jeudi 23 janvier 2020

HISTOIRE VRAIE - DES SIÈCLES D'EMPOISONNEUSES



LES EMPOISONNEUSES 

L'AFFAIRE LAFARGE




Chapitre 14

Audience du 5 septembre
Suite de l’audition des témoins – rapport des experts.... : demande de renvoi à une autre session.

Huit heures et demie.
La tribune des dames ne fait pas le plein, certaines ayant étaient quelque peu incommodées la veille ayant préféré attendre la fin du rapport des experts et l’étalage de toutes les substances et viscères tranchées menu.

L’accusée entre, appuyée sur le bras de son médecin, le docteur Ventejouls.

Et revoilà la danse-des-pièces à conviction et à commencer par l’estomac qui a travers le verre du bocal présente une apparence noirâtre.
M. Lespinas précise, dans le cas où l’assistance présente ne l’aurait pas remarqué :
« Il est aisé de voir qu’il est dans un état de putréfaction avancée. »

Il sera revenu sur tout cela après les analyses d’experts......

Appelé à la barre, Jean-Jacques Boutin, curé d’Uzerches.
Cet homme d’église, âgé de quarante-quatre ans, devait témoigner sur les liens existant entre les membres de la famille Lafarge, ainsi que sur leur moralité.
« Ce que je peux dire, affirma le curé, c’est que c’est une famille honorable, jouissant de la considération publique et d’une grande réputation. J’avais peu de relations avec cette famille et n’avais été accueillie au Glandier, d’une manière fort cordiale, qu’une seule fois. La famille semblait vivre au sein de la plus touchante union. J’aimais à voir l’œil tendre de cette bonne mère qui caressait son fils, j’aimais à voir cette union intime qui existait entre le frère et la sœur. »

Jean-Jacques Boutin, parlant de Charles Lafarge précisa :
« .... il était plein de douceur, ses manières étaient bonnes .... »
Et concernant le Glandier :
« Le Glandier bien que reculé n’était pas du tout isolé. Il y avait du monde, des ouvriers, une usine, une briqueterie. Cela m’a semblé assez vivant. » 

Puis ce fut Mme Lafarge-mère qui se présenta à la barre.
Ce fut à petits pas mal assurés qu’elle s’avança devant les jurés. En apercevant sa belle-fille, elle ne put retenir ses larmes.
Mme Lafarge-mère ne déposa pas sous la foi du serment, entendue à titre de simple renseignement.
Mme Lafarge-mère déclara se nommer, « Marie-Adélaïde Poutier, veuve Pouch-Lafarge, âgée de soixante-trois ans, demeurant à Faye dans la Haute-Vienne. », puis sur la demande explicite du président de séance commença son récit :
« A l’arrivée de Marie au Glandier, nous étions tous enchantés, et c’est la vérité de dire que nous éprouvions, tous, un bonheur inexprimable. Marie, du moins, nous le crûmes, répondit aux sentiments que nous lui exprimions. Au bout d’une demi-heure, elle demanda qu’on lui donnât une plume et de l’encre ; on s’empressa de lui procurer ce qu’elle demandait. C’était, disait-elle, pour écrire à ses parents et leur donner de ses nouvelles...  Marie s’enferma et écrivit. Quelque temps après on se mit à table, Marie parut fort calme, elle fit les honneurs de la table. En finissant de dîner, Marie dit qu’elle était fatiguée. Son mari lui conseilla d’aller se coucher. Quelque temps après, ne voyant pas mon fils, j’allai à sa chambre et je fus bien étonnée de ce que je vis. Il se frappait la tête avec ses mains, il pleurait, il sanglotait, il paraissait désespéré.... »

Et voilà que réapparaît la lettre, celle écrite par Marie et que tenait dans ses mains Charles Lafarge. Une lettre que venait de lui remettre la femme de chambre de Marie.
Mais que disait donc cette lettre ?
Madame Lafarge-mère l’avait lue et en fit le compte-rendu devant la cour.
« La lettre disait qu’elle n’aimait pas son mari, qu’elle en aimait un autre. Que ce monsieur l’avait quittée... »
La pauvre Mme Lafarge poursuivit entre deux sanglots :
« Mon fils se trouvait à genoux devant son épouse, la suppliant de rester, de rester un mois seulement et de prendre ensuite sa décision. Nous étions tous désespérés. Mon fils était dans un état nerveux des plus déplorables ayant peur que sa femme en vienne à attenter à sa vie, car elle n’arrêtait pas de parler de poison. Le lendemain au réveil, Marie parut très fatiguée, cependant, elle était tranquille. Mon fils savait qu’il ne pourrait pas garder son épouse de force, mais il essaya de la retenir avec beaucoup de prévenances. Puis, la journée se passa comme si rien n’avait eu lieu la veille. Marie s’occupa même de la maison, envisageant quelques modifications à apporter ici et là. Charles semblait apaisé. »
Après avoir repris un peu son souffle, comme si cette confession lui demandait un grand effort, Mme Lafarge-mère poursuivit son récit, expliquant que quelques jours après, Marie eut une espèce d’attaque, un coup de sang, mais qui sembla feinte plutôt que réelle. Le médecin venu au chevet de la malade confirma qu’il n’y avait rien de grave, du moins, physiquement, concluant par :
« Ne vous inquiétez pas tant, elle n’a pas plus de coup de sang que moi. »

Il fut alors question du testament rédigé par Marie en faveur de son époux, testament hâtif, certes, car Marie se déclarait, bien que l’avis du docteur Bardou n’aille pas dans ce sens, « bien malade ».

« A mon avis, conclut Mme Lafarge-mère, et je l’ai dit à mon fils, le document effectué par Marie n’était pas valable. »

Mais ce qui n’était pas très clair, c’était que Charles Lafargue avait fait aussi un testament, puis un second devant M. Lachèze-Hurel.
Pourquoi ?


 Puis le récit se poursuivit pour aborder le séjour de Charles Lafarge à Paris, pendant lequel les deux époux échangèrent des lettres tendres.
« Un jour, poursuivit Mme Lafarge-mère, Marie me demanda de faire pour Charles les gâteaux qu’il aimait tant. Elle lui avait écrit qu’on lui en enverrait. Ne me sentant pas bien, je refusai, mais elle insista. Ne voulant pas la contrarier, je préparai donc les gâteaux et les donnai à Clémentine pour qu’elle les porte au four. Aussitôt cuits, les gâteaux furent portés chez Marie. En effet, Marie les avait placés avec des marrons par-dessus, dans une caisse. Je trouvai l’idée saugrenue, d’autant plus que ces marrons ne valaient rien, tout troués qu’ils étaient. »


Le récit de Mme Lafarge-mère apprit à l’auditoire présent et de plus en plus attentif qu’après l’envoi des gâteaux, Marie se réveillait la nuit en hurlant qu’elle voyait partout des tombeaux et des cimetières, ne parlant que de mort et prédisant : « J’aurai du malheur, oh ! mon pauvre Charles, il va lui arriver du malheur ; je vais recevoir de mauvaises nouvelles. »

Marie s’enquit aussi du temps du veuvage pour une femme[1], répliquant que si cela devait lui arriver, elle ne porterait le deuil qu’une seule année comme à Paris.

« Je ne faisais cas de tous ses bavardages. Puis arriva un courrier par lequel mon fils faisait part de son indisposition. Marie s’inquiéta aussitôt, disant même que si Charles n’allait pas mieux, elle irait elle-même à Paris. Le 5 janvier, mon fils arriva et je vous jure que je fus bien peinée. Il était très pâle avec l’air tout souffrant. Il me parla tout de même de ses affaires, m’assurant que dans six mois, il ne devrait plus rien et qu’il se ferait un revenu de 50 000 francs. Il envisageait se rendre en Angleterre vendre son procédé. Mais les vomissements se multipliaient, il ne gardait aucune nourriture. »

Mme Lafarge-mère, fatiguée, demanda une pause qui lui fut accordée.


[1] A cette époque une femme devait garder le deuil deux années et un homme une seule année.

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