Non alors, elle ferait tout pour éclipser celle qui avait pris sa place !
On ne l’oublierait pas de si
tôt !
L’Impératrice, c’était elle !
L’ascension de Bonaparte, c’était
elle !
N’avait-elle pas, pour cela, œuvré en
secret, manipulant les uns et les autres ?
Alors, se voir ainsi éclipsée par
cette Marie-Louise, Prussienne de surcroît, non !
Joséphine n’avait pas accepté ce
divorce prononcé le 14 décembre 1809. Elle avait, pourtant, pleuré, hurlé,
supplié.
Raison d’Etat ! La belle
affaire !
Elle était devenue « plus que
reine » comme il lui avait été prédit. Elle avait atteint les sommets, avait
été admirée, adulée, puis évincée, rejetée.
Elle se souvenait avec précision du
grand cabinet de Napoléon, pourtant si familier, glacial et hostile en ce jour
de disgrâce, alors que dehors, une nuit noire hivernale s’était installée.
Elle repassait en mémoire tous les
visages des personnes présentes et notamment ceux de tous les membres de la
« famille Buonaparte » sur lesquels flottait une lueur de
satisfaction, de mépris.
Oui, tous présents, tous rois et
reines, couronnés par leur frère Napoléon et qui malgré les bienfaits de ce
dernier, n’arrêtaient pas de lui demander encore plus de privilèges, encore et
encore, car se jalousant.
La raison d’Etat ? Une dynastie à
créer pour le bien du peuple. Une dynastie que, elle, Joséphine n’avait pu
donner.
L’Empereur, en qualité d’époux, lui
avait affirmé sa tendresse, avait loué les quinze années passées à ses côtés,
quinze années douces et heureuses.
Blessée, mortifiée dans son orgueil,
mais aussi dans sa chair de femme, elle avait dû confirmer à haute voix qu’elle
ne pouvait plus concevoir l’enfant nécessaire à la continuité de l’Empire et
que pour le bien des Français, elle consentait à la dissolution du mariage, célébré
le 9 mars 1796.
Bien entendu, les ex-époux s’étaient
promis une fidèle amitié. Comme si tout allait bien……
Quelle farce ! Quelle
hypocrisie !
Elle savait bien qu’elle n’avait pas
le choix et que son refus ne lui aurait apporté que des désagréments, alors
elle avait accepté, mais pas sans batailler et imposer certaines modalités.
On ne se débarrasserait pas d’elle
comme cela.
Elle avait donc obtenu :
- La conservation de ses titres et rang
d’Impératrice couronnée.
- Un douaire fixé à une rente annuelle, non
négligeable, de deux millions de
francs, sur le trésor d’Etat.
Elle gardait également les propriétés
de la Malmaison[1] et
du Château de Navarre[2],
près d’Evreux.
Depuis ce jour, elle fit tout pour se
trouver dans les pas de l’Empereur afin d’éclipser celle qui lui avait volé sa
place.
Elle rassembla autour d’elle une cour,
sa cour, intriguant comme à son habitude.
L’Impératrice, c’était elle !
L’annonce du nouveau mariage
impérial l’avait anéantie. Elle le
savait pourtant, ce ne devait pas être une surprise.
La joie du peuple français l’exaspéra.
Elle se sentait remisée au second plan, ce qui lui semblait inadmissible.
Tous les regards étaient braqués sur
cette jeune femme de dix-neuf ans.
Le peuple avait-il donc la mémoire si
courte, pour avoir oublié toutes ces batailles menées contre les
Prussiens ? Avait-il oublié tous ses soldats, pères, frères, fils, tombés
sous les coups de l’ennemi prussien ?
Oui, assurément les réjouissances de
ce mariage avaient balayé les larmes et les rancœurs.
Des médailles d’or et d’argent à
l’effigie des époux, célébrant l’événement, avaient été frappées à la hâte.
L’union de Napoléon et Marie-Louise fut
célébrée dans la chapelle du Louvre. La porte principale ne servit qu’au
cortège des futurs mariés, les invités, eux, empruntèrent, pour accéder dans la
galerie surplombant le chœur, des escaliers construits à cette occasion,
donnant l’un sur le quai et l’autre sur le carrousel.
Quel faste !!
Joséphine avait appris tous les
détails par les journaux, mais surtout par les personnes présentes et qui
s’étaient empressées de tout lui raconter par le menu, histoire de voir ses
réactions.
Elle avait feint l’indifférence,
laissant flotter un pâle sourire sur ses lèvres.
En ce mois d’avril 1810, elle s’était installée dans son château de Navarre[3] qu’elle affectionnait particulièrement au printemps car, sous les fenêtres de ses appartements, les lilas embaumaient.
Elle goûtait particulièrement les
promenades dans la campagne normande si verdoyante en cette saison, longeant
les berges de l’Iton qui bordait la propriété et sur les eaux duquel elle se
laissait glisser, en barque. C’était d’ailleurs de cette manière qu’elle se
rendait à la cathédrale d’Evreux pour assister à l’office, nonchalamment bercée
par le courant, un vrai plaisir, bien plus agréable, en tout cas que d’être
ballottée dans une voiture malmenée par les nombreux nids de poule des chemins.
Ce fut au cours de cette retraite, que
Joséphine apprit que l’Empereur sillonnait la France avec sa nouvelle épouse et
qu’il devait se rendre à Louviers, au
mois de juin 1810.
Elle envisagea alors de faire une
petite visite, elle aussi, dans cette ville.
À neuf heures du matin, le premier mai
1810, elle prit le chemin de la Sous-préfecture. Après s’être restaurée au
manoir de la Rivette où elle fut accueillie avec tous les égards dus à son
rang, elle se rendit à l’usine de la mécanique, tenue par monsieur Pieton, puis
à celle de messieurs Debbaut-Ternaux. Dans chacune d’elles, elle fit
distribuer, généreusement, quelque argent aux ouvriers, trop heureux de
l’aubaine.
Incognito, la visite ? Pas vraiment.
Officielle, la visite ? Pas du
tout.
Visite, tout simplement pour montrer
que, elle, Joséphine avait toujours le statut d’Impératrice.
Comme elle se l’était promis, le jour
de son divorce, on ne l’oublierait pas de si tôt !
À sept heures du soir, elle était de retour
dans ses appartements du château de Navarre, heureuse de s’être montrée à
tous ; heureuse surtout d’avoir été vue et reconnue, fêtée et adulée.
Le premier juin, Napoléon et sa jeune
nouvelle épouse recevaient un accueil triomphal dans la ville de Louviers.
Joséphine fit un autre séjour dans son
château de Navarre du 23 novembre 1810
au 1er avril 1811.
À cette période, les lieux étaient en
travaux, tous les corps de métiers œuvraient afin de rendre la demeure plus confortable.
Entourée d’amis, l’Impératrice
Joséphine, avait reconstitué une cour dont elle était le point de mire.
L’hiver fut particulièrement glacial,
au point que tous patinaient allégrement sur les étangs environnants. Lorsque
la neige fit son apparition, chacun s’essaya aux joies de la glisse en luge et
à celles des promenades en traîneau.
Au château de Navarre, ce n’était que
tourbillons de fêtes et réceptions.
Joséphine invitée par le préfet,
monsieur Chambaudoin, reçut à son arrivée les honneurs militaires.
Une réception grandiose !
Deux-cent-cinquante convives !
En remerciement, elle organisa, comme
au moment de sa gloire passée, un bal pour une centaine de notables.
Le 19 mars 1811, ce fut un bal
champêtre donné dans le parc du château, pour tous les habitants des villages avoisinants.
N’était-ce pas le jour de sa fête ?
Elle trônait, majestueuse, vêtue avec
faste. Elle savait recevoir, ne laissant rien au hasard.
Lorsque la naissance du roi de Rome
fut annoncée à renforts d’envolées de cloches dans la France entière, Joséphine,
en qualité d’ancienne impératrice, en habit de cour et portant diadème, donna une fête d’une ampleur magistrale, à la
hauteur de l’événement. La joie qu’elle affichait n’était nullement feinte.
Joséphine fit deux autres séjours en
Normandie, en août 1811 et du 29 mars au 15 avril 1814.
Elle décéda le 29 mai 1814, à midi, à la Malmaison, suite à un refroidissement.
Quelles furent ses dernières
pensées ?
Revit-elle les îles lumineuses et
odorantes de son enfance ?
Revit-elle les geôles sombres,
humides, sentant l’urine et la crasse, au temps de la Révolution, où
emprisonnée, dormant à même le sol ou dans le meilleur cas sur un peu de
paille, elle voyait chaque jour partir dans la charrette des condamnées les
futurs décapités ?
Revit-elle sa première rencontre avec
un certain Buonaparte, ce général au regard d’aigle, maigre à faire peur, mais
armé d’une volonté, d’une détermination, d’une ambition à toute épreuve ?
Revit-elle le jour du sacre où elle
reçut la couronne impériale, elle, la petite créole ?
Était-elle, à cet ultime instant,
persuadée que son souvenir marquerait à jamais les générations à venir pendant
de nombreux siècles ?
Mais surtout, elle était sûrement loin
de se douter que, elle, la répudiée pour ne pas avoir donné
« l’héritier » souhaité, deviendrait la grand-mère d’un autre
empereur. En effet, « l’Aiglon », fils de Marie Louise et de
Napoléon, étant mort très jeune, ce fut Louis Napoléon, né du mariage de sa
fille Hortense Beauharnais et de Louis Bonaparte, frère de Napoléon, qui accéda
au trône impérial sous le titre de Napoléon III.
Quelle revanche !!
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