des siècles d'empoisonneuses
L'AFFAIRE LAFARGE
Chapitre 12
M. Bardou, en sa qualité de médecin, représentait la science. En cela,
tout ce qu’il pouvait affirmer était capital de vérité.
Le silence s’installa sur la salle d’audience.
Monsieur le docteur en médecine Bardou ne fit que confirmer ses dires
lors de l’interrogatoire qu’il avait subi, juste après le décès de Charles
Lafarge, son patient.
Il avait été appelé dans la nuit du 4 au 5 janvier de la présente
année, pour donner des soins à M. Lafarge. Le malade était pris de vomissements
continuels, son visage était rubicond, mais son pouls était calme. Il présentait
tous les symptômes d’une forte indigestion.
Il prescrivit alors du bicarbonate de soude comme anti-vomitif et
ajouta, sur la même ordonnance à la demande de Marie Fortunée Lafarge, de
l’arsenic afin de détruire les rats qui pullulaient dans la demeure.
Quelques jours plus tard, Mme Lafarge-mère lui fit savoir que son fils
allait de plus en plus mal, aussi le docteur Bardou se rendit au plus vite au
Glandier. L’état de Charles Lafarge n’avait, en effet, pas réellement évolué
dans le bon sens, aussi afin de ne pas passer à côté d’une maladie grave et
rare, Bardou demandant l’avis de deux confrères.
« Je pensais, précisa
le médecin, que M. Lafarge était atteint
de volvulus et fis une prescription afin d’enrailler cette maladie. Le
traitement soulagea le malade. »
Ce fut, hélas un soulagement bien bref, car le médecin fut mandé à
nouveau dans la nuit même.
Afin d’apaiser les souffrances de son malade, le docteur lui insuffla
dans l’arrière-bouche un peu de poudre d’alun[1],
mêlée de sucre.
« Je fus obligé de cesser
ce traitement, le malade se plaignant de brûlures à la gorge »,
expliqua M. Bardou.
Après cette petite précision, M. Bardou poursuivit son récit.
Le 8 janvier, rien de particulier,
Denys, le commis alla chercher un nouveau remède.
Le 10 janvier, un autre médecin, M. Massenat se présenta au chevet de Charles
Lafarge. Pour ce second homme de science, le malade ne présentait que des
mouvements spasmodiques de l’estomac, d’où les vomissements. Faute de bouillon,
il demanda que lui soit donné un lait de poule, afin de faciliter la digestion.
Le lait de poule fut aussitôt rejeté. Pensant qu’un aliment plus solide serait
plus approprié, le docteur Massenat fit prendre à Charles Lafarge un peu de
pain trempé dans du vin. Un succès, car le malade garda ce qu’il venait
d’avaler.

Le juge en vint alors aux résultats de l’autopsie du défunt qui, sans
conteste, amena la conclusion suivante :
« La mort avait été occasionnée
par un véritable empoisonnement produit par l’acide arsénieux. »
Et ce constat se révéla dans le corps du défunt, dans le lait de
poule, dans l’eau panée, dans l’eau sucrée......
A qui appartenait la main assassine qui avait ainsi donné la mort ?
Il restait à présent à le découvrir.
Ce qui était certain, c’était que l’entente entre belle-mère et
belle-fille n’était pas au beau fixe.
Le docteur Bardou avait, d’ailleurs, été témoin d’une discussion
animée entre les deux femmes.
Haussant fortement le ton, Mme Lafarge-mère avait lancé à sa
belle-fille :
« Rien ne m’empêchera de
rester auprès de mon fils. Trouvez-le bon, trouvez-le mauvais, rien ne
m’empêchera de donner des soins à mon fils »
Quelques instants plus tard, M. Bardou avait trouvé Mme Lafarge-mère,
en pleurs dans le couloir, il l’avait réconfortée de son mieux.
L’accusée, à nouveau interrogée sur cette discussion, répéta ce
qu’elle avait dit la veille, à savoir qu’elle souhaitait que sa belle-mère,
épuisée par trop de nuits sans sommeil au chevet de son fils, prenne un peu de
repos.
Puis, il fut question de ce « pauvre Lafarge ».
Maître Paillet[2],
avocat de Mme veuve Lafarge, interrogea
le témoin :
« M. Bardou, n’aviez-vous
pas dit que les symptômes que vous avez reconnus chez M. Lafarge pouvaient
facilement se concilier avec les phénomènes ordinaires d’une maladie
inflammatoire ?
-
C’est
exact, c’est bien pour cela qu’au premier aspect, j’ai pris la maladie de M.
Lafarge pour un volvulus[3]. Je
n’ai eu des soupçons qu’au jour de la mort.
-
N’aviez-vous
pas senti un mieux sensible dans l’état de M. Lafarge ?
-
En effet,
le 11, il m’a paru mieux.
On évoqua alors le « lait de poule », préparé par Mme
Lafarge-mère et sa fille et non par l’épouse Marie Fortunée et donné par
petites gorgées au malade par le docteur Massenat.
Puis il fut question de l’autopsie et de ses résultats.
Maître Paillet :
« N’a-t-on pas remarqué, en
pratiquant l’autopsie, qu’il n’y avait aucune lésion à la gorge, et n’a-t-on
pas dit qu’on en concluait qu’il n’y avait pas eu d’empoisonnement par l’arsenic. »
M. Bardou :
« Je ne sais pas ce qu’on
a dit ; mais je sais que les médecins ont trouvé des lésions qui les ont
décidés à conclure que le malheureux Lafarge était mort par suite d’un
empoisonnement. »
Maître Paillet s’enquit ensuite
s’il était possible que de l’arsenic ayant été pris pendant onze jours,
à fréquentes reprises, la gorge du malade ait été dans l’état qui a été
constaté par le témoin, et si la science donnait, à cet égard, des indications
précises ?
Rien d’extraordinaire, selon le médecin, à ce qu’il n’y ait aucune
trace, ni dans la gorge, ni dans l’estomac d’un patient était mort par
empoisonnent à l’arsenic.
La suite de l’interrogatoire tourna autour de l’arsenic, bien sûr, le
docteur Baudou affirmant que l’usage de ce poison était une pratique courante,
pas seulement au Glandier, pour détruire rats et souris.
Puis, le président demanda des précisions sur les relations entre les
époux Lafarge. Le médecin n’avait-il pas remarqué quelque chose qui aurait pu
éveiller ses soupçons ?
« Je ne suis pas un espion,
rétorqua le médecin, mais je peux
affirmer, sans me tromper, qu’il existait une certaine rivalité entre la mère
et la bru que je qualifierai de prééminence. »
M. Jules Lespinas, médecin à Lubersac, fut appelé à la barre.
Jules Lespinas[4]
avait trente-et-un ans, il avait vu le jour à Tulle le 30 octobre 1808.
Il expliqua les faits, simplement. A savoir que le 13 janvier dernier,
au milieu de la nuit, il fut réveillé par son domestique, lui annonçant qu’un « monsieur couvert d’un ample manteau le demandait ».
Ce dernier lui annonça tout de go : « M. Lafarge est dangereusement malade.... On craint qu’il ne soit empoisonné. ».
« Serait-ce possible ? »
s’était-il écrié.
Puis, il avait envoyé le commissionnaire chez le pharmacien quérir
certains remèdes, le temps qu’il se préparât.
Pendant le trajet, Denys, le commissionnaire, ne parla que poison et
arsenic.
A trois heures, ils étaient à destination, au Glandier.
« Je trouvai M. Lafarge
pâle et amaigri. Ses yeux étaient caves. Il éprouvait une constriction
douloureuse à la gorge, était tourmenté par des hoquets fréquents. Ses membres
avaient une grande raideur et parcourus de fourmillements et ses extrémités
étaient glacées. Il était constipé et n’avait pas uriné depuis plusieurs jours.
Je ne sais pas si M. Lafarge-mère était présente, mais je fus pressé de
question par Marie Lafarge et Mme Buffière et finis par leur dire que M.
Lafarge souffrait d’une inflammation intestinale. »
Jules Lespinas poursuivit son récit, expliquant que Marie Lafarge
ayant quitté la pièce, il demanda plus de renseignements à Mme Buffière et à
Mlle Brun qui était venue les rejoindre. Pour elles deux, il n’y avait aucun
doute et très vite le médecin constata qu’elles avaient raison, il y avait bien
« empoisonnement » ! Il quitta le Glandier, pour y revenir peu
de temps après, le malade s’étant encore considérablement affaibli.
Ce jour-là, un des derniers de Charles Lafarge, après plusieurs syncopes,
Marie Lafarge demanda au médecin Lespinas si elle devait faire appeler le curé.
Le médecin acquiesça d’un signe de tête.
Lorsque le curé de Bessac arriva, Jules Lespinas quitta la chambre du
malade.
Les derniers soins apportés au mourant ne firent rien pour soulager
son état.
Le lendemain matin, au chevet de Charles, se trouvaient Messieurs
Boucher et Fleygniol. M. Lespinas se joignit à eux et tous trois échangèrent à
voix basse. Conversations où se mêlait souvent le mot « poison ».
Les idées du malade s’embrouillaient de plus en plus, il ne voyait
plus, ne sentait plus rien.
Il fut également question de ce petit pot contenant une poudre
blanche, découvert par Jules Lespinas dans la commode de la chambre de Charles
et dont le docteur, par conscience professionnelle, en préleva une pincée, afin
de la soumettre à un examen, dans le cas où Charles Lafarge viendrait à
succomber.
Le docteur Lespinas acheva son récit par :
« Je quittai le
Glandier vers les huit heures. »
Voyons maintenant ce que va révéler l’analyse des prélèvements sur le
corps de Charles Lafarge.........
Attention, autopsie !!!
Accrochez-vous bien !!
[1] La
poudre d’alun : remède
à tous les maux car anticoagulant, antiseptique et anti-inflammatoire…
[2]
Plusieurs orthographes : Paillet – Pailler ......
[3]
Volvulus : occlusion du colon, se manifestant par un arrêt du transit
(plus de selles ni de gaz). Le patient ressent de violentes douleurs
abdominales, puis surviennent des vomissements.
[4] Jules
Antoine Quentin Lespinas convola en justes noces, le 21 juillet 1845, à
Lubersac, avec la demoiselle Anne Anaïs Auconsul.
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