«C’est point possible, se plaignit Marie Marguerite Désirée Auzoux, épouse Picard, en se levant péniblement de la chaise sur laquelle elle était assise, j’peux p’us rin fair’ à c’t heure ! »
En effet, depuis quelques années,
percluses de rhumatismes, la pauvre femme ne pouvait assurer son quotidien
qu’avec beaucoup de difficultés.
Elle avait bien quelques voisins et
une belle-sœur qui venaient lui prêter la main, mais si cela l’aidait aux
tâches du quotidien, les uns comme les autres n’étaient en capacité de subvenir
à son entretien matériel, car déjà, tout comme elle, en grande difficulté
financière. La pauvre femme se sentait démunie et terriblement honteuse devant
son état qui ne lui permettait plus de travailler.
Et ce « sacré gamin », comme
elle le nommait encore, avait eu l’idée absurde de s’engager dans l’armée.
« Qu’est-ce
qui lui est passé par la tête, à c’gosse », avait-elle dit le jour de son
incorporation.
À l’employé présent, elle demanda
aussitôt dans l’entrée :
« Bien. Madame Picard, si je comprends ce que vous venez de
m’exposer, vous souhaitez que votre fils revienne pour vous aider, alors qu’il
est actuellement sous les drapeaux ?
— Bah, c’est
c’que j’ viens dir’, oui. Moi, j’veux qu’i’ r’vienne !
— D’accord, mais
savez-vous dans quelle arme, il sert ?
— Quelle arme ? Est-c’ que j’
sais, moi ! Il est parti. Il est à l’armée. Voilà !
— Il me faut ce renseignement pour le
préciser au Ministère de la Guerre.
« Ministère de la Guerre »,
ces mots résonnèrent dans la tête de la pauvre femme et l’impressionnèrent au
plus haut point.
Déranger un « Ministère »
pour que son fils revienne, c’était vraiment un immense honneur et elle se
sentait, tout à coup, très confuse et gênée.
En entendant son nom, la
quinquagénaire releva la tête.
« Madame Picard, reprit Monsieur Joseph Philémon Née, je m’occupe de votre cas
aujourd’hui même. J’écris au Ministre de la Guerre pour savoir où se trouve
votre fils et ensuite, j’entame les démarches pour son retour. »
Sur ce, ne laissant pas à Marie
Marguerite Désirée Picard le temps d’un remerciement, surtout en la voyant
essuyer une larme du plat de la main, il se leva, rapidement, se dirigea vers
le siège où elle était installée, l’aida à se lever et à sortir de la mairie en
la soutenant.
Il en voyait tant, le maire, de
citoyennes, et même des citoyens, s’écrouler, en larmes, dans son bureau, qu’il
n’avait pas envie, ce jour-là, d’affronter sanglots et jérémiades, alors qu’il
avait tant à faire. Il comprenait, bien entendu, les souffrances physiques et
morales endurées par tous, et faisait tout son possible pour les alléger, mais
tout homme avait ses limites, même un maire.
Un échange de courriers[1]
permit de déterminer le régiment dans lequel servait le jeune Pierre Nicolas
Cyrille Picard. Il était soldat au « 5ème régiment de
l’infanterie de ligne ».
Mais, avant de le libérer de ses
obligations militaires, il fallut au maire de Louviers certifier, document à
l’appui, que le père du soldat, Guillaume Nicolas Robert Picard, était bien
décédé et à quelle date.
Bien entendu, le maire argumenta
autour de la mauvaise santé de la mère qui, se retrouvant seule et ne pouvant
travailler, vivait dans le dénuement le plus complet.
Toutefois, nous le retrouvons,
convolant en justes noces le 2 novembre 1826, avec Madeleine Adélaïde
Fauconnier, née le 18 décembre 1786.
Sur l’acte de mariage, Pierre Nicolas
Cyrile Picard, né le 14 décembre 1804, est déclaré « demeurant chez sa
mère ».
En 1854, cette dernière, vivant
toujours chez son fils unique rue de Beaulieu, s’éteignait le 6 février, à
l’âge de soixante-dix-neuf ans.
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