Archibald
commençait à trouver l’endroit très à son goût. La tranquillité du lieu, le
passé fastueux, tout contribuait à son enchantement. Même les courants d’air
dans les couloirs, dus aux multiples fissures murales, au manque de carreaux
aux fenêtres ou aux trous dans la toiture ne lui déplaisaient pas du tout.
De
plus, Childéric lui paraissait sympathique. Un peu bavard, certes, un peu trop
bavard même…… Archibald mettait ce petit travers, ce flux de paroles intarissables,
sur le compte de la trop longue solitude de son compagnon. Et pour une fois, il
fut très indulgent.
Ayant
fait le tour du grenier, Archibald dévala l’escalier jusqu’au rez-de-chaussée,
Childéric, toujours volubile, sur les talons. Puis arrivé dans le hall, il se
dirigea vers la bibliothèque. En examinant les murs aux étagères vides, il
hocha la tête. Childéric lui expliqua aussitôt que cette pièce avait été le
centre de réunions politiques, soirées aux chaudes discussions où un verre à la
main, un cigare aux lèvres les hommes défendaient âprement leurs opinions. Des
éclats de voix et claquements de portes ponctuaient souvent la fin des ébats
houleux lorsque deux parties, trop opposées, ne pouvaient trouver de terrain d’entente.
Difficile
de mettre tout de monde d’accord, de rassembler sous le même étendard.
Des
complots avaient pris naissance dans cette bibliothèque, au cours
d’interminables discussions, au temps où il fallait défendre sa patrie contre
l’envahisseur ennemi. Mais cette immense pièce aux boiseries sculptées avait
connu de paisibles moments de lecture et d’aimables bavardages aux riches
échanges, devant l’âtre où crépitait un feu convivial. Ancien sanctuaire de la
pensée et de la connaissance, il émanait encore de cette bibliothèque un
quelque chose qui imposait le respect.
Archibald
ne fut nullement sensible à l’atmosphère du lieu et ne s’y attarda pas. Il se
dirigea vers ce qui fut, en son temps, la cuisine, autre lieu de vie intense du
domaine, notamment au moment de la préparation des repas.
La
journée, au château, commençait par le petit-déjeuner. Les soupes épaisses, les
tranches de lard d’antan avaient laissaient place au café, au thé, aux toasts, à
la marmelade, aux œufs brouillés et au bacon. Tous les plateaux étaient préparés
et servis soit dans les chambres, soit dans la grande salle à manger.
Aussitôt
les plateaux redescendus vides de leurs mets, la salle à manger nettoyée, il
fallait penser à préparer le repas du midi. Les tâches étaient multiples :
éplucher les légumes fraîchement cueillis le matin dans le potager, plumer les
volailles qu’il avait fallu attraper puis tuer, ranger les œufs ramassés à
l’aube dans le poulailler, cuire rôtis et volailles à la broche dans la
cheminée, préparer la pâte à pain qui fallait laisser lever un certain temps
avant de l’enfourner, confectionner entremets et desserts.
Le
repas englouti, table desservie, vaisselle lavée et rangée, il fallait déjà
penser au repas du soir. Tout devait donc recommencer.
Un
perpétuel mouvement dans la cuisine où l’on entendait continuellement un
concert de casseroles et où flottaient des odeurs alléchantes. C’était aussi le
lieu de passage des maraichers, bergers, fournisseurs de toutes sortes. C’était
aussi dans cet endroit que passaient tous les ragots du domaine et ceux des
villages environnants, avec force de commentaires.
Les
enfants y venaient souvent quémandant sucreries et gâteaux à longueur de
journée.
La
cuisine était aussi, avec son immense table en chêne, le lieu où les
domestiques prenaient leurs repas en commun. Seul moment où, assis sur les
bancs, les maîtres leur octroyaient un peu de repos. Le soir, lorsque le
château avait retrouvé un peu de calme, les hommes fumaient devant l’âtre,
profitant de la chaleur des dernières braises, avant d’affronter le froid de
leur chambre sous les toits.
La
porte de la cuisine donnait sur une courette qu’il fallait traverser pour se
rendre aux dépendances. Celles-ci étaient multiples. La buanderie où une grande
lessive était faite deux fois par an. Le cellier dans lequel reposaient des tonneaux d’alcool,
attendant d’être tiré. La basse-cour où caquetaient les volailles. Les écuries
aux nombreux boxes. Une étable également où quelques vaches ruminaient en
silence et une bergerie.
Un
grand nombre de personnes travaillaient donc sur le grand domaine. Tout ce monde
laborieux était dirigé par un intendant.
Il
y avait aussi des hectares de terres cultivées et des hectares de forêts pour la chasse.
Sur
le pas de la porte de la cuisine, face à la petite cour, Childéric resta un
moment silencieux, pensant au déchirement qu’il ressentit, lorsque tout cela
fut vendu lors de la faillite des derniers propriétaires.
La
fraîcheur de la nuit le fit frissonner. Il rentra, le cœur lourd, n’osant dévoiler
ses dernières pensées à Archibald qui l’aurait, à coup sûr, traité de sentimental,
en se moquant de lui.
Childéric
trouvait son nouveau compagnon sympathique,
mais un peu rustre et totalement dénué de
sensibilité. Il ne possédait assurément pas sa noblesse de caractère.
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