mercredi 8 janvier 2020

HISTOIRE VRAIE - DES SIÈCLES D'EMPOISONNEUSES



des siècles d'empoisonneuses

L'AFFAIRE LAFARGE


Chapitre 12



M. Bardou, en sa qualité de médecin, représentait la science. En cela, tout ce qu’il pouvait affirmer était capital de vérité.
Le silence s’installa sur la salle d’audience.
Monsieur le docteur en médecine Bardou ne fit que confirmer ses dires lors de l’interrogatoire qu’il avait subi, juste après le décès de Charles Lafarge, son patient.
Il avait été appelé dans la nuit du 4 au 5 janvier de la présente année, pour donner des soins à M. Lafarge. Le malade était pris de vomissements continuels, son visage était rubicond, mais son pouls était calme. Il présentait tous les symptômes d’une forte indigestion.
Il prescrivit alors du bicarbonate de soude comme anti-vomitif et ajouta, sur la même ordonnance à la demande de Marie Fortunée Lafarge, de l’arsenic afin de détruire les rats qui pullulaient dans la demeure.
Quelques jours plus tard, Mme Lafarge-mère lui fit savoir que son fils allait de plus en plus mal, aussi le docteur Bardou se rendit au plus vite au Glandier. L’état de Charles Lafarge n’avait, en effet, pas réellement évolué dans le bon sens, aussi afin de ne pas passer à côté d’une maladie grave et rare, Bardou demandant l’avis de deux confrères.
« Je pensais, précisa le médecin, que M. Lafarge était atteint de volvulus et fis une prescription afin d’enrailler cette maladie. Le traitement soulagea le malade. »
Ce fut, hélas un soulagement bien bref, car le médecin fut mandé à nouveau dans la nuit même.
Afin d’apaiser les souffrances de son malade, le docteur lui insuffla dans l’arrière-bouche un peu de poudre d’alun[1], mêlée de sucre.
« Je fus obligé de cesser ce traitement, le malade se plaignant de brûlures à la gorge », expliqua M. Bardou.
Après cette petite précision, M. Bardou poursuivit son récit.
Le 8 janvier, rien de particulier,  Denys, le commis alla chercher un nouveau remède.
Le 10 janvier, un autre médecin, M. Massenat se présenta au chevet de Charles Lafarge. Pour ce second homme de science, le malade ne présentait que des mouvements spasmodiques de l’estomac, d’où les vomissements. Faute de bouillon, il demanda que lui soit donné un lait de poule, afin de faciliter la digestion. Le lait de poule fut aussitôt rejeté. Pensant qu’un aliment plus solide serait plus approprié, le docteur Massenat fit prendre à Charles Lafarge un peu de pain trempé dans du vin. Un succès, car le malade garda ce qu’il venait d’avaler.
« Ce fut alors que je ne me sentis pas bien. Très fatigué. J’étais pressé de rentrer chez moi. Comme M. Lafarge allait mieux, je me suis retiré. Quatre jours après, je me le rappellerai toujours, il faisait un temps épouvantable, à peine remis de mon malaise, j’appris le décès de M. Lafarge. Ah, Monsieur le Juge, j’ai eu à cette minute l’impression d’avoir abandonné le pauvre Lafarge. »

Le juge en vint alors aux résultats de l’autopsie du défunt qui, sans conteste, amena la conclusion suivante :
« La mort avait été occasionnée par un véritable empoisonnement produit par l’acide arsénieux. »

Et ce constat se révéla dans le corps du défunt, dans le lait de poule, dans l’eau panée, dans l’eau sucrée......

A qui appartenait la main assassine qui avait ainsi donné la mort ?
Il restait à présent à le découvrir.
Ce qui était certain, c’était que l’entente entre belle-mère et belle-fille n’était pas au beau fixe.
Le docteur Bardou avait, d’ailleurs, été témoin d’une discussion animée entre les deux femmes.

Haussant fortement le ton, Mme Lafarge-mère avait lancé à sa belle-fille :
« Rien ne m’empêchera de rester auprès de mon fils. Trouvez-le bon, trouvez-le mauvais, rien ne m’empêchera de donner des soins à mon fils »
Quelques instants plus tard, M. Bardou avait trouvé Mme Lafarge-mère, en pleurs dans le couloir, il l’avait réconfortée de son mieux.

L’accusée, à nouveau interrogée sur cette discussion, répéta ce qu’elle avait dit la veille, à savoir qu’elle souhaitait que sa belle-mère, épuisée par trop de nuits sans sommeil au chevet de son fils, prenne un peu de repos.

Puis, il fut question de ce « pauvre Lafarge ».
Maître Paillet[2], avocat de Mme veuve Lafarge,  interrogea le témoin :
«  M. Bardou, n’aviez-vous pas dit que les symptômes que vous avez reconnus chez M. Lafarge pouvaient facilement se concilier avec les phénomènes ordinaires d’une maladie inflammatoire ?
-          C’est exact, c’est bien pour cela qu’au premier aspect, j’ai pris la maladie de M. Lafarge pour un volvulus[3]. Je n’ai eu des soupçons qu’au jour de la mort.
-          N’aviez-vous pas senti un mieux sensible dans l’état de M. Lafarge ?
-          En effet, le 11, il m’a paru mieux.

On évoqua alors le « lait de poule », préparé par Mme Lafarge-mère et sa fille et non par l’épouse Marie Fortunée et donné par petites gorgées au malade par le docteur Massenat.
Puis il fut question de l’autopsie et de ses résultats. 
Maître Paillet :
« N’a-t-on pas remarqué, en pratiquant l’autopsie, qu’il n’y avait aucune lésion à la gorge, et n’a-t-on pas dit qu’on en concluait qu’il n’y avait pas eu d’empoisonnement par l’arsenic. »
M. Bardou :
«  Je ne sais pas ce qu’on a dit ; mais je sais que les médecins ont trouvé des lésions qui les ont décidés à conclure que le malheureux Lafarge était mort par suite d’un empoisonnement. »

Maître Paillet s’enquit ensuite  s’il était possible que de l’arsenic ayant été pris pendant onze jours, à fréquentes reprises, la gorge du malade ait été dans l’état qui a été constaté par le témoin, et si la science donnait, à cet égard, des indications précises ?
Rien d’extraordinaire, selon le médecin, à ce qu’il n’y ait aucune trace, ni dans la gorge, ni dans l’estomac d’un patient était mort par empoisonnent à l’arsenic.
La suite de l’interrogatoire tourna autour de l’arsenic, bien sûr, le docteur Baudou affirmant que l’usage de ce poison était une pratique courante, pas seulement au Glandier, pour détruire rats et souris.
Puis, le président demanda des précisions sur les relations entre les époux Lafarge. Le médecin n’avait-il pas remarqué quelque chose qui aurait pu éveiller ses soupçons ?
« Je ne suis pas un espion, rétorqua le médecin, mais je peux affirmer, sans me tromper, qu’il existait une certaine rivalité entre la mère et la bru que je qualifierai de prééminence. »


M. Jules Lespinas, médecin à Lubersac, fut appelé à la barre.
Jules Lespinas[4] avait trente-et-un ans, il avait vu le jour à Tulle le 30 octobre 1808.
Il expliqua les faits, simplement. A savoir que le 13 janvier dernier, au milieu de la nuit, il fut réveillé par son domestique, lui annonçant  qu’un « monsieur couvert d’un ample manteau le demandait ».
Ce dernier lui annonça tout de go : « M. Lafarge est dangereusement malade.... On craint qu’il ne soit empoisonné. ».
« Serait-ce possible ? » s’était-il écrié.
Puis, il avait envoyé le commissionnaire chez le pharmacien quérir certains remèdes, le temps qu’il se préparât.
Pendant le trajet, Denys, le commissionnaire, ne parla que poison et arsenic.
A trois heures, ils étaient à destination, au Glandier.
« Je trouvai M. Lafarge pâle et amaigri. Ses yeux étaient caves. Il éprouvait une constriction douloureuse à la gorge, était tourmenté par des hoquets fréquents. Ses membres avaient une grande raideur et parcourus de fourmillements et ses extrémités étaient glacées. Il était constipé et n’avait pas uriné depuis plusieurs jours. Je ne sais pas si M. Lafarge-mère était présente, mais je fus pressé de question par Marie Lafarge et Mme Buffière et finis par leur dire que M. Lafarge souffrait d’une inflammation intestinale. »
Jules Lespinas poursuivit son récit, expliquant que Marie Lafarge ayant quitté la pièce, il demanda plus de renseignements à Mme Buffière et à Mlle Brun qui était venue les rejoindre. Pour elles deux, il n’y avait aucun doute et très vite le médecin constata qu’elles avaient raison, il y avait bien « empoisonnement » ! Il quitta le Glandier, pour y revenir peu de temps après, le malade s’étant encore considérablement affaibli.
Ce jour-là, un des derniers de Charles Lafarge, après plusieurs syncopes, Marie Lafarge demanda au médecin Lespinas si elle devait faire appeler le curé. Le médecin acquiesça d’un signe de tête.
Lorsque le curé de Bessac arriva, Jules Lespinas quitta la chambre du malade.
Les derniers soins apportés au mourant ne firent rien pour soulager son état.
Le lendemain matin, au chevet de Charles, se trouvaient Messieurs Boucher et Fleygniol. M. Lespinas se joignit à eux et tous trois échangèrent à voix basse. Conversations où se mêlait souvent le mot « poison ».
Les idées du malade s’embrouillaient de plus en plus, il ne voyait plus, ne sentait plus rien.

Il fut également question de ce petit pot contenant une poudre blanche, découvert par Jules Lespinas dans la commode de la chambre de Charles et dont le docteur, par conscience professionnelle, en préleva une pincée, afin de la soumettre à un examen, dans le cas où Charles Lafarge viendrait à succomber.

Le docteur Lespinas acheva son récit par :
« Je quittai le Glandier  vers les huit heures. »

Voyons maintenant ce que va révéler l’analyse des prélèvements sur le corps de Charles Lafarge.........
Attention, autopsie !!!
Accrochez-vous bien !!



[1] La poudre d’alun : remède à tous les maux car anticoagulant, antiseptique et anti-inflammatoire
[2] Plusieurs orthographes : Paillet – Pailler ......
[3] Volvulus : occlusion du colon, se manifestant par un arrêt du transit (plus de selles ni de gaz). Le patient ressent de violentes douleurs abdominales, puis surviennent des vomissements. 
[4] Jules Antoine Quentin Lespinas convola en justes noces, le 21 juillet 1845, à Lubersac, avec la demoiselle Anne Anaïs Auconsul.

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