pas de chemise et ne semblait pas très étonné de cette visite nocturne. Sans sourciller, il demanda :
« Qu’est-ce qu’il y a de cassé ? »
Monsieur Prost évoqua la rue Frigory[1], à ce nom, Constant Roy pâlit, mais garda un flegme implacable. Même attitude détachée pendant la perquisition de sa chambre, demandant simplement après un moment :
« Puis-je bientôt disposer de ma chambre ? »
Quel aplomb tout de même, vous en conviendrez !

Que donna la perquisition[2] ?
-          Dans une des poches de Roy, un carré de chemise, servant de mouchoir, taché de sang.
-          Un gilet portant des traces de sang.
-          Une chemise tachée de sang frottée aux deux poignets, aux manches et au col.
-          Cinq morceaux de toile ensanglantée.
-          Une serviette mouillée dans toute son étendue.
-          Dans un seau et le pot de chambre de l’eau roussâtre.
-          Une importante somme d’argent, cent-quarante-sept francs, étonnant pour quelqu’un qui n’avait pas le sou la veille, dont une petite pièce grecque.

Il n’en fallait pas plus pour faire de Constant Roy un suspect idéal.

Il fallait faire rapidement une confrontation.
Sur les lieux du crime, interrogé par Monsieur Masquin, commissaire central, Roy resta de marbre et nia être l’auteur de cet acte innommable, trouvant réponse à tout, que ce soit au sujet du sang sur ses vêtements, du sang sous ses ongles, des griffures sur ses avant-bras et de l’argent en sa possession. Même le tire-bouchon laissé sur le sol n’était pas le sien quoique lui ressemblant très fortement.
Conduit ensuite au commissariat central, Constant Roy fut auditionné vers 7 h 30 du matin, par Monsieur Demartial, procureur de la République. Il persista dans ses déclarations, niant toute implication dans le meurtre pour lequel il se voyait accusé.
Pendant ce temps, dans le débit de boissons de la rue des Charrettes, gens de justice et de médecine se succédaient, afin d’établir des constats et faire l’autopsie du cadavre :
·         Monsieur Leguerney, substitut du procureur de la République.
·         Un juge d’instruction et son greffier.
·         Monsieur le docteur Gerné, médecin du parquet.

Constant Roy fut alors écroué à la prison de Bonne Nouvelle, Rouen rive gauche, dans l’attente de  son jugement.

Dans les rues Frigory et des Charrettes, voisins et amis de Jules Adolphe Dubuc étaient consternés. Non seulement, il y avait eu un meurtre près de chez eux, mais la victime était un brave homme, quelqu’un de serviable et d’honnête que chacun apprécié.
Après l’autopsie, le corps du sieur Dubuc fut porté dans sa chambre.
Jules Adolphe Dubuc avait deux frères et une sœur qui habitaient Paris et une autre sœur, la veuve Auffray, qui demeurait à Bois-Guillaume, tous quatre avaient été prévenus.
On les attendait, à présent, pour procéder à l’inhumation.


[1] Plusieurs orthographes, dans les journaux, désignant cette rue. La bonne orthographe pourrait être « Frigory », petite rue n’existant plus aujourd’hui et dont les noms successifs furent au fil du temps : Cour des pigeons – rue Grigoire – rue Trigorie, rue du Cornet d’argent avant de prendre celui de Frigory.
[2] Inventaire du Journal de Rouen du 7 août 1890 relatant le procès.

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