mercredi 18 janvier 2023
Les derniers condamnés à mort dans l'Eure et en Seine-Maritime - Zacharie Benjamin Leclerc - troisième partie
Cinquième
condamné, un nommé Zacharie Benjamin Leclerc
Troisième partie
Cour s’Assises de l’Eure.
Audience du 9 février 1857[1].
Sous la présidence de M. Nepveux.
Ministère public M. Legentil,
Procureur impérial.
Avocat commis d’office pour la
défense de l’accusé, Maître Hagot, bâtonnier.
Assis sur le banc des accusés,
Zacharie Benjamin Leclerc, né le 18 janvier 1818, voiturier.
Il est de petite taille, son
visage est très marqué par tous les excès de sa débauche.
L’enceinte de la salle d’audience
de la cour d’assises est bondée. Beaucoup de monde pour assister à ce procès. Beaucoup
de curieux. Beaucoup de personnes venant là comme au spectacle, par
distraction. Toute occasion est bonne pour passer le temps et puis, les salles
d’audience étaient chauffées !!!
-=-=-=-=-=-
Avant d’en venir aux divers
témoignages, il est procédé au rappel de
l’identité de l’accusé et aux faits ayant amené ce dernier devant la justice.
Puis, le gendarme interpellé par
Zacharie Benjamin et l’ayant accompagné jusqu’au lieu du crime, vient à la
barre afin de témoigner sur ce qu’il avait découvert dans la maison du
cordonnier, le 17 octobre 1856, vers les six heures trente.
« ... Dans une arrière-boutique
où se trouvait un lit, gisait sur le sol le corps d’un homme baignant dans son
sang. À mon arrivée, il expira. Il n’a prononcé aucune parole. »
Ce gendarme précisa :
« La poitrine du défunt
était sillonnée de plaies béantes, le muscle du bras gauche portait deux
blessures profondes et il avait une coupure à la main droite. Après examen
approfondi, il fut découvert quelques traces de pression autour du cou. Tous
ces constats ont vite amené à la conclusion qu’il ne s’agissait pas d’un
suicide. »
Défilent ensuite divers témoins
afin qu’ils éclaircissent le mobile de cet acte odieux.
En premier, Florence Scholastique
Grouard, épouse Semelagne, la belle sœur de Zacharie Benjamin :
« I’ buvaient trop, ça
c’est sûr. L’un comme l’autre. Alors i’ s’ disputaient toujours et souvent
violemment. C’ matin-là, déjà, j’avais dû intervenir pour les calmer. Mais le
soir avant 5 heures, l’ Benjamin m’avait interdit de laisser le pain à la
disposition du père. C’était pas possible ça ! J’avais pas répondu,
seulement hausser les épaules. Se disputer pour un morceau de pain !
L’Benjamin était remonté dans sa chambre. J’ pensais que tout rentrerait dans
l’ calme. J’avais ben tort !! »
La femme Heubebourg, devant les
jurés, répète ce qu’elle avait déjà dit aux gendarmes.
« C’ jour-là, le matin,
j’avais encore mis l’ père Leclerc en garde contre son fils. Mais i’ voulait
pas, l’ pauvre homme, croire que son gars pouvait lui faire du mal. »
Puis c’est au tour des sieurs
Fressart et Mirel qui déclarent avoir aperçu, avant 6 heures du soir le 17
octobre, par la fenêtre de la chambre de Zacharie Joachim, son fils, Zacharie
Benjamin, agenouillé sur le sol. Mais ni l’un ni l’autre ne peut préciser ce
qui se trouvait sur le sol. Un corps, assurément.
Ils affirment toutefois avoir
entendu le fils Leclerc menacer son père dix mois auparavant. Le ton
vindicatif, un tranchet à la main qu’il brandissait tout près du visage
paternel.
Et d’ajouter :
« Sans oublier non plus les
nombreuses injures et menaces verbales proférées à longueur de temps. »
La veuve Leroux dépose ensuite
sous serment :
« C’était au mois d’
septembre. Au début du mois. Ils étaient encore dans un état de soulerie pas
possible. J’suis arrivé à temps car l’Benjamin, hurlant comme un damné, était
vautré sur le sol et appuyait de toutes
ses forces sur un amas de draps et de couvertures. Mais d’ssous tout ça, y’
avait le Joachim ! Enfin, plus d’un mois plus tard, c’est point étouffé
qu’il est mort, mais saigné comme un porc !! »
-=-=-=-=-=-
Vingt témoins défilèrent ainsi en
ce 9 février 1857.
Tous firent les mêmes
constats :
Les ivresses,
Les querelles de plus en plus
violentes,
Les menaces,
Et puis, le dernier jour, le
passage à l’acte.
Le lendemain 10 février 1857, dès
l’ouverture de la séance, le représentant du Ministère public prit la
parole :
« Est-il possible de trouver
un motif pouvant atténuer la culpabilité de l’accusé, sachant qu’il avait déjà été
condamné par trois fois ? »
Maître Hagot fit son possible
pour défendre son client, mettant en avant l’ivrognerie du père constatée
depuis des années et la possibilité que ce dernier aurait pu, dans les vapeurs
de l’alcool, se poignarder lui-même.
Oui, Maître Hagot a essayé,
mais les jurés accepteraient-ils de
croire qu’un suicidaire s’acharne ainsi sur son corps ?
Pourtant, il y a cru, Maître
Hagot, puisqu’il avait demandé : l’acquittement tout simplement.
Le jury se retira.
Une délibération qui ne dura pas
bien longtemps.
Le verdict fut sans appel :
Aucune circonstance atténuante.
La peine de mort.
Zacharie Benjamin Leclerc
entendit la sentence avec une totale indifférence.
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