mercredi 29 janvier 2020

HISTOIRE VRAIE - DES SIÈCLES D'EMPOISONNEUSES


L'AFFAIRE LAFARGE





Chapitre 15

Suite de l’audience du 5 septembre 1840, après une courte pause accordée à Mme Lafarge-mère.

Une épreuve insupportable pour cette pauvre mère qui devait expliquer les faits.
Chaque mot exprimé, remémorant le drame, était une réelle souffrance la renvoyant au décès de son cher enfant.
Mais elle voulait que justice soit faite, même si c’était à ce prix, elle irait jusqu’au bout de son récit, de la vérité, de  «  sa » vérité, aussi Mme Lafarge-mère prit une grande inspiration et poursuivit, sans rien omettre.

Elle reprit chronologiquement, l’arrivée de Charles, malade ne gardant aucune nourriture.
Elle reprit, la venue du docteur Baudou à son chevet, puis celle du docteur Massena.
Le mal fut attribué à une esquinancie[1].
Elle reprit, l’indifférence de la belle-fille disant que son époux, douillet de nature,  aimait à se faire plaindre, que ce n’était que maladie imaginaire et qu’il n’était point utile de déplacer autant de médecins.
Elle évoqua, le lait de poule que Marie Capelle avait fait pour son époux et sur lequel se trouvait une pellicule de poudre blanche, une poudre blanche que l’on voyait toujours sur les diverses boissons apportées à Charles Lafarge.
Mme Lafarge-mère expliqua qu’elle avait des doutes, et qu’elle s’en était ouverte à sa belle-fille.
M. Denys n’avait-il pas apporté la veille pour vingt sous d’arsenic ? La pauvre mère n’était pas la seule à avoir des soupçons, sa fille, Melle Brun également.
Et voilà que Mme Lafarge-mère d’expliquer qu’elle avait fait porter une tasse avec un restant de lait de Poule afin que M. Eyssartier, pharmacien de son état, en fasse l’analyse. ARSENIC !!!
« Cette révélation fit l’effet d’une bombe et dès ce moment, précisa la pauvre mère, nous ne laissâmes jamais mon pauvre Charles seul avec Marie. Nous ne prîmes aucun repos.»

Mme Lafarge-mère évoqua la dispute avec Marie qui souhaitait qu’elle aille prendre du repos, et ses larmes d’impuissance et de fatigue dans le couloir, le réconfort de M. Bardou.

A la fin du témoignage de la mère de Charles Lafarge, Marie Capelle fut de nouveau interrogée sur ses différents actes, paroles, réflexions. A chaque fois les réponses furent les mêmes : « Je ne m’en souviens pas..... Je n’ai jamais dit cela... Je n’en ai aucun souvenir... C’est inexact.... »

Puis fut entendu, M. Vicau, greffier du tribunal de Brives.
A quel propos ?
A propos des vases, flacons et bouteilles contenant les divers organes et substances, pièces essentielles à la conclusion de l’affaire !
Et la question primordiale fut : « Pensez-vous donc que l’estomac soumis aux expertises ne soit pas celui de Lafarge ? »

Et ce fut de nouveau bataille d’experts !

On en vint aux procédés et réactifs anciens et récents, employés pour détecter des traces d’arsenic dans le corps (notamment l’estomac)  du défunt.
Et là !! Unanimité....
Tous les experts furent d’accord, il ne fut trouvé aucune trace d’arsenic !!

La salle exultait,  applaudissait.
Marie Lafarge joignant les mains, regardant le plafond, remerciait les cieux.

Une brève interruption de la séance fut accordée pour que tous reprennent souffle et commentent le bilan des investigations chimiques.

Le calme revenu, le juge demanda toutefois quelques précisions à M. Dubois, en des termes que chacun ici présent pourrait comprendre aisément. Cet expert conclut :
« Toutes les opérations des chimistes de Brives ont été bien conduites, il était impossible de faire mieux. Si dans l’organe de l’estomac, ils n’ont pas trouvé d’arsenic, c’est qu’il n’en existait pas. Ils n’ont pas trouvé d’arsenic dans les vomissements. Ils l’ont dit franchement. »

Oui, mais, M. le docteur Lespinas émit quelques réticences et demanda que le rapport établi oralement devant la Cour fut écrit, afin qu’il puisse mieux y répondre. Puis il conclut par :
« Je demande qu’on nomme une nouvelle commission et que préalablement la cour ordonne l’exhumation du cadavre. »


 
Et voilà, c’était reparti, chaque expert demandait la parole et y allait de son propre commentaire, demandant que soit nommé d’autres experts pour effectuer les nouvelles analyses chimiques, et que les recherches s’étendent au foie, aux poumons, au cœur.........
M. Orfila[2] fut évincé au profit de M. Devergie[3] .



Devait-on, en raison de l’exhumation et des nouvelles analyses, renvoyer le procès à une date lointaine, plus lointaine, trop lointaine ?
N’était-on pas en train de jouer avec les nerfs de l’accusée qui attendait depuis huit mois son jugement au fond de sa geôle ?
Et tout cela pour permettre à des experts de prouver leur supériorité face à d’autres qui n’avaient pas procédé, comme eux l’auraient fait.
Et puis, il y avait quelques phrases dans le rapport de M. Orfila qui prêtaient à confusion. Il fallait faire toute la lumière.
Et l’avocat général de lancer :
« ....il y a lieu de faire une expertise nouvelle, d’aller dans les entrailles de la terre rechercher les organes du malheureux Lafarge, et les soumettre à une expertise nouvelle.... »
Maître Paillet, lui, jugeait que ce n’était pas nécessaire.

L’audience fut levée. Il serait, dès le lendemain, ordonné l’exhumation du corps.

Après un court instant de joie, ce fut de nouveau la déconvenue. Tout était à refaire.


[1] Esquinancie : nom d’une maladie de la gorge, que les Latins appellent angina, angine qui tend à former des  
                           obstacles dans les voies qui servent à la respiration & à la déglutition, sans que le thorax, les  
                           visceres qui y sont renfermés et l’estomac, y soient intéressés essentiellement.
[2] Mathieu Joseph Bonaventure Orfila : Né sur l’île Minorque, le 24 avril 1787 – décédé à Paris le 12 mars 1853
    – médecine et chimiste espagnol, naturalisé Française en 1808 _ Pionnier de la toxicologie médico-légale.
[3]Marie Guillaume Alphonse Devergie : né le 15 février 1798 – décédé le 2 octobre 1879. Médecin et  
   dermatologue français – médecin des hôpitaux de paris – un des fondateurs de la médecine légale en France.

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