Le procès d’Alphonse Caillard, ouvrier de filature, auteur des crimes de Nassandres en mars 1898, eut lieu le vendredi 8 juillet 1898, à la Cour d’assises de l’Eure.
Ce jour-là, les abords du palais
de justice furent envahis dès le matin par une foule de curieux.
Le service d’ordre était assuré
par un piquet du 28ème régiment d’infanterie, renforcé par des
gendarmes[1].
Dans la salle d’audience, la
tribune du fond, occupée essentiellement par des dames, était comble.
L’audience fut ouverte à 11
heures.
·
Président :
Monsieur Lecaisne, Conseiller à la Cour de Rouen
·
Ministère public
représenté par Monsieur le Procureur général Rack.
·
La défense de Caillard
était assurée par Maître Cobrat du Barreau de Paris, secrétaire de Maître
Poincaré.
Dans le box des accusés, Alphonse
Caillard, court et banal, vêtu d’un complet de drap foncé, figure longue,
regard sombre, traits durs, taille moyenne, cheveux noirs coupés ras, fine
moustache noire[2],
semblait absent, comme étranger à tout
ce qui se passait autour de lui.
Le Président commença par énoncer
l’état civil, la jeunesse de délinquance, les antécédents judiciaires de
l’accusé avant d’en venir aux faits pour lesquels il comparaissait.
Il fit également mention des soupçons qui planaient sur le double meurtre d’Ouville-la-bien-Tournée pour lequel Caillard, soupçonné d’en être l’auteur, avait été acquitté faute de preuve.
Les faits qui amenaient Caillard
devant ses juges étaient l’horrible assassinat à Nassandres de six personnes
dont trois enfants. L’accusé avait d’ailleurs reconnu en être responsable lors
de son arrestation en mars 1898 par le gendarme Mariette.
Revenait, à présent, à la Justice
de déterminer s’il y avait eu préméditation et si l’accusé pouvait bénéficier
d’éventuelles circonstances atténuantes.
Quarante deux témoins devaient
comparaître au cours du procès. Que des témoins à charge !
Parmi ceux-ci, vinrent déposer à
la barre :
·
Le docteur Halbout
qui avait procéder à l’autopsie des victimes
·
Monsieur Benestier
qui venu faire quelques travaux de jardinage avait découvert les corps de la
famille Leblond.
·
Jules Levieux, commis
de l’armurerie de Lisieux dans laquelle l’accusé avait acheté les six
cartouches. Ce jeune commis avait précisé que le client avait demandé
« des cartouches efficaces et tirant loin ».
·
Monsieur Picard,
l’armurier de Brionne, dont la vitrine avait été facturée et à qui il avait été
dérobé dans la nuit du 27 mars, deux fusils de chasse Lefaucheux, une carabine
Flobert et deux revolvers.
·
Monsieur Blot,
cultivateur au Petit-Launay, à qui Caillard avait emprunté une brouette.
·
Le jeune commis de
ferme de monsieur Blot, André Mesnil, qui avait accompagné Caillard jusqu’à la
gare et avait reçu de sa part, pour sa peine, six sous.
·
L’employé des chemins
de fer qui avait délivré un billet de train pour Lisieux.
·
Un ancien camarade
d’atelier de l’accusé qui relata que ce dernier lui avait dit un jour :
« Si je tenais un bonhomme ou une bonne femme entre mes mains, je lui
retournerai la peau du ventre à l’envers pour avoir son magot ».
·
Louise Chevalier,
maîtresse de Caillard, portant dans ses bras un jeune enfant[3],
expliqua que son amant avait emprunté cinq francs à sa sœur chez qui elle
vivait avec son enfant[4].
Ce jour-là, il était parti pour chercher du travail, mais elle n’avait pas
connaissance du lieu où il se renbdait, ni de ses réelles intentions.
·
Marie Chevalier, sœur
de Louise, qui confirma les dires de sa sœur aînée.
·
Un filateur du nom de
Guillemin qui avait vu, le soir des meurtres, un individu rôder autour de la
maison des Leblond.
·
Monsieur Douis,
cordier, qui se rendant dans son herbage derrière le vieux Château de Brionne,
avait aperçu un individu suspect près de sa grange dans laquelle il avait
découvert un paquet ensanglanté.
·
Monsieur Levillain,
Juge de paix de Brionne. Il avait trouvé une carabine abandonnée dans un fossé,
non loin du lieu des crimes. Celle-ci fut, peu après, identifiée comme celle
volée dans le magasin de monsieur Picard.
Et bien d’autres, mais aucun en
la faveur d’Alphonse Caillard qui resta tout au long de ces témoignages muet et
indifférent.
Le président prit alors la parole
pour ajouter :
« Vous avez tué de sang-froid toutes ces personnes, allant jusqu’à une mise en scène macabre. N’avez-vous pas pris le temps après avoir égorgé la petite Jeanne de placer ses mains sur sa poitrine et de déposer sur celles-ci la clef de la porte de la maison ? »
Le Ministère public demanda pour
cet homme reconnu vindicatif, querelleur, violent, calculateur, au passé
judiciaire très lourd et qui ne montrait aucun regret, la peine capitale.
Maître Cobart, jeune et éloquent,
défendit son client de son mieux, précisant :
« Mon client est
malade, un examen médical s’impose[5],
le crime n’est pas seulement atroce, abominable, il est encore d’une bêtise,
d’une invraisemblance qui suffiraient à démontrer m’irresponsabilité et
l’inconscience de celui qui l’a commis. »
À ce moment, Alphonse Caillard se
mit à pleurer, demanda pardon et implora l’indulgence du Jury qui se retira
pour délibérer.
[1] Information donnée par le journal
« Gil-Blas », en date du 9 juillet 1898.
[2] Journal « l’express du Midi » en date du 9
juillet 1898.
[3] Il s’agissait sûrement d’Arthurine Alice Caillard,
fille naturelle de Lucie Adèle Louise Chevalier, reconnue par son père Alphonse
Caillard, née à Lisieux le 1er octobre 1897, au 7 rue d’Orival à
Lisieux.
[4] Un logement de deux pièces, rue d’Orival à Lisieux,
dans la maison nommée « maison Bourgoin, dont le loyer mensuel se montait
à dix francs.
[5] Lors de son incarcération, un examen médical avait
démontré que Caillard n’avait jamais donné de signes de folie, malgré quelques
simulations auxquelles il se livrait régulièrement.
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