
L'AFFAIRE LAFARGE
Chapitre 15
Suite de l’audience du 5 septembre 1840, après une courte pause
accordée à Mme Lafarge-mère.
Une épreuve insupportable pour cette pauvre mère qui devait expliquer
les faits.
Chaque mot exprimé, remémorant le drame, était une réelle souffrance
la renvoyant au décès de son cher enfant.
Mais elle voulait que justice soit faite, même si c’était à ce prix,
elle irait jusqu’au bout de son récit, de la vérité, de « sa »
vérité, aussi Mme Lafarge-mère prit une grande inspiration et poursuivit, sans
rien omettre.
Elle reprit chronologiquement, l’arrivée de Charles, malade ne gardant
aucune nourriture.
Elle reprit, la venue du docteur Baudou à son chevet, puis celle du
docteur Massena.
Le mal fut attribué à une esquinancie[1].
Elle reprit, l’indifférence de la belle-fille disant que son époux,
douillet de nature, aimait à se faire
plaindre, que ce n’était que maladie imaginaire et qu’il n’était point utile de
déplacer autant de médecins.
Elle évoqua, le lait de poule que Marie Capelle avait fait pour son
époux et sur lequel se trouvait une pellicule de poudre blanche, une poudre
blanche que l’on voyait toujours sur les diverses boissons apportées à Charles
Lafarge.
Mme Lafarge-mère expliqua qu’elle avait des doutes, et qu’elle s’en
était ouverte à sa belle-fille.
M. Denys n’avait-il pas apporté la veille pour vingt sous
d’arsenic ? La pauvre mère n’était pas la seule à avoir des soupçons, sa
fille, Melle Brun également.
Et voilà que Mme Lafarge-mère d’expliquer qu’elle avait fait porter
une tasse avec un restant de lait de Poule afin que M. Eyssartier, pharmacien
de son état, en fasse l’analyse. ARSENIC !!!
« Cette révélation fit
l’effet d’une bombe et dès ce moment, précisa la pauvre mère, nous ne laissâmes jamais mon pauvre Charles
seul avec Marie. Nous ne prîmes aucun repos.»
Mme Lafarge-mère évoqua la dispute avec Marie qui souhaitait qu’elle
aille prendre du repos, et ses larmes d’impuissance et de fatigue dans le
couloir, le réconfort de M. Bardou.
A la fin du témoignage de la mère de Charles Lafarge, Marie Capelle
fut de nouveau interrogée sur ses différents actes, paroles, réflexions. A
chaque fois les réponses furent les mêmes : « Je ne m’en souviens pas..... Je n’ai jamais dit cela... Je n’en ai
aucun souvenir... C’est inexact.... »
Puis fut entendu, M. Vicau, greffier du tribunal de Brives.
A quel propos ?
A propos des vases, flacons et bouteilles contenant les divers organes
et substances, pièces essentielles à la conclusion de l’affaire !
Et la question primordiale fut : « Pensez-vous donc que l’estomac soumis aux expertises ne soit pas celui
de Lafarge ? »
Et ce fut de nouveau bataille d’experts !
On en vint aux procédés et réactifs anciens et récents, employés pour
détecter des traces d’arsenic dans le corps (notamment l’estomac) du défunt.
Et là !! Unanimité....
Tous les experts furent d’accord, il ne fut trouvé aucune trace
d’arsenic !!
La salle exultait,
applaudissait.
Marie Lafarge joignant les mains, regardant le plafond, remerciait les
cieux.
Une brève interruption de la séance fut accordée pour que tous
reprennent souffle et commentent le bilan des investigations chimiques.
Le calme revenu, le juge demanda toutefois quelques précisions à M.
Dubois, en des termes que chacun ici présent pourrait comprendre aisément. Cet
expert conclut :
« Toutes les opérations des
chimistes de Brives ont été bien conduites, il était impossible de faire mieux.
Si dans l’organe de l’estomac, ils n’ont pas trouvé d’arsenic, c’est qu’il n’en
existait pas. Ils n’ont pas trouvé d’arsenic dans les vomissements. Ils l’ont
dit franchement. »

« Je demande qu’on nomme
une nouvelle commission et que préalablement la cour ordonne l’exhumation du cadavre. »
Et voilà, c’était reparti, chaque expert demandait la parole et y
allait de son propre commentaire, demandant que soit nommé d’autres experts
pour effectuer les nouvelles analyses chimiques, et que les recherches
s’étendent au foie, aux poumons, au cœur.........
Devait-on, en raison de l’exhumation et des nouvelles analyses, renvoyer
le procès à une date lointaine, plus lointaine, trop lointaine ?
N’était-on pas en train de jouer avec les nerfs de l’accusée qui
attendait depuis huit mois son jugement au fond de sa geôle ?
Et tout cela pour permettre à des experts de prouver leur supériorité
face à d’autres qui n’avaient pas procédé, comme eux l’auraient fait.
Et puis, il y avait quelques phrases dans le rapport de M. Orfila qui
prêtaient à confusion. Il fallait faire toute la lumière.
Et l’avocat général de lancer :
« ....il y a lieu de faire
une expertise nouvelle, d’aller dans les entrailles de la terre rechercher les
organes du malheureux Lafarge, et les soumettre à une expertise nouvelle.... »
Maître Paillet, lui, jugeait que ce n’était pas nécessaire.
L’audience fut levée. Il serait, dès le lendemain, ordonné
l’exhumation du corps.
Après un court instant de joie, ce fut de nouveau la déconvenue. Tout
était à refaire.
[1]
Esquinancie : nom d’une maladie de la gorge, que les
Latins appellent angina, angine qui
tend à former des
obstacles dans les
voies qui servent à la respiration & à la déglutition, sans que le thorax,
les
visceres qui y sont
renfermés et l’estomac, y soient intéressés essentiellement.
[2] Mathieu
Joseph Bonaventure Orfila : Né sur l’île Minorque, le 24 avril 1787 –
décédé à Paris le 12 mars 1853
– médecine
et chimiste espagnol, naturalisé Française en 1808 _ Pionnier de la toxicologie
médico-légale.
[3]Marie
Guillaume Alphonse Devergie : né le 15 février 1798 – décédé le 2 octobre
1879. Médecin et
dermatologue français – médecin des hôpitaux
de paris – un des fondateurs de la médecine légale en France.
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