mercredi 14 février 2024

Joséphine en visite

 

Non alors, elle ferait tout pour éclipser celle qui avait pris sa place !

On ne l’oublierait pas de si tôt !

L’Impératrice, c’était elle !

L’ascension de Bonaparte, c’était elle !

N’avait-elle pas, pour cela, œuvré en secret, manipulant les uns et les autres ?

Alors, se voir ainsi éclipsée par cette Marie-Louise, Prussienne de surcroît, non !

 

Joséphine n’avait pas accepté ce divorce prononcé le 14 décembre 1809. Elle avait, pourtant, pleuré, hurlé, supplié.

Raison d’Etat ! La belle affaire !

 

Elle était devenue « plus que reine » comme il lui avait été prédit. Elle avait atteint les sommets, avait été admirée, adulée, puis évincée, rejetée.

 

Elle se souvenait avec précision du grand cabinet de Napoléon, pourtant si familier, glacial et hostile en ce jour de disgrâce, alors que dehors, une nuit noire hivernale s’était installée.

Elle repassait en mémoire tous les visages des personnes présentes et notamment ceux de tous les membres de la « famille Buonaparte » sur lesquels flottait une lueur de satisfaction, de mépris.

Oui, tous présents, tous rois et reines, couronnés par leur frère Napoléon et qui malgré les bienfaits de ce dernier, n’arrêtaient pas de lui demander encore plus de privilèges, encore et encore, car se jalousant.

 

La raison d’Etat ? Une dynastie à créer pour le bien du peuple. Une dynastie que, elle, Joséphine n’avait pu donner.

 

L’Empereur, en qualité d’époux, lui avait affirmé sa tendresse, avait loué les quinze années passées à ses côtés, quinze années douces et heureuses.

 

Blessée, mortifiée dans son orgueil, mais aussi dans sa chair de femme, elle avait dû confirmer à haute voix qu’elle ne pouvait plus concevoir l’enfant nécessaire à la continuité de l’Empire et que pour le bien des Français, elle consentait à la dissolution du mariage, célébré le 9 mars 1796.

 

Bien entendu, les ex-époux s’étaient promis une fidèle amitié. Comme si tout allait bien……

Quelle farce ! Quelle hypocrisie !

 

Elle savait bien qu’elle n’avait pas le choix et que son refus ne lui aurait apporté que des désagréments, alors elle avait accepté, mais pas sans batailler et imposer certaines modalités.

On ne se débarrasserait pas d’elle comme cela.

 

Elle avait donc obtenu :

  • La conservation de ses titres et rang d’Impératrice couronnée.
  • Un douaire fixé à une rente annuelle, non négligeable, de  deux millions de francs, sur le trésor d’Etat.

Elle gardait également les propriétés de la Malmaison[1] et du Château de Navarre[2], près d’Evreux.

 

Depuis ce jour, elle fit tout pour se trouver dans les pas de l’Empereur afin d’éclipser celle qui lui avait volé sa place.

Elle rassembla autour d’elle une cour, sa cour, intriguant comme à son habitude.

L’Impératrice, c’était elle !

 

L’annonce du nouveau mariage impérial  l’avait anéantie. Elle le savait pourtant, ce ne devait pas être une surprise.

La joie du peuple français l’exaspéra. Elle se sentait remisée au second plan, ce qui lui semblait  inadmissible.

Tous les regards étaient braqués sur cette jeune femme de dix-neuf ans.

Le peuple avait-il donc la mémoire si courte, pour avoir oublié toutes ces batailles menées contre les Prussiens ? Avait-il oublié tous ses soldats, pères, frères, fils, tombés sous les coups de l’ennemi prussien ?

Oui, assurément les réjouissances de ce mariage avaient balayé les larmes et les rancœurs.

Des médailles d’or et d’argent à l’effigie des époux, célébrant l’événement, avaient été frappées à la hâte.

L’union de Napoléon et Marie-Louise fut célébrée dans la chapelle du Louvre. La porte principale ne servit qu’au cortège des futurs mariés, les invités, eux, empruntèrent, pour accéder dans la galerie surplombant le chœur, des escaliers construits à cette occasion, donnant l’un sur le quai et l’autre sur le carrousel.

Quel faste !!

 

Joséphine avait appris tous les détails par les journaux, mais surtout par les personnes présentes et qui s’étaient empressées de tout lui raconter par le menu, histoire de voir ses réactions.

Elle avait feint l’indifférence, laissant flotter un pâle sourire sur ses lèvres.

 

En ce mois d’avril 1810, elle s’était installée dans son château de Navarre[3] qu’elle affectionnait particulièrement au printemps car, sous les fenêtres de ses appartements, les lilas embaumaient.

Elle goûtait particulièrement les promenades dans la campagne normande si verdoyante en cette saison, longeant les berges de l’Iton qui bordait la propriété et sur les eaux duquel elle se laissait glisser, en barque. C’était d’ailleurs de cette manière qu’elle se rendait à la cathédrale d’Evreux pour assister à l’office, nonchalamment bercée par le courant, un vrai plaisir, bien plus agréable, en tout cas que d’être ballottée dans une voiture malmenée par les nombreux nids de poule des chemins.

 

Ce fut au cours de cette retraite, que Joséphine apprit que l’Empereur sillonnait la France avec sa nouvelle épouse et qu’il devait se rendre à Louviers,  au mois de juin 1810.

 

Elle envisagea alors de faire une petite visite, elle aussi, dans cette ville.

À neuf heures du matin, le premier mai 1810, elle prit le chemin de la Sous-préfecture. Après s’être restaurée au manoir de la Rivette où elle fut accueillie avec tous les égards dus à son rang, elle se rendit à l’usine de la mécanique, tenue par monsieur Pieton, puis à celle de messieurs Debbaut-Ternaux. Dans chacune d’elles, elle fit distribuer, généreusement, quelque argent aux ouvriers, trop heureux de l’aubaine.

 

Incognito, la visite ?  Pas vraiment.

Officielle, la visite ? Pas du tout.

Visite, tout simplement pour montrer que, elle, Joséphine avait toujours le statut d’Impératrice.

Comme elle se l’était promis, le jour de son divorce, on ne l’oublierait pas de si tôt !

À sept heures du soir, elle était de retour dans ses appartements du château de Navarre, heureuse de s’être montrée à tous ; heureuse surtout d’avoir été vue et reconnue, fêtée et adulée.

Le premier juin, Napoléon et sa jeune nouvelle épouse recevaient un accueil triomphal dans la ville de Louviers.

 

 

Joséphine fit un autre séjour dans son château de Navarre  du 23 novembre 1810 au 1er avril 1811.

À cette période, les lieux étaient en travaux, tous les corps de métiers œuvraient afin de rendre la demeure  plus confortable.

Entourée d’amis, l’Impératrice Joséphine, avait reconstitué une cour dont elle était le point de mire.

L’hiver fut particulièrement glacial, au point que tous patinaient allégrement sur les étangs environnants. Lorsque la neige fit son apparition, chacun s’essaya aux joies de la glisse en luge et à celles des promenades en traîneau.

Au château de Navarre, ce n’était que tourbillons de fêtes et réceptions.

 

Joséphine invitée par le préfet, monsieur Chambaudoin, reçut à son arrivée les honneurs militaires.  

Une réception grandiose ! Deux-cent-cinquante convives !

En remerciement, elle organisa, comme au moment de sa gloire passée, un bal pour une centaine de notables.

Le 19 mars 1811, ce fut un bal champêtre donné dans le parc du château, pour tous les habitants des villages avoisinants. N’était-ce pas le jour de sa fête ?

Elle trônait, majestueuse, vêtue avec faste. Elle savait recevoir, ne laissant rien au hasard.

 

Lorsque la naissance du roi de Rome fut annoncée à renforts d’envolées de cloches dans la France entière, Joséphine, en qualité d’ancienne impératrice, en habit de cour et portant diadème,  donna une fête d’une ampleur magistrale, à la hauteur de l’événement. La joie qu’elle affichait n’était nullement feinte.

 

Joséphine fit deux autres séjours en Normandie, en août 1811 et du 29 mars au 15 avril 1814.

Elle décéda le 29 mai 1814, à midi, à la Malmaison, suite à un refroidissement.

 

Quelles furent ses dernières pensées ?

Revit-elle les îles lumineuses et odorantes de son enfance ?

Revit-elle les geôles sombres, humides, sentant l’urine et la crasse, au temps de la Révolution, où emprisonnée, dormant à même le sol ou dans le meilleur cas sur un peu de paille, elle voyait chaque jour partir dans la charrette des condamnées les futurs décapités ?

Revit-elle sa première rencontre avec un certain Buonaparte, ce général au regard d’aigle, maigre à faire peur, mais armé d’une volonté, d’une détermination, d’une ambition  à toute épreuve ?

Revit-elle le jour du sacre où elle reçut la couronne impériale, elle, la petite créole ?

 

Était-elle, à cet ultime instant, persuadée que son souvenir marquerait à jamais les générations à venir pendant de nombreux siècles ?

 

Mais surtout, elle était sûrement loin de se douter que, elle, la répudiée pour ne pas avoir donné « l’héritier » souhaité, deviendrait la grand-mère d’un autre empereur. En effet, « l’Aiglon », fils de Marie Louise et de Napoléon, étant mort très jeune, ce fut Louis Napoléon, né du mariage de sa fille Hortense Beauharnais et de Louis Bonaparte, frère de Napoléon, qui accéda au trône impérial sous le titre de Napoléon III.

 

Quelle revanche !!

 



[1]  Achat de la Malmaison, signature le 21 avril 1799 par Joséphine sur la demande de Bonaparte alors en campagne en Egypte.

[2]  Achat du château de Navarre en 1809 par Napoléon.

[3] Joséphine  faisait de réguliers séjours dans son château normand

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