LES EMPOISONNEUSES
L'AFFAIRE LAFARGE
Chapitre 14
Suite de l’audition des témoins – rapport des experts.... : demande
de renvoi à une autre session.
Huit heures et demie.
La tribune des dames ne fait pas le plein, certaines ayant étaient
quelque peu incommodées la veille ayant préféré attendre la fin du rapport des
experts et l’étalage de toutes les substances et viscères tranchées menu.
L’accusée entre, appuyée sur le bras de son médecin, le docteur
Ventejouls.
Et revoilà la danse-des-pièces à conviction et à commencer par
l’estomac qui a travers le verre du bocal présente une apparence noirâtre.
M. Lespinas précise, dans le cas où l’assistance présente ne l’aurait
pas remarqué :
« Il est aisé de voir qu’il
est dans un état de putréfaction avancée. »
Il sera revenu sur tout cela après les analyses d’experts......
Appelé à la barre, Jean-Jacques Boutin, curé d’Uzerches.
Cet homme d’église, âgé de quarante-quatre ans, devait témoigner sur
les liens existant entre les membres de la famille Lafarge, ainsi que sur leur
moralité.
« Ce que je peux dire,
affirma le curé, c’est que c’est une famille honorable, jouissant de la
considération publique et d’une grande réputation. J’avais peu de relations
avec cette famille et n’avais été accueillie au Glandier, d’une manière fort
cordiale, qu’une seule fois. La famille semblait vivre au sein de la plus
touchante union. J’aimais à voir l’œil tendre de cette bonne mère qui caressait
son fils, j’aimais à voir cette union intime qui existait entre le frère et la
sœur. »
Jean-Jacques Boutin, parlant de Charles Lafarge précisa :
« .... il était plein de
douceur, ses manières étaient bonnes .... »
Et concernant le Glandier :
« Le Glandier bien que
reculé n’était pas du tout isolé. Il y avait du monde, des ouvriers, une usine,
une briqueterie. Cela m’a semblé assez vivant. »
Puis ce fut Mme Lafarge-mère qui se présenta à la barre.
Ce fut à petits pas mal assurés qu’elle s’avança devant les jurés. En
apercevant sa belle-fille, elle ne put retenir ses larmes.
Mme Lafarge-mère ne déposa pas sous la foi du serment, entendue à
titre de simple renseignement.
Mme Lafarge-mère déclara se nommer, « Marie-Adélaïde Poutier,
veuve Pouch-Lafarge, âgée de soixante-trois ans, demeurant à Faye dans la
Haute-Vienne. », puis sur la demande explicite du président de séance
commença son récit :
« A l’arrivée de Marie au
Glandier, nous étions tous enchantés, et c’est la vérité de dire que nous
éprouvions, tous, un bonheur inexprimable. Marie, du moins, nous le crûmes,
répondit aux sentiments que nous lui exprimions. Au bout d’une demi-heure, elle
demanda qu’on lui donnât une plume et de l’encre ; on s’empressa de lui
procurer ce qu’elle demandait. C’était, disait-elle, pour écrire à ses parents
et leur donner de ses nouvelles... Marie s’enferma et écrivit. Quelque
temps après on se mit à table, Marie parut fort calme, elle fit les honneurs de
la table. En finissant de dîner, Marie dit qu’elle était fatiguée. Son mari lui
conseilla d’aller se coucher. Quelque temps après, ne voyant pas mon fils,
j’allai à sa chambre et je fus bien étonnée de ce que je vis. Il se frappait la
tête avec ses mains, il pleurait, il sanglotait, il paraissait désespéré.... »
Et voilà que réapparaît la lettre, celle écrite par Marie et que
tenait dans ses mains Charles Lafarge. Une lettre que venait de lui remettre la
femme de chambre de Marie.
Mais que disait donc cette lettre ?
Madame Lafarge-mère l’avait lue et en fit le compte-rendu devant la
cour.
« La lettre disait qu’elle
n’aimait pas son mari, qu’elle en aimait un autre. Que ce monsieur l’avait
quittée... »
La pauvre Mme Lafarge poursuivit entre deux sanglots :
« Mon fils se trouvait à genoux devant son épouse, la suppliant
de rester, de rester un mois seulement et de prendre ensuite sa décision. Nous
étions tous désespérés. Mon fils était dans un état nerveux des plus
déplorables ayant peur que sa femme en vienne à attenter à sa vie, car elle
n’arrêtait pas de parler de poison. Le lendemain au réveil, Marie parut très
fatiguée, cependant, elle était tranquille. Mon fils savait qu’il ne pourrait
pas garder son épouse de force, mais il essaya de la retenir avec beaucoup de
prévenances. Puis, la journée se passa comme si rien n’avait eu lieu la veille.
Marie s’occupa même de la maison, envisageant quelques modifications à apporter
ici et là. Charles semblait apaisé. »
Après avoir repris un peu son souffle, comme si cette confession lui
demandait un grand effort, Mme Lafarge-mère poursuivit son récit, expliquant
que quelques jours après, Marie eut une espèce d’attaque, un coup de sang, mais
qui sembla feinte plutôt que réelle. Le médecin venu au chevet de la malade
confirma qu’il n’y avait rien de grave, du moins, physiquement, concluant
par :
« Ne vous inquiétez pas
tant, elle n’a pas plus de coup de sang que moi. »
Il fut alors question du testament rédigé par Marie en faveur de son
époux, testament hâtif, certes, car Marie se déclarait, bien que l’avis du
docteur Bardou n’aille pas dans ce sens, « bien malade ».
« A mon avis, conclut
Mme Lafarge-mère, et je l’ai dit à mon
fils, le document effectué par Marie n’était pas valable. »
Mais ce qui n’était pas très clair, c’était que Charles Lafargue avait
fait aussi un testament, puis un second devant M. Lachèze-Hurel.
Pourquoi ?

« Un jour, poursuivit Mme
Lafarge-mère, Marie me demanda de faire pour Charles les gâteaux qu’il aimait
tant. Elle lui avait écrit qu’on lui en enverrait. Ne me sentant pas bien, je
refusai, mais elle insista. Ne voulant pas la contrarier, je préparai donc les
gâteaux et les donnai à Clémentine pour qu’elle les porte au four. Aussitôt
cuits, les gâteaux furent portés chez Marie. En effet, Marie les avait placés
avec des marrons par-dessus, dans une caisse. Je trouvai l’idée saugrenue,
d’autant plus que ces marrons ne valaient rien, tout troués qu’ils étaient. »
Le récit de Mme Lafarge-mère apprit à l’auditoire présent et de plus
en plus attentif qu’après l’envoi des gâteaux, Marie se réveillait la nuit en
hurlant qu’elle voyait partout des tombeaux et des cimetières, ne parlant que
de mort et prédisant : « J’aurai du malheur, oh ! mon pauvre
Charles, il va lui arriver du malheur ; je vais recevoir de mauvaises
nouvelles. »
Marie s’enquit aussi du temps du veuvage pour une femme[1],
répliquant que si cela devait lui arriver, elle ne porterait le deuil qu’une
seule année comme à Paris.
« Je ne faisais cas de tous ses bavardages. Puis arriva un
courrier par lequel mon fils faisait part de son indisposition. Marie
s’inquiéta aussitôt, disant même que si Charles n’allait pas mieux, elle irait
elle-même à Paris. Le 5 janvier, mon fils arriva et je vous jure que je fus
bien peinée. Il était très pâle avec l’air tout souffrant. Il me parla tout de
même de ses affaires, m’assurant que dans six mois, il ne devrait plus rien et
qu’il se ferait un revenu de 50 000 francs. Il envisageait se rendre en
Angleterre vendre son procédé. Mais les vomissements se multipliaient, il ne
gardait aucune nourriture. »
Mme Lafarge-mère, fatiguée, demanda une pause qui lui fut accordée.
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